Test DVD / Fermer les yeux, réalisé par Víctor Erice

FERMER LES YEUX (Cerrar los ojos) réalisé par Víctor Erice, disponible en DVD le 3 janvier 2024 chez Blaq Out.

Acteurs : Manolo Solo, Jose Coronado, Ana Torrent, Petra Martínez, María León, Mario Pardo, Helena Miquel, Antonio Dechent…

Scénario : Víctor Erice & Michel Gaztambide

Photographie : Valentín Álvarez

Musique : Federico Jusid

Durée : 2h42

Année de sortie : 2023

LE FILM

Julio Arenas, un acteur célèbre, disparaît pendant le tournage d’un film. Son corps n’est jamais retrouvé, et la police conclut à un accident. Vingt-deux ans plus tard, une émission de télévision consacre une soirée à cette affaire mystérieuse, et sollicite le témoignage du meilleur ami de Julio et réalisateur du film, Miguel Garay. En se rendant à Madrid, Miguel va replonger dans son passé…

1973, à travers une épure extrême et l’interprétation quasi-surréaliste de la petite et sensationnelle Ana Torrent, âgée de 7 ans, le réalisateur Víctor Erice (né en 1940) filme le malaise et les frustrations de l’Espagne meurtrie par la dictature franquiste. Le spectateur doit alors composer avec certaines longueurs, des ellipses et l’apparente froideur de l’ensemble. Il ne tient qu’à lui de se laisser porter par l’immense poésie qui se dégage du film, de voir au-delà des silences et du regard d’Ana pour y décrypter une critique virulente du régime en place. L’Esprit de la rucheEl espíritu de la colmena est le film catalyseur d’un cinéma contestataire et engagé où allait s’engouffrer une poignée de cinéastes, comme Carlos Saura, qui réalisera Cria Cuervos quelques années plus tard… avec Ana Torrent. Bien avant Le Labyrinthe de Pan, le chef d’oeuvre de Guillermo del Toro, Víctor Erice exprime les maux d’un pays marqué par la guerre civile et vampirisé par la dictature. Dans un monde où le langage et la communication semblent interdits, Ana, cinq ans, imagine tout ce qu’on lui cache. Sa capacité à observer et à croire à ce qu’elle voit lui permet de vivre. Elle se rendra compte qu’il lui faudra, pour grandir, explorer seule des territoires inconnus et prendre des risques. Ana parviendra finalement à s’échapper grâce au rêve et à son imagination. La jeune actrice impose déjà son intense regard noir « perçant l’ombre » dont Víctor Erice capte les moindres expressions comme lorsqu’Ana visionne Frankenstein (la version de James Whale) au début du film. Elle découvre ainsi la violence humaine dans l’injustice de la mort. À l’aide de son chef opérateur Luis Cuadrado, qui commençait à perdre la vue sur le tournage, Víctor Erice réalise un film d’une incroyable beauté plastique. La mise en scène sublime, lumineuse, d’une richesse inouïe, explore la frontière entre l’enfance et le monde des adultes, la réalité et la fiction, la vie et la mort. Afin de ne pas subir les foudres de la censure franquiste, il use de la métaphore poétique et du regard des enfants sur le monde adulte. Tourné au cours des dernières années du franquisme, L’Esprit de la ruche est passé à travers les mailles de la censure qui n’a su trouver les arguments pour interdire le film et ce malgré de nombreux spectateurs le critiquant, ouvrant ainsi une voie nouvelle dans le cinéma espagnol. Dix ans plus tard, Víctor Erice revient avec El Sur. L’action se déroule en Espagne dans les années 1950. Dans une maison, appelée « La Mouette » et située dans un village du Nord, vivent Agustín, médecin et sourcier, son épouse, institutrice révoquée de l’enseignement après la Guerre civile, et leur petite fille, Estrella. Le réalisateur adopte à nouveau le point de vue d’une enfant, fascinée et en adoration pour son père. Des sentiments malmenés quand celle-ci découvre que celui qui lui a donné la vie a aimé une autre femme qu’il a laissée dans son Sud natal. Ce film, adapté d’un roman d’Adelaida García Morales, alors son épouse, demeure le plus méconnu de son auteur, qui reniera plus ou moins son second long-métrage car le jugeant inachevé, étant donné qu’il l’avait conçu en deux parties, la deuxième ne parvenant pas à trouver de financements suffisants. Cette expérience éloignera Víctor Erice du monde du cinéma pendant une nouvelle décennie. Nous voilà rendus en 1992. Le Songe de la lumière, le troisième film de Víctor Erice s’avère une extraordinaire réflexion sur la vie, sur le passage du temps, un traité sur la création artistique ayant nécessité pas moins de trois mois de tournage, un an de montage ainsi que le travail de trois chefs opérateurs. Un véritable film d’aventure porté par la quête de l’artiste peintre Antonio Lopez qui ne peut finalement que déposer les armes devant le caractère inéluctable de son entreprise : capturer sur sa toile la lumière du soleil. Il se dégage du Songe de la lumière une époustouflante et contagieuse passion pour l’art contemporain, la peinture et le cinéma, des images qui laissent pantois d’admiration le spectateur, plongeant dans une expérience sensorielle rare. 2023, revoilà Víctor Erice, que l’on pourrait rapprocher de Terrence Malick pour le don semblable du réalisateur espagnol de capturer ce qu’on ne peut définir ni saisir, la communion entre l’homme et la nature. Fermer les yeux est une œuvre testamentaire, un film-somme, une pleine plongée dans le septième art. Incontestablement l’un des sommets cinématographiques de l’année passée, Cerrar los ojos aborde et prolonge des thèmes déjà explorés par Víctor Erice dans ses travaux passés, mais se double également d’une réflexion sur le cinéma, qui inspire la vie réelle, où les deux s’imbriquent, où l’existence dépasse même parfois la fiction par ses retournements inattendus. Durant près de trois heures qui passent en un éclair, le maître espagnol remet les pendules à l’heure, le cinéma est certes un divertissement, ce que Fermer les yeux est indubitablement, mais où tout n’est qu’émotions. Vous trouverez difficilement un long-métrage plus bouleversant que Fermer les yeux sorti en 2023. Chef d’oeuvre.

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Test Blu-ray / Le Prince esclave, réalisé par Pietro Francisci

LE PRINCE ESCLAVE (Le Meravigliose avventure di Guerrin Meschino) réalisé par Pietro Francisci, disponible en édition Blu-ray + DVD + Livre le 6 février 2024 chez Artus Films.

Acteurs : Gino Leurini, Leonora Ruffo, Aldo Fiorelli, Anna Di Leo, Camillo Pilotto, Tamara Lees, Ugo Sasso, Antonio Amendola…

Scénario : Raul De Sarro, Alessandro Ferraù, Fiorenzo Fiorentini, Pietro Francisci, Giorgio Graziosi & Weiss Ruffilli, d’après l’oeuvre d’Andrea Barberino

Photographie : Giovanni Ventimiglia

Musique : Nino Rota

Durée : 1h21

Date de sortie initiale : 1952

LE FILM

Un jeune garçon enlevé par des pirates puis vendu comme esclave se retrouve échanson à la cour de Constantinople, alors assiégée par les Turcs. Alors qu’un accord de paix est enfin trouvé, le jeune garçon a une vision, provoquée par un astrologue : il serait le fils du roi de Durazzo, enlevé jadis par le fils du Duc de Bourgogne. Il va se lancer dans une quête initiatique qui l’amènera à reconquérir son trône.

Oyez, oyez ! Mais qu’est-ce donc cette diablerie ? Le Prince esclave, ou plus longuement en version originale Le Meravigliose avventure di Guerrin Meschino (ça fait tout de suite plus classe) est un film d’aventure forcément vintage, puisque sorti en 1952, adapté (et il s’agit de la seule transposition cinématographique à ce jour) de l’oeuvre d’Andrea Barberino, composée de huit livres, et publiée pour la première fois à la fin du 15è siècle. Autant dire que la demi-douzaine de scénaristes (oui, c’est à ne pas croire, dont Fiorenzo Fiorentini, auteur de L’Homme à la Ferrari et Zenabel) disposaient d’une matière suffisante pour y piocher ce dont ils avaient envie, même s’ils devaient au final se contenter d’éléments tirés essentiellement du premier volume. Il en résulte un côté souvent nawak, où l’action passe du coq à l’âne durant 80 minutes (la succession de fondus au noir témoigne d’une envie d’accélérer l’ensemble en ayant recours à quelques ellipses), même s’il faut reconnaître que la mise en scène de Pietro Francisci (1906-1977), l’un des « pères » du péplum en Italie (Les Travaux d’Hercule, Hercule et la reine de Lydie), n’a rien de statique et insuffle un rythme à cette fantaisie aussi drôle que riche en rebondissements, loin de l’aspect figé et douteux des Visiteurs du soir de Marcel Carné avec son Alain Cuny qui semblait avoir des problèmes de transit. Certes, tout cela est bien désuet, mais le charme l’emporte et le divertissement est garanti.

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Test Blu-ray / Monella – Lola la frivole, réalisé par Tinto Brass

MONELLA – LOLA LA FRIVOLE (Monella) réalisé par Tinto Brass, disponible en DVD & Combo Blu-ray + DVD le 16 janvier 2024 chez Sidonis Calysta.

Acteurs : Anna Ammirati, Patrick Mower, Max Parodi, Susanna Martinková, Antonio Salines, Francesca Nunzi, Vittorio Attene, Laura Trotter…

Scénario : Tinto Brass, Barbara Alberti & Anna Cipriani

Photographie : Massimo Di Venanzo

Musique : Pino Donaggio

Durée : 1h45

Date de sortie initiale : 1998

LE FILM

Dans les années 1950, dans la campagne du Nord italien, Lola est sur le point de se marier avec Masetto. Lola, toujours vierge, a hâte de faire l’amour, entre autres pour être sûre que Masetto est l’homme qu’il lui faut mais ce dernier préfère qu’elle reste vierge jusqu’au mariage. Lola a bien l’intention de le faire changer d’avis et met tout en oeuvre pour cela.

On ne sait pas si la publicité pour l’huile d’olive Puget aura inspiré quelques plans iconiques de Monella – Lola frivole, mais toujours est-il que Tinto Brass (né en 1933) multiplie dans cet opus les gros plans sur les fesses magnifiques de sa comédienne, dévoilées par un coup de vent qui soulève la jupe de la délicieuse donzelle. Bon, ça c’était pour le prologue. Monella – la frivole est évidemment un nouveau portrait de femme moderne dressé par le maître italien et expert dans ce domaine, son héroïne rejoignant ainsi Teresa (dans La Clé), Miranda et Paprika. Nous sommes à la fin des années 1990 et le cinéaste continue envers et contre tous de s’adonner à l’érotisme et à sa représentation graphique à l’écran. Pour cela, il peut encore une fois compter sur le plein investissement de la superbe Anna Ammirati, âgée seulement de 18 ans au moment du tournage, qui n’était apparue que dans quelques épisodes d’une obscure série télévisée et qui fait ici ses premiers pas au cinéma. Et pour une introduction on peut dire que l’actrice est servie par Tinto Brass, qui ouvre d’ailleurs le film (et le clôt) dans la peau d’un chef d’orchestre et qui donne le la de cette symphonie du désir. Celui-ci va alors filmer son actrice sous tous les angles (s’il avait pu immiscer sa caméra plus profondément, on imagine qu’il ne se serait pas gêné), la met constamment en valeur (le bougre sait y faire pour exciter le spectateur), recréer une époque qu’il a lui-même connue et durant laquelle il a brûlé sa propre jeunesse, pour au final livrer la radiographie de son pays après la Seconde Guerre mondiale, doublée de celle d’une jeune femme à l’aube de son existence, de son éveil sexuel (la masturbation sur fond de Be Bop a Lula…) et de son émancipation. Une réussite.

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Test DVD / Toni en famille, réalisé par Nathan Ambrosioni

TONI EN FAMILLE, réalisé par Nathan Ambrosioni, disponible en DVD le 10 janvier 2024 chez Studiocanal.

Acteurs : Camille Cottin, Léa Lopez, Thomas Gioria, Louise Labèque, Oscar Pauleau, Juliane Lepoureau, Catherine Mouchet, Guillaume Gouix…

Scénario : Nathan Ambrosioni

Photographie : Raphaël Vandenbussche

Durée : 1h32

Date de sortie initiale : 2023

LE FILM

À 42 ans, Toni, de son vrai prénom Antonia, élève seule ses cinq enfants, un véritable travail à temps complet. Ex-vedette de télécrochet dans sa jeunesse, elle chante aussi le soir pour nourrir sa famille. Aujourd’hui, ses deux aînés s’apprêtent à partir à l’université. Toni s’interroge : que deviendra-t-elle quand tous ses enfants auront quitté le nid familial ? Lui est-il encore possible de se réinventer ?

Nathan Ambrosioni n’aura que 25 ans en 2024 et pourtant ce réalisateur autodidacte, devenu le plus jeune metteur en scène à bénéficier de l’avance sur recettes du CNC, a déjà livré deux longs-métrages d’une étonnante maturité. Le premier, Les Drapeaux de papier, sorti en 2018, réunissait Noémie Merlant, Guillaume Gouix, Jérôme Kircher et Alysson Paradis et imposait d’emblée une vraie patte d’auteur. Le second est donc Toni en famille, qui, à l’instar de son film précédent, est mis en scène, écrit et monté par Nathan Ambrosioni. Celui-ci passe la vitesse supérieure et livre une comédie-dramatique aussi drôle que délicate, tendre, percutante et bouleversante, magnifiquement interprétée par Camille Cottin, qui n’en finit plus d’étonner et qui trouve indiscutablement ici l’un de ses plus grands rôles. Elle est par ailleurs excellemment entourée par cinq jeunes acteurs exceptionnels, parmi lesquels se détachent Léa Lopez, également née en 1999, déjà pensionnaire de la Comédie-Française, vue dans les séries Clem et Nina, qui s’impose ici comme une grande révélation. Véritable coup de coeur, Toni en famille, auréolé d’un beau succès critique et public (300.000 entrées) démontre que Nathan Ambrosioni en a sérieusement sous le capot et donne sacrément envie de suivre sa carrière.

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Test Blu-ray / Persée l’invincible, réalisé par Alberto De Martino

PERSÉE L’INVINCIBLE (Perseo l’invincibile) réalisé par Alberto De Martino, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 6 février 2024 chez Artus Films.

Acteurs : Richard Harrison, Anna Ranalli, Arturo Dominici, Elisa Cegani, Leo Anchóriz, Antonio Molino Rojo, Roberto Camardiel, Ángel Jordán…

Scénario : Mario Guerra, Alberto De Martino, Ernesto Gastaldi, Luciano Martino, José Mallorquí & Mario Caiano

Photographie : Dario Di Palma

Musique : Carlo Franci

Durée : 1h22 (montage espagnol) & 1h26 (montage italien)

Date de sortie initiale : 1962

LE FILM

Acrisios a usurpé le trône d’Argos en tuant le roi et épousant sa veuve, Danaé. Persée l’héritier légitime, vit à Sériphos, ville voisine, mais ignore tout de sa naissance. Il va le découvrir grâce à la belle Andromède, puis, avec l’aide de la déesse Athéna, accomplir des exploits héroïques pour reprendre le trône.

Nous avons ensemble et à plusieurs reprises fait le tour de la filmographie d’Alberto De Martino (1929-2015), à l’occasion de la sortie dans les bacs de Formule pour un meurtre, Holocaust 2000 et Le Conseiller. C’est donc avec une grande joie de découvrir un des premiers films du réalisateur de L’Antéchrist et du Manoir de la terreur (non, nous ne parlerons pas de L’Homme puma), à savoir Persée l’invinciblePerseo l’invincibile. Dix ans après ses débuts comme assistant, principalement de Giuseppe Masini et Giulio Macchi, Alberto De Martino, tout en dirigeant la postsynchronisation de 1500 longs-métrages (y compris de La Dolce vita, sur lequel Federico Fellini l’encourage à devenir metteur en scène), passe derrière la caméra en binôme avec Antonio Momplet. Les deux hommes vont alors signer un péplum, Le Gladiateur invincible, avec Richard Harrison en tête d’affiche, puis une comédie de western avec Walter Chiari, Deux contre tous. 1963, Alberto De Martino, désormais seul aux manettes, retrouve Richard Harrison et le genre alors en vogue du péplum, pour Persée l’invincible, connu aussi sous le titre Perseo e Medusa, Valley of the Stone Men, mais également Perseus Against the Monsters, ou enfin Medusa vs. the Son of Hercules. Tout cela pour un spectacle qui soixante ans après sa sortie demeure plaisant à regarder, bien mis en scène et surtout bien campé par sa star charismatique, que l’on reverra par la suite dans Ultime violence de Sergio Grieco, Avec Django, la mort est là d’Antonio Margheriti, avant d’apparaître (et ce bien malgré-lui) dans une vingtaine de films de Godfrey Ho, dont le mythique Hitman le Cobra dans lequel il incarne le légendaire Philliiiiiip (« je sais où tu t’caches ! »). Un divertissement évidemment kitsch, mais efficace et bourré de charme.

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Test 4K UHD / Le Règne animal, réalisé par Thomas Cailley

LE RÈGNE ANIMAL, réalisé par Thomas Cailley, disponible en DVD, Blu-ray et Combo Blu-ray/4K UHD le 7 février 2024 chez Studiocanal.

Acteurs : Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos, Tom Mercier, Billie Blain, Xavier Aubert, Saadia Bentaïeb, Gabriel Caballero…

Scénario : Thomas Cailley & Pauline Munier

Photographie : David Cailley

Musique : Andrea Laszlo De Simone

Durée : 2h08

Date de sortie initiale : 2023

LE FILM

Dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux, François fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce phénomène mystérieux. Alors que la région se peuple de créatures d’un nouveau genre, il embarque Émile, leur fils de 16 ans, dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence.

En 2014 sortait Les Combattants, coup de coeur de l’année, premier long métrage – et César à la clé – réalisé par Thomas Cailley, qui avait tout d’abord reçu un accueil triomphal et unanime lors de sa présentation à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes où il avait raflé tous les prix : Art Cinema Award de la CICAE, Prix FIPRESCI, Prix SACD, Label Europa Cinemas. Remarqué avec son court-métrage Paris-Shanghai, primé dans de nombreux festivals, Thomas Cailley confirmait avec Les Combattants en signant un véritable coup de maître. Originaire de la région Aquitaine, c’est tout naturellement que le cinéaste pose à nouveau sa caméra au milieu des immenses forêts des Landes pour son retour au cinéma avec Le Règne animal. C’est probablement LE film événement du cinéma français de 2023, dans lequel on retrouve certains motifs des Combattants. C’est encore cette fois la rencontre brutale entre deux éléments contraires, ici les êtres humains et les animaux, les premiers se métamorphosant progressivement en créatures. Malgré leurs différences, une force magnétique attire parfois ces êtres différents, que tout oppose, qui vont apprendre à communiquer, à se reconnaître, à écouter l’autre, à se livrer. Chef d’oeuvre instantané, Le Règne animal est indiscutablement une étape dans le cinéma de genre hexagonal, même si l’on ne saurait réduire ce film ainsi. D’emblée, le fantastique s’inscrit dans un réalisme contemporain, certains êtres humains mutent en animal, c’est ainsi. La moelle, la sève du récit est au coeur des protagonistes. Et c’est un bijou. Tout y est formidable, ambitieux : les comédiens, la mise en scène, le rythme, l’humour, le spleen, sa liberté de ton, sa sensibilité à fleur de peau, la photographie (signée David Cailley, frère du cinéaste), la musique d’Andrea Laszlo De Simone. « Voilà un vrai auteur français à suivre de près » écrivait l’auteur de ces mots il y a dix ans. La durée de la chrysalide pour Thomas Cailley pour prendre définitivement son envol.

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Test DVD / L’Été dernier, réalisé par Catherine Breillat

L’ÉTÉ DERNIER réalisé par Catherine Breillat, disponible en DVD & Blu-ray le 6 février 2024 chez Pyramide Vidéo.

Acteurs : Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin, Clotilde Courau, Serena Hu, Angela Chen, Romain Maricau, Nelia Da Costa…

Scénario : Catherine Breillat & Pascal Bonitzer, d’après le film Queen of Hearts de May el-Toukhy

Photographie : Jeanne Lapoirie

Musique : Kim Gordon

Durée : 1h39

Date de sortie initiale : 2023

LE FILM

Anne, brillante avocate, défend les mineurs victimes d’abus et les adolescents en difficulté. Son mari Pierre, leurs deux filles et elle vivent en parfaite harmonie dans une belle villa sur les hauteurs de Paris. Lorsque Théo, fils de Pierre né d’un précédent mariage, emménage avec eux, l’équilibre de la famille se retrouve chamboulé par l’irruption de cet adolescent rebelle et contestataire.

Dix ans après Abus de faiblesse, la cinéaste Catherine Breillat fait son retour derrière la caméra avec L’Été dernier, un comeback fracassant, remake du film danois Queen of hearts (2019), qui rappelle aussi l’excellent Pingpong (2006) de Matthias Luthardt, mâtiné du Blé en herbe de Colette, adapté en 1954 par Claude Autant-Lara. C’est une résurrection pour la réalisatrice, affaiblit ces dernières années par une hémorragie cérébrale (qui l’a rendue hémiplégique) et la tristement célèbre affaire Rocancourt, qui signe ni plus ni moins avec L’Été dernier un de ses meilleurs films, son quinzième. Ce drame sulfureux, mais jamais vulgaire ni gratuit, est porté par l’intensité de ses comédiens, Léa Drucker, à qui la maturité sied décidément divinement bien, le jeune Samuel Kircher et, celui que la critique a souvent tendance à oublier, l’immense Olivier Rabourdin, présent depuis une trentaine d’années dans le cinéma français, une fois nommé aux César (comme second rôle pour Des hommes et des dieux) et qu’il serait temps de porter aux nues. L’Été dernier est en l’état l’un des grands films de 2023.

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Test Blu-ray / La Fille du roi des marais, réalisé par Neil Burger

LA FILLE DU ROI DES MARAIS (The Marsh King’s Daughter) réalisé par Neil Burger, disponible en DVD & Blu-ray le 15 février 2024 chez Metropolitan Vidéo.

Acteurs : Daisy Ridley, Ben Mendelsohn, Brooklynn Prince, Gil Birmingham, Caren Pistorius, Garrett Hedlund, Joey Carson, Pamela MacDonald…

Scénario : Elle Smith & Mark L. Smith, d’après le roman de Karen Dionne

Photographie : Alwin H. Küchler

Musique : Adam Janota Bzowski

Durée : 1h48

Date de sortie initiale : 2023

LE FILM

La vie idyllique d’Helena Petterier est mise à mal lorsqu’elle apprend que l’homme qui l’a élevée et gardée en otage pendant 12 ans dans un marécage s’est évadé de prison. Pour protéger son mari et sa fille, Helena va devoir affronter son sombre passé qu’elle a toujours gardé secret et traquer son père, le tristement célèbre Roi des Marais.

La Fille du roi des Marais, non ce n’est pas un biopic sur un enfant qu’aurait eu Bertrand Delanoë, mais l’adaptation du roman éponyme de Karen Dionne, sorti en 2017 et édité en France aux Éditions Jean-Claude Lattès. Un best-seller international – que l’on pourrait rapprocher de Là où chantent les écrevisses, gros succès de 2022 – qui a forcément tout de suite attiré les producteurs et les studios de cinéma, pensant déjà à sa transposition. Dans un premier temps, celle-ci devait se faire avec la suédoise Alicia Vikander, tandis que le norvégien Morten Tyldum (Imitation Game, Passengers) se chargeait de la mise en scène, sur un scénario d’Elle Smith et Mark L. Smith (Overlord, The Revenant, The Hole). Si les auteurs n’ont pas bougé et n’ont pas revu leur copie, il y a eu du changement devant et derrière la caméra. Le rôle principal a finalement été octroyé à la britannique Daisy Ridley, tandis que l’américain Neil Burger prenait définitivement les manettes du projet. Entièrement tourné au Canada dans de magnifiques paysages naturels, La Fille du roi des marais est un film étonnant, prenant et même bouleversant, qui repose en grande partie sur les épaules de la belle comédienne née en 1992, qui depuis sa révélation dans la postlogie (affreuse, mais ce n’est pas le sujet du jour) Star Wars n’avait pas été gâtée (Le Crime de L’Orient-Express de Kenneth Branagh), trouve enfin un rôle dans lequel elle peut pleinement dévoiler son talent dramatique. Quasiment de toutes les scènes, pour ne pas dire de tous les plans, Daisy Ridley est la raison d’être de The Marsh King’s Daughter, qui mérite qu’on s’y attarde.

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Test Blu-ray / Coup de chance, réalisé par Woody Allen

COUP DE CHANCE réalisé par Woody Allen, disponible en DVD & Blu-ray le 27 janvier 2024 chez Metropolitan Vidéo.

Acteurs : Lou de Laâge, Valérie Lemercier, Melvil Poupaud, Niels Schneider, Grégory Gadebois, Guillaume de Tonquédec, Elsa Zylberstein, Anne Loiret, Sara Martins, Arnaud Viard…

Scénario : Woody Allen

Photographie : Vittorio Storaro

Durée : 1h33

Date de sortie initiale : 2023

LE FILM

Fanny et Jean ont tout du couple idéal : épanouis dans leur vie professionnelle, ils habitent un magnifique appartement dans les beaux quartiers de Paris et semblent amoureux comme au premier jour. Mais lorsque Fanny croise, par hasard, Alain, ancien camarade de lycée, elle est aussitôt chavirée. Ils se revoient très vite et se rapprochent de plus en plus…

Bon…Comment dire…Nous n’étions pas nombreux à défendre le testamentaire Rifkin’s Festival (les polémiques prenant désormais le pas sur le reste) et nous en faisions partie. En revanche, comment aller au secours de Coup de chance, cinquantième opus de Woody Allen, intégralement tourné en France (comme pouvait l’être aussi Minuit à Paris), dans la langue de Molière, avec des acteurs bien de chez nous ? La curiosité était forcément de mise, mais force est de constater que l’univers du réalisateur américain n’est nullement transposable dans nos contrées. Rien, absolument rien ne fonctionne dans Coup de chance, « thriller » avec lequel Woody Allen essaye de nous refaire le coup de Match Point vingt ans après, mais sans plus aucune inspiration. Même la photographie du chef opérateur italien Vittorio Storaro (Le Orme, Dick Tracy, Apocalypse Now) qui collabore pour la sixième fois avec le cinéaste (y compris pour le merveilleux Wonder Wheel et la série Crisis in Six Scenes), laisse furieusement sceptique quant à sa laideur et son manque d’aspérité, l’utilisation de la caméra numérique Sony Venice 16-bit n’aidant probablement pas à insuffler une âme à cette entreprise. C’est la première fois, et peut-être la dernière puisque Woody Allen aurait confirmé qu’il s’agissait là de son ultime long-métrage, mais Coup de chance est un quasi-nanar, le pire film de son auteur, qui fait penser à du mauvais Mocky ou pire du Lelouch (c’est dire…), un long-métrage signé par un vieux gâteux qui aurait voulu prendre une caméra, histoire de ne pas aller faire un Triomino avec les autres pensionnaires de la maison de retraite. Aller monsieur Allen, vous nous avez gratifié d’immenses chefs d’oeuvres aussi éternels qu’intemporels, mais il est temps d’aller vous astiquer la clarinette maintenant et de vous reposer enfin.

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Test Blu-ray / Main basse sur la ville, réalisé par Francesco Rosi

MAIN BASSE SUR LA VILLE (Le Mani sulla città) réalisé par Francesco Rosi, disponible en Édition Blu-ray + DVD + DVD bonus + livre – Boîtier Mediabook le 7 février 2024 chez Rimini Editions.

Acteurs : Rod Steiger, Salvo Randone, Guido Alberti, Marcello Cannavale, Dante Di Pinto, Alberto Conocchia, Carlo Fermariello, Terenzio Cordova…

Scénario : Francesco Rosi, Raffaele La Capria, Enzo Provenzale & Enzo Forcella

Photographie : Gianni Di Venanzo

Musique : Piero Piccioni

Durée : 1h41

Année de sortie : 1963

LE FILM

Poussée par l’entrepreneur Nottola, la municipalité de Naples transforme des terrains agricoles en terrains constructibles pour lancer un gigantesque programme immobilier. Le chantier entraîne la paralysie d’un enfant et de vives polémiques au sein du conseil municipal, alors que de nouvelles élections se préparent. L’enquête sur l’accident s’enlise, mais les stratégies électorales s’affinent, et certains membres de la majorité au pouvoir s’inquiètent de voir Nottola sur leur liste.

« J’ai toujours cru en la fonction du cinéma en tant que dénonciateur et témoin de la réalité. Main basse sur la ville est ce que j’appellerai un film théorème. » Francesco Rosi

Francesco Rosi, certainement l’un des cinéastes les plus engagés du cinéma italien, est né à Naples en 1922. Pour beaucoup et malgré une filmographie conséquente, Main basse sur la ville – Le Mani sulla città demeure son chef d’oeuvre, dans lequel sa critique (on peut même parler de radiographie) virulente des corps du pouvoir et de leurs malversations est la plus frontale. Entre fiction et documentaire, Main basse sur la ville poursuit sa revendication du genre du film d’enquête, initié l’année précédente avec Salvatore Giuliano en 1962. Le film s’inspire d’un fait réel survenu dans sa ville natale : l’écroulement d’un immeuble de Naples (en fait, le nom de la ville n’est jamais cité, mais tout le monde le sait) entraînant la mise en cause des industriels en charge du chantier. Cette séquence est d’ailleurs retranscrite à l’écran de manière très impressionnante, plongeant le spectateur dans une réalité sociale brute et immédiate qui renvoie ouvertement au néo-réalisme italien, Francesco Rosi ayant rappelons-le démarré sa carrière comme assistant (puis scénariste) de Luchino Visconti. Constat sévère de la spéculation immobilière et de ses mécanismes retors, Le Mani sulla città dévoile comment avec le soutien de la municipalité, un entrepreneur, incarné par l’ogre Rod Steiger, alors loin de l’inspecteur de la division des mineurs qu’il venait d’interpréter dans Lutte sans merci de Philip Leacock et juste avant d’enchaîner avec l’exceptionnel Prêteur sur gages de Sidney Lumet, s’empare de terrains vagues afin de les transformer en édifices modernes. Un business lucratif qui ne profite pas aux petites gens qui sont relogés dans des immeubles insalubres. La ville de Naples vit alors au cœur d’un véritable scandale immobilier, opposant la droite à la gauche qui craint que les prochaines élections ne viennent enliser le problème. Comme on dit en Italie donc, Capolavoro !

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