Test Blu-ray / Visage écrit, réalisé par Daniel Schmid

VISAGE ÉCRIT (Das geschriebene Gesicht) réalisé par Daniel Schmid, disponible en Blu-ray le 6 février 2024 chez Carlotta Films.

Acteurs : Tamasaburô Bandô, Han Takehara, Haruko Sugimura, Kazuo Ôno, Yajuro Bando, Kai Shishido, Toshiya Nagasawa, Asaji Tsutakiyokomatsu, Hiroyuki Koga…

Scénario : Daniel Schmid

Photographie : Renato Berta

Durée : 1h33

Année de sortie : 1995

LE FILM

Il y a bientôt quatre siècles, une loi impériale japonaise imposa que les rôles de femmes dans le théâtre kabuki soient tenus par des hommes, appelés onnagata. Visage écritde Daniel Schmid est une tentative d’approche de Tamasaburo Bando, le plus prestigieux onnagata contemporain. Ce grand acteur de kabuki qui a également tourné pour le cinéma est considéré comme un véritable « trésor vivant », acclamé aussi bien par Rudolf Noureev que par Yukio Mishima.

Dans ce film conçu en quatre parties, le réalisateur suisse livre une œuvre hybride qui abolit les genres et les codes, naviguant allègrement entre fiction et documentaire, Japon moderne et traditionnel. À travers les portraits croisés de Tamasaburo Bando et de ses illustres aînés, comme l’actrice Haruko Sugimura ou le danseur Kazuo Ohno, Visage écrit sonde l’âme de cet art en voie de disparition et rend hommage à ces figures éternelles de la culture nippone.

Bienvenue au kabuki, théâtre japonais traditionnel. Vous y croiserez Morita Shinichi alias Tamasaburo Bando (né en 1950), star en son pays, qui s’est produit dans le monde entier et qui est même apparu au cinéma devant la caméra d’Andrzej Wajda dans Nastasja (1994). Sur scène, mais aussi dans les coulisses et en parallèle en interview, Tamasaburo Bando se livre dans et sur son art à l’occasion de Visage écrit Das geschriebene Gesicht, réalisé par le cinéaste suisse Daniel Schmid. Ce dernier, également acteur apparu chez Wim Wenders (L’Ami Américain), Rainer Werner Fassbinder (Le Marchand des quatre saisons, Lili Marleen), Patrice Chéreau (Judith Therpauve), se glisse derrière et sous la scène, observe comment l’artiste qu’il a sous les yeux se met dans la peau de son personnage, un onnagata donc.

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Test Blu-ray / Smooth Talk, réalisé par Joyce Chopra

SMOOTH TALK réalisé par Joyce Chopra, disponible en Blu-ray le 5 mars 2024 chez Carlotta Films.

Acteurs : Treat Williams, Laura Dern, Mary Kay Place, Margaret Welsh, Sara Inglis, Levon Helm, Elizabeth Berridge, Geoff Hoyle, William Ragsdale…

Scénario : Tom Cole, d’après une nouvelle de Joyce Carol Oates

Photographie : James Glennon

Musique : Russ Kunkel, George Massenburg & Bill Payne

Durée : 1h31

Année de sortie : 1985

LE FILM

Pour ses vacances d’été, Connie, lycéenne de 15 ans en pleine crise d’adolescence, est coincée à la campagne avec ses parents et sa sœur aînée. Horrifiée à l’idée de passer du temps en famille, la jeune fille préfère traîner avec ses deux meilleures amies au centre commercial et flirter avec les garçons. Elle finit par éveiller la curiosité d’un certain Arnold Friend, jeune homme charismatique et enjôleur aux desseins ambigus…

Smooth Talk est l’adaptation sortie en 1985 de la nouvelle Where Are You Going, Where Have You Been? (1966) de Joyce Carol Oates, sortie en France dans le recueil CorpsThe Wheel of Love and Other Stories, paru chez Stock dans les années 1970, puis réédité sous le titre Démons chez Aubier-Flammarion quelques temps plus tard, mais indisponible depuis dans nos contrées. L’amour et les relations entre les hommes et les femmes sont au coeur de la nouvelle originale et donc de ce film complètement méconnu chez nous. Réalisé par Joyce Chopra (née en 1936), Smooth Talk est le premier des deux longs-métrages de la cinéaste, qui fera surtout sa carrière à la télévision et qui reviendra d’ailleurs à Joyce Carol Oates avec une adaptation de son livre Blonde, qu’elle transposera en 2001 avec Poppy Montgomery dans le rôle de Marilyn Monroe. C’est la première fois au cinéma que l’univers et le langage de l’écrivaine sont retranscrits, bien avant les deux versions de Foxfire: Confessions of a Girl Gang, dont celle (excellente) signée Laurent Cantet et l’on y retrouve évidemment quelques-uns de ses thèmes de prédilection, l’adolescence, la jeunesse rebelle, en dressant le portrait d’une adolescente voulant s’émanciper et se révolter contre ses parents, en particulier sa mère, tout en étant très attirée par la gent masculine. Smooth Talk est une chronique remarquablement interprétée entre autres par la jeune et déjà imposante Laura Dern, alors âgée de 18 ans, dont la prestation convaincra David Lynch pour l’engager sur Blue Velvet l’année suivante. C’est dire si Smooth Talk vaut le détour !

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Test Blu-ray / Out of Order, réalisé par Carl Schenkel

OUT OF ORDER réalisé par Carl Schenkel, disponible en Blu-ray le 22 août 2023 chez Carlotta Films.

Acteurs : Götz George, Renée Soutendijk, Wolfgang Kieling, Hannes Jaenicke, Klaus Wennemann, Ralf Richter, Jan Groth, Kurt Raab…

Scénario : Carl Schenkel & Frank Göhre

Photographie : Jacques Steyn

Musique : Jacques Zwart

Durée : 1h27

Année de sortie : 1984

LE FILM

Un vendredi soir, à l’heure de fermeture des bureaux, quatre personnes se retrouvent bloquées dans le même ascenseur : Jörg, un publicitaire fringant ; Marion, sa ravissante collègue et ancienne maîtresse ; Gössmann, un comptable peu loquace parti avec la caisse ; et Pit, jeune coursier désinvolte. Comprenant rapidement que personne ne viendra à leur secours, ils décident de se libérer par leurs propres moyens, alors qu’ils se trouvent à cent mètres de hauteur. Mais l’entreprise s’avère périlleuse et des tensions surgissent bientôt au sein du groupe…

Du cinéaste suisse Carl Schenkel (1948-2003), on se souvient de l’excellent Face à face – Knight Moves (1992), prix de la critique au Festival du film policier de Cognac, probablement un des meilleurs opus avec Christophe(r) Lambert. Les plus pervers savent que c’est aussi à lui que l’on doit Tarzan et la Cité perdue Tarzan and the Lost City (1998) avec Casper Van Dien et Jane March. Mais avant de débouler à Hollywood avec ses sabots en bois, Carl Schenkel, ancien journaliste et metteur en scène de publicités, avait fait parler de lui avec Abwärts (qui se traduit par vers le bas, en descendant), exploité en France et dans une grande partie du monde sous le titre Out of Order. Ce thriller singulier et claustrophobe réunit quatre personnes dans un ascenseur qui tombe en panne en début de soirée, alors que tout le monde (ou presque) est déjà parti en week-end. Sur ce postulat de départ, Carl Schenkel et son coscénariste Frank Göhre parviennent à maintenir l’intérêt du spectateur, à travers la psychologie de leurs protagonistes, opposés sur quasiment tous les plans, y compris un homme et une femme qui ont eu une brève liaison et qui ont gardé une certaine rancoeur l’un envers l’autre. Huis clos tendu et cynique (du style jusqu’ici tout va bien, mais l’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage), Out of Order est un tour de force à (re)découvrir.

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Test Blu-ray / Christmas Evil, réalisé par Lewis Jackson

CHRISTMAS EVIL réalisé par Lewis Jackson, disponible en DVD et Blu-ray le 1er décembre 2021 chez Carlotta Films.

Acteurs : Brandon Maggart, Jeffrey DeMunn, Dianne Hull, Andy Fenwick, Brian Neville, Joe Jamrog, Wally Moran, Gus Salud…

Scénario : Lewis Jackson

Photographie : Ricardo Aronovich

Musique : Don Christensen, Joel Harris & Julia Heyward

Durée : 1h30

Année de sortie : 1980

LE FILM

Enfant, Harry surprend sa mère en plein ébat avec le Père Noël. Cette vision le hantera toute sa vie. Trente ans plus tard, Harry travaille dans une usine de jouets et son existence entière tourne autour du Père Noël. Il souhaite incarner l’innocence que représente à ses yeux cette figure, mais l’époque a changé et le cynisme règne en maître. Harry va alors endosser son costume et distribuer lui-même les cadeaux… ou les châtiments…

Cette année, vous avez intérêt à croire au Père Noël, sinon il vous « hottera » la vie. Si la tagline exagère un brin, puisque le film est assez sage, Christmas Evil, connu aussi sous le titre You Better Watch Out, ou bien encore Terreur au royaume des jouets chez nos amis canadiens, est à ce jour le dernier long-métrage du réalisateur Lewis Jackson. Sorti discrètement en 1980, cet opus a en fait été vendu comme un slasher, dans lequel un homme arbore le costume du Père Noël et s’en va trucider quelques individus qui n’ont sûrement pas été sages, alors qu’il ne s’agit pas du tout de ça. Christmas Evil est un thriller dramatique psychologique qui narre la folie d’un homme, à la fois fasciné et traumatisé par Noël, qui a tout simplement décidé de devenir celui par qui – normalement – le bonheur arrive le 25 décembre de chaque année. Sauf qu’à l’exception des gamins innocents, même si certains ne confirment pas cette règle, la plupart des adultes semblent avoir perdu leur fantaisie, leur joie de vivre et n’arrivent pas à profiter de ce jour unique. Un homme décide alors de revêtir l’habit rouge, de transformer son van en traîneau et d’aller fureter en ville le soir du réveillon, dans l’espoir de donner du plaisir à ses concitoyens. Mais évidemment, cela ne va pas se passer comme prévu. Christmas Evil n’est pas exempt de faiblesses et de maladresses. Toutefois, on comprend pourquoi le film de Lewis Jackson, très joliment photographié par Ricardo Aronovich (Le Souffle au cœur de Louis Malle, L’Attentat de Yves Boisset, L’important c’est d’aimer d’Andrzej Żuławski), a su marquer les esprits des spectateurs depuis quarante ans. En raison de son ton désabusé, par le portrait à la fois effrayant et bouleversant d’un homme au bout du rouleau, qui va se perdre en vivant son fantasme jusqu’au bout. « Cette année, laissez la cheminée allumée ! » disait la bande annonce. C’est un conseil auquel nous adhérons.

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Test Blu-ray / Madame Bovary, réalisé par Claude Chabrol

MADAME BOVARY réalisé par Claude Chabrol, disponible en DVD et Blu-ray le 22 septembre 2021 chez Carlotta Films.

Acteurs : Isabelle Huppert, Jean-François Balmer, Christophe Malavoy, Jean Yanne, Lucas Belvaux, Christiane Minazzoli, Jean-Louis Maury, Florent Gibassier…

Scénario : Claude Chabrol, d’après le roman de Gustave Flaubert

Photographie : Jean Rabier

Musique : Matthieu Chabrol

Durée : 2h23

Année de sortie : 1991

LE FILM

Au XIXe siècle, fille d’un paysan normand, Emma Bovary a été élevée par les religieuses dans un couvent élégant avant d’épouser un officier de santé. Nourrie de lectures romanesques, elle aspire à des amours romantiques et une vie de luxe que ne lui apportent ni son mari ni la bourgeoisie terne et pontifiante de la ville. Elle devient la maîtresse d’un hobereau local qui l’abandonne, puis d’un clerc de notaire, ainsi que la proie d’un marchand d’étoffes sans scrupules.

« Ardente. Romanesque. Naïve. Rêveuse. Amoureuse. Passionnée. Exaltée. Secrète. Infidèle. Révoltée. Provocante. Audacieuse. Désespérée. C’est Emma Bovary. » (extrait de la bande-annonce). Madame Bovary : Moeurs de province, plus connu sous son titre abrégé Madame Bovary est un des livres les plus célèbres de Gustave Flaubert (1821-1880). Paru en 1857, il s’agit d’une des oeuvres majeures de la littérature française, qui vaudra à son auteur d’être poursuivi pour atteinte aux bonnes moeurs. Le cinéma s’est très vite inspiré de Madame Bovary, roman réaliste et psychologique, puisque la première adaptation connue remonte à 1932. Jean Renoir a lui-même transposé le roman de Flaubert en 1933 avec Valentine Tessier et parmi les adaptations les plus connues citons celle de Vincente Minnelli tournée en 1949 avec Jennifer Jones et James Mason. Si Bollywood s’en est aussi inspiré, tout comme Posy Simmonds avec son roman graphique Gemma Bovery, adapté en 2014 par Anne Fontaine, sans oublier la dernière transposition en date – 2015 donc – sous la direction d’une réalisatrice française, Sophie Barthes, avec la diaphane Mia Wasikowska dans le rôle-titre, l’une des moutures les plus célèbres demeure sans aucun doute celle sortie en 1991 de Claude Chabrol avec Isabelle Huppert. Le réalisateur s’empare de ce monument, qui lui revenait pour ainsi dire de droit, et respecte scrupuleusement le texte de Flaubert, prenant le roman comme un scénario déjà tout prêt, Chabrol ayant souvent déclaré que l’écrivain avait toujours eu une prose cinématographique. Cette alliance parfaite entre un metteur en scène et sa comédienne font de Madame Bovary un des sommets de leurs carrières respectives.

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Test Blu-ray / Une affaire de femmes, réalisé par Claude Chabrol

UNE AFFAIRE DE FEMMES réalisé par Claude Chabrol, disponible en DVD et Blu-ray le 22 septembre 2021 chez Carlotta Films.

Acteurs : Isabelle Huppert, François Cluzet, Marie Trintignant, Nils Tavernier, Lolita Chammah, Aurore Gauvin, Guillaume Foutrier, Nicolas Foutrier, Marie Bunel, Dominique Blanc, Evelyne Didi, Dani…

Scénario : Claude Chabrol & Colo Tavernier O’Hagan, d’après le roman de Francis Szpiner

Photographie : Jean Rabier

Musique : Matthieu Chabrol

Durée : 1h48

Année de sortie : 1988

LE FILM

Par solidarité en ce début de guerre, Marie, mère de famille d’une trentaine d’années, va aider sa voisine à se débarrasser d’un enfant non désiré. Bientôt, c’est l’engrenage. Les ‘services’ de Marie se rétribueront et deviendront son gagne-pain. Mais, Marie, la faiseuse d’anges est dénoncée. Sous Vichy, une dénonciation équivaut à une exécution. Marie est arrêtée et condamnée.

Une affaire de femmes est l’un des plus grands succès de Claude Chabrol. Un million d’entrées en France, trois nominations aux César, Coupe Volpi de la meilleure actrice pour Isabelle Huppert à la Mostra de Venise, le réalisateur étant lui-même récompensé à deux reprises à ce même festival. Ceci sans compter les nominations et autres récompenses diverses (à Bogota, à Boston, aux Golden Globes, aux David di Donatello…), le film est un triomphe à travers le monde et la critique est très largement conquise. Sorti entre Le Cri du hibou, adaptation d’un roman de Patricia Highsmith qui a valu à Mathilda May le César du meilleur espoir féminin, et Jours tranquilles à Clichy, d’après le roman éponyme d’Henry Miller, Une affaire de femmes s’inspire lui aussi d’un livre écrit par l’avocat Francis Szpiner, tiré d’une d’une histoire vraie, celle de Marie-Louise Giraud (1903-1943), une des dernières femmes condamnées à mort en France par guillotine, dénoncée pour avoir effectué près d’une trentaine d’avortements illégaux sous l’occupation. Cette dernière, la seule « faiseuse d’anges » exécutée pour cette raison, est interprétée par Isabelle Huppert, dans sa deuxième collaboration avec Claude Chabrol, dix ans après Violette Nozière. Fabuleux portrait dressé d’une résistante malgré elle, Une affaire de femmes est une œuvre passionnante, dont la protagoniste n’est certes pas très sympathique, mais à laquelle la comédienne apporte une humanité, une force incroyable et son hypersensibilité. Assurément l’une des plus intenses prestations d’Isabelle Huppert.

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Test Blu-ray / Betty, réalisé par Claude Chabrol

BETTY réalisé par Claude Chabrol, disponible en DVD et Blu-ray le 22 septembre 2021 chez Carlotta Films.

Acteurs : Marie Trintignant, Stéphane Audran, Jean-François Garreaud, Yves Lambrecht, Christiane Minazzoli, Pierre Vernier, Nathalie Kousnetzoff, Pierre Martot…

Scénario : Claude Chabrol, d’après le roman de Georges Simenon

Photographie : Bernard Zitzermann

Musique : Matthieu Chabrol

Durée : 1h44

Année de sortie : 1992

LE FILM

Déjà très imbibée, Betty se retrouve dans un bar appelé « Le Trou ». Là, elle est prise sous la protection d’une habituée, Laure, elle aussi alcoolique. Ses discussions avec Laure l’amènent à replonger dans son passé. Comment a-t-elle pu se laisser chasser par son mari et sa famille, si respectables, et leur abandonner ses enfants ? Et maintenant, comment remonter la pente, comment sortir du « trou » ?

Rétrospectivement, Betty est le 45e long-métrage de Claude Chabrol, sa deuxième adaptation d’un roman de Georges Simenon et sa seconde collaboration avec Marie Trintignant. Le film se place entre Madame Bovary (1991) – auquel le film est étrangement lié dans sa thématique – et le documentaire L’Oeil de Vichy (1993). Et c’est aussi l’un des sommets de la carrière prolifique du cinéaste, qui offre ici à sa comédienne, l’un de ses plus grands rôles. Magnétique, quasiment de tous les plans, dans chaque scène, elle électrise, vampirise l’écran du début à la fin, accroche le spectateur dès sa première apparition, qui littéralement hypnotisé par son regard noyé d’alcool, sa voix éraillée par les litres de liquide brun qu’elle ingurgite sans reprendre son souffle, si ce n’est pour prendre une taffe d’une cigarette toujours allumée sur le coin d’une table ou à même le comptoir. Betty est une femme qui a un passé, un avenir on ne sait pas encore et même le présent est incertain tant celui ne se résume qu’à la multiplication des verres de whisky qu’elle s’enfile les uns à la suite des autres. Quand soudain, elle fait la rencontre inattendue d’une femme qui lui renvoie son propre reflet, mais avec quelques années de plus. Ce sera un évènement catalyseur dans la vie de Betty, qui va faire un point sur son existence, en se débarrassant déjà d’un passé encore vivace, qui l’englue dans la bibine qu’on imagine frelatée et qui parvient à peine à l’anesthésier comme elle le souhaiterait. Forcément, on pense à la fin tragique de Marie Trintignant devant Betty, réalisé onze ans avant sa disparition certes, mais où l’on ne peut s’empêcher d’être encore plus bouleversé devant la magistrale prestation de cette actrice singulière, qui n’avait qu’à apparaître à l’écran pour nous bousculer. Difficile de ne pas s’apitoyer sur le sort de Betty, même si l’on découvre petit à petit comment elle en est arrivée là et qu’elle n’est pas innocente dans l’événement qui a précipité son « exil », le rejet de sa famille. Betty est assurément l’un des chefs d’oeuvre de Claude Chabrol, qui s’empare à bras le corps et avec virtuosité du livre de Georges Simenon pour prolonger sa propre réflexion sur ses thèmes de prédilection.

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Test Blu-ray / Umberto D., réalisé par Vittorio De Sica

UMBERTO D. réalisé par Vittorio De Sica, disponible en DVD et Blu-ray le 25 août 2021 chez Carlotta Films.

Acteurs : Carlo Battisti, Maria-Pia Casilio, Lina Gennari, Ileana Simova, Elena Rea, Memmo Carotenuto…

Scénario : Cesare Zavattini

Photographie : G.R. Aldo

Musique : Alessandro Cicognini

Durée : 1h25

Année de sortie : 1952

LE FILM

Fonctionnaire à la retraite, Umberto D. ne parvient plus à subvenir à ses besoins. Ayant pour seul refuge une pension en piteux état, il occupe ses journées à chercher de l’argent, accompagné par son fidèle chien Flike.

Depuis 1946, Vittorio De Sica a enchaîné Sciuscià, Le Voleur de bicyclette et Miracle à Milan. Figure emblématique du néoréalisme, le cinéaste et comédien a conquis le monde entier avec ces trois longs-métrages, qui lui ont valu l’Oscar du meilleur film étranger en 1947 et en 1949 pour les deux premiers, et la Palme d’or au 4e Festival de Cannes (ex-æquo avec Mademoiselle Julie d’Alf Sjöberg) pour le troisième. Cela fait une dizaine d’années que Vittorio de Sica compile les rôles comiques qui l’ont rendu très populaires au cinéma comme au théâtre. Au début des années 40, le comédien s’essaye à la mise en scène avec Madeleine, zéro de conduite – Maddalena, zero in condotta, Roses écarlates – Rose scarlatte et Mademoiselle VendrediTeresa Venerdì qui révèle Anna Magnani. Si ces trois comédies restent anecdotiques, c’est avec Les Enfants nous regardent – I bambini ci guardano, où il n’apparaît pas et par ailleurs son premier film dramatique, que naît le grand metteur en scène et l’un des pères fondateurs du néoréalisme. C’est aussi sur ce film que naît sa collaboration avec le scénariste Cesare Zavattini. Rétrospectivement, Umberto D. est la fin d’un cycle qui a démarré sur des enfants et se clôt en se concentrant sur la vieillesse d’un homme. Pourtant, on y retrouve une fois de plus les thèmes de prédilection du cinéaste, même si le monde des adultes vu à travers les yeux d’un d’enfant et l’enfance malheureuse sont cette fois remplacés par le point de vue d’un vieillard, comme si rien n’avait changé ou plutôt comme si tout était immuable peu importe l’âge. Les films se rejoignent par les sujets de la fin de l’insouciance, de la difficulté du quotidien, de la solitude et des lendemains incertains. Umberto D. est inspiré en partie par le propre père de Vittorio De Sica, dont le père s’appelait Umberto De Sica (à qui le film est dédié), là où le personnage se prénomme Umberto Domenico Ferrari dans le film. Ce sublime mélodrame, pilier fondamental dans la filmographie conséquente et importante du réalisateur met à nouveau en avant les problèmes de la société italienne, dont la politique n’a de cesse de creuser le fossé entre les classes sociales. Le final « ouvert » qui peut laisser perplexe démontre en réalité que l’homme doit accepter à se résigner. Umberto D. est donc la fin d’un cycle, d’une ère, d’un genre, et surtout un monument du cinéma italien et international.

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Test Blu-ray / Contes cruels de la jeunesse, réalisé par Nagisa Ôshima

CONTES CRUELS DE LA JEUNESSE (Seishun zankoku monogatari) réalisé par Nagisa Ôshima, disponible en DVD et Blu-ray le 25 août 2021 chez Carlotta Films.

Acteurs : Yusuke Kawazu, Miyuki Kuwano, Yoshiko Kuga, Fumio Watanabe, Shinji Tanaka, Yosuke Hayashi, Shinjiro Matsuzaki, Toshiko Kobayashi…

Scénario : Nagisa Ôshima

Photographie : Takashi Kawamata

Musique : Riichiro Manabe

Durée : 1h37

Date de sortie initiale : 1960

LE FILM

Makoto Shinjo, une jeune femme sans repères, s’offre à des hommes d’âge mûr, en général des automobilistes de passage. Un jour, l’un d’eux la violente. Elle est secourue par Kiyoshi Fujii, un voyou, qui extorque un peu d’argent au conducteur en échange de son silence. Les deux marginaux se revoient, entament une liaison, violente. Ils mettent au point une combine de chantage où Makoto séduirait des inconnus et Kiyoshi les ferait chanter.

Nagisa Ôshima (1932-2013) est mondialement célèbre pour Nuit et brouillard du Japon (1960), Furyo (1983) et bien évidemment L’Empire des sens (1976). Les films du réalisateur japonais, diplômé en droit, politiques et transgressifs, auront toujours été accompagnés d’un parfum de scandale. Le public occidental connaît moins ses premières œuvres, en particulier ladite trilogie de la « jeunesse », constituée d’Une ville d’amour et d’espoir – alias Le Garçon vendeur de colombes – mis en scène en 1959, Contes cruels de la jeunesse (1960) et L’Enterrement du soleil (1960). L’opus qui nous intéressera aujourd’hui est le second. Âgé de 28 ans au moment du tournage, le cinéaste est alors en prise avec son époque, écoute ceux de son âge et même les plus jeunes, là où ses confrères de la génération précédente se contentaient de les entendre, pour ensuite dépeindre leurs désirs et leurs états d’âme avec un décalage peu représentatif du Japon contemporain. Avec Contes cruels de la jeunesse, Nagisa Ôshima plonge sa caméra portée dans les rues de Tokyo (les vraies, pas celles reconstituées en studio), observe les adolescents et les vingtenaires, hommes et femmes, qui tentent de (sur)vivre avec peu de repères, des piliers déjà branlants, un avenir incertain s’ouvrant devant eux. Entre La Fureur de vivre Rebel Without a Cause (1955), pour la peinture d’une jeunesse en crise, et À bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard – bombe atomique dont les retombées se faisaient ressentir dans tous les pays du monde – pour sa liberté formelle (et comme Makoto, que Kiyoshi empêche de rejoindre le bord alors qu’elle ne sait pas nager), le réalisateur trouve les vecteurs pour s’exprimer et laisser témoigner ouvertement une partie de la population à qui on avait jusqu’à présent imposé de se taire.

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Test Blu-ray / Cheerful Wind, réalisé par Hou Hsiao-hsien

CHEERFUL WIND (Feng er ti ta cai – 風兒踢踏踩) réalisé par Hou Hsiao-hsien, disponible en DVD et Blu-ray le 25 août 2021 chez Carlotta Films.

Acteurs : Feng Fei Fei, Kenny Bee, Anthony Chan, Ying Shih, Chou Wan-Sheng, Ling Wu, Chen Yin-Hao, Chuang Hui-Fen…

Scénario : Yao Chiung & Hou Hsiao-Hsien

Photographie : Chen Kun-Hou

Musique : Lin Tsan-Ching

Durée : 1h32

Date de sortie initiale : 1981

LE FILM

Hsing-hui travaille comme assistante photographe sur le tournage d’une publicité. Elle fait la rencontre de Chin-tai, un aveugle dont elle tombe amoureuse alors qu’elle vient d’entamer une liaison avec le directeur de l’agence qui l’emploie. Lorsque ce dernier propose à Hsing-hui de l’accompagner avec lui en Europe, la jeune femme doit alors choisir entre l’amour et son rêve le plus cher…

Bien avant Les Fleurs de Shanghai (1998), Millenium Mambo (2001), Café Lumière (2003), Three Times (2005), Le Voyage du ballon rouge (2007) et The Assassin (2015), le réalisateur et chef de file du cinéma d’auteur taïwanais Hou Hsiao-hsien (né en 1947) ou HHH pour les intimes cinéphiles, faisait ses premières armes au cinéma en 1980 avec Cute Girl, dans lequel une jeune fille issue d’une famille riche, amoureuse d’un jeune homme de condition modeste, était forcée de se marier avec le fils d’un industriel. L’année suivante, le cinéaste retrouve les trois interprètes – et par ailleurs artistes de pop-variété – de son film précédent, Feng Fei Fei, Kenny Bee et Anthony Chan, pour une nouvelle comédie-romantico-sentimentale intitulée Cheerful Wind, son second long-métrage. Alors bien sûr, les passionnés du cinéma asiatique essaieront de chercher ce qui fera de Hou Hsiao-hsien l’un des metteurs en scène et auteur chinois les plus importants, mais force est de constater que rien ou très peu d’éléments pourront rapprocher Cheerful Wind des Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand-père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) et Poussières dans le vent (1986), quatre œuvres autobiographiques qui viendront après L’Herbe verte de chez nous (1983), dernier volet de la « trilogie romantique ». Toutefois, ce film de jeunesse, même si HHH avait près de 35 ans, demeure léger comme une bulle de savon, un divertissement drôle, sympathique et on ne peut plus attachant, qui ressemble pour ainsi dire à un manhua live (autrement dit une BD chinoise), très élégant, marqué par la fraîcheur, l’alchimie et la spontanéité de ses comédiens.

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