Test DVD / La Bonzesse, réalisé par François Jouffa

LA BONZESSE réalisé par François Jouffa, disponible en DVD le 3 avril 2018 aux Editions Montparnasse

Acteurs :  Sylvie Meyer, Bernard Verley, Olga Valéry, Christine Aurel, Betty Berr, Catherine Bidaut…

ScénarioFrançois Jouffa, Jean-Pierre Gambert

Photographie : Jean Gonnet

Musique : Hadi Kalafate

Durée : 1h39

Année de sortie : 1974

LE FILM

Béatrice, une étudiante, est en quête d’absolu. Désoeuvrée, elle décide de se prostituer dans une  »maison » a la clientèle sélectionnée, du gros industriel au diplomate recommandé par le Quai d’Orsay. Mais Béatrice se lasse vite et décide de partir pour l’Orient.

Carton en introduction : « Avertissement : les scènes et les dialogues de ce film sont inspirés de témoignages authentiques, recueillis par les auteurs ».

Réalisé en 1973 par François Jouffa, La Bonzesse ou les concessions d’une enfant du siècle, sera interdit et bloqué par la censure pendant un an. Raison de plus pour le revoir en 2018 et essayer de comprendre pourquoi. Le film est produit par Francis Leroi, alors futur producteur du Sexe qui parle (1975) et réalisateur de films et téléfilms (sous le pseudo de Jim Clark) aux titres explicites et dont on ne se lasse pas, La michetonneuse, Lèche-moi partout, Je suis à prendre, Cette salope d’Amanda, Déculottez-vous mesdemoiselles, L’infirmière n’a pas de culotte, Le Secret des écolières sans culotte, Charlotte, mouille ta culotte et près d’une dizaine d’Emmanuelle. Autant dire que La Bonzesse apparaît presque comme un vrai film d’auteur dans sa carrière. C’est donc François Jouffa, journaliste musical, qui passe derrière la caméra pour ce petit film au charme suranné, qui aborde frontalement son sujet, les maisons closes, avec humour, mais aussi avec un vrai regard social.

Béatrice, interprétée par la ravissante Sylvie Matton, est une étudiante en philosophie de 21 ans, qui a quitté sa famille et la province pour faire études à Paris. Un jour, par désir de liberté, elle décide de se rendre chez une maquerelle afin d’expérimenter l’art de la sexualité. Charmée par sa silhouette élancée et son regard ingénu, Madame Renée (Olga Valéry, excellente) embauche la belle sur-le-champ. Béatrice prend le nom de Julie et se vend à des hommes fortunés. Un soir, un client la séduit. Au fur et à mesure de ses rencontres et de la découverte des fantasmes de ses clients (un type se coud des boutons sur les tétons, scène visiblement réalisée sans trucage), Béatrice se sent de plus en plus attirée par les philosophies orientales. Malgré son succès auprès des fidèles visiteurs du bordel, elle commence à envisager son départ en aller simple pour Katmandou.

Voilà, c’est cela La Bonzesse, une petite comédie coquine qui a des choses à dire et qui les fait passer derrière les petites nanas dénudées. D’ailleurs, il n’y a pas que ces demoiselles qui se présentent en tenue d’Eve, puisque la nudité est également de mise chez les clients, présentés dans toutes les postures possibles et imaginables. Il y a fort à parier que François Jouffa et son coscénariste Jean-Pierre Gambert aient vu le premier long métrage de Paul Verhoeven, un certain cinéaste néerlandais, Business is Business, qui traitait plus ou moins du même sujet. Dans ce film, deux prostituées travaillant à Amsterdam devaient se plier aux exigences parfois étranges de leurs clients. La mise en scène était déjà frontale chez Paul Verhoeven et François Jouffa n’hésite pas de son côté à montrer les corps nus des hommes et des femmes. Si tout est évidemment plus sage dans le film qui nous intéresse, toutes les classes sociales sont logées à la même enseigne puisque certains hommes politiques et même un évèque viennent également prendre du bon temps dans le bordel de Madame Renée, situé dans un beau quartier, à deux pas des Champs-Elysées.

Certes, la qualité des dialogues laisse parfois à désirer : « Tiens salut ! » « Tiens, ça va ? » « Ça va et toi ? » « Ça va… » « Oui ça va ! » « Ça va bien ? » « Oui oui très bien, ça va ! » « Salut ! », mais de ce point de vue c’est Olga Valéry qui se taille la part du lion avec ses répliques très épicées, surtout lorsque Madame Renée explique à Béatrice l’organisation de sa maison, tout en détaillant l’anatomie de sa nouvelle recrue.

La Bonzesse est drôle, polisson et décalé, mais également et finalement politique, social (tout est argent, tout se monnaie) et intelligent, prenant parfois une tournure documentaire. Ou comment faire passer son message derrière des comédiennes déculottées donc, surtout que le récit se clôt sur une incroyable séquence pleine de spleen tournée à Ceylan, qui contraste avec le reste du film et qui lui donne un vrai cachet d’auteur. Un vrai classique du cinéma érotique des années 70.

LE DVD

Le DVD de La Bonzesse, disponible aux Editions Montparnasse, repose dans un très beau slim Digipack au visuel coquin très attractif. Le menu principal est légèrement animé, avec quelques dialogues du film en fond sonore.

La bande-annonce des Sorcières du bord du lac est proposée comme supplément. Dommage. Il y avait sans doute matière à réaliser quelques entretiens !

L’Image et le son

La Bonzesse était jusqu’alors inédit en DVD. Le master SD au format 1.66 (4/3 compatible 16/9) d’origine proposé par l’éditeur s’avère fort honorable, bien restauré, avec des couleurs qui retrouvent un certain éclat. Le grain est heureusement préservé et très bien géré, la copie est belle et stable.

La piste Mono affiche une ardeur et une propreté remarquables, créant un spectre phonique fort appréciable. La restitution des dialogues est solide et l’ensemble harmonieux. Dommage que l’éditeur ait également oublié les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © DFL. Editions Montparnasse / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test DVD / Don Juan, réalisé par Jacques Weber

DON JUAN réalisé par Jacques Weber, disponible en DVD aux Editions Montparnasse le 6 mars 2018

Avec :  Jacques Weber, Michel Boujenah, Emmanuelle Béart, Penélope Cruz, Ariadna Gil, Denis Lavant, Michael Lonsdale, Jacques Frantz…

Scénario : Jacques Weber d’après la pièce de théâtre « Dom Juan ou le festin de pierre » de Molière

Photographie : José Luis Alcaine

Musique : Bruno Coulais

Durée : 1h35

Date de sortie initiale : 1998

LE FILM

Don Juan est un aventurier épris de liberté dans l’Espagne du XVIIe siècle. Il tue ses ennemis, séduit toutes les femmes, leur promet le mariage, puis les abandonne. Révolté, hypocrite et impie, sûr de son désir, il affronte un monde qu’il humilie. Ce géant blessé épuise sa vie et brûle ses dernières cartouches. Dans quelques jours, il se rendra inexorablement au rendez-vous avec son destin.

Né en 1949, Jacques Weber s’inscrit avec Francis Huster au Conservatoire municipal du 18e arrondissement de Paris. Ça laisse des marques. S’ensuivent l’art dramatique à l’école de la rue Blanche, puis le Conservatoire qu’il quitte après avoir obtenu le prix d’excellence. Elève et disciple de Pierre Brasseur, Jacques Weber possède un C.V. bien fourni. La Comédie-Française lui fait de l’oeil, mais il refuse ses avances, lui préférant le théâtre populaire de Reims de Robert Hossein. Il débute sa carrière au cinéma et au théâtre au début des années 1970. En 1994, il écrit une adaptation du Misanthrope pour la télévision. Il revient quatre ans plus tard vers Molière pour une libre transposition de la pièce Dom Juan. Ecrit, interprété et réalisé par Jacques Weber, Don Juan sort au cinéma le 18 mars 1998 et la critique lui tire dessus à boulets rouges.

En compagnie de son valet Sganarelle, Don Juan, un seigneur revendiquant son goût de la liberté, parcourt à cheval les routes du sud de l’Espagne, pour régler des affaires le plus souvent en rapport avec ses nombreuses conquêtes féminines. Dans un village, il humilie un enfant pauvre et pieux en tentant de le faire jurer contre une pièce d’or. Puis il signifie à Elvire, jeune noble qu’il devait épouser, sa décision de rupture. Elvire, outragée, lui crie son désir de vengeance et ses frères se lancent à la poursuite du  » grand seigneur méchant homme ». Mais Don Juan – que rien n’effraie, pas plus la loi de Dieu que celle des hommes, et encore moins les reproches de son fidèle Sganarelle – pense déjà à une autre femme et monte une expédition en bateau. Tempête, naufrage. Des paysans le sauvent. Il s’empresse de faire la cour à deux filles à la fois, dont l’une est la fiancée du brave Pierrot.

Volontairement « revu et déconstruit » par Jacques Weber lui-même, le texte de Molière subsiste, mais vingt ans après, force est de constater que Don Juan est comme qui dirait un petit cousin du Jour et la nuit, le célèbre film de ce cher Bernard-Henri Lévy. Car dans le genre trip égocentrique et narcissique ça se pose là. C’est bien simple, on attend pour admirer les charmes d’Emmanuelle Béart et l’on se retrouve finalement avec Jacques Weber nu comme un ver devant un Michael Lonsdale qui se mord les joues. Don Juan n’est pas vraiment un nanar, car il y a de la « rigueur » dans la direction artistique, notamment dans les costumes, par ailleurs nommés aux César. Non, ce qu’il y a de fascinant c’est de voir que l’ensemble de cette production se donne un genre, mais que rien n’est crédible.

A la tête de son entreprise, Jacques Weber est droit comme un i sur son cheval qui peine sous le poids de son cavalier. Avec son balai bien placé, sa crinière Head & Shoulders et le poitrail à l’air, Jacques Weber, qui s’est confié le rôle du plus célèbre des séducteurs, est souvent très drôle malgré-lui. Pour sa sortie en DVD vingt ans après, l’éditeur Editions Montparnasse privilégie Emmanuelle Béart, seule sur le visuel, ainsi que sur le menu principal. C’est sans doute plus vendeur que Jacques Weber dans le plus simple appareil, mais toujours est-il que la comédienne fait juste une participation et son temps à l’écran est vraiment réduit. En parlant d’actrices, certains se gausseront de voir comment les jeunes Penélope Cruz (24 ans) et Ariadna Gil (28 ans) se pâment et se confrontent pour devenir celle que Don Juan protégera de son torse bombé quand Jacques Weber retient son souffle. Elles sont toutes folles de lui. A ses côtés, Michel Boujenah déclame ses tirades de façon grandiloquente, mais rien à faire, cela ne fonctionne pas. Jacques Weber convie quelques amis, des voix, des gueules, celles de Denis Lavant, Michael Lonsdale, Jacques Frantz, Philippe Khorsand, tous ayant accepté l’invitation du cinéaste pour passer quelques jours dans le sud de l’Espagne.

Plus le film progresse, plus l’ensemble prend un goût de navet, mais un bon, celui devant lequel on rit pour sa prétention et son sérieux. Don Juan n’est pas un nanar, mais contient quand même son lot de séquences effarantes, ridicules (avec la mort du héros comme point d’orgue), bouffées d’orgueil, qui font finalement le sel du film. Nous n’étions pas venus pour cela, mais puisque c’est ce que ce truc boursouflé à la photographie hideuse et à la musique soûlante propose, pourquoi pas après tout.

LE DVD

Jacques Weber aura dû attendre vingt ans pour qu’un éditeur ait le courage de sortir Don Juan en DVD. Bravo aux Editions Montparnasse. Mais l’éditeur a eu le nez fin pour attirer le chaland puisque le visuel est centré sur Emmanuelle Béart dans sa robe jaune, tandis que Weber et son fidèle destrier ont du mal à se faire une petite place en bas à gauche. Même chose pour le menu principal, légèrement animé sur la musique de Bruno Coulais. Le boîtier est glissé dans un surétui cartonné.

Bandes-annonces de films disponibles comme suppléments.

L’Image et le son

Bon…si la copie est propre, les couleurs sont complètement usées et fanées. Ce ne sont pas les partis pris dignes d’un téléfilm qui arrangent les choses. La gestion des contrastes est aléatoire, le piqué absent, tout est terne. Aucun relief, l’image fait beaucoup plus que ses vingt ans d’âge.

Le mixage Stéréo fait tout ce qu’il peut pour donner un peu d’entrain au film de Jacques Weber et le confort acoustique est honorable. Les voix sont solidement délivrées, la balance frontale suffisante et la piste très propre. Pas de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © Editions Montparnasse / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test DVD / Les Sorcières du bord du lac, réalisé par Tonino Cervi

LES SORCIÈRES DU BORD DU LAC (Le Regine) réalisé par Tonino Cervi, disponible en DVD aux Editions Montparnasse le 3 janvier 2018

Avec :  Silvia Monti, Ray Lovelock, Ida Galli, Haydée Politoff, Gianni Santuccio, Guido Alberti…

Scénario : Tonino Cervi, Benedetto Benedetti

Photographie : Sergio D’Offizi

Musique : Angelo Francesco Lavagnino

Durée : 1h22

Date de sortie initiale : 1970

LE FILM

Les Sorcières du bord du lac, également connu sous le titre Les Sorcières, ou bien encore Adorables et atroces créatures, Queens of Evil pour son titre international et Le Regine et/ou Il Delitto del Diavolo en version originale, est un pur film d’exploitation transalpin, une série B réalisée par Antonio Cervi aka Tonino Cervi. Né en 1929 et mort en 2002, fils de l’acteur Gino Cervi (Peppone dans la saga don Camillo) et père de la sublime Valentina Cervi (Portrait de femme, Rien sur Robert), le cinéaste et scénariste reste peu connu en France, mais Les Sorcières du bord du lac (1970), mis en scène deux ans après son premier coup d’essai Cinq gâchettes d’or (coécrit par Dario Argento), demeure son film le plus célèbre. Considéré comme la version « adulte » du conte Hansel et Gretel, ce petit film surfe alors sur le succès du cinéma de genre qui remplit les salles et le tiroir-caisse des producteurs. Une vraie curiosité.

David (Ray Lovelock) est un hippie se réclamant libre et indépendant dans une société mercantile qui ne respecte plus ses propres valeurs. Afin de ne pas s’enraciner, il a pris pour habitude de voyager sans véritable but, sur sa moto, à travers tout le pays. Une nuit, il s’arrête afin de porter secours à ce qui s’avère être un riche homme d’affaires (Gianni Santuccio). Ce dernier, même s’il accepte son aide, lui fait la morale à propos de convictions dénuées de propositions et d’alternatives sociétales, qu’il juge somme toute immatures. Après que sa roue ait été changée, l’homme repart. A ce moment-là, David s’aperçoit que son pneu a été crevé. Son sang ne fait qu’un tour, il répare sa bécane pour rattraper l’homme. Arrivé à sa hauteur, l’homme, dans un moment d’inattention, s’écrase contre un arbre et meurt sous les yeux de David. Ce dernier prend peur et s’enfuit immédiatement. Plus loin, un barrage de police l’oblige à prendre un chemin à travers les bois. Il arrive devant une étrange cahute et se réfugie dans une grange. Le lendemain, il se réveille et rencontre les propriétaires de cette habitation. Trois sœurs, Bibiana (Ida Galli), Liv (Haydée Politoff) et Samantha (Silvia Monti) l’accueillent chaleureusement. David se retrouve petit à petit hypnotisé par ces trois séduisantes jeunes femmes, pour lesquelles il éprouve une attirance physique. Voulant néanmoins retrouver la route et sa liberté, David va avoir de plus en plus de mal à se détacher de ses trois hôtesses. Un soir, le riche propriétaire d’un château caché au fond des bois, organise une fête.

Les Sorcières du bord du lac joue sur l’attente et parvient à créer un étrange suspense. Si le titre dévoile immédiatement le pot aux roses, il faudra attendre la dernière bobine pour que les trois sœurs passent à l’action et dévoilent réellement leur véritable nature. Tonino Cervi est malin et économise ses cartouches en instaurant une ambiance étrange et éthérée, en privilégiant les séquences oniriques. Le metteur en scène joue sur l’étrangeté et le décalage des décors comme cette cabane banale en extérieur, qui renferme en réalité un intérieur ultra-moderne et cosy. Comme David, le spectateur tombe également sous le charme des trois hôtesses interprétées par Silvia Monti (Le Cerveau, Journée noire pour un bélier), Ida Galli (Le Guépard, Le Jardin des délices, Le Corps et le Fouet) et la française Haydee Politoff (La Collectionneuse, L’Amour l’après-midi). Les trois comédiennes s’amusent à jouer les nymphes fatales.

Malgré des baisses de rythme, Les Sorcières du bord du lac possède encore un charme fou, ne manque pas d’originalité (tout comme de petites séquences érotiques soft), laisse passer son message (rejet des vieilles mœurs, touche de féminisme) et a tout pour plaire aux amateurs de cinéma Bis.

LE DVD

Le DVD des Sorcières du bord du lac, disponible aux Editions Montparnasse, repose dans un superbe slim Digipack au visuel très attractif. Le menu principal est animé et musical.

Une galerie de photos (de tournage et d’exploitation) est disponible en guise de supplément.

L’Image et le son

C’est une surprise, Les Sorcières du bord du lac débarque dans les bacs en France sous l’égide des Editions Montparnasse. Le master proposé est élégant et très bien restauré. La propreté est indéniable, tout comme la stabilité. Le grain original ainsi que le format respecté 1.85 (16/9) créent un confort de visionnage évident, les couleurs ne manquent pas de classe, la gestion des contrastes est solide. La copie trouve un équilibre jamais pris en défaut et la clarté est de mise sur les séquences en extérieur. Si l’on excepte les visages un peu rosés des comédiens, les partis pris esthétiques de la photographie légèrement ouatée du chef opérateur Sergio D’Offizi (Cannibal Holocaust, La Longue nuit de l’exorcisme) sont savamment conservés et trouvent ici un très joli écrin.

Les Editions Montparnasse présente Les Sorcières du bord du lac en version originale aux sous-titres français imposés et placés trop haut sur l’image, ainsi qu’en version française. Pour les deux pistes, le confort acoustique est suffisant et propre. Cependant, la version originale l’emporte du point de vue délivrance des dialogues, effets annexes et surtout sur la restitution de la musique d’Angelo Francesco Lavagnino. Le doublage français s’accompagne d’un souffle chronique.

Crédits images : © Editions Montparnasse / DFL.DVD /  Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test DVD / Manon, réalisé par Henri-Georges Clouzot

MANON réalisé par Henri-Georges Clouzot, disponible en DVD aux Editions Montparnasse le 3 octobre 2017

Acteurs :  Michel Auclair, Cécile Aubry, Serge Reggiani, Andrex, Raymond Souplex, André Valmy…

Scénario : Henri-Georges Clouzot, Jean Ferry d’après le roman L’Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost

Photographie : Armand Thirard

Musique : Paul Misraki

Durée : 1h42

Date de sortie initiale : 1949

LE FILM

Fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un village français, la jeune Manon est accusée de collaboration avec les nazis. Sauvée du lynchage par le jeune Robert Dégrieux, les deux jeunes gens fuient à Paris où leur relation ne tarde pas à devenir orageuse suite au comportement de Manon…

Rien n’est sale quand on s’aime.

C’est un choc, c’est un chef d’oeuvre oublié. Tourné en 1948 et sorti sur les écrans en 1949, Manon est un opus central dans la filmographie d’Henri-Georges Clouzot. Après la projection et le triomphe de Quai des Orfèvres à la Mostra de Venise, le cinéaste est néanmoins amer, persuadé que son polar, présenté en version française non sous-titrée, aurait remporté bien plus que le Prix de la mise en scène s’il n’avait pas été aussi « bavard ». Clouzot décide alors de repenser sa façon de faire des films, en privilégiant le cadre, le montage, la photographie, tout en privilégiant le tournage en extérieur plutôt qu’en studio. Si le précipité final de ces expériences sera Le Salaire de la peur en 1953, Manon marque une première étape dans ce désir de remise en question. Ce quatrième long métrage, adapté du roman L’Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost, rompt alors avec ce que Clouzot avait fait précédemment. Manon est un immense film, souvent négligé quand on évoque le réalisateur. Il est temps aujourd’hui de le réhabiliter.

Une nuit, deux clandestins sont découverts dans la cale d’un bateau qui vient d’appareiller de Marseille à destination de la Palestine. Egalement à bord, des juifs rescapés du génocide, qui immigrent illégalement. Le capitaine et son second (un tout jeune Michel Bouquet dans l’une de ses premières apparitions au cinéma) reconnaissent l’homme grâce à la photographie d’un journal. Il s’agit de Robert Desgrieux, un assassin en fuite. Le capitaine envisage alors de les livrer à la police aussitôt la ville d’Alexandrie atteinte, mais se laisse attendrir par cette passion dévorante dont le jeune couple entreprend le récit. Tout commence dans une petite ville de Normandie, peu après la Libération, où Robert Desgrieux jeune maquisard, sauve l’envoûtante Manon Lescaut de la vindicte populaire, qui s’apprête à la lyncher pour avoir couché avec l’ennemi. Tous deux s’enfuient vers Paris et entament une liaison. Mais bientôt, ils se perdent dans de sordides histoires de prostitution et de meurtre. De plus, l’amour exclusif de Robert gêne Manon. Elle charge son frère, Léon d’éloigner son amant pendant qu’elle part avec un riche Américain qu’elle espère dépouiller.

« On va leur montrer que c’est possible d’être heureux ! » « A qui ? » « A ceux qui sont contre. »

Entre le prologue et son extraordinaire épilogue, Henri-Georges Clouzot narre son récit au moyen d’un long flashback étourdissant, sombre et puissant. Alors que Le Corbeau dressait le portrait d’une petite communauté française sous l’Occupation, le cinéaste montre ici la France de l’après-guerre. Comment se remettre de ces années de conflit ? Comment retrouver une vie normale ? Affamés, voulant rattraper les années perdues et une jeunesse qui s’est envolée, les personnages sont aussi démolis que l’église en ruine dans laquelle ils démarrent leur fatale idylle. Manon souhaite bien en profiter en mettant tous les atouts de son côté pour pouvoir sortir de la misère, quitte à mettre toute morale de côté. D’ailleurs, son frère Léon (vénéneux Serge Reggiani), continue de vivre de larcins sous les ordres d’un petit parrain notoire. Véritablement envoûté par Manon, Robert devient de plus en plus jaloux et possessif. Il se laisse entraîner malgré-lui par cette blonde à la moue enfantine, dans un monde violent et sans concessions, jusqu’à se laisser envahir par la colère et commettre l’irréparable.

Profondément pessimiste, Manon contient toute la sève du cinéma d’Henri-Georges Clouzot. Nappé de romantisme noir, son film plonge son personnage masculin dans des trafics toujours plus louches, afin de subvenir aux exigences insatiables de sa compagne. Afin d’incarner l’ambiguïté de Manon et de faire ressentir aux spectateurs une empathie faite de répulsion, Clouzot jette son dévolu sur la jeune Cécile Aubry, qui préférera abandonner le métier d’actrice assez tôt pour se consacrer à l’écriture pour enfants, avant de créer et de réaliser les séries Poly, puis Belle et Sébastien, avec son propre fils Mehdi El Glaoui dans le rôle principal. Dans Manon, elle est la parfaite garce, perdue dans le monde impitoyable des adultes, en ayant encore un pied dans l’adolescence. Manon veut le monde et Robert, impressionnant Michel Auclair, semble prêt à tout pour le lui offrir, quitte à se perdre lui-même. Manon est un film qui triture les méninges et les entrailles. Clouzot ne recule devant rien pour mettre le spectateur mal à l’aise, sans pour autant forcer le trait.

Le dernier acte montre les protagonistes débarquer clandestinement avec leurs compagnons d’infortune sur une plage discrète. Après une marche épuisante dans le désert, la petite troupe est attaquée par une troupe de Bédouins. Sans révéler son sulfureux dénouement, à la fois morbide et sensuel, Clouzot atteint ici les sommets et annonce la force graphique et hypnotique du Salaire de la peur en faisant déambuler ses personnages entre le paradis et l’enfer. Pas étonnant que le public ait été choqué par le jusqu’au-boutisme du réalisateur, qui n’hésite pas à jouer avec la censure. Mélodrame ambitieux et intense, moderne sur le fond comme sur la forme (mise en scène virtuose), ce quatrième film est immanquable, une pierre angulaire dans l’immense carrière d’un de nos plus grands auteurs et cinéastes. Manon se verra remettre le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1949, ainsi que le Prix Méliès.

LE DVD

Après une première édition sortie en 2010 chez M6 Vidéo dans sa collection Les Classiques français SNC, Manon réapparaît sous la bannière des Editions Montparnasse. Le DVD est placé dans un boîtier classique transparent, glissé dans un surétui cartonné. Le menu principal est animé et musical.

Le seul supplément de cette édition, Manon, l’amour fou, croise les interventions de Chloe Folens (auteur de Les Métamorphoses d’Henri-Georges Clouzot), Bertrand Schefer (écrivain et réalisateur), Frédéric Mercier (critique cinéma) et Noël Herpe (commissaire de l’exposition Le mystère Clouzot à la Cinémathèque Française). A tour de rôle dans ce module de 13 minutes, chacun s’exprime sur Manon d’Henri-Georges Clouzot, avec une approche différente. Dommage que l’éditeur n’ait pas proposé l’intégralité de chaque intervention. Pour cela, il faudra vous diriger vers la chaîne YouTube des Editions Montparnasse. Toujours est-il que les propos tenus ici sont toujours intéressants, qu’ils replacent habilement Manon dans la filmographie de Clouzot et analysent à la fois le fond et la forme sur quatrième long métrage du cinéaste, à travers quelques séquences, en particulier son dénouement.

L’Interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.

L’Image et le son

Restauré par Les Films du Jeudi, Manon bénéficie d’un nouveau master supérieur à celui précédemment édité par M6 Vidéo. Le résultat est plutôt bluffant. Généralement, un générique de film donne toujours le ton. Ici, le début du film est impressionnant : le Noir & Blanc offre des contrastes impeccables et les blancs sont lumineux. Les détails sont précis, tant sur les visages, les décors et les arrière-plans. La copie, 1.33 (4/3), est on ne peut plus propre, stable, dépoussiérée de la moindre impureté, tandis que le grain demeure parfaitement équilibré et géré.

Le mono d’origine restauré (par L.E. Diapason) offre un parfait rendu des dialogues, très dynamiques, et de la musique qui ne saturent jamais. Le niveau de détails est évident et les sons annexes, tels que les ambiances de rue et bruits de fond sont extrêmement limpides. Mauvais point en revanche pour l’absence des sous-titres français pour les spectateurs sourds et malentendants !

Crédits images : © Editions Montparnasse / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr