OPÉRATION PEUR (Operazione paura) réalisé par Mario Bava, disponible en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livret le 3 juin 2020 chez ESC Editions.
Acteurs : Giacomo Rossi-Stuart, Erika Blanc, Fabienne Dali, Piero Lulli, Luciano Catenacci, Micaela Esdra, Giovanna Galletti, Giuseppe Addobbati, Franca Dominici, Mirella Pamphili…
Scénario : Romano Migliorini, Roberto Natale, Mario Bava
Photographie : Antonio Rinaldi
Musique : Carlo Rustichelli
Durée : 1h25
Date de sortie initiale : 1966
LE FILM
Le Dr Eswai débarque dans un petit village, sur lequel a l’air de planer une terrible malédiction. Appelé par l’inspecteur Kruger, il va enquêter sur une série de meurtres ou accidents étranges. Une petite fille serait la clé de cette énigme particulièrement angoissante.
Quand il réalise et coécrit Six femmes pour l’assassin avec Giuseppe Barilla et Marcello Fondato, Mario Bava (1914-1980) a déjà une demi-douzaine de longs métrages à son actif en tant que réalisateur, dont Le Masque du démon (1960), La Fille qui en savait trop (1963) qui posait déjà certaines bases, Les 3 visages de la peur (1963) et Le Corps et le fouet (1963). Après avoir fait ses classes en tant que directeur de la photographie, puis dans le domaine du documentaire, Mario Bava commence par « rendre service » aux cinéastes qui l’emploient, disons plutôt qu’il coréalise en réalité à leurs côtés, sans être crédité. Fils d’un sculpteur, Mario Bava a hérité du don de son père pour modeler la matière mise à sa disposition. Ancien des Beaux-Arts, fasciné par les plus grands peintres, Mario Bava use de son talent en tant que chef opérateur pour Roberto Rossellini, Dino Risi et même pour Raoul Walsh sur Esther et le Roi (1960). Six femmes pour l’assassin est un tournant dans la carrière de Mario Bava. Sorti en 1966, Opération peur – Operazione paura apparaît après les westerns Arizona Bill – La Strada per Fort Alamo (1964) et Les Dollars du Nebraska – Ringo del Nebraska (1966), le film de science-fiction horrifique La Planète des vampires – Terrore nello spazio (1965) et le film d’aventure Duel au couteau – I coltelli del vendicatore (1966). Le cinéaste revient à l’horreur pure, teintée de fantastique certes, mais qui embarque le spectateur dans un ride où l’épouvante devient synonyme d’indicible, presque attractive dans le sens où Mario Bava peint littéralement ses plans comme un tableau de maître, dans lesquels on se perd volontiers avec une sensation d’hypnose. Opération peur n’est sans doute pas l’oeuvre la plus célèbre du réalisateur, mais sans aucun doute l’une de celles dont on redécouvre sans cesse la richesse.
A Karmingen, un petit village européen, on retrouve le corps d’une jeune fille empalé sur les grilles de la demeure de la baronne Graps. L’autopsie est confiée au docteur Esway, qui requiert l’aide de Monika (la mythique Erika Blanc au début de sa carrière), une étudiante. Dans le coeur de la morte, ils découvrent une pièce de monnaie. Pendant ce temps, le commissaire Kruger, chargé des investigations, entend l’étrange confession du bourgmestre du village, Karl. Suivant les conseils de Karl, il se rend dans une villa maudite, la villa Graps, y fixant rendez-vous par lettre au médecin. Monika, rentrée dans sa chambre, fait un effroyable cauchemar tandis que Paul Esway, à la villa Graps, ne trouve pas trace du commissaire…
Disons-le tout de go, la mise en scène, le rythme, le montage, le cadre, les contrastes, les couleurs baroques, les angles de prises de vue d’Opération peur nous agrippent pour ne plus nous lâcher. Quelle est la terrible malédiction qui pèse sur ce joli petit village ? C’est ce que doit découvrir le Dr Eswai appelé à l’aide par l’inspecteur Kruger, impuissant devant une vague de mort frappant les villageois. Aidés par une sorcière, ils vont progressivement comprendre que ces morts atroces sont intimement liées au décès d’une jeune enfant. Entre manipulation et vengeance d’outre-tombe, l’horrible vérité va éclater au grand jour. Un récit machiavélique, étrange, ambigu, que Mario Bava narre aux spectateurs comme une histoire racontée au coin du feu à une audience aussi effrayée que captivée. Tout l’art du storytelling du réalisateur explose une fois de plus dans Opération peur, couplé à une esthétique foudroyante de beauté. Assisté à la mise en scène par son fils Lamberto, Mario Bava exploite un scénario malin qu’il a coécrit avec Roberto Natale et Romano Migliorini, d’après une histoire de ces deux derniers, et fait fi d’un budget somme toute limité, en repoussant les limites de son imagination. Avec sa caméra subjective, ses décors naturels ahurissants ou reconstitués en studio, ses costumes élégants, la splendide photographie d’Antonio Rinaldi (Danger: Diabolik!, L’île de l’épouvante), la musique à la fois enivrante et terrifiante de Carlo Rustichelli, tous les ingrédients sont réunis et s’accordent avec une homogénéité de chaque instant, telle une décoction miraculeuse.
La virtuosité de Mario Bava éclate à de multiples reprises, de l’ouverture du film sur un cri, en passant par les multiples apparitions de cette petite fille étrange (qui a vraisemblablement inspiré Stanley Kubrick pour Shining) ou cette séquence sublime où le héros campé par Giacomo Rossi Stuart se poursuit lui-même. Opération peur apparaît comme un cauchemar insoupçonné et un petit trésor caché dans l’impressionnante et foisonnante filmographie d’un des réalisateurs les plus éclectiques, les plus inspirants et les plus emblématiques du cinéma transalpin, il signore Mario Bava.
LE BLU-RAY
Oubliez votre édition DVD Neo Publishing qui remonte à plus de quinze ans ! ESC Distribution présente un combo Blu-ray/DVD très élégant, mais aussi et surtout un nouveau master d’Opération peur ! Cette édition contient également un livret de 16 pages écrit par Marc Toullec. Le menu principal est animé et musical.
En plus d’une rapide présentation par Erika Blanc, ESC Editions propose une rencontre avec la comédienne (13’30). L’actrice de Moi, Emmanuelle, Ni Sabata, ni Trinità, moi c’est Sartana, Django arrive, préparez vos cercueils et de plus d’une centaine de titres du même acabit, revient (en français) sur la production et le tournage d’Opération peur. Erika Blanc se souvient comment elle est arrivée sur ce film, partage ses souvenirs liés à Mario Bava et ses partenaires sur le tournage. Si les propos partent un peu dans tous les sens, l’enthousiasme, la passion et la douceur de l’actrice emportent immédiatement l’adhésion et on se perd volontiers dans cette succession d’anecdotes. Puis, Erika Blanc dit être très heureuse que ces films anciennement rejetés par l’intelligentsia et la critique italienne soient enfin redécouverts et surtout adorés par de jeunes spectateurs qui viennent encore aujourd’hui lui demander des autographes.
L’éditeur joint un module rétrospectif sur le film, écrit et présenté par l’excellent journaliste Alexandre Jousse (29’35). Ce dernier revient habilement sur tous les aspects d’Opération peur avec des propos clairs et précis. Durant près d’une demi-heure, sans interruption ou redondance, Alexandre Jousse explore les partis pris, les intentions et le casting du film de Mario Bava, ainsi que les inspirations picturales, la musique et les lieux de prises de vue. Une excellente présentation à ne pas manquer.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce du film en version anglaise, un spot promotionnel de la collection Mario Bava disponible chez l’éditeur, ainsi qu’une version roman-photo d’Opération peur (10’) que vous pouvez consulter, pour ne pas dire feuilleter comme si vous étiez dans une salle d’attente.
L’Image et le son
L’éditeur a mis la main sur un master restauré 2K provenant d’Allemagne, comme l’indiquent les credits en ouverture. Le grain y est épais, maîtrisé, élégant et en dehors d’une première scène quelque peu délavée, les couleurs retrouvent rapidement une nouvelle fraîcheur. La stabilité est de mise, ainsi que la propreté, ce qui devrait faire plaisir aux fans de Mario Bava qui attendaient depuis longtemps une ressortie digne de ce nom de ce film méconnu du maître.
Trois langues au choix, mais n’hésitez pas à sélectionner immédiatement la piste italienne, forcément plus naturelle, même si le doublage a été entièrement composé en postproduction. Tout y est plus homogène et fluide entre la musique de Carlo Rustichelli et les effets divers magistralement maîtrisés et délivrés pour instaurer une ambiance inquiétante. Les versions anglaise et française paraissent donc plus artificielles, souvent exagérées dans leurs rendus respectifs, même si le souffle est étrangement moins marqué sur ces deux options acoustiques que sur la piste italienne.
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