Test Blu-ray / Contes cruels de la jeunesse, réalisé par Nagisa Ôshima

CONTES CRUELS DE LA JEUNESSE (Seishun zankoku monogatari) réalisé par Nagisa Ôshima, disponible en DVD et Blu-ray le 25 août 2021 chez Carlotta Films.

Acteurs : Yusuke Kawazu, Miyuki Kuwano, Yoshiko Kuga, Fumio Watanabe, Shinji Tanaka, Yosuke Hayashi, Shinjiro Matsuzaki, Toshiko Kobayashi…

Scénario : Nagisa Ôshima

Photographie : Takashi Kawamata

Musique : Riichiro Manabe

Durée : 1h37

Date de sortie initiale : 1960

LE FILM

Makoto Shinjo, une jeune femme sans repères, s’offre à des hommes d’âge mûr, en général des automobilistes de passage. Un jour, l’un d’eux la violente. Elle est secourue par Kiyoshi Fujii, un voyou, qui extorque un peu d’argent au conducteur en échange de son silence. Les deux marginaux se revoient, entament une liaison, violente. Ils mettent au point une combine de chantage où Makoto séduirait des inconnus et Kiyoshi les ferait chanter.

Nagisa Ôshima (1932-2013) est mondialement célèbre pour Nuit et brouillard du Japon (1960), Furyo (1983) et bien évidemment L’Empire des sens (1976). Les films du réalisateur japonais, diplômé en droit, politiques et transgressifs, auront toujours été accompagnés d’un parfum de scandale. Le public occidental connaît moins ses premières œuvres, en particulier ladite trilogie de la « jeunesse », constituée d’Une ville d’amour et d’espoir – alias Le Garçon vendeur de colombes – mis en scène en 1959, Contes cruels de la jeunesse (1960) et L’Enterrement du soleil (1960). L’opus qui nous intéressera aujourd’hui est le second. Âgé de 28 ans au moment du tournage, le cinéaste est alors en prise avec son époque, écoute ceux de son âge et même les plus jeunes, là où ses confrères de la génération précédente se contentaient de les entendre, pour ensuite dépeindre leurs désirs et leurs états d’âme avec un décalage peu représentatif du Japon contemporain. Avec Contes cruels de la jeunesse, Nagisa Ôshima plonge sa caméra portée dans les rues de Tokyo (les vraies, pas celles reconstituées en studio), observe les adolescents et les vingtenaires, hommes et femmes, qui tentent de (sur)vivre avec peu de repères, des piliers déjà branlants, un avenir incertain s’ouvrant devant eux. Entre La Fureur de vivre Rebel Without a Cause (1955), pour la peinture d’une jeunesse en crise, et À bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard – bombe atomique dont les retombées se faisaient ressentir dans tous les pays du monde – pour sa liberté formelle (et comme Makoto, que Kiyoshi empêche de rejoindre le bord alors qu’elle ne sait pas nager), le réalisateur trouve les vecteurs pour s’exprimer et laisser témoigner ouvertement une partie de la population à qui on avait jusqu’à présent imposé de se taire.

La jeune Makoto est tirée des griffes d’un homme qui l’avait prise en stop par l’étudiant Kiyoshi, qui le frappe et le dépouille. Elle devient amoureuse du jeune homme après qu’il l’a forcée. Ils vivent de rackets en répétant le scénario de leur rencontre : il suit la voiture à moto, prêt à intervenir. Il s’emploie par ailleurs comme gigolo. Makoto ignore les remontrances de sa sœur aînée, qui a eu une éducation rigoureuse. La mère est morte et le père laisse faire. Makoto vit avec Kiyoshi. Elle tombe enceinte, il faut avorter, et pour cela trouver encore de l’argent. Les hommes battus et dépouillés portent plainte. Que vont devenir Makoto et Kiyoshi ?

Soixante ans après son explosion sur les écrans, Contes cruels de la jeunesse n’a rien perdu de sa fraîcheur, de sa virtuosité, de son magnétisme et de sa force de frappe. Nagisa Ôshima, également scénariste, se sert des moyens mis à sa disposition par la Shōchiku, société de production cinématographique japonaise fondée à la fin du XIXe siècle, pour livrer un constat implacable et sans appel sur la jeunesse (marginale) de son pays. Juste après l’âge d’or du cinéma japonais, la Shōchiku cherchait à développer de nouveaux « films de famille », mais les nouveaux spectateurs ne se retrouvaient pas dans les personnages dépeints par des auteurs et des metteurs en scène dépassés par les événements, ou tout simplement par le temps qui a passé. Dans un climat de crise économique générale, le cinéma n’échappe pas à chute de la fréquentation des salles et devait en plus faire face à l’arrivée de la télévision dans les foyers. Devant cette désertion, la Shōchiku s’est donc tournée vers de nouveaux talents, dont Nagisa Ôshima, qui dans un esprit d’indépendance, est parvenu à contenter le studio, tout en abordant librement le sujet et les personnages qu’il désirait.

Dès les premiers plans de Contes cruels de la jeunesse, le cinéaste place son audience comme témoin du récit qui va lui être narré, en utilisant parfois une approche que l’on pourrait rapprocher du documentaire ou du reportage, à l’instar de la manifestation des étudiants (et autres) contre la ratification du traité de sécurité nippo-américain. Le cadre est sublime, magnifiquement composé par Ôshima et son directeur de la photographie Takashi Kawamata, le montage alerte, qui donne une impression de vitesse, comme si le rythme était branché sur les protagonistes, désireux de vivre à cent à l’heure, au risque de se brûler les ailes ou les étapes sous prétexte qu’elles entraveraient l’accession à la destination qu’ils se sont fixés. Voulant ne pas refaire les mêmes erreurs que leurs parents (« nous avons voulu changer la société, mais nous nous sommes fourvoyés » dira un « ancien »), les jeunes tombent finalement dans le piège de vieillir prématurément, en faisant face à des situations qui les dépassent, à l’instar de Makoto qui tombe enceinte bien trop rapidement et doit se faire avorter.

Le cinéaste ne prend pas de gants, une urgence se fait ressentir, celle de filmer, de rendre compte, de créer, avec autant de compassion que de frontalité, surtout quand la violence quotidienne est montrée, brutalement, sans fard, touchant les hommes, qui ne peuvent pas s’empêcher d’assouvir leurs pulsions en se confrontant les uns aux autres, mais aussi celle faite aux femmes, giflées, secouées, violées même. La prostitution volontaire ou non, est omniprésente, certaines jeunes femmes n’hésitant pas à user de leurs charmes pour améliorer leur propre confort personnel, ou bien encore pour « aider » l’homme dont elles sont éprises.

Avec Contes cruels de la jeunesse, la Nouvelle vague japonaise prend son envol et le film de Nagisa Ôshima demeure un manifeste nerveux et d’une ébouriffante modernité.

LE BLU-RAY

Nous n’avions plus eu de nouvelles de Contes cruels de la jeunesse depuis sa sortie en 2008, uniquement dans le coffret DVD Carlotta Films qui réunissait la « Trilogie de la jeunesse » de Nagisa Ôshima. Pour la première fois disponible à l’unité en édition Standard, ainsi qu’en Blu-ray, ce second « volet » laisse espérer la sortie HD d’Une Ville d’amour et d’espoir et L’Enterrement du soleil. Le menu principal est fixe et musical.

En ce qui concerne les suppléments, l’éditeur reprend tout bonnement ceux déjà présents sur l’édition Standard de 2008, à savoir :

Le Japon sous tension (25’) : Dans cet entretien, l’historien du cinéma Donald Richie (décédé en 2013), spécialiste de la culture japonaise et particulièrement du cinéma japonais, revient sur les premières œuvres de Nagisa Ôshima, nerveuses, engagées, explosives et ouvrant de nouvelles perspectives formelles au sein des studios Shōchiku. Donald Richie replace ainsi Contes cruels de la jeunesse dans l’histoire du cinéma nippon, mais aussi et surtout dans la carrière du réalisateur, au moment de son second long-métrage, avant d’évoquer la suite, autrement dit la chrysalide, quand Nagisa Ôshima prendra réellement son envol, libre des conventions et des desiderata de la Shōchiku. Les influences, les partis-pris récurrents, les thèmes de prédilection, le style, ainsi que le rapport du metteur en scène avec les comédiens sont aussi évoqués au fil de cette présentation passionnante.

Sur des commentaires en français et un montage de scènes tirées de films divers de son auteur, le module suivant s’avère un essai au cœur du processus de réflexion et de création de Nagisa Ôshima pour le film Contes cruels de la jeunesse, tiré de quatre carnets rédigés par le réalisateur entre 1959 et 1960, durant la conception de son second long-métrage (15’). Une succession de pensées qui reflètent la création en cours d’un artiste, dont on peut tirer de nombreuses clés nécessaires à la compréhension de ses films comme « décrire la jeunesse du Japon contemporain », « prendre le sexe comme objet », « jeunesse active, impulsive, lambda, qui s’enthousiasme pour le sexe », « remise en question des conventions », « histoires des parents qui font payer leurs torts à leurs enfants », « opter pour la classe moyenne, petite ville », « scandales, célébrité, mauvaise réputation », « drame de la conscience de soi, en est-ce bien un ? », « rencontre, séparation, blessures, réconciliations », « principes fondamentaux de la mise en scène, subjectivité de la caméra, couleurs sombres de peinture à l’huile », « filmer les choses longuement », « rendre clair les points de discorde », « exprimer l’impossibilité du couple », « la colère, l’exprimer, quels moyens ? »…Un bonus pointu, mais très recommandé, surtout pour les étudiants en cinéma.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Carlotta Films propose la nouvelle restauration 4K de Contes cruels de la jeunesse, réalisée sous la supervision de Takashi Kawamata, directeur de la photographie du film. Ce qui frappe dès les premières images du film, c’est la propreté incroyable de la copie. Les partis pris esthétiques originaux sont magnifiquement rendus à travers ce Blu-ray d’une folle élégance et aux couleurs étincelantes. Le piqué est affûté, la profondeur de champ impressionnante, les contrastes fabuleusement riches, les détails abondent aux quatre coins du cadre large, tandis que le codec AVC consolide l’ensemble avec fermeté, y compris sur les très nombreuses scènes se déroulant en basse lumière. Le grain argentique est un régal pour les mirettes. Apport HD indispensable et même primordial pour ce titre et même top démo pour ce Blu-ray (1080p).

Seule la version originale DTS HD Master Audio Mono 1.0 est disponible et se révèle heureusement riche et propre. La musique est joliment restituée, le report des voix est appréciable, évite toutes saturations exagérées et l’ensemble est au final suffisamment dynamique et sans souffle parasite. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Carlotta Films / 1960 / 2014 Shōchiku Co. LTD / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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