Test Blu-ray / Salvatore Giuliano, réalisé par Francesco Rosi

SALVATORE GIULIANO réalisé par Francesco Rosi, disponible en combo Blu-ray+DVD le 31 mai 2023 chez Studiocanal.

Acteurs : Salvo Randone, Frank Wolff, Sennuccio Benelli, Giuseppe Calandra, Pietro Cammarata, Max Cartier, Nando Cicero…

Scénario : Francesco Rosi, Suso Cecchi d’Amico, Enzo Provenzale & Franco Solinas

Photographie : Gianni Di Venanzo

Musique : Piero Piccioni

Durée : 2h

Date de sortie initiale : 1962

LE FILM

Juillet 1950. Le cadavre du bandit sicilien Salvatore Giuliano est découvert dans la cour d’une maison de Castelvetrano. Un commissaire y dresse un bref constat, des journalistes recueillent quelques renseignements. Plus tard, son corps est exposé à Montelepre, sa commune natale ; la foule vient s’y recueillir, sa mère le pleure…

C’est comme qui dirait de là que tout est parti. Salvatore Giuliano est le troisième long-métrage réalisé par Francesco Rosi (1922-2015) après Le Défi La Sfida (1958) et Profession Magliari I Magliari (1959). Le cinéaste y trouvait son style, en dressant un tableau quasi-documentaire (une voix-off est aussi utilisée) sur les liens tendus entre la politique, la police et la mafia. Comme il le fera juste après pour l’exceptionnel Main basse sur la villeLe Mani sulla città (1963) et Lucky Luciano (1973), Francesco Rosi ne s’intéresse pas seulement à l’homme mais à tout ce qui l’entoure à travers des allers-retours temporels non chronologiques qui pourront rebuter le spectateur le moins conditionné. Le film de Francesco Rosi peut paraître froid, presque clinique, avec une mise en scène au scalpel qui dissèque quinze années de l’histoire de la Sicile, en faisant participer celles et ceux qui ont vécu les événements et en tournant là où ils se sont vraiment déroulés. Les scènes de confrontations, mais aussi celles montrant la vie dans les petits villages, l’effervescence quotidienne, la loi du silence, la passion, la peur qui secouaient la population demeurent d’une beauté plastique ahurissante. Furieusement moderne, passionnant (même si vous n’y connaissez rien au sujet), Salvatore Giuliano, salué depuis toujours par Martin Scorsese (qui le fait apparaître systématiquement dans son top 10) et Francis Ford Coppola, est un chef d’oeuvre immense et intemporel. Ours d’argent à la Berlinale de 1962.

5 juillet 1950, Salvatore Giuliano, 27 ans, traqué par l’armée et la police italiennes, est trouvé mort à Castelvetrano… En 1945, Giuliano a vingt ans. Membre du mouvement séparatiste sicilien, il a pris le maquis après avoir tué un carabinier et organisé la révolte contre les autorités. Avec l’aide de la Mafia, il attaque les carabiniers à Montelepre et l’armée doit intervenir. En 1946, une amnistie démantèle les groupes autonomistes. Giuliano, son lieutenant Pisciotta, et les hommes poursuivis pour meurtres forment une bande qui terrorise la région et s’attaque à toutes les manifestations ouvrières. Toujours grâce à la Mafia, Giuliano échappe à toutes les recherches jusqu’au jour où l’on apprend sa mort et où sa bande est capturée. Lors du procès de Viterbe, Pisciotta avouera avoir lui-même abattu Giuliano sur un ordre de la Mafia que le scandale commençait à gêner. Il précisera que la police italienne était au courant. Peu de temps après le procès, on le retrouvera empoisonné dans sa cellule. D’autres témoins de l’équipée Giuliano, policiers compris, mourront mystérieusement.

« Bandits, police, mafia, c’était pareil ! »

Les oeuvres engagées comme Salvatore Giuliano sont maintenant bien rares. Avec ses co-scénaristes Suso Cecchi d’Amico (Le Guépard, Rocco et ses frères, Été violent, Senso), Enzo Provenzale (Jeunesse perdue) et Franco Solinas (Queimada, El Mercenario), Francesco Rosi, ancien assistant (et parfois auteur) de Luchino Visconti (La Terre tremble, Bellissima, Senso) et de Luciano Emmer (Dimanche d’août, Paris est toujours Paris, L’Amour au collège) et de Michelangelo Antonioni (Les Vaincus), utilise certains outils propres au néoréalisme, mais les digère et les insère dans un nouveau dispositif narratif. Seuls deux comédiens professionnels sont inscrits au générique, le grand Salvo Randone (Folie meurtrière, La Dixième victime, Les Jours comptés), dans la peau du président de la cour s’assise de Viterbo et Frank Wolff (Le Grand silence, Tuez-les tous… et revenez seul !) qui incarne quant à lui Gaspare Pisciotta dans le dernier tiers du film consacré au procès. Ainsi, après avoir planté le décor, Francesco Rosi propose, à travers une série de scènes fragmentées, très souvent insérées en flash-back, d’élucider le contexte historique, social et politique dans lequel s’inscrit le crime de Salvatore Giuliano, que nous ne verrons d’ailleurs quasiment pas durant les deux heures du film, si ce n’est son cadavre.

Le récit remonte à l’engagement indépendantiste de Giuliano en 1945 (soit au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale), avant de se concentrer sur la tuerie du 1er mai 1947 où les hommes de Giuliano allaient ouvrir le feu sur des manifestants socialistes à Portella delle Ginestre, puis enfin sur le long procès de Viterbe de 1950 où les interrogatoires convergent vers la personne de Gaspare Pisciotta, lieutenant de Giuliano, suspecté de l’avoir trahi et assassiné. Comme il n’aura de cesse de le dire et de le faire tout au long de sa carrière, Francesco Rosi, qui a toujours adopté la forme adéquate au sujet qu’il traitait, demande au spectateur d’être attentif à ce qu’il voit, espérant ainsi entamer un débat après la projection. Alors qu’il refusera qu’on lui colle l’étiquette de cinéaste à thèse, désirant avant tout faire un film pour comprendre lui-même les choses qu’il voulait développer (souvent en dénonçant les corps du pouvoir et leurs malversations), on sent Francesco Rosi fasciné par l’aura de Salvatore Giuliano, en faisant de lui une figure presque christique, un martyr autour duquel la population se recueille.

« J’ai toujours cru en la fonction du cinéma en tant que dénonciateur et témoin de la réalité » disait le cinéaste napolitain, qui ne livre donc absolument pas un biopic sur Salvatore Giuliano comme on pourrait le croire, mais un portrait indirect à travers ses actes et son héritage, et par-dessus tout une radiographie de l’Italie d’après-guerre. Capolavoro !

LE COMBO BLU-RAY + DVD

59è titre de la collection Make my Day !, Salvatore Giuliano, anciennement disponible en DVD chez Opening il y a quinzaine d’années, arrive donc chez Studiocanal. Les deux disques reposent dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné. Le menu principal est très légèrement animé et musical.

Jean-Baptiste Thoret nous présente Salvatore Giuliano en avant-programme (8’), sans spoilers évidemment, puisque cette préface est pensée pour être vue avant que puissiez (re)découvrir le film. Le critique revient donc sur ce « très grand film, très important pour Francesco Rosi, le premier long-métrage important du cinéma politique ». Les conditions de tournage, la carrière du réalisateur, les thèmes, la photographie, les intentions du cinéaste, les partis-pris (« ou comment aborder un film historique sur lequel plane encore un mystère »), les flashbacks, le mécanisme de la réflexion), la figure de Salvatore Giuliano et la musique sont les sujets abordés par Jean-Baptiste Thoret.

Studiocanal reprend l’interview de Francesco Rosi (11’35), dispo sur l’édition Arrow éditée en 2014. L’occasion pour le réalisateur de revenir sur Salvatore Giuliano un an avant sa mort et de répondre à certaines questions (écrites en anglais sur des cartons), à savoir pourquoi Salvatore Giuliano apparaît finalement si peu dans le film (« raconter le personnage n’était pas ce qui m’intéressait le plus, mais de comprendre et de raconter quelles conséquences la présence de Giuliano et son existence ont été déterminantes dans les événements de la Sicile de ces années-là »). Francesco Rosi parle ensuite de son grand ami Salvo Randone, des conditions de tournage dans le village de Montelepre avec les gens du cru (qui avaient vécu les événements quelques années auparavant) et des partis-pris (« Ce n’est pas un documentaire, mais le film est traité de manière à préserver le réalisme »).

Comme souvent sur les édition Make my Day !, l’interactivité comprend un plus gros morceau. Pour celle de Salvatore Giuliano, il s’agit d’un entretien forcément passionnant avec Michel Ciment (43’). Ayant bien connu Francesco Rosi, dont il était d’ailleurs ami (on se souvient d’interviews en français, durant lesquelles les deux hommes se tutoyaient), Michel Ciment dresse à la fois le portrait du réalisateur et celui de l’homme qu’il a côtoyé, tout en analyse à la fois le fond et la forme du film qui nous intéresse aujourd’hui, « un tournant décisif dans sa carrière ». Salvatore Giuliano est donc replacé dans la filmographie du maître italien, tandis que le journaliste et critique de cinéma explique pourquoi « Salvatore Giuliano était l’exemple unique et nouveau de traiter de la politique sur le grand écran ». Les thèmes, le contexte historico-politico-social de l’Italie après la Seconde Guerre mondiale, la figure de Salvatore Giuliano, les partis-pris, les intentions du cinéaste, les conditions de tournage en Sicile, l’influence de Luchino Visconti (la réflexion sur le passé) et le grand succès public du film sont également évoqués.

L’Image et le son

Un carton annonce que Salvatore Giuliano a été restauré 4K à partir de la pellicule originale numérisée par la Cinéthèque de Bologne et son laboratoire L’Immagine Ritrovata. Mais ce lifting a été effectué il y a dix ans et cela se ressent. Car s’il n’y a rien à redire sur la beauté des contrastes, la luminosité omniprésente, les noirs denses et la stabilité de la copie, certains poils subsistent en bord de cadre et les fondus enchaînés entraînent des décrochages chromatiques. Des petits défauts qui n’auraient pas fait long feu avec une restauration récente. Néanmoins, aucune tâche ni égratignures à l’horizon, le piqué étant acéré et la texture argentique de la magnifique photographie de Gianni Di Venanzo (Le Moment de la vérité, Femmes entre elles, Les Égarés, La Dixième victime) est préservée. Certaines parties très endommagées ont été corrigées à l’aide d’une copie d’époque, Francesco Rosi ayant de son côté été sollicité pour harmoniser le tout avant de mourir en 2015 à l’âge de 92 ans.

Comme pour l’image, le son a été restauré à partir du négatif original. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur ce mixage unique italien DTS-HD Master Audio 2.0, pas même un souffle parasite. Le confort phonique de cette piste unique est quasi-total (rares sont les scènes aux répliques plus lointaines), les dialogues sont essentiellement clairs et nets. La composition de Piero Piccioni (Tant qu’il y a de la guerre, il y a de l’espoir, Il Medico della mutua) est joliment délivrée. Pas de version française donc.

Crédits images : © Studiocanal / Galatea SPA / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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