LA DOUBLE VIE DE VÉRONIQUE réalisé par Krzysztof Kieślowski, disponible en DVD et Combo Blu-ray + 4K UHD le 7 décembre 2021 chez Potemkine Films.
Acteurs : Irène Jacob, Halina Gryglaszewska, Kalina Jedrusik, Aleksander Bardini, Wladyslaw Kowalski, Jerzy Gudejko, Janusz Sterninski, Philippe Volter…
Scénario : Krzysztof Kieślowski & Krzysztof Piesiewicz
Photographie : Slawomir Idziak
Musique : Zbigniew Preisner
Durée : 1h37
Date de sortie initiale : 1991
LE FILM
« J’ai l’impression que je ne suis pas seule » chuchote Weronika à son père, un soir, dans une petite ville de Pologne. La jeune fille chante avec une voix étrange, presque irréelle. Plus tard, elle aperçoit sur la place du Marché de Cracovie celle qui pourrait être son double : Véronique. Mais un accident de coeur foudroie Weronika lors d’un concert. En France, Véronique éprouve une douleur violente. Elle sent comme une absence. Puis des signes étranges surviennent : appels nocturnes, courriers et même une énigmatique cassette d’indices sonores…
Quel film merveilleux ! Une histoire d’amour, sur les trésors précieux de l’existence, sur le destin, la fatalité. Krzysztof Kieślowski (1941-1996) atteint le sublime avec La Double vie de Véronique. Le cinéaste polonais nous fait pénétrer dans la sphère intime de Véronique / Weronika, ou l’histoire d’une vie qui continue, quittant un être pour se perpétuer dans le corps et l’âme d’un autre. Kieslowski prend la main du spectateur et l’entraîne dans un univers charnel, rempli de désirs où l’être humain doit se fier aux signes et aux moindres détails qui jonchent son parcours. Hypnotique par sa fascinante musique signée Zbigniew Preisner, La Double vie de Véronique est construit autour des sensations, des impressions, avec une virtuosité et une pureté des images de chaque instant, rarement atteintes au cinéma. Comment ne pas tomber amoureux d’Irène Jacob ? La jeune comédienne récompensée par le prix d’interprétation à Cannes en 1991 élève le film vers l’irrationnel, incarne la fragilité à l’état pur, comme celle du cristal. Radieuse, lumineuse, elle devient alors fantasme intouchable, toujours auréolée d’une aura quasi-surnaturelle. Jamais les mystères de l’âme humaine n’auront été aussi troublants et l’on sort du film bouleversé, convaincu qu’un être sur Terre nous ressemble physiquement, psychologiquement. Beaucoup de sentiments passent par le non-dit et l’atmosphère érotico-sensuelle, qui nous font aimer le cinéma. Comment résumer la plus belle scène du film, où Weronika rend son dernier souffle durant l’envolée lyrique du récital, au même moment où Véronique se perd dans un orgasme ? Où l’on ressent une âme s’envoler vers un autre corps…La Double vie de Véronique est un film touché par la grâce, une expérience unique, une époustouflante ode à la vie, riche en symboles, sur la quête de soi. Un chef d’oeuvre absolu et sophistiqué sur les coïncidences, les intuitions, les connexions immatérielles et pourtant réelles entre les individus. Intemporel, envoûtant, furieusement poétique et mélancolique.
Scénario : Morton S. Fine & David Friedkin, d’après le roman d’Edward Lewis Wallant
Photographie : Boris Kaufman
Musique : Quincy Jones
Durée : 1h56
Date de sortie initiale : 1964
LE FILM
Un rescapé des camps de concentration nazis devenu propriétaire d’un magasin de prêt sur gage doit à la fois affronter les cauchemars de son passé et l’environnement hostile du ghetto new-yorkais dans lequel il vit.
Quand on évoque Sidney Lumet, on pense immédiatement à Douze Hommes en colère, Serpico, Un après-midi de chien, puis dans un second temps à Point limite, La Colline des hommes perdus, The Offence, Network : Main basse sur la télévision, Le Prince de New York, ou bien encore au Crime de l’Orient-Express, Family Business et peut-être même à 7 h 58 ce samedi-là comme il s’agit de son dernier film. Après, cela devient difficile non ? Pourtant, cette poignée de longs-métrages ne représente même pas la moitié de la carrière cinématographique du réalisateur. Qu’y trouve-t-on alors, notamment dans ses premiers opus ? Pêle-mêle les débuts de Christopher Plummer dans Les Feux du théâtre – Stage Struck (1958), une escapade new-yorkaise avec Sophia Loren dans Une espèce de garce – That Kind of Woman (1959), Marlon Brando, Anna Magnani et Joanne Woodward pris dans la tourmente d’une pièce de Tennessee Williams (L’Homme à la peau de serpent – The Fugitive Kind, 1959), une fabuleuse adaptation d’Arthur Miller avec Raf Vallone (Vu du pont – A View from the Bridge, 1961), ainsi qu’une fantastique transposition d’une pièce d’Eugene O’Neill (Long Voyage vers la nuit – Long Day’s Journey Into Night, 1962) qui réunissait Katharine Hepburn, Ralph Richardson, Jason Robards et Dean Stockwell. Le septième film de Sidney Lumet est probablement un de ses plus rares, mais également un de ses plus viscéraux. Il s’agit du Prêteur sur gages – The Pawnbroker, adapté d’un roman d’Edward Lewis Wallant, auréolé à sa sortie par le Prix FIPRESCI au Festival international du film de Berlin, tandis que sa tête d’affiche, Rod Steiger, se voyait remettre l’Ours d’Argent au même festival, ainsi que le BAFTA du Meilleur Acteur en Angleterre. Disparu des radars durant de longues années, jusqu’à sa résurrection dans les années 2010, Le Prêteur sur gages est un diamant noir dans la prolifique et éclectique filmographie de Sidney Lumet. Difficile d’accès, sombre et désespéré, The Pawnbroker met des mots et surtout des images sur la Shoah, tout en montrant la difficile (ré)adaptation de celles et ceux qui ont pu sortir indemnes des camps de concentration. Rod Steiger, méconnaissable, imprégné par la « méthode », livre une prestation ahurissante (et nommée à l’Oscar, que Lee Marvin obtiendra pour Cat Ballou d’Elliot Silverstein), qui vous prend aux tripes du début à la fin, qui s’imprime définitivement dans votre mémoire et à laquelle vous repenserez souvent avec le même mal de bide. Chef d’oeuvre totalement inconnu du maître Lumet, Le Prêteur sur gages, longtemps dissimulé, peut enfin éclater aux yeux des spectateurs.
AU HASARD BALTHAZAR réalisé par Robert Bresson, disponible en DVD et Blu-ray le 3 mars 2020 chez Potemkine Films.
Acteurs : Anne Wiazemsky, François Lafarge, Philippe Asselin, Nathalie Joyaut, Walter Green, Jean-Claude Guilbert, Pierre Klossowski, François Sullerot, Marie-Claire Fremont, Jean Rémignard…
Scénario : Robert Bresson
Photographie : Ghislain Cloquet
Musique : Jean Wiener
Durée : 1h35
Date de sortie initiale : 1966
LE FILM
La vie d’une petite ville de province aussi anonyme qu’universelle, vue et entendue par un animal, un âne, « Balthazar », à la merci de ses différents maîtres.
Quel film étrange et inclassable ! Quel chef d’oeuvre aussi. Réalisé par Robert Bresson (1901-1999) en 1966, entre Procès de Jeanne d’Arc (1962) et Mouchette (1967), Au hasard Balthazar, auréolé à sortie du prix Méliès, demeure l’un des opus les plus appréciés du réalisateur chez les cinéphiles du monde entier, mais aussi l’un de ses plus complexes, denses, troublants et insolites. En prenant un âne comme personnage principal, et dont le nom donne son titre au film, le cinéaste repousse une fois de plus les limites du Cinématographe comme il l’appelait lui-même, en mettant l’animal, les objets et les êtres humains sur un pied d’égalité, mais en démontrant ainsi la volonté de ces derniers à se croire supérieurs et donc à disposer de tout, y compris de leurs congénères. On suit ainsi l’âne Balthazar au fil d’un récit étiré sur plusieurs et longues années, témoin et victime de la bassesse, de la violence et de la lâcheté de l’homme. Et l’émotion naît de ces plans sur le regard de ce mammifère quadrupède, dont les braiments paraissent alors comme des cris de souffrance ou d’alerte sur les hommes et les femmes qui courent à leur perte et à l’autodestruction.
Dans un pays plongé dans un climat d’insécurité et de conflit armé, un médecin tente malgré tout d’accomplir son devoir au sein d’un centre hospitalier, jusqu’au jour où son destin bascule…
Terminal Sud est le sixième long métrage du réalisateur algérien Rabah Ameur-Zaïmeche (né en 1968), découvert en 2001 avec Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ?, auréolé du prix Louis-Delluc du premier film. Très vite, le cinéaste est soutenu par la critique et les festivals du monde entier, à l’instar de son second film, Bled Number One (2006), sélectionné dans la catégorie Un certain regard et qui repart avec le Prix de la jeunesse au Festival de Cannes. Deux ans plus tard, Dernier Maquis est à nouveau sélectionné sur la Croisette dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. En 2011, Les Chants de Mandrin se voit couronner par le prix Jean-Vigo. Son cinquième long métrage, Histoire de Judas, est sélectionné au Forum du nouveau cinéma du Festival de Berlin et reçoit le Prix du Jury œcuménique en 2015. Nous en venons donc à Terminal Sud. C’est la première fois que Rabah Ameur-Zaïmeche n’apparaît pas à l’écran dans un film qu’il met en scène. Il offre à Ramzy Bedia – qui faisait déjà une apparition dans Bled Number One – un rôle qui restera probablement l’un des plus beaux de sa carrière et avec lequel le comédien confirme son talent dramatique deux ans après sa belle prestation dans Une vie ailleurs d’Olivier Peyon, dans lequel il donnait la réplique à Isabelle Carré. En dehors du prologue, tendu et qui instaure d’emblée une atmosphère trouble et ambiguë, Ramzy Bedia est de tous les plans et ne cesse d’épater jusqu’au dénouement optimiste et solaire.
MOUCHETTE réalisé par Robert Bresson, disponible en DVD et Blu-ray le 3 mars 2020 chez Potemkine Films.
Acteurs : Nadine Nortier, Jean-Claude Guilbert, Jean Vimenet, Marie Susini, Marie Cardinal, Paul Hébert…
Scénario : Robert Bresson d’après le roman de Georges Bernanos
Photographie : Ghislain Cloquet
Musique : Jean Wiener
Durée : 1h20
Date de sortie initiale : 1967
LE FILM
Au chevet de sa mère malade, Mouchette est frappée et méprisée par tous. Elle fuit alors dans les bois, rencontre Arsène, un braconnier alcoolique, et finit seule, abandonnée de tous, les vêtements défaits, le coeur déchiré.
C’est une marche vers la mort, un chemin de croix. L’histoire bouleversante d’une bête traquée. Sous sa forme austère et exigeante, Mouchette de Robert Bresson (1901-1999), Prix Spécial Du Jury au Festival de Cannes 1967 et Prix Georges Méliès 1967, reste l’un des films les plus connus du réalisateur, qui retrouve l’univers de l’écrivain Georges Bernanos, seize ans après Journal d’un curé de campagne, avec cette adaptation de Nouvelle Histoire de Mouchette (Plon, 1937). Le cinéaste repousse une fois de plus les limites de son dispositif avec une mise en scène épurée à l’extrême, qu’on ne peut cependant s’empêcher d’admirer au point d’être véritablement hypnotisé. Abstrait et dépouillé, d’une précision quasiment chirurgicale quand il s’attarde sur les moindres faits et gestes du personnage principal qu’on ne quitte jamais, Mouchette foudroie par son immersion dans le monde d’une très jeune fille, rejetée par ses camarades, moquée par ceux qui croisent sa route, sur lequel le sort s’acharne et dont le collet se resserre autour du cou à l’instar de celui qui capture les proies durant la première scène. Et c’est un chef d’oeuvre aussi puissant que magnétique.
MIKEY & NICKY réalisé par Elaine May, disponible en DVD et Blu-ray le 21 janvier 2020 chez Potemkine Films.
Acteurs : Peter Falk, John Cassavetes, Ned Beatty, Rose Arrick, Carol Grace, William Hickey…
Scénario : Elaine May
Photographie : Bernie Abramson, Lucien Ballard, Jack Cooperman, Jerry File, Victor J. Kemper
Musique : John Strauss
Durée : 1h47
Date de sortie initiale : 1976
LE FILM
Depuis qu’il a roulé un parrain de la mafia et que sa tête est mise à prix, Nicky vit en planque. Il appelle à l’aide son ami Mikey et les deux hommes s’engagent dans une longue nuit, entre fuite, alcool et discussions sur l’amitié.
Avant d’être « reconnue » comme étant la principale responsable d’un des échecs les plus cuisants du cinéma des années 1980 avec le film Ishtar (avec Warren Beatty, Dustin Hoffman, Charles Grodin et Isabelle Adjani), Elaine May (née en 1932) avait écrit et réalisé Mikey & Nicky en 1973, qui ne sortira sur les écrans américains qu’en 1976. Film indépendant méconnu, le troisième long métrage de la comédienne-scénariste-réalisatrice après A New Leaf (1971) et surtout Le Brise-cœur – The Heartbreak Kid (1972), dont les frères Farrelly signeront le remake avec Les Femmes de ses rêves, aura attendu une dizaine d’années avant de sortir sur les écrans français suite à un conflit opposant la Paramount à la réalisatrice. Remonté par le studio pour sa sortie en 1976, le film avait alors été renié par Elaine May qui avait dû attendre 1986 pour livrer sa version dite Director’s cut. C’est peu dire que le casting est alléchant avec d’un côté John Cassavetes, comédien, auteur et cinéaste majeur du cinéma indépendant américain, et de l’autre son acteur fétiche et ami Peter Falk qu’il avait déjà dirigé en 1971 dans Husbands et un peu plus tard dans Une femme sous influence. La première vision du film risque d’en dérouter plus d’un. On ne sait vraiment pas quoi dire ou penser de ce film dont l’histoire ne se résume en fait qu’à quelques lignes, les acteurs faisant le reste. Les deux comédiens ne « jouent pas », mais incarnent véritablement sous nos yeux ces deux amis liés par trente années de complicité, et qui finissent pourtant par se déchirer. Après mûre réflexion, Mikey & Nicky trotte dans la tête, tandis que les éléments se mettent en place.
HER SMELL réalisé par Alex Ross Perry, disponible en DVD le 19 novembre 2019 chez Potemkine Films
Acteurs : Elisabeth Moss, Angel Christian Roman, Cara Delevingne, Dan Stevens, Agyness Deyn, Gayle Rankin, Ashley Benson, Dylan Gelula…
Scénario : Alex Ross Perry
Photographie : Sean Price Williams
Musique : Keegan DeWitt
Durée : 2h10
Date de sortie initiale : 2019
LE FILM
Becky Something est une superstar du rock des années 90 qui a rempli des stades avec son girls band : « Something She ». Quand ses excès font dérailler la tournée nationale du groupe, Becky est obligée de compter avec son passé tout en recherchant l’inspiration qui les a conduites au succès.
Après un premier coup d’essai (Impolex) en 2009, le cinéaste Alex Ross Perry (né en 1984) est remarqué avec son second film The Color Wheel, une oeuvre étrange et singulière formellement intéressante, marquée par un grain cinéma fourmillant et un N&B tranché capturé en 16mm. Représentant du mouvement cinématographique appelé Mumblecore aux côtés d’Andrew Bujalski (Funny Ha Ha, Mutual Appreciation, Beeswax), les frères Safdie (The Pleasure of being robbed, Lenny and the kids), Lynn Shelton (Humpday), les frères Duplass (Baghead) et Joe Swanberg (Hannah takes the stairs), tous largement recommandables, Alex Ross Perry aura ensuite entamé une collaboration avec la comédienne Elisabeth Moss. Listen Up Philip (2014) et Queen of Earth (2015) marqueront leurs deux premières associations, puis le cinéaste lui fera une petite infidélité avec Golden Exits (2017), film inédit en France. Projet mûri pendant plusieurs années, Her Smell a été écrit pour Elisabeth Moss. Véritablement investie corps et âme dans ce film, la comédienne, révélée par les séries A la Maison-Blanche et l’extraordinaire Mad Men, est exceptionnelle dans ce faux film musical, mais vrai drame psychologique, très immersif, dans lequel Alex Ross Perry expérimente une fois de plus la forme de son cinéma.
CHANSONS DU DEUXIEME ETAGE (Sånger från andra våningen)réalisé par Roy Andersson, disponible en Blu-ray le 6 décembre 2016chez Potemkine Films
Acteurs : Lars Nordh, Stefan Larsson, Tommy Johansson, Jöran Mueller, Torbjörn Fahlström…
Scénario : Roy Andersson
Photographie : István Borbás, Jesper Klevenås
Musique : Benny Andersson
Durée : 1h38
Date de sortie initiale: 2000
LE FILM
Un soir quelque part dans notre hémisphère, une série d’événements étranges s’enchaînent sans logique apparente : un employé est licencié de façon humiliante, un immigré est violemment agressé dans la rue… Parmi ces personnages singuliers se détache Karl, au visage couvert de cendres. Il vient de mettre le feu à son magasin de meubles afin de toucher la prime d’assurance. Cette nuit-là, personne ne parvient à trouver le sommeil. Le lendemain, les signes d’un chaos imminent commencent à apparaitre. Karl prend conscience de l’absurdité du monde et combien il est dur d’être humain.
A ce jour, le cinéaste suédois Roy Andersson compte à son actif cinq longs métrages depuis ses débuts en 1970 avec le très remarqué Une histoire d’amour suédoise (Grand Prix du Festival de Berlin 1970), qu’il autofinance grâce à ses spots publicitaires. Ingmar Bergman le considérait d’ailleurs comme le plus grand réalisateur dans ce domaine. Pourtant, son travail dans le cinéma est tout aussi indispensable.
Sorti en 2000, Chansons du deuxième étage marque le retour de Roy Andersson au cinéma, 25 ans après son deuxième long métrage réalisé en 1975, Giliap. C’est aussi le premier volet de la « Trilogie des Vivants ou comment être un être humain ». Alors que le soir tombe, une grande ville de l’hémisphère Nord devient le théâtre d’événements plus ou moins bizarres, parfois cruels, souvent inquiétants. Un vieil homme qui vient d’être licencié s’accroche désespérément aux pieds de son patron, sous les regards presque indifférents de ses collègues. Un immigré est tabassé en pleine rue, sans raison apparente, par des loubards aux allures de gentlemen. Un magicien qui devait «couper» un homme en deux rate son tour. Un homme visiblement épuisé met le feu à sa propre boutique dans le but de toucher l’assurance. Désormais sans travail, il erre dans les rues de la ville, paralysée par des embouteillages monstres…
Prix du Jury au Festival de Cannes en 2000, Chansons du deuxième étage installe ce qui sera désormais le style Andersson : succession de cadrages fixes, en grand angle et en une quarantaine de longs plans-séquences sophistiqués tournés en studio dans des décors stylisés, qui s’apparentent à des tableaux vivants. Andersson travaille comme un peintre et utilise sa caméra comme un pinceau. Il recherche constamment le plan parfait, tout comme la profondeur de champ et la perspective. Pas étonnant que le tournage de Chansons du deuxième étage se soit étendu sur quatre années ! Roy Andersson a pour habitude de ne jamais utiliser de scénario, ni de se reposer sur un planning de tournage. Le réalisateur préfère élaborer et peaufiner les scènes au fil de nombreuses répétitions, avec l’aide de ses comédiens, la plupart du temps non-professionnels, préférant les «gens authentiques et qui ont une véritable présence à l’écran». Ces délais hors-normes de production, sans compter le manque d’argent qui a occasionné plusieurs arrêts des prises de vue, font la marque de fabrique de Roy Andersson. Chaque couche doit être visible, du premier au dernier plan.
A l’instar des deux volets suivants, Nous, les vivants (2007) et Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence (Lion d’or à la Mostra de Venise 2014), les œuvres des peintres allemands Otto Dix et Georg Scholz ont influencé le cadre et l’atmosphère : le visage des comédiens est blafard et fardé ; les couleurs sont ternes et désaturées ; l’ambiance est froide, parfois glaciale, et lugubre ; l’humour noir ironique et ravageur prédomine, même quand la mort est présente. Une fois ces partis pris acceptés par le spectateur, l’ensemble respire, vit, nous touche et une mélancolie transpire à chaque plan.
En outre, cet humour burlesque et poétique, que n’auraient pas renié Jacques Tati, Eugène Ionesco ou Pierre Etaix, naît de cette bizarrerie finalement quotidienne, alors que le monde semble être au bord du chaos. Roy Andersson est un humaniste, même s’il est réputé comme un artisan acharné, parfois tyrannique, lorsqu’il lui faut obtenir ce qu’il estime être la perfection. Dans ce conte moral constitué d’une suite de sketchs, il s’intéresse à la confrontation des êtres, à leur conversation ou plutôt à l’absence de communication, voire au dialogue de sourds. Mais il croit en cette interaction, au bonheur et au rire.
Le style singulier de Roy Andersson met ainsi en relief l’absurdité de la vie, de la solitude, des désirs inassouvis et du manque d’amour dans un monde quasi incolore, funèbre et déprimant. Malgré tout, l’espoir de s’en sortir, de trouver l’interlocuteur et de penser que demain sera un autre jour, ne cessent de démentir toutes ces premières impressions. Chansons du deuxième étage est un bijou froid totalement inclassable qui trouve dès lors le moyen de réchauffer le cœur tout en incitant à la réflexion.
LE BLU-RAY
Le test du Blu-ray de Chansons du deuxième étage, disponible chez Potemkine, a été réalisé sur un check-disc. Le menu principal est animé et musical.
En 2001, Arte Vidéo avait édité Chansons du deuxième étage en DVD. Une galette qui comprenait moult suppléments : un commentaire audio du réalisateur, un documentaire sur le réalisateur : « Obsessions du deuxième étage », deux courts-métrages Monde de gloire et Quelque chose est arrivé, un making of, des scènes inédites, des tests et une scène alternative. Si le film fait peau neuve en Haute-Définition chez Potemkine, les suppléments de l’ancienne édition ont tous disparu ! Il faut se contenter d’un rapide entretien avec Roy Andersson (4’) durant lequel le cinéaste évoque l’humour particulier du film, l’envie de surprendre les spectateurs, le travail avec les acteurs non-professionnels.
Nous trouvons également deux publicités réalisées (en plan-séquence) par Roy Andersson, la première pour Trygg Hansa, une société d’assurance (44 secondes), le second pour HSB, une coopérative immobilière (30 secondes).
L’Image et le son
Le Blu-ray est au format 1080p. Les rares scènes diurnes tournées en extérieur s’accompagnent d’un piqué aussi pointilleux que possible. La photo particulière est ici conforme aux souhaits du réalisateur, les contrastes sont aléatoires, les noirs denses, les teintes bleutées, froides, grisâtres et vertes sont merveilleusement mises en valeur. La copie est très propre et parvient à tirer quelques avantages de la Haute-Définition.
L’éditeur dispose d’un mixage suédois DTS-HD Master Audio 5.1. La piste ne déçoit pas par son envergure et son entrain, tant au niveau de la délivrance des dialogues que des effets latéraux. La balance frontale est riche et plonge facilement le spectateur dans l’ambiance surprenante du film.
En marge du monde des adultes prisonniers de leurs conventions et de leur mélancolie, Pär et Annica, avec l’ingénuité et la fraîcheur de leurs 15 ans, découvrent simplement l’envie et le bonheur d’aimer. Le temps d’un été à Stockholm…
Film culte et chéri des cinéphiles, A Swedish Love Story – En kärlekshistoria (1970), inédit en France à sa sortie, est le premier long métrage du réalisateur Roy Andersson, alors âgé de 27 ans. Une œuvre tournée avec peu de moyens durant l’été 1969 sous un soleil de plomb, principalement en son direct, en se focalisant sur les regards de ses jeunes comédiens et en ayant peu recours aux dialogues. Si son cinéma évoluera sur la forme, tout le cinéma de Roy Andersson est déjà présent dans A Swedish Love Story et même depuis ses premiers courts et moyens métrages.
Cette histoire d’amour entre deux adolescents foudroie en plein coeur encore près de cinquante ans après sa sortie et ce grâce à l’immense charisme et au naturel confondant du couple de jeunes comédiens, Ann-Sofie Kylin dans le rôle d’Annica et Rolf Sohlman dans celui de Pär. Annica et Pär découvrent l’envie et le bonheur d’aimer en dépit du triste spectacle des adultes qui les entourent. Joli succès à sa sortie, le film est encensé par la critique et le public, y compris par certains monstres du cinéma, dont Ingmar Bergman lui-même, Roy Andersson étant directement considéré comme un nouveau maître du naturalisme. Touché par la grâce, chef d’oeuvre de délicatesse, réaliste, triste et pourtant solaire, A Swedish Love Story subjugue d’entrée de jeu avec son cadre singulier qui se focalise sur deux jeunes adolescents qui vont se rencontrer par hasard au cours d’un même repas.
Chacun semble s’ennuyer au milieu de tous ces adultes plongés dans des discussions sans fin, pour ne pas dire sans aucun sens. Les regards, nimbés de tristesse et de mélancolie, s’attirent et très vite Pär et Annica ne peuvent plus s’empêcher de s’observer, sans rien dire. Mais ce silence en dit long, ils se reconnaissent l’un dans l’autre et souhaitent tous les deux la même chose, trouver un réconfort, des bras dans lesquels se blottir, sans penser à rien d’autre qu’à l’instant présent et loin du monde absurde des adultes dans lequel ils ne vont pas tarder à entrer.
C’est un véritable coup de foudre. Sans caricature, mais avec une immense sensibilité et un sens quasi-organique de la mise en scène, Roy Andersson capture l’indicible, l’instant où les coeurs s’emballent conjointement, celui où un couple sait qu’il ne pourra pas se passer l’un de l’autre, au moment où les sentiments sont les plus purs et pas encore parasités par l’inconsistance du morne et frustrant quotidien des grandes personnes. L’instant se fige et les deux souhaitent qu’il le reste le plus longtemps possible, même s’ils sont conscients tous les deux que la vie les rattrapera forcément. Contrairement aux futurs longs métrages de Roy Andersson, A Swedish Love Story est un film rempli de vie qui fait chaud au coeur, qui donne envie d’aimer et d’être aimé. Un vrai miracle de film, électron libre dans une des filmographies les plus atypiques du cinéma européen, cette chronique douce-amère n’a pas fini de faire de conquérir de nouveaux adeptes.
LE DVD
Le test du DVD de A Swedish Love Story a été réalisé sur un check-disc. Le menu principal est animé et musical.
Cette édition contient deux courts et un moyen métrage de Roy Anderson, Visite chez le fils – Besöka sin son (1967), Chercher un vélo – Hämta en cykel (1968) et Samedi 5 octobre – Lördagen den 5.10 (1969), qui imposent d’emblée le cadre atypique, les thèmes et le rythme que l’on retrouvera dans A Swedish Love Story en 1970 avec ces célèbres gros plans, l’histoire d’amour entre deux jeunes personnes, une mélancolie qui imprègne l’histoire, le désir de s’affranchir de sa famille et de s’échapper du quotidien, les appartements modestes, les repas, les promenades à la campagne. Si le premier film pose les bases et le second expérimente le cadre, le troisième s’avère un vrai petit chef d’oeuvre, au même titre que A Swedish Love Story.
L’Image et le son
Ce DVD est issu de la copie restaurée sortie au cinéma en 2015. L’image est d’une propreté jamais démentie, stable, et certaines séquences sortent du lot avec une très belle luminosité et un piqué ciselé. Le grain original est respecté et bien géré. N’oublions pas les couleurs estivales qui font honneur au support. Le format original est conservé, la profondeur de champ fort appréciable. Notons tout de même quelques plans flous, divers mouvements de caméra qui entraînent de légères pertes de la définition, des séquences sombres moins précises avec des noirs tirant sur le bleu et des visages légèrement rosés ou cireux. Néanmoins, l’encodage demeure solide.
Seule la version originale aux sous-titres français imposés est disponible. Le confort acoustique est assuré avec un espace phonique probant, des dialogues clairs, nets, tout comme la musique très bien délivrée. Aucun souffle ne vient parasiter les scènes silencieuses et l’ensemble reste propre.
Réalisation : Nicolas Roeg Acteurs : David Bowie, Rip Torn, Candy Clark, Buck Henry, Bernie Casey, Jackson D. Kane Scénario : Paul Mayersberg d’après le roman de Walter Tevis Musique : John Phillips, Stomu Yamashta
Blu-ray disponible chez Potemkine Films le 9 juin 2016.
LE FILM
Thomas Jérôme Newton semble avoir survécu à un crash aérien au Nouveau Mexique. Il se dit britannique et apporte avec lui 9 brevets scientifiques révolutionnaires. Propulsé à la tête d’un empire financier colossal, il manifeste très vite un comportement étrange qui trahira ses véritables origines.
David Bowie, un alien de la musique…et au cinéma
En 1975, David Bowie arrive dans sa période soul/funk. Accro à la cocaïne, il sombre dans la paranoïa et les délires mystiques. Incapable de contrôler son image publique, il change à nouveau de « peau » pour se diriger vers un autre courant musical. C’est dans ces conditions que la rockstar tourne L’Homme qui venait d’ailleurs (The Man Who Fell to Earth), réalisé par Nicolas Roeg en 1975. Le cinéaste de Ne vous retournez pas et de Walkabout va alors contribuer au mythe de David Bowie en se servant de son aura, de son physique, de sa présence, et l’imprimer sur pellicule pour ce qui s’avère être son film le plus étrange. Bowie y incarne un alien échoué sur Terre afin de trouver de l’eau pour lutter contre la sécheresse qui dévaste sa planète. Il y a laissé sa femme et ses enfants, qui apparaissent sous forme de rêves et de flash-backs. Ayant pris forme humaine et sous l’identité du brinnatique Thomas Jérôme Newton, il parvient à bâtir un empire industriel en déposant neuf brevets scientifiques révolutionnaires, notamment dans le domaine des films à développement instantané. Cette maîtrise de technologies futuristes et les secrets autour de son identité attirent la curiosité de personnes mal intentionnées. Devenu milliardaire, il fait construire un vaisseau spatial par une de ses sociétés, afin de pouvoir regagner sa planète. Il rencontre alors Mary-Lou, qui vient alors bouleverser l’ordre des choses.
Un conte philosophique de science-fiction
Les questions existentielles, les rapports entre l’homme et la femme, de l’homme à la nature (ici une catastrophe écologique qui ravage une autre planète) sont cette fois encore au centre du quatrième long métrage de Nicolas Roeg, même s’il s’agit ici d’un récit de science-fiction. Les chanteurs ont toujours inspiré le réalisateur. Après Mick Jagger dans Performance (co-réalisé avec Donald Cammell) en 1970 et avant Art Garfunkel dans Enquête sur une passion en 1980, c’est donc au tour de David Bowie d’être dirigé par Nicolas Roeg, dans son premier vrai rôle au cinéma. Enfin dirigé est un bien grand mot tant la rockstar a semble t-il envoûté le réalisateur qui se contente essentiellement de le filmer sous tous les angles. Comme s’il cherchait lui-même à percer le mystère qui entourait alors cet être hors-du-commun. Film singulier, qui ne ressemble à aucun autre, qui déconcerte, agace, ennuie, subjugue et hypnotise par son récit éclaté, L’Homme qui venait d’ailleurs, librement adapté du roman L’Homme tombé du ciel de l’écrivain américain Walter Stone Tevis publié en 1963, est un pur film de Nicolas Roeg. Un kaléidoscope d’images, de séquences qui s’opposent et qui se répondent à la fois, une expérience sensorielle, qui ne livrera jamais toutes ses clés même au fil de nombreux visionnages. Le charisme androgyne unique de David Bowie est immense. Ce rôle lui va évidemment comme un gant, d’autant plus que son personnage finit par devenir une rock-star en sortant un album sous le nom de The Visitor à la fin du film. Un album réalisé dans l’espoir que la femme qu’il aime et qui l’attend, puisse l’entendre à la radio. Un vecteur de communication, comme Bowie lui-même avec ses fans à travers le monde.
La légende Bowie
Roeg s’amuse à jouer avec les frontières entre Bowie et son personnage, et participe donc à sa légende. A la mort de l’artiste en 2016, une grande partie de la presse a titré « Mort de l’Homme qui venait d’ailleurs ». La boucle est bouclée. Enfin presque, puisque le film a connu une suite au théâtre, imaginée par David Bowie himself. La comédie musicale Lazarus s’est jouée à Broadway fin 2015 avec l’excellent Michael C. Hall dans le rôle principal, quelques jours seulement avant la disparition de Bowie en janvier 2016.
En plus d’être un film de science-fiction important des années 70, L’Homme qui venait d’ailleurs a largement contribué au mythe David Bowie. Quasiment de tous les plans, ce dernier semble traverser le film en lévitation avec son charisme extraordinaire imprimé pour toujours par l’immense réalisateur Nicolas Roeg.
LE BLU-RAY
Le visuel concocté par Potemkine pour la sortie de L’Homme qui venait d’ailleurs en Haute-Définition est très beau et reprend celui du DVD édité en 2015 par le même éditeur. Il en est de même pour le menu principal, animé et musical. La version intégrale Director’s cut du film (139′) est proposée ici, les séquences érotiques coupées pour son exploitation ayant été réintégrées.
Peu de bonus à se mettre sous la dent !
Jusqu’à présent en France, L’Homme qui venait d’ailleurs bénéficiait d’une édition collector en DVD, disponible uniquement en occasion maintenant et souvent à plus de 100 euros ! Cette édition deux DVD disposait des deux versions du film, d’un documentaire Watching the Alien (24′) et un autre intitulé Songes d’une nuit d’un E.T. (16′), ainsi que d’une galerie photos, une plaquette publicitaire et le script dialogué.
Le seul supplément disponible sur ce Blu-ray Potemkine est un entretien croisé (25′) avec Jean-Marc Lalanne, rédacteur en chef des Inrockuptibles, et Linda Lorin, animatrice à Radio Nova. Les deux intervenants replacent tout d’abord L’Homme qui venait d’ailleurs dans la carrière de David Bowie, en insistant particulièrement sur son look. N’attendez pas une analyse du film, mais plutôt un portrait du David Bowie comédien, de L’Homme qui venait d’ailleurs à Furyo, en passant par Le Prestige, Les Prédateurs, La Dernière tentation du Christ et Twin Peaks: Fire Walk with Me.
L’Image et le son
Potemkine livre un très beau master HD restauré qui permet de redécouvrir le film de Nicolas Roeg sous toutes ses coutures. Les splendides partis pris esthétiques du directeur de la photographie Anthony B. Richmond (One + One, Ne vous retournez pas, The Indian Runner) trouvent en Blu-ray (1080p) un nouvel écrin et se voient entièrement respectés. Point ou peu de réducteur de bruit à l’horizon, le grain est présent tout en étant discret (exit les poussières, scories, griffures et tâches en tous genres), la photo est savamment restituée, la colorimétrie retrouve un éclat inédit et le piqué est probant. Le magnifique cadre large est conservé, la profondeur de champ fort appréciable et seuls quelques plans flous, mouvements de caméra entraînant quelques pertes de la définition et des visages légèrement rosés empêchent d’attribuer la note maximale. Néanmoins, l’encodage AVC demeure solide, la gestion des noirs impeccable, la propreté exceptionnelle et le niveau de détails impressionnant. L’Homme qui venait d’ailleurs qui affiche déjà quarante ans au compteur peut se targuer d’un lifting de premier ordre et d’un transfert d’une folle élégance.
L’encodage DTS-HD Master Audio Stéréo anglais, seule piste disponible sur cette édition, donne un nouveau coffre à la bande originale. Les voix sont claires, les ambiances annexes dynamiques et le confort acoustique largement assuré. Ce mixage est propre et aucun souffle n’est constaté. Les sous-titres français ne sont pas imposés.