Test Blu-ray / Le Testament du Dr. Mabuse, réalisé par Fritz Lang

LE TESTAMENT DU DR. MABUSE (Das Testament des Dr. Mabuse) réalisé par Fritz Lang, disponible le 16 avril 2019 en combo DVD/Blu-ray chez Tamasa Diffusion

Acteurs : Rudolf Klein-Rogge, Otto Wernicke, Oscar Beregi Sr., Theodor Loos, Gustav Diess, lTheo Lingen…

Scénario : Fritz Lang, Thea von Harbou d’après le roman de Norbert Jacques

Photographie : Károly Vass, Fritz Arno Wagner

Musique : Hans Erdmann

Durée : 2h01

Année de sortie : 1933

LE FILM

Devenu fou, Mabuse, le célèbre criminel, est interné dans un hôpital psychiatrique. Grâce à l’hypnose, il tient en son pouvoir Baum, le directeur de l’asile. Ainsi, il parvient à remettre sur pied une inquiétante bande de malfaiteurs, qui sera confrontée au commissaire Lohmann…

« Quand les hommes seront dominés par la terreur, rendus fous d’épouvante, que le chaos sera la loi suprême, l’heure de l’empire du crime sera arrivée ».

Onze ans après Docteur Mabuse, le joueurDoktor Mabuse, der Spieler, Fritz Lang décide de donner suite à son film en deux épisodes sorti en 1922 avec Le Testament du docteur MabuseDas Testament des Dr. Mabuse. 1933. Année fatidique. Le réalisateur reprend son personnage pour évoquer la situation de l’Allemagne, en particulier la montée du nazisme durant la crise économique. Les mystères sombres de l’âme humaine manipulée par l’hypnose, la corruption de la société, la manipulation des masses, le soulèvement d’un nouveau pouvoir sont au coeur du Testament du docteur Mabuse, qui sera suivi d’un ultime épisode en 1960, Le Diabolique Docteur MabuseDie tausend Augen von Dr Mabuse, par ailleurs le dernier film de Fritz Lang. Le cinéaste, inquiet (euphémisme) devant l’avènement d’Adolf Hitler au pouvoir, tourne donc ce nouveau Mabuse à partir d’un scénario de Thea von Harbou, son épouse, qui soutient les idées nationalistes et conservatrices (avant de soutenir publiquement le projet nazi), pensé comme « une allégorie pour montrer les procédés terroristes d’Hitler » ainsi que le décrira le réalisateur. Notons que le tournage d’une version française signée René Sti avait été réalisé en parallèle de la mouture de Fritz Lang.

Le film raconte l’histoire du Dr Mabuse qui dirige, de l’asile psychiatrique où il est interné, un gang de malfaiteurs et le docteur Baum, directeur de l’établissement, grâce à ses pouvoirs hypnotiques, tandis que le commissaire Karl Lohmann et le bandit repenti Kent tentent de démanteler le réseau.

Le personnage du Dr Mabuse renvoie directement au Surhomme prôné par Hitler, ce qui introduit ici une dimension fantastique caractérisée par l’utilisation de quelques effets spéciaux, particulièrement réussis. Le Testament du docteur Mabuse est rétrospectivement le premier film intentionnellement anti-nazi de Fritz Lang, son deuxième parlant, d’autant plus que le cinéaste n’hésite pas à reprendre certains slogans et doctrines du nazisme, pour les mettre dans la bouche du personnage éponyme et d’autres criminels. La projection du film est évidemment interdite en Allemagne en 1933 et ne sortira qu’en 1951. Pourtant, à l’avènement du Troisième Reich, Joseph Goebbels, ministre de la propagande et de l’information du régime, grand admirateur des films de Fritz Lang (comme Hitler d’ailleurs), propose au cinéaste de prendre la tête du département cinématographique de son ministère, dans le but de réaliser les films à la gloire du parti nazi. Après cette annonce qu’il décline poliment, Fritz Lang divorce de Thea von Harbou et quitte l’Allemagne pour trouver refuge à Paris, avant de s’envoler pour Hollywood.

Si comme le premier film, Le Testament du docteur Mabuse est basé sur un roman de l’écrivain luxembourgeois Norbert Jacques, Fritz Lang s’empare d’un postulat de départ pour mieux se l’accaparer et tirer un signal d’alarme quant à l’avenir de son pays, de l’Europe et même du monde entier. A travers le personnage de Mabuse, toujours incarné par l’effrayant Rudolf Klein-Rogge, le cinéaste dévoile une logique de faits réalisée dans un but cohérent, développer le crime pour susciter l’inquiétude de la population, afin de mieux la manipuler puisque rendue incapable de réflexion, figée dans l’effroi. Cette mécanique impitoyable est ainsi dépeinte par un des plus grands auteurs et formaliste de l’histoire du cinéma. Non seulement Le Testament du docteur Mabuse, plus une suite à M le Maudit qu’a Docteur Mabuse le joueur dans ses thématiques (le lien étant fait avec le personnage de l’inspecteur Lohmann), est un film passionnant à analyser et à disséquer, mais c’est aussi un divertissement haut de gamme avec son intrigue policière à la serial, ainsi qu’un chef d’oeuvre absolu devant lequel le spectateur reste halluciné par la beauté des plans, la science du montage et son rythme effréné.

Aujourd’hui, Le Testament du Docteur Mabuse inspire toujours autant les cinéastes et écrivains contemporains, à commencer par M. Night Shyamalan dont le dernier film en date, Glass, rappelle parfois l’oeuvre de Fritz Lang, ainsi que Stephen King avec Fin de ronde, dernier opus de la trilogie Bill Hodges, dans lequel un criminel, pourtant immobile sur son lit d’hôpital, continue de semer la terreur en prenant possession de l’esprit d’un docteur. Inépuisable, intemporel, inaltérable.

LE BLU-RAY

Après une première édition en DVD chez Opening, le chef d’oeuvre de Fritz Lang fait son retour dans les bacs par la grande porte chez Tamasa Diffusion où il est particulièrement choyé. Ce Digipack très élégant se compose du DVD, du Blu-ray et d’un livret de 16 pages, proposant un retour sur Le Testament du docteur Mabuse, tiré d’un article publié dans La Revue du Cinéma (Hors-série, n°24). Le menu principal est fixe et bruité.

Pour accompagner Le Testament du Dr. Mabuse, Tamasa propose une intervention de Faruk Günaltay (19’). Le directeur du cinéma l’Odyssée de Strasbourg dissèque le fond et la forme du chef d’oeuvre de Fritz Lang. La production du film, le travail sur le son, le casting, la métaphore sur la nazisme, les effets de cadrage et tout un tas d’éléments sont abordés au cours de cette présentation passionnante – qui complète également les propos sur M le Maudit disponibles sur l’édition Blu-ray/DVD chez Tamasa – durant laquelle quelques séquences sont également analysées.

L’Image et le son

La restauration impressionne très souvent. Le master est issu d’un scan 2K mis entre les mains expertes des magiciens de L’Immagine Ritrovata de Bologne et le Blu-ray ici présent est au format 1080p. Le gros point fort de cette édition est la restitution des nombreux gros plans, surtout et essentiellement durant les scènes très éclairées. Le piqué est dingue, la propreté indéniable (même si quelques points blancs subsistent), les détails confondants. C’est forcément plus aléatoire sur les séquences sombres avec une définition sensiblement chancelante, mais la qualité reste au rendez-vous du début à la fin avec un grain cinéma tout ce qu’il y a de plus flatteur.

Comme sur M le Maudit, la bande-son allemande sous-titrée en français respecte l’idée originale de Fritz Lang avec des contrastes saisissants entre les scènes sonores et muettes. Un souffle chronique est inhérent à l’âge du film, mais ne dérange pas l’écoute. Le mixage est propre, équilibré, les bruitages précis, les dialogues sensiblement pincés, mais intelligibles.

Crédits images : © Nero-Film/Praesens – TDR – DVD / Tamasa Diffusion / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Premières vacances, réalisé par Patrick Cassir

PREMIÈRES VACANCES réalisé par Patrick Cassir, disponible le 8 mai 2019 en DVD et Blu-ray chez Le Pacte

Acteurs : Camille Chamoux, Jonathan Cohen, Camille Cottin, Jérémie Elkaïm, Vincent Dedienne, Dominique Valadié, Svetlana Gergova, Bar Levy…

Scénario : Camille Chamoux, Patrick Cassir

Photographie : Yannick Ressigeac

Musique : Alexandre Lier, Sylvain Ohrel, Nicolas Weil

Durée : 1h42

Année de sortie : 2018

LE FILM

Marion et Ben, trentenaires, font connaissance sur Tinder. C’est à peu près tout ce qu’ils ont en commun ; mais les contraires s’attirent, et ils décident au petit matin de leur rencontre de partir ensemble en vacances malgré l’avis de leur entourage. Ils partiront finalement… en Bulgarie, à mi-chemin de leurs destinations rêvées : Beyrouth pour Marion, Biarritz pour Ben. Sans programme précis et, comme ils vont vite le découvrir, avec des conceptions très différentes de ce que doivent être des vacances de rêve…

Il y a les comédies, françaises et autres – car ce serait stupide de considérer que seules les comédies hexagonales sont la plupart du temps ratées – qui semblent avoir été écrites par des adolescents, en style SMS, dans le simple but d’être tournées, sans aucun sens de la mise en scène, pour ensuite finir une seule semaine dans les salles de cinéma. On accueille donc à bras ouverts, non pas l’immonde long métrage de Philippe de Chauveron, mais ces Premières vacances, concoctées par Patrick Cassir et Camille Chamoux. Si le premier, venu du clip (Les Plasticines, Arielle Dombasle, Philippe Katerine, Camelia Jordana, Rose) et de la publicité signe ici son premier long métrage, la seconde a percé depuis quelques années avec ses one-woman-show, puis en apparaissant au cinéma dans Bye Bye Blondie de Virginie Despentes et dans Supercondriaque de Dany Boon. Mais ce sont Les Gazelles, film sorti en 2014 qu’elle co-écrit avec la réalisatrice Mona Achache, qui révèle son univers, son tempérament volcanique et son humour décalé. Après le succès de Larguées d’Eloïse Lang, la comédienne signe le scénario de Premières vacances avec son compagnon Patrick Cassir. Et c’est une belle réussite. Non seulement le film est drôle et bien écrit, mais il donne également matière à réflexion sur l’amour au XXIe siècle dans les grandes villes, tout en offrant à l’excellent Jonathan Cohen l’occasion de briller une fois de plus devant la caméra. Et n’oublions pas la participation de Camille Cottin, Jérémie Elkaïm, Caroline Anglade et d’autres qui campent des personnages satellites qui gravitent autour du noyau central de ce very bad trip qui n’oublie pas d’être romantique.

Marion et Ben font connaissance sur Tinder. Ils se donnent rendez-vous un soir sur le bassin de la Villette. Ils font connaissance. Malgré leurs caractères complètement opposés, le courant passe bien, à tel point qu’ils couchent finalement ensemble et décident de partir en vacances à deux, en dépit des doutes de leurs amis et de leurs familles. Les deux tourtereaux se rendront en Bulgarie, pays qui se situe à mi-chemin de leurs destinations initialement envisagées. Sur place, les caractères, désirs, phobies, doutes et sentiments se dévoilent réellement.

Premières vacances est une sorte de road-movie doux-amer, inspiré, joliment mis en scène avec des paysages étonnants – ceux de la Bulgarie – très peu vus au cinéma. Le rythme est maîtrisé, les répliques tordantes et le couple vedette en parfaite osmose. Camille Chamoux, véritable pile électrique est aussi plus sobre qu’à l’accoutumée, rien de péjoratif à dire cela puisque son personnage est ici plus « relax » que le personnage incarné par Jonathan Cohen. Ce dernier, l’une des plus belles révélations comiques de ces quinze dernières années à la télévision (Bref, Serge le Mytho) et au cinéma (Un plan parfait de Pascal Chaumeil, Budapest de Xavier Gens et dernièrement dans Amanda de Michaël Hers) explose enfin en tant que véritable tête d’affiche. Assurément l’un des acteurs français à suivre de près.

Sur une très belle photographie de Yannick Ressigeac, Premières vacances enchaîne les scènes comme on ferait défiler les pages d’un album de photos souvenirs, avec un rythme soutenu, des péripéties calibrées et bien senties, sans jamais oublier la réflexion qui se fraye un chemin, notamment quand le couple se rend dans un hôtel moderne où le confort social, et donc les vraies différences entre les deux individus, se révèlent et s’exacerbent. C’est donc une vraie bonne surprise que cette comédie, excellente, à placer sur le haut du panier du genre et qui s’avère déjà l’une des réussites de l’année 2019.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray de Premières vacances, disponible chez Le Pacte, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical.

Pour compléter le film, l’éditeur propose deux entretiens. Le premier avec le réalisateur Patrick Cassir et le second avec les comédiens Camille Chamoux et Jonathan Cohen. Nous retiendrons surtout l’intervention du metteur en scène et co-scénariste qui revient sur son parcours, la genèse du film, l’écriture du scénario avec sa compagne Camille Chamoux. Patrick Cassir explique avoir voulu filmer différemment celle qui partage sa vie. Les scènes improvisées (l’apéro-cul), les thèmes, le tournage en Bulgarie, le travail avec le chef opérateur, les volontés artistiques et partis pris sont également abordés.

Jonathan Cohen et Camille Chamoux reviennent pour ainsi dire sur les mêmes sujets avec enthousiasme et une évidente complicité.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Le Pacte frôle la perfection avec le master HD de Premières vacances. Toutes les scènes se déroulant en extérieur impressionnent par leur rendu saisissant. Le piqué reste tranchant comme la lame d’un scalpel, les détails abondent sur le cadre large, la profondeur de champ est appréciable, les contrastes sont denses et la colorimétrie chatoyante. L’encodage AVC consolide l’ensemble, la luminosité ravit constamment les yeux. Un très bel écrin qui sied à ravir à l’élégante photo du chef opérateur Yannick Ressigeac.

Le spectacle est également assuré du point de vue acoustique grâce à un mixage DTS-HD Master Audio 5.1 qui exploite toutes les enceintes dans leurs moindres recoins. La balance frontale est percutante, les effets nets et précis, les dialogues savamment délivrés sur le point central et les ambiances latérales constantes participent à l’immersion du spectateur. La musique bénéficie d’une belle spatialisation. N’oublions pas le caisson de basses qui tire habilement son épingle du jeu à de multiples reprises. La Stéréo est évidemment plus plate, mais ne démérite pas. L’éditeur joint également une piste audiodescription ainsi que les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © Le Pacte / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / M le Maudit, réalisé par Fritz Lang

M LE MAUDIT (M) réalisé par Fritz Lang, disponible le 16 avril 2019 en combo DVD/Blu-ray chez Tamasa Diffusion

Acteurs : Peter Lorre, Otto Wernicke, Gustaf Gründgens, Inge Landgut, Ellen Widmann, Theodor Loos…

Scénario : Fritz Lang, Thea von Harbou d’après un article d’Egon Jacobson

Photographie : Fritz Arno Wagner

Musique : Edvard Grieg

Durée : 1h51

Année de sortie : 1931

LE FILM

Toute la presse ne parle que de ça : le maniaque tueur d’enfants, qui terrorise la ville depuis huit mois vient de faire une nouvelle victime. Chargé de l’enquête, le commissaire Lohmann multiplie les rafles dans les bas-fonds. Gênée par toute cette agitation la pègre décide de retrouver elle-même le criminel.

Une sombre comptine chantée par des enfants qui s’amusent dans une cour. Des parents qui s’inquiètent de la disparition d’une dizaine de fillettes. C’est l’heure de la sortie de l’école, une mère de famille s’affaire à ses tâches quotidiennes, tout en préparant la table. Elle attend le retour d’Elsie, sa fille. De son côté, un agent de la circulation l’aide à traverser la route, quand une ombre l’aborde. Un sifflement reconnaissable, un leitmotiv (sifflé par Fritz Lang lui-même d’ailleurs), celui de Dans l’antre du roi de la montagne de Peer Gynt. En cinq minutes, le cadre, exceptionnel est posé par Fritz Lang. M le Maudit, ou tout simplement M en version originale est déjà le quinzième long métrage du réalisateur, ainsi que son premier film parlant. Immense chef d’oeuvre absolu de tous les temps, référence incontournable du genre policier, considéré d’ailleurs comme le premier thriller moderne, M le Maudit conserve son aura et son pouvoir d’attraction hypnotique. Près de 90 ans après sa sortie, ce drame anxiogène prend toujours aux tripes et l’on reste abasourdi par son audace scénaristique, sa beauté plastique, l’interprétation habitée de Peter Lorre et sa maîtrise formelle.

Après cette mise en place dans une cité ouvrière, le cadavre de la petite est découvert. La police intensifie ses efforts de recherche, en vain. Les habitants en viennent à se soupçonner les uns les autres. Les dénonciations anonymes font croître la tension et les policiers sont à bout de forces. Cependant, les rafles et les contrôles incessants dérangent les bandes criminelles dans leurs « affaires ». Aussi la pègre décide-t-elle, sous la direction de Schränker, de chercher elle-même le meurtrier et utilise dans ce but le réseau des mendiants. Alors que la police a identifié le meurtrier, celui-ci est reconnu par un vendeur de ballons aveugle grâce à la chanson que le tueur siffle. Un de ses « collègues » marque alors un « M » à la craie sur le manteau du meurtrier qui s’enfuit dans un bâtiment de bureaux cerné par les les bandes diverses. En se servant de leur attirail de cambriolage, ils fouillent l’immeuble, attrapent le meurtrier d’enfants et l’emmènent dans une distillerie abandonnée. Là, toute la pègre rassemblée lui fait un procès macabre.

Peter Lorre, dans son premier rôle au cinéma, entame alors l’une des plus grandes séquences de l’histoire du cinéma, quand son personnage, les yeux exorbités, le visage en sueur, la respiration saccadée, tente d’exprimer, de façon désespérée, son aliénation et son dédoublement intérieur. « Toujours, je dois aller par les rues, et toujours je sens qu’il y a quelqu’un derrière moi. Et c’est moi-même ! […] Quelquefois c’est pour moi comme si je courais moi-même derrière moi ! Je veux me fuir moi-même mais je n’y arrive pas ! Je ne peux pas m’échapper ! […] Quand je fais ça, je ne sais plus rien… Ensuite je me retrouve devant une affiche et je lis ce que j’ai fait, alors je me questionne : J’ai fait cela ? ». Fritz Lang met en parallèle les actions simultanées de la police quasi-impuissante, représentée par le commissaire Lohmann (qui reviendra dans Le Testament du Docteur Mabuse) et la pègre qui a alors une longueur d’avance sur les autorités. Tandis que les criminels se préparent à lyncher le meurtrier au cours d’une parodie de justice où un « avocat » de la défense tente d’expliquer que le tueur de fillettes doit être remis à la police, Lohmann apprend ce qui est sur le point d’arriver.

Tout subjugue dans M le Maudit. Le travail sur le son et le silence. Fritz Lang joue avec la nouvelle technologie mise à sa disposition. Le silence reflète la cacophonie ambiante, les ambiances ne sont jamais utilisées gratuitement, mais comme un véritable personnage à part entière. Le cinéaste, l’un des plus grands à avoir su conjuguer la grammaire cinématographique, évoque la traque d’une bête sauvage, aux abois. Ou quand les malfaiteurs s’associent pour mettre la main sur un assassin, un « outsider » qui gâche leurs affaires et les empêche de vaquer à leurs occupations. En raison de cette suite de meurtres, la police organise des rafles dans les quartiers louches, jusque dans les tripots clandestins où sont saisis les flingues, les portefeuilles, bijoux et fourrures volés. C’est la goutte d’eau pour la pègre, surtout après huit mois de recherches intensives qui n’ont donné aucun résultat en dépit du gigantesque dispositif déployé et des moyens conséquents mis à disposition de la police montrée incompétente, y compris les scientifiques avec leurs analyses d’empreintes. Seuls les cambrioleurs, les arnaqueurs, les tricheurs, les pickpockets, les prostituées, pourront faire quelque chose.

En montrant les habitants d’une grande ville allemande (jamais nommée, même si un journal indique Berlin, tout comme le plan de la ville accroché dans les bureaux de la police) jetés dans la terreur et l’hystérie, Fritz Lang, s’inspirant alors d’un fait divers réel, invite à réfléchir sur les réactions, le comportement et les actions d’une société traumatisée par les crimes commis. Héritier de l’Expressionnisme allemand, M le Maudit crée un genre, transcende les générations, foudroie autant les yeux devant tant de virtuosité, que l’estomac avec son récit tendu du début à la fin. Enfin, en montrant une société se liguer dans le but d’éradiquer un être jugé « nuisible », le réalisateur anticipe alors la Solution finale…Un chef d’oeuvre prophétique. Vingt ans plus tard, Joseph Losey en signera un très grand remake avec David Wayne, avec l’action du film transposée à Los Angeles.

LE BLU-RAY

Après une première édition en DVD chez Opening, puis chez Films sans frontières dans de louches éditions DVD et Blu-ray, le chef d’oeuvre de Fritz Lang fait son retour dans les bacs par la grande porte chez Tamasa Diffusion où il est particulièrement choyé. Ce Digipack très élégant se compose du DVD, du Blu-ray et d’un livret de 16 pages, proposant des extraits du dossier pédagogique rédigé par Mireille Kentzinger et comprenant un retour sur M le Maudit, avec une analyse de séquence, un gros plan sur le montage et diverses photographies. Le menu principal est fixe et bruité.

Pour accompagner M le Maudit, Tamasa propose une intervention de Faruk Günaltay (42’). Le directeur du cinéma l’Odyssée de Strasbourg dissèque le fond et la forme du chef d’oeuvre visionnaire de Fritz Lang. La production du film (à l’époque où il devait s’intituler Les Assassins sont parmi nous), le travail sur le son (premier long métrage parlant du réalisateur), le casting, la psychologie du personnage principal, les effets de cadrage, la critique de la République de Weimar, l’anticipation de la question de l’élimination « du corps en trop » et tout un tas d’éléments sont abordés au cours de cette présentation passionnante durant laquelle quelques séquences sont également analysées.

L’Image et le son

Depuis sa sortie en 1931, M le Maudit a été vu et revu dans de différentes versions et durées. Aucune ne correspondait à la version originale. Les montages français et britannique comprenaient même des scènes filmées ultérieurement. Fritz Lang n’avait aucun contrôle sur ces versions. En 1960, M le Maudit était ressorti dans un montage de 96 minutes, lui aussi très éloigné de l’original de 1931. Le format de l’image avait même été modifié et les têtes des comédiens tronquées. Sans oublier des ambiances sonores ajoutées sur des séquences muettes. Depuis, diverses tentatives avaient été réalisées pour reconstituer l’oeuvre originale de Fritz Lang. En 2001, l’image et le son de 1931 ont enfin été retrouvés sur des pellicules nitrates. 70 % des négatifs originaux survécurent. Pour cette restauration, une copie française du négatif fut réalisée à partir d’un tirage et servit à compléter les scènes tronquées. Pour la première fois, les instabilités récurrentes de l’image dues à des perforations et des erreurs de tirage furent en grande partie corrigées. La restauration numérique de l’image a demandé un soin minutieux pour respecter les partis pris originaux. Toutefois, le montage soumis à la censure allemande de 117 minutes, n’a jamais pu être reconstitué. Alors évidemment tous les défauts n’ont pu être corrigés sur cette version restaurée 2K par TLEFilms, AFF et Deutsche Kinematek, quelques rayures subsistent par exemple, mais il faut bien admettre que le confort de visionnage est total et que la tenue des contrastes est souvent ébouriffante. Divers effets de pompages demeurent également, mais le piqué ne cesse d’impressionner, même si plus émoussé sur les parties du film provenant des copies d’exploitation.

La bande-son respecte l’idée originale de Fritz Lang avec des contrastes saisissants entre les scènes sonores et muettes. Un souffle chronique est inhérent à l’âge du film, mais ne dérange pas l’écoute. Le mixage est propre, équilibré, les bruitages précis, les dialogues sensiblement pincés, mais intelligibles.


Crédits images : © Nero-Film/Praesens – TDR – DVD / Tamasa Diffusion / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Jules César, réalisé par Stuart Burge

JULES CÉSAR (Julius Caesar) réalisé par Stuart Burge, disponible le 19 mars 2019 en DVD et Blu-ray chez Rimini Editions

Acteurs : Charlton Heston, Jason Robards, John Gielgud, Richard Johnson, Robert Vaughn, Richard Chamberlain, Diana Rigg, Christopher Lee…

Scénario : Robert Furnival d’après la pièce de William Shakespeare « Jules César » (« Julius Caesar »)

Photographie : Kenneth Higgins

Musique : Michael J. Lewis

Durée : 1h57

Année de sortie : 1970

LE FILM

An 44 avant Jésus-Christ. Jules César est de retour à Rome, après être sorti vainqueur de la guerre civile contre Pompée. Si le peuple célèbre ce retour, quelques sénateurs, emmenés par Cassius, redoutent que César ne veuille instaurer une dictature et mettent sur pied un complot visant à l’assassiner.

Difficile de trouver un ton et un angle inédit pour adapter William Shakespeare au cinéma. Ecrite (selon les sources) en 1599 et publiée pour la première fois en 1623, Julius Caesar est l’une des tragédies les plus prisées du dramaturge par le 7e art. Avant la transposition qui nous intéresse, l’oeuvre de William Shakespeare avait déjà été adaptée à sept reprises, dont cinq fois au temps du muet dès 1908. Mais celle qui demeure la plus connue est sans conteste celle réalisée par l’immense Joseph Leo Mankiewicz avec Marlon Brando dans le rôle de Marc Antoine et James Mason dans celui de Brutus. Avant ce Jules César version 1953, David Bradley avait déjà livré sa version de la pièce de théâtre originale trois ans auparavant. Bien que peu connu, le film donnait alors la chance à un jeune acteur de 26 ans de faire ses premiers pas devant la caméra dans le rôle de Marc Antoine, Charlton Heston, qui venait de triompher à Broadway dans Antoine et Cléopâtre. Vingt ans plus tard et alors qu’il est devenu l’une des plus grandes stars du cinéma, le comédien endosse à nouveau la toge du personnage dans Jules César, mis en scène cette fois par Stuart Burge (1918-2002), en format large (peu exploité il faut bien le dire) et en couleurs. Venu de la télévision, le réalisateur avait déjà adapté William Shakespeare au cinéma en 1965, avec Othello, porté par sir Laurence Olivier dans le rôle-titre. En toute honnêteté, la version de Jules César de Stuart Burge vaut essentiellement pour son casting exceptionnel où Charlton Heston écrase purement et simplement ses partenaires. Même si sa participation reste limitée sur deux heures, le comédien bouffe l’écran à chaque apparition et la séquence de Marc Antoine s’adressant aux romains après l’assassinat de Jules César est très impressionnante.

La pièce originale est respectée. Le spectateur découvre le peuple de Rome célébrant le retour victorieux de Jules César, vainqueur de la Guerre civile contre Pompée. Deux tribuns blâment la versatilité du peuple, qui célébrait Pompée lorsqu’il se trouvait à la place de son rival. Ils tentent de disperser la foule et se donnent pour mission de dépouiller les statues de leurs décorations. Durant la fête de Lupercale, César défile en triomphe dans Rome ; un devin l’avertit contre le danger qui le menace le jour des Ides de Mars, mais César l’ignore. Par ailleurs Cassius tente de convaincre Brutus de se joindre à sa conspiration pour renverser César. Brutus hésite, tiraillé entre son affection pour César et la crainte que celui-ci abuse de son pouvoir (il est nommé dictateur à vie), remettant en cause la liberté du peuple romain. Les différents conspirateurs se rencontrent et réaffirment leur détermination face au projet du Sénat d’instituer César roi.

Bien que la pièce porte son nom, Jules César n’est pas le personnage principal de l’oeuvre. Dans le film de Stuart Burge, il est interprété par John Gielgud, considéré comme l’un des plus grands interprètes du théâtre britannique, et shakespearien en particulier. Chose amusante, il tenait le rôle de Cassius dans la version de Joseph L. Mankiewicz. Il incarne ici un Jules César vieillissant, à moitié sourd, tiraillé entre la grandeur divine et son besoin d’être aimé par le peuple. En revanche, gros mauvais point pour Jason Robards qui interprète Brutus. Visiblement peu préoccupé par ce qu’il tournait (il apprenait, voire découvrait ses répliques juste avant d’entrer sur le plateau), l’inoubliable Cheyenne d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone conserve un visage figé du début à la fin, les yeux bas, la bouche pincée. D’un autre côté, avec ses boucles bien dessinées sur le crâne, ses traits renvoient aux statues antiques et peuvent alors dissimuler aussi bien le feu ardent que la détresse du personnage en plein dilemme. Toujours est-il que Jason Robards n’arrive pas à la cheville de Charlton Heston. Se succèdent également à l’écran Richard Johnson (L’Enfer des zombies), Robert Vaughn, Richard Chamberlain, Christopher Lee, Michael Gough et même la magnifique Diana Rigg. Un casting de haut vol pour un film somme toute plaisant à suivre, même si les dialogues sont évidemment très présents et que l’ensemble prend la forme d’une succession de vignettes parfois trop figées et au rythme en dents de scie, surtout dans son dernier acte forcément moins prenant dans ses scènes de bataille peu inspirées.

Mais le film sert également de « premier volet » pour un diptyque. Ayant de la suite dans les idées, Charlton Heston envisageait déjà de reprendre le rôle de Marc Antoine dans Antoine et Cléopâtre, qu’il réalisera lui-même l’année suivante. La version Stuart Burge reste donc une curiosité.

LE BLU-RAY

Inédit dans les bacs français, Jules César apparaît en DVD et en Blu-ray sous la bannière incontournable de Rimini Editions. Comme d’habitude chez l’éditeur, l’objet est soigné avec une jaquette aussi attrayante qu’élégante, glissée dans un boîtier classique de couleur noire, lui-même disposé dans un surétui cartonné. Le menu principal est animé et musical.

Après le film, sélectionnez immédiatement l’intervention de Sarah Hatchuel, professeure en études cinématographiques et audiovisuelles, université Paul-Valéry, Montpellier 3 (32’). Pétillante, passionnante, l’invitée de Rimini Editions propose une formidable présentation et un retour sur l’oeuvre de William Shakespeare, Jules César. Les premières représentations, les personnages, l’évolution du point de vue de la pièce, les thèmes (dont ceux de la spectralité et de la prophétie), les différentes adaptations au cinéma, le casting sont longuement abordés ici, sans aucun temps mort. Moult informations sont également donnés sur la production (indépendante) du film, comme l’investissement de Charlton Heston, grand passionné de Shakespeare, qui avait accepté un cachet réduit de 100.000 dollars et un intérêt de 15 % sur les recettes.

L’Image et le son

Comme l’indique Sarah Hatchuel dans le module précédent, Jules César de Stuart Burge est enfin proposé dans son format respecté 2.35 (16/9) et en Blu-ray (AVC, 1080p). Quelques points blancs et rayures verticales subsistent. La gestion du grain est aléatoire – tout comme celle des contrastes – très grumeleux sur les plans de ciel et les séquences sombres, la colorimétrie assez froide est plutôt fraîche. La restauration n’est visiblement pas de première jeunesse, mais la copie permet de (re)découvrir Jules César avec ses partis pris et volontés artistiques originaux. La profondeur de champ est limitée par la mise en scène de Stuart Burge, mais certains gros plans étonnent par leurs détails, tout comme le piqué. Divers effets de pompages, mais rien de bien alarmant.

Jules César est disponible en version originale et française LPCM 2.0. La première instaure un confort acoustique plaisant avec une délivrance suffisante des dialogues, des effets annexes convaincants et surtout une belle restitution de la musique. La piste française est étouffée par un imposant souffle chronique.

Crédits images : © Paramount Pictures / Rimini Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / The Intruder, réalisé par Roger Corman

THE INTRUDER réalisé par Roger Corman, disponible le 10 avril 2019 en DVD et Blu-ray chez Carlotta Films

Acteurs : William Shatner, Frank Maxwell, Beverly Lunsford, Robert Emhardt, Leo Gordon, Charles Barnes, Charles Beaumont…

Scénario : Charles Beaumont d’après son roman « Les Intrus » (« The Intruder« )

Photographie : Taylor Byars

Musique : Herman Stein

Durée : 1h23

Année de sortie : 1962

LE FILM

Caxton, petite ville du sud des États-Unis, dans les années 1950. Un homme en complet blanc descend d’un car, valise à la main, et se rend à l’hôtel le plus proche. Il se nomme Adam Cramer et travaille pour une organisation « à vocation sociale ». Ce n’est pas un hasard s’il se trouve à Caxton, la ville ayant récemment voté une loi en faveur de la déségrégation, autorisant un quota d’élèves noirs à intégrer un lycée fréquenté par des Blancs. Adam Cramer souhaite enquêter auprès des habitants pour savoir ce qu’ils pensent de cette réforme. Cet homme charismatique et beau parleur va rapidement semer le trouble dans la ville…

Découvreur de talents (Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Joe Dante, Ron Howard, Jonathan Demme, Jack Nicholson, Monte Hellman, Curtis Hanson), Pape de la série B (et Z bien sûr), le prolifique Roger Corman (né en 1926), aujourd’hui producteur de plus de 400 films, a réalisé près d’une cinquantaine de longs métrages de 1955 à 1990. Après La Chute de la maison Usher, La Petite boutique des horreurs, La Chambre des tortures et la même année que L’Enterré vivant, Roger Corman, alors âgé de 35 ans, entreprend le film le plus personnel de son incroyable carrière. Tourné en 1961, dans le sud des Etats-Unis, sans véritables autorisations, avec très peu de moyens et avec un casting d’acteurs quasi-inconnus mélangés aux gens du cru, The Intruder (également sorti aux Etats-Unis sous les titres I Hate your Guts et Shame) est un choc, une baffe, un uppercut. Avec un réalisme parfois à la limite du documentaire, Roger Corman, très engagé et grand partisan de l’égalité des droits, se focalise sur un « réformateur social » au moment où viennent d’être votées les lois sur l’intégration, permettant à des enfants noirs de fréquenter les mêmes écoles que les enfants blancs. Cet homme ambigu est interprété par William Shatner, dans l’un de ses premiers rôles au cinéma, juste après sa participation au film de Stanley Kramer, Jugement à Nuremberg. Avec son sourire carnassier, suintant, puant et monstrueux, le comédien endosse le costume clair et les idées sombres de son personnage avec un rare culot. Le mythique Capitaine Kirk signe une prestation époustouflante.

Si l’on se demande où ce mystérieux, Adam Cramer, veut en venir en flattant tous ceux qu’il croise sur son chemin, on devine très vite que son but est de semer le trouble. S’il y parvient facilement en brossant les habitants dans le sens du poil et en leur faisant entendre ce qu’ils pensent savoir sur la véritable situation politique (en gros que leur parole de citoyen n’est pas écoutée, puisque leur opinion négative sur les afro-américains n’est pas prise en compte par la nouvelle loi), mais perd rapidement le contrôle de la situation. Dans un N&B aussi charbonneux que lumineux, moite, où les visages se voilent d’un filet de sueur, la tension monte, distillée comme du poison par ce rapace fourbe et manipulateur. Sur un montage percutant, Roger Corman soigne sa mise en scène (le cadre et les travellings sont d’ailleurs assez dingues), enchaîne les affrontements psychologiques avec une redoutable efficacité, sans aucun temps mort, les dialogues faisant office de munitions crachées par des personnages au bord de l’implosion.

Film rare et indispensable, The Intruder, écrit par Charles Beaumont (La Quatrième dimension, Le Masque de la mort rouge) d’après son propre roman L’Intrus paru aux USA en 1959, est à la fois un film noir, un thriller social, un drame historique qui fait froid dans le dos. Il faut voir comment William Shatner est littéralement habité par son personnage. Star de la télévision, on en vient à regretter que le cinéma ne lui ait pas suffisamment offert de rôles de cette envergure. Il est d’ailleurs très bien entouré par de grands comédiens dont on ne connaît pas forcément les noms, mais dont les visages sont largement reconnaissables comme ceux de Frank Maxwell (Monsieur Majestyk), Robert Emhardt (3h10 pour Yuma) et la trogne burinée de Leo Gordon apparue dans une quantité phénoménale de westerns et même chez Claude Sautet dans L’Arme à gauche en 1965.

Complètement méconnu et considéré comme le seul échec commercial de Roger Corman (même si le film est depuis rentré dans ses frais), qui connaît néanmoins une reconnaissance en Europe grâce à son exploitation récente dans les salles, The Intruder est un brûlot politique d’une folle modernité, dont le propos – la haine, la peur de l’autre et l’intolérance dans une Amérique engluée dans ses anciennes mœurs et valeurs – est malheureusement toujours aussi contemporain et qui mérite de ce fait d’être reconnu à sa juste valeur. The Intruder est un précieux chef d’oeuvre.

LE BLU-RAY

The Intruder fait grand retour dans les bacs, près de quinze ans après son édition en DVD chez Bach Films. Désormais sous la bannière de Carlotta Films, le film de Roger Corman est à la fois disponible en DVD et en Haute-Définition. Le Blu-ray repose dans un boîtier classique de couleur noire. La jaquette est très élégante, tout comme le surétui cartonné liseré jaune. Le menu principal est fixe et musical.

Un seul petit supplément au programme. L’éditeur joint un retour sur le film par Roger Corman et William Shatner (10’), enregistré en 2001 à l’occasion de la sortie de The Intruder en DVD aux Etats-Unis. Dans ces entretiens croisés, les deux hommes partagent leurs souvenirs liés au tournage (chaotique) de The Intruder. Les thèmes, les intentions, les conditions de prises de vues (qui ont rejoint la fiction), la psychologie du personnage principal, la séquence d’ouverture, l’accueil du film (échec à sa sortie, redécouvert en Angleterre grâce au BFI) sont abordés au cours de ce segment malheureusement trop court.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce de la ressortie 2018.

L’Image et le son

C’est une résurrection et aussi une exclusivité mondiale en HD. The Intruder renaît littéralement de ses cendres. Nous avons devant les yeux un master entièrement restauré, même si (nous chipotons certes) quelques rayures verticales et diverses poussières ont échappé au lifting numérique. Le Blu-ray est au format 1080p et le film présenté dans son format original 1.85 (compatible 4/3) avec des contrastes plutôt bien équilibrés. La copie N&B restitue les partis pris (dont le « flou artistique ») et le grain original (magnifique patine argentique), parfois plus appuyé sur certaines séquences aux blancs brûlés. Disposant de moyens techniques « rudimentaires » et d’un coût de production peu élevé, The Intruder trouve néanmoins un nouvel et adéquat écrin. D’une propreté jamais démentie, ce master HD est lumineux, stable, impressionnant (comme le piqué d’ailleurs), élégant et participe largement à la redécouverte de ce bijou noir. Quelques couacs, comme au début du discours de Cramer, mais rien de rédhibitoire.

Le film est proposé avec une piste anglaise DTS-HD Master Audio 1.0. Le mixage est bien nettoyé, l’écoute demeure plutôt agréable et fluide, sans souffle parasite et avec des dialogues souvent percutants. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Los Altos Productions / Carlotta Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Le Moulin des supplices, réalisé par Giorgio Ferroni

LE MOULIN DES SUPPLICES (Il Mulino delle donne di pietra) réalisé par Giorgio Ferroni, disponible le 16 avril 2019 en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre chez Artus Films

Acteurs : Pierre Brice, Scilla Gabel, Dany Carrel, Wolfgang Preiss, Robert Boehme, Liana Orfei…

Scénario : Giorgio Ferroni, Remigio Del Grosso, Ugo Liberatore, Giorgio Stegani

Photographie : Pier Ludovico Pavoni

Musique : Carlo Innocenzi

Durée : 1h37

Année de sortie : 1960

LE FILM

Hans arrive dans une petite bourgade près d’Amsterdam dans le but d’y rencontrer le sculpteur Wahl. Ce dernier vit avec sa fille Elfie et le docteur Bolem dans un moulin reconverti en un macabre musée de cire. Un endroit que les gens du village ont surnommé « Le moulin aux femmes de pierre ». Mais alors qu’Elfie s’éprend de Hans, ce dernier découvre que le moulin cache un horrible secret, quelque chose qui pourrait lui faire perdre la raison à tout jamais…

Giorgio Ferroni (1908-1981), qui a aussi parfois signé ses films sous le pseudonyme de Calvin Jackson Padget, est un des plus grands spécialistes du bis italien. Suivant les modes, éclectique, insaisissable, capable de passer d’un genre à l’autre, du documentaire en passant par le film d’aventure, le drame néoréaliste, le péplum (La Guerre de Troie) ou bien encore le film fantastique et d’épouvante (La Nuit des Diables), sans oublier le western (Deux pistolets pour un lâche, Le Dollar troué), le cinéaste était sur tous les fronts. Le Moulin des supplices Il Mulino delle donne di pietra, ou bien encore Mill of the Stone Women pour son exploitation internationale, est une des pierres fondatrices du cinéma de genre transalpin avec Le Masque du démon (La maschera del demonio) de Mario Bava et demeure le film le plus célèbre de son auteur. Près de soixante ans après sa sortie, ce chef d’oeuvre indiscutable reste une immense référence et son final s’inscrit dans toutes les mémoires.

Le jeune Hans Van Harnim est enchanté à l’idée d’étudier le remarquable carillon qu’abrite un vieux et mystérieux moulin situé en plein coeur de la campagne néerlandaise. Il est accueilli par le professeur Wahl, un sculpteur célèbre, sa fille, Elfi, atteinte d’un mal incurable, et le médecin qui la soigne, le docteur Bohlen. Elfi s’éprend immédiatement de Hans et se donne à lui sans attendre. Hans est rongé par le remords. C’est Liselotte, son amie d’enfance, qu’il aime. Lors d’une entrevue orageuse, Elfi meurt subitement. Traumatisé, Hans quitte le moulin. Victime d’un accès de fièvre, il s’alite. A son réveil, il apprend qu’Elfi est vivante…

Macabre et gothique, Le Moulin des supplices agit en deux temps. Le spectateur est tout d’abord transporté, happé par la beauté du cadre et la mise en scène de Giorgio Ferroni. Venu du cinéma néoréaliste, on lui doit également une adaptation du roman Sans famille d’Hector Malot en 1946, le cinéaste sort alors de dix ans de documentaires. Contre toute attente, il démarre les années 1960 par Le Moulin des supplices. Triomphe dans les salles, ce film sera le point de départ de la seconde partie de sa carrière. Durant les quinze années suivantes, Giorgio Ferroni se concentrera uniquement sur le cinéma d’exploitation. Le Moulin des supplices rend compte de son immense savoir-faire. Sa mise en scène exploite chaque recoin de son incroyable décor, tandis que la photographie signée Pier Ludovico Pavoni (Le Monstre aux yeux verts avec Michel Lemoine) réalisée en Eastmancolor, foudroie les yeux du début à la fin. Très inspiré par la peinture flamande, Giorgio Ferroni compose ainsi des tableaux, nappant ses plans d’un brouillard épais et d’un vent glacé. Jusqu’au dénouement où les flammes dévoilent les pires atrocités sur la musique lyrique de Carlo Innocenzi.

Au-delà de sa beauté graphique qui rappelle le travail du chef opérateur Jack Asher pour la Hammer, Le Moulin des supplices est encore un divertissement haut de gamme, mixant le film à enquête, la romance, le film fantastique avec l’ombre de Dracula qui plane une bonne partie du film, mais aussi le film d’épouvante. A ce titre, certaines séquences rappellent l’extraordinaire film de Georges Franju, Les Yeux sans visage, sorti la même année que Le Moulin des supplices. De là à dire que Giorgio Ferroni a dû découvrir vu ce chef d’oeuvre au moment où il tournait le sien il n’y a qu’un pas. Toutefois, Il Mulino delle donne di pietra, même si inspiré du mythique Masques de cire de Michael Curtiz (1933) et de son remake L’Homme au masque de cire (House of Wax) réalisé en 1953 et en relief stéréoscopique par André De Toth avec Vincent Price, Le Moulin des supplices trouve un ton qui lui est propre et crée alors un genre à part entière.

Co-production franco-italienne, le casting est composé de comédiens hexagonaux, Pierre Brice (l’inoubliable Apache Winnetou) et la mythique-sexy Dany Carrel, et d’acteurs italiens dont la sculpturale Scilla Gabel (Sodome et Gomorrhe de Robert Aldrich) et la rousse incendiaire Liana Orfei. Les allemands Herbert A.E. Böhme et Wolfgang Preiss (futur Dr. Mabuse) campent quant à eux le sculpteur Gregorius Wahl et le Dr Loren Bohlem. Un casting solide, des couleurs somptueuses, un rythme languissant et maîtrisé, des effets horrifiques percutants, Le Moulin des supplices est un carrousel sensoriel étourdissant.

LE BLU-RAY

Autant le dire d’emblée, oubliez l’édition DVD Neo Publishing et si vous êtes fans du Moulin des supplices, l’acquisition de cette édition collector, DVD + Blu-ray + Livre estampillée « Les chefs d’oeuvre du gothique » est évidemment indispensable. La beauté du Mediabook est évidente, en plus d’être douce au toucher, et l’objet trônera dans votre DVDthèque. Le menu principal est fixe et musical. Pas de chapitrage. Le film est présenté dans sa version intégrale non censurée.

Dans sa présentation de 43 minutes, l’historien du cinéma Alain Petit ne propose pas une analyse du Moulin des supplices, mais replace le film de Giorgio Ferroni dans l’histoire du cinéma d’exploitation italien. Du moins dans un premier temps. Moult titres de films sont donnés, le tout agrémenté d’affiches qui donnent sérieusement envie. Ensuite, l’invité d’Artus Films aborde la sortie du film avec ses différents montages selon les pays avec même deux versions italiennes qui diffèrent au niveau du son. Les scénaristes, les références, mais aussi le casting avec cette fois encore de nombreux titres évoqués, sans oublier la carrière du réalisateur, les décors, la musique, la photographie sont passés au crible durant cette présentation qui fait l’effet d’une petite masterclass privée.

Profitons-en pour dire que tous les propos d’Alain Petit sont tous repris dans le livret de 64 pages, signé par l’historien du cinéma lui-même, intitulé Le Moulin des femmes de pierre. Un superbe Mediabook constitué de photos et d’affiches, d’un retour sur la genèse du film, sur sa production, sur l’écriture du scénario, sur les différents montages, une bio/filmo consacrée à Giorgio Ferroni et bien d’autres éléments dont un retour complet sur les films d’horreur prenant pour décor un musée de cire.

Retournez ensuite aux bonus vidéo et sélectionnez l’interview de la comédienne Liana Orfei (25’30). Enfin avant d’être actrice, Lianna Orfei est avant tout artiste de cirque comme elle le rappelle au cours de cet entretien très sympathique dans lequel elle explique comment elle a été repérée par un agent (Federico Fellini était d’ailleurs de la partie) pour faire du cinéma. Après avoir parlé des conditions de tournage dans les studios de Cinecittà, du théâtre et de ses 56 films, Liana Orfei en vient plus précisément au Moulin des supplices, dont elle garde un beau souvenir, comme le tournage d’une scène (finalement coupée au montage) avec le très jeune Mario Girotti, qui allait devenir très célèbre sous le pseudo de Terence Hill. Parallèlement, l’historien du cinéma Fabio Melelli donne quelques indications sur le film de Giorgio Ferroni.

Pour illustrer certains propos d’Alain Petit, l’éditeur propose de découvrir quelques éléments alternatifs présents dans les montages italiens et américains, comme certains inserts réalisés dans la langue correspondante.

L’interactivité se clôt sur un diaporama et la bande-annonce (en anglais).

L’Image et le son

Voici la version intégrale du Moulin des supplices, proposée dans un master HD au format 1080p. Présenté dans son format respecté 1.66, le film de Giorgio Ferroni a été « reconstitué » à partir de sources diverses. Si les coutures de ce patchwork sont souvent visibles avec des sautes chromatiques, un piqué aléatoire et une gestion des contrastes parfois brinquebalante, le grain cinéma est doux, les scories limitées et la stabilité de mise. Reste maintenant la question que beaucoup de cinéphiles risquent de se poser, à savoir pourquoi Artus Films n’a pas décidé de proposer les trois différents montages existants du Moulin du supplice, plutôt que de nous imposer cette version qui rappellera à certains le seamless branching.

Trois versions sont proposées en LPCM mono ! Privilégiez forcément la langue italienne, la plus riche et dynamique du lot, même si la scène où Liselotte raconte sa rencontre avec Hans, uniquement disponible dans le montage français (pourtant amputé d’autres séquences), passe directement dans la langue de Molière, avec la véritable voix de Dany Carrel donc. Une séquence coupée en Italie probablement en raison de la présence d’automobiles visibles en arrière-plan dans les rues d’Amsterdam ! Signalons d’ailleurs que cette scène est probablement la plus mal définie du lot. Le doublage français est honnête, mais peu aidé par des craquements et un souffle parasite. Quant à la piste anglaise, elle est absolument à éviter.

Crédits images : © Armor Films / Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test DVD / Kit Carson, réalisé par George B. Seitz

KIT CARSON réalisé par George B. Seitz, disponible le 9 avril 2019 en DVD et Blu-ray chez ESC Editions / Movinside

Acteurs : Jon Hall, Lynn Bari, Dana Andrews, Harold Huber, Ward Bond, Renie Riano, Clayton Moore, Rowena Cook…

Scénario : George Bruce, Evelyn Wells

Photographie : John J. Mescall, Robert Pittack

Musique : Edward Ward

Durée : 1h32

Année de sortie : 1940

LE FILM

Poursuivis par les indiens, le trappeur Kit Carson et ses amis Ape et Lopez se replient sur Fort Bridger, dont le capitaine, John Fremont, leur propose aussitôt d’escorter une caravane en direction de la Californie, sur la piste de l’Oregon. Manipulés par les autorités mexicaines qui voudraient annexer la région, les guerriers de la tribu Shoshone se dressent contre eux…

C’est un petit western dont nous n’attentions pas forcément grand-chose. Pourtant, Kit Carson, réalisé en 1940 par George B. Seitz ne cesse d’étonner. D’une part parce que le film tient encore très bien la route avec un rythme vif et enlevé du début à la fin, d’autre part pour ses personnages très attachants et la modernité du jeu des comédiens, dont Jon Hall, qui interprète le rôle-titre. Une chose est sûre, c’est que derrière son apparence rétro-vintage, Kit Carson ne fait sûrement pas son âge (près de 80 ans !) et demeure un divertissement haut de gamme doublé d’une analyse historique sur la naissance des Etats-Unis, basée sur un très bon scénario de George Bruce, auteur de L’Homme au masque de fer de James Whale (1939).

Kit Carson et ses hommes se joignent à John C. Fremont sur la route qui le conduit en Californie. En chemin, ils sont attaqués par des Indiens, les Shoshones, armés de fusils et envoyés par les autorités mexicaines, peu désireuses de les voir atteindre la Californie qui fait alors partie du Mexique. Frémont et Carson mènent ensuite une campagne, au nom des Etats-Unis, visant à annexer la Californie.

Christopher Houston Carson (1809-1868) alias Kit Carson, est une figure mythique de la construction des Etats-Unis. Eclaireur, militaire et agent des affaires indiennes, inscrit au panthéon du Far West et donc pionnier de la Conquête de l’Ouest américain, cet ancien fermier puis trappeur décide de partir à l’aventure à l’âge de 16 ans pour découvrir le continent. Son sens aiguisé de l’environnement lui vaut d’être repéré par l’armée où il devient Colonel durant la guerre américano-mexicaine, alors que le Gouverneur de Californie souhaite s’asseoir sur le trône des Aztèques et devenir empereur du Mexique.

Les péripéties, les affrontements, les scènes d’action, les embuscades s’enchaînent dans Kit Carson, sans oublier un triangle amoureux pour plaire aux dames. En dépit d’un budget modeste, ce western de série B a franchement de la gueule. La photographie du chef opérateur John J. Mescall, qui aura signé les sublimes images du Secret magnifique version 1935, mais aussi celles de L’Homme invisible et de La Fiancée de Frankenstein de James Whale, est vraiment superbe, tandis que le cadre de George B. Seitz- réalisateur du Dernier des Mohicans et du formidable Tarzan s’évade, même si non crédité au profit de Richard Thorpe, en 1936 – capture la magnificence des paysages naturels et de Monument Valley en particulier. Pas de format large certes (rappelons que nous sommes à la fin des années 1930), mais les scènes d’encerclement et de convois attaqués par les indiens témoignent d’un vrai sens de la mise en scène.

Complètement méconnu, Jon Hall prête ses traits à une icône américaine. Découvert dans Pago-Pago, île enchantée, il accède ici au rang de vedette à l’âge de 25 ans et son charisme très moderne étonne encore aujourd’hui. Par la suite, il tiendra l’affiche de quelques séries B d’aventures aux titres explicites Aloma, princesse des îles ou bien encore The Tuttles of Tahiti, avant d’être véritablement consacré avec les formidables La Vengeance de l’Homme Invisible et L’Agent invisible contre la gestapo. Un comédien fort sympathique et à reconsidérer, qui sort ici quelques punchlines du style « Maintenant je sais que la différence entre un soldat et une mule, c’est l’uniforme » avec une légèreté et un humour contagieux.

Kit Carson se regarde comme on lit un roman d’aventures à la couverture aussi excitante que son contenu, porté par une composition endiablée d’Edward Ward, qui a conservé beaucoup de charme.

LE DVD

Inédit dans nos contrées, Kit Carson atterrit dans les bacs sous la houlette d’ESC Editions/Movinside. Le test du DVD a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical.

Le premier supplément de cette édition est avant tout réservé aux cinéphiles doublés de férus d’histoire. En effet, IAC, peintre en Art Western et romancier propose un portrait très complet et bourré d’informations sur le véritable Kit Carson (11’30). L’invité d’ESC n’évoque pas le film de George B. Seitz, mais situe le personnage dans son contexte historique, afin de mieux appréhender l’adaptation au cinéma en 1940.

Ensuite, le critique cinéma Vincent Jourdan, auteur de Voyage dans le cinéma de Sergio Corbucci (éditions LettMotif), propose quant à lui un vrai retour sur Kit Carson (24’30). La situation du western à la fin des années 1930, le casting du film, la carrière du producteur Edward Small, les thèmes, les intentions du réalisateur, le tournage à Monument Valley et bien d’autres sujets sont abordés au cours de ce segment très informatif.

L’Image et le son

L’image comporte de très nombreux défauts. C’est le moins qu’on puisse dire. Le master 1.33 est constellé de tâches, de points blancs, de rayures verticales, de fils en bord de cadre. Malgré cela, l’image est étonnamment stable. Cela rajoute un cachet « curiosité » (pour ne pas dire un aspect VHS – Cinéma de minuit) à Kit Carson, dont la copie reste lumineuse, sans doute trop parfois. Notons que l’ensemble est également trop lisse pour être honnête et que la gestion des contrastes est aléatoire.

La version originale est la seule piste disponible sur cette édition. Les dialogues, tout comme la musique, sont dynamiques et le confort acoustique très appréciable, même si un souffle se fait entendre du début à la fin. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © ESC Distribution / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Guillaume Tell, réalisé par Michel Dickoff & Karl Hartl

GUILLAUME TELL (Wilhelm Tell) réalisé par Michel Dickoff & Karl Hartl, disponible le 23 avril 2019 en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre chez Artus Films

Acteurs : Robert Freitag, Alfred Schlageter, Heinz Woester, Hannes Schmidhauser, Leopold Biberti, Maria Becker, Georges Weiss, Zarli Carigiet, Birke Bruck…

Scénario : Max Frisch, Michel Dickoff, Karl Hartl, Luise Kaelin, Friedrich Schiller, Hannes Schmidhauser

Photographie : Hans Schneeberger

Musique : Hans Haug

Durée : 1h36

Année de sortie : 1961

LE FILM

À la fin du XIIIème siècle, le bailli Gessler, aux ordres des Habsbourg et du Saint Empire Romain Germanique, impose sa tyrannie aux habitants des cantons de Schwyz et Uri. Les paysans doivent payer de plus en plus d’impôts et subir les humiliations des gardes. Guillaume Tell va prendre la tête de la révolte et libérer le peuple du joug des oppresseurs.

Une superproduction suisse ça existe ? Bah oui ! Au-delà des Alpes, la légende de Guillaume Tell se perpétue à travers les arts depuis la fin du Moyen Age. La littérature, la peinture, l’opéra (Rossini), le théâtre puis le cinéma (Georges Méliès s’en était déjà inspiré en 1898) se sont emparés du célèbre arbalétrier, souvent relégué au second plan comme un ersatz de Robin des Bois auquel on ne peut évidemment s’empêcher de penser, aussi bien dans sa représentation que dans la mission qu’il s’est donnée. Guillaume Tell aka Wilhelm Tell en allemand, est considéré comme le film le plus fidèle à l’histoire du héros des mythes fondateurs de la Suisse, même si son authenticité demeure controversée. N’attendez évidemment pas une reconstitution historique, mais une fort sympathique illustration du folklore qui a nourri cette icône devenue mondialement célèbre.

Deux réalisateurs sont à la tête de Guillaume Tell, Michel Dickoff et Karl Hartl. S’il s’agit pour le premier de sa quasi-unique incursion dans le monde du cinéma, le second aura oeuvré en tant que metteur en scène et scénariste sur une trentaine de longs métrages, dont les plus célèbres restent probablement On a arrêté Sherlock Holmes en 1937 et un biopic sur Mozart, où Oskar Werner interprétait le compositeur en 1955. Sur Guillaume Tell, il est surtout crédité en tant que superviseur, même s’il est évident qu’il a également mis la main à la pâte pour toutes les séquences qui nécessitaient des effets visuels directs, comme sur les scènes de tempête. Tourné dans de splendides paysages naturels, Guillaume Tell est un film à mi-chemin entre la naïveté à la Sissi et l’aventure en collant des films de cape et d’épée qui fleurissaient en Europe, avec une petite touche paillarde puisque les hommes y ripaillent autant qu’ils se gaussent.

Les deux cinéastes exposent d’emblée les lieux de l’action et chaque plan s’apparente à des cartes postales avec un ciel bleu azur, des étendues d’herbe à perte de vue, des montages au sommet enneigé, des cours d’eau luminescente. Nous noterons également le soin apporté aux costumes, même s’ils paraissent évidemment trop propres et brillants, tout comme les cheveux des comédiens qui semblent avoir été passés à la brillantine avant chaque prise. Il n’empêche que ce Guillaume Tell n’a rien perdu de son souffle et reste un divertissement bien mené. Certaines séquences étonnent par leur violence, toutes proportions gardées puisque les actes n’apparaissent pas à l’écran, mais suffisamment suggérées pour qu’elles fassent leur effet comme la tentative de viol en début de film, le meurtre à la hache et plus tard le vieil homme qui se fait passer les yeux au fer rouge.

Finalement, le personnage de Guillaume Tell, interprété ici par un certain Robert Freitag, vu dans La Grande évasion de John Sturges, n’apparaît pas tant que ça sur près d’1h40, d’ailleurs il faut attendre près de 25 minutes pour qu’il fasse sa première apparition à l’écran. Certes, les passages obligés sont présents, dont celui de la pomme posée sur la tête du fils du héros alors condamné à tirer un carreau d’arbalète dans le fruit sous peine d’être tué avec sa progéniture, mais les deux cinéastes ont surtout voulu broder autour, en mettant en relief le soulèvement du peuple et sa cause. Les archétypes sont présents avec la femme attendant son mari au chalet avec ses deux enfants, et surtout le suintant ennemi prêt à tout pour étendre son pouvoir au détriment de la liberté et du bien-être des habitants.

On suit donc volontiers les aventures de ce Guillaume Tell, héros légendaire qui s’en va défendre le peuple de l’oppression des Habsbourg, et contribuer à la naissance de la Confédération Helvétique avec le pacte du Grütli.

LE BLU-RAY

Artus Films a mis les petits plats dans les grands pour Guillaume Tell, film alors complètement oublié ! Autant dire que le pari est osé de proposer l’oeuvre de Michel Dickoff et Karl Hartl dans une édition Mediabook, qui se compose du Blu-ray et du DVD, ainsi que d’un livre de 80 pages (Guillaume Tell, de l’Histoire à la légende) rédigé par David L’Epée. Vous y trouverez de fabuleux visuels, photos et affiches, mais aussi et surtout un retour exhaustif sur le contexte historique de la légende de Guillaume Tell, un entretien avec Félicien Monnier (juriste et capitaine de l’armée suisse), et tout un tas de sous-parties très détaillées sur la Suisse primitive des Waldstätten, les Habsbourg et leurs baillis, le pacte de 1291, mais aussi Guillaume Tell dans la littérature et au cinéma. Un supplément de choix et érudit. Le menu principal des disques est fixe et musical.

En ce qui concerne les bonus vidéo, nous trouvons un montage constitué d’images de tournage. Si elle ne dépasse pas les 90 secondes, il s’agit d’un petit trésor puisqu’on y voit comment l’équipe s’y prenait pour créer les scènes de tempête !

L’éditeur joint également un diaporama, ainsi que les bandes-annonces anglaise et allemande.

L’Image et le son

Le catalogue d’Artus Films s’enrichit ainsi avec cette édition de Guillaume Tell, présentée sous le blason « Histoire & légendes d’Europe » et qui se revêt d’un très beau master HD restauré. La photo et les partis pris esthétiques originaux sont superbement conservés, les contrastes certes un peu légers, mais les couleurs pastelles sont resplendissantes et lumineuses (explosions des teintes bleues, rouges et vertes), avec un générique qui affiche d’emblée une stabilité bienvenue. La définition ne déçoit jamais (à part un ou deux plans et des décrochages sur les fondus enchaînés), les poussières n’ont pas survécu au lifting numérique, les scènes sombres et nocturnes (aux noirs un peu bleutés) sont logées à la même enseigne que les séquences diurnes, la profondeur de champ est appréciable, le grain cinéma est conservé, et le piqué demeure vraiment agréable. Notons que les credits sont en français et que les sous-titres ne sont pas imposés.

L’éditeur nous propose ici seulement les versions suisse-allemande et française. Les mixages s’avèrent propres, dynamiques, et restituent solidement les voix, fluides, sans souffle. Le confort acoustique est largement assuré dans les deux cas avec d’impressionnantes envolées musicales sur la piste originale, qui comprend tout de même de sensibles craquements, mais rien de bien méchant. Si les effets semblent parfois artificiels, la piste suisse-allemande est plus riche que la version française, plus pincée. Un petit salut amical à Patrick Lang, qui s’est occupé ici de la traduction allemande !

Crédits images : © Artus Films / ESC Distribution / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Carmen Jones, réalisé par Otto Preminger

CARMEN JONES réalisé par Otto Preminger disponible en édition DVD et Blu-ray le 19 mars 2019 chez ESC Editions/Movinside

Acteurs : Dorothy Dandridge, Harry Belafonte, Olga James, Pearl Bailey, Joe Adams, Nick Stewart, Brock Peters, Roy Glenn…

Scénario : Harry Kleiner d’après le roman de Prosper Mérimée et l’opéra de Georges Bizet

Photographie : Sam Leavitt

Musique : Georges Bizet

Durée : 1h45

Date de sortie initiale : 1954

LE FILM

Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le Sud des Etats-Unis, au milieu d’un camp militaire, la jolie Carmen Jones aux mœurs légères fait tourner les têtes des soldats, provoquant des rivalités jalouses. Joe se laisse séduire, abandonne sa gentille fiancée pour la sulfureuse Carmen et devient déserteur. Il est mis en prison mais Carmen accepte d’attendre sa sortie pour qu’ils continuent de filer leur parfait amour…

Débarqué à Hollywood en 1935 grâce au président de la 20th Century Fox Joseph Schenck qui cherchait alors de nouveaux talents en Europe, le cinéaste autrichien Otto Ludwig Preminger (1905-1986) en est déjà à son sixième film américain quand il réalise Laura en 1945. Cette adaptation au cinéma du roman policier éponyme de Vera Caspary demeure une référence du film noir et psychologique. Après moult rebondissements durant la longue phase de production – de violents conflits avec le producteur Darryl F. Zanuck – qui a vu défiler de nombreux réalisateurs tels que John Brahm, Lewis Milestone, Rouben Mamoulian (remplacé après que les rushes aient été jugées catastrophiques par Zanuck), les rênes de Laura reviennent dans les mains d’Otto Preminger. Pour la première fois de sa carrière hollywoodienne, le metteur en scène impose enfin ses idées, reprend le tournage à zéro et met les plans tournés par Rouben Mamoulian au pilon. Le reste appartient à la légende. Otto Preminger enchaîne alors les projets, tournant parfois deux films par an. Suivront Scandale à la cour, La Dame au manteau d’hermine, L’Éventail de Lady Windermere, Mark Dixon, détective, Un si doux visage, La Lune était bleue et Rivière sans retour avec Robert Mitchum et Marilyn Monroe. Un palmarès exceptionnel. En 1954, le cinéaste décide de transposer à l’écran la comédie musicale Carmen Jones d’Oscar Hammerstein (La Mélodie du bonheur), immense succès de Broadway en 1943, qui reprend notamment l’opéra Carmen de Georges Bizet, lui-même inspiré par la nouvelle éponyme de Prosper Mérimée. Carmen Jones, immense réussite du genre, déplace l’intrigue originale dans un contexte afro-américain. Par ailleurs, ce drame musical est aussi et surtout l’un des rares films de l’âge d’or d’Hollywood à n’être composé que de comédiens noirs, d’autant plus produit par un grand studio. Pour les très nombreux aficionados, il s’agit également du premier générique conçu par l’immense Saul Bass. Carmen Jones est depuis passé à la postérité, au même titre que l’adaptation de Francesco Rosi, qui inscrira l’opéra de Bizet dans un réalisme andalou en 1984.

Jacksonville durant la Seconde Guerre mondiale. Cindy Lou vient rendre visite à son fiancé Joe, caporal affecté à la base militaire de Jacksonville. Au réfectoire, la volcanique Carmen Jones, employée au pliage des parachutes dans une usine d’armement, provoque Joe, puis se bat avec une autre ouvrière. Joe est alors chargé de conduire Carmen Jones à la prison située loin de la base. Elle le séduit en route mais la jeep s’embourbe et le couple fait halte au village natal de Carmen…

Carmen Jones, c’est avant tout Dorothy Dandridge (1922-1965) qui embrase l’écran. Actrice et chanteuse américaine, elle demeure la première comédienne afro-américaine à s’être imposée à Hollywood. Depuis le début des années 1940, elle multiplie ses apparitions au cinéma. Vue entre autres dans Crépuscule de Henry Hathaway, elle donne la réplique à Harry Belafonte dans Bright Road de Gerald Mayer. Fort de ce succès et de l’osmose entre les deux partenaires, Otto Preminger décide de les réunir dans Carmen Jones. Grâce à ce film, à son incroyable et éblouissante prestation, Dorothy Dandrige devient une véritable star et obtient une nomination aux Oscars en 1955, même si, comme son partenaire, elle est entièrement doublée dans la partie chantée du film par la cantatrice Marilyn Horne. Malheureusement, sa carrière restera marquée par de multiples problèmes personnels et professionnels. Elle meurt à l’âge de 42 ans seulement.

Produit par Darryl F. Zanuck et la Fox, après le désistement des Artistes Associés, Carmen Jones, adaptation unique de l’opéra-comique en quatre actes de Bizet, sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, est symbolique de la rigueur du metteur en scène Otto Preminger, qui pour l’occasion adopte le format Cinémascope pour la seconde fois de sa carrière après Rivière sans retour et use d’un technicolor flamboyant. Le scénario d’Harry Kleiner, auteur du futur Bullitt, convoque l’âme et l’esprit du matériel de base, tout en s’inscrivant dans son époque, celle de l’Amérique de la Ségrégation. Si le film est un immense succès à sa sortie, il sera interdit en France jusqu’au début des années 1980 en raison d’un procès intenté (et remporté) par les héritiers des deux librettistes, qui accusaient la production d’avoir détourné l’oeuvre originale.

Carmen Jones est une œuvre provocante et très sexuelle, chose alors impensable en raison du tristement célèbre Code Hays, et animé par une énergie aussi rageuse que contagieuse encore aujourd’hui. Un chef d’oeuvre récompensé par le Léopard d’or au Festival de Locarno et l’Ours de bronze au Festival de Berlin.

LE BLU-RAY

La collection Hollywood Legends Premium s’agrandit chez ESC Editions / Movinside avec cette sortie tant attendue de Carmen Jones en Haute-Définition ! Le disque repose dans un boîtier classique de couleur noire, glissé dans un surétui cartonné du plus bel effet. Le menu principal est animé et musical.

Carmen Jones, est présenté par Antoine Sire (26’). L’auteur de Hollywood, la cité des femmes (éditions Institut Lumière / Acte Sud) propose une analyse brillante et éclairée du film d’Otto Preminger. Le fond et la forme sont croisés sur un rythme soutenu, le casting est passé au peigne fin. La carrière du cinéaste est également abordée et Carmen Jones située dans sa filmographie. Fourmillant d’informations et d’anecdotes de production, Antoine Sire part un peu dans tous les sens, mais on ne pourra pas lui reprocher la passion contagieuse avec laquelle il évoque ce chef d’oeuvre. Cet entretien s’avère riche, spontané et passionnant.

L’Image et le son

Film rare, Carmen Jones faisait partie des titres les plus attendus en Haute Définition et tous les espoirs sont comblés. Avec ce nouveau master HD, cette édition en Blu-ray du film d’Otto Preminger est un véritable feu d’artifice pour les yeux, surtout avec ce cadre incroyable 2,55/1, même si la jaquette indique 2,35/1. Ce qui frappe d’emblée, c’est la richesse de la colorimétrie, ses teintes chatoyantes, la densité des contrastes et des noirs, le maintien affermi des gammes chromatiques, la luminosité, le relief et la profondeur de champ. Les détails abondent, même si parfois adoucis voire flous en raisons du format CinémaScope (l’entrée de Lou au moment du match de boxe) , mais le piqué est étonnant. Ce transfert immaculé porté par une épatante compression AVC et le lifting numérique a encore fait des miracles (aucune poussière n’a survécu) tout en respectant les partis pris esthétiques d’origine et la photo suprêmement élégante du chef opérateur Sam Leavitt (La Chaîne, Le Kimono pourpre).

Deux mixages anglais au choix, LPCM 2.0 ou Dolby Digital 5.1. Quitte à choisir, sélectionnez la première option, plus homogène et détaillée, mais aussi fort convaincante sur les parties chantées. L’alternative DD 5.1 est beaucoup plus anecdotique, surtout sans HD, d’autant plus qu’elle n’évite pas certaines saturations. Certes, la spatialisation est convaincante et permet de jouer avec son installation acoustique, mais le mixage Stéréo est amplement suffisant. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © 20th Century Fox / ESC Editions / ESC Distribution / Movinside / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Une hache pour la lune de miel, réalisé par Mario Bava

UNE HACHE POUR LA LUNE DE MIEL (Il Rosso segno della follia) réalisé par Mario Bava disponible en édition DVD+Blu-ray+Livret le 9 avril 2019 chez ESC Editions

Acteurs : Stephen Forsyth, Dagman Lassander, Laura Betti, Femi Benussi, Jesús Puente, Luciano Pigozzi, Antonia Mas, Gérard Tichy, Verónica Llimerá…

Scénario : Santiago Moncada, Mario Musy, Mario Bava

Photographie : Mario Bava

Musique : Sante Maria Romitelli

Durée : 1h28

Date de sortie initiale : 1968

LE FILM

En reprenant une maison de couture au bord de la faillite laissée par sa mère, John Harrington est à nouveau hanté par son pire cauchemar. Suite à un traumatisme lié à son enfance dont il n’a plus du tout le souvenir, il est désormais incapable de contrôler les pulsions qui le poussent à vouloir tuer des jeunes femmes vêtues de robes de mariée…

Une femme ne devrait vivre que jusqu’à sa nuit de noces…

Une hache pour la lune de mielIl Rosso segno della follia, également connu sous le titre français opportuniste et ridicule de La Baie sanglante 2 (alors que le premier sera tourné après) ou bien encore Meurtres à la hache pour son exploitation en VHS dans les années 1980, n’est pas l’oeuvre la plus célèbre ou la plus représentative du cinéma de Mario Bava. Pourtant, ce film apparaît comme un condensé de ses précédents longs métrages, tout en annonçant ceux qui suivront, puisqu’il est question ici de meurtres, de psychologie dérangée et de traumatisme. Le cinéaste s’auto-cite en diffusant un extrait de son segment des Trois visages de la peur, mais on pense également à Six femmes pour l’assassin pour le milieu que Mario Bava dépeint (celui de la couture), tout en s’inspirant du cinéma d’Alfred Hitchcock avec évidemment Psychose en ligne de mire. Le spectre de Norman Bates est bel et bien présent dans Une hache pour la lune de miel. Le maestro adopte le point de vue de son personnage principal, ce qui place le spectateur en tant que premier témoin de ses agissements. Véritable tour de force, Il Rosso segno della follia déroule son récit à travers les yeux du meurtrier, tout en plongeant l’audience dans une psyché perturbée où les repères se brouillent et s’effondrent jusqu’à l’implosion.

« Mon nom est John, j’ai 35 ans… Je suis paranoïaque. Non, en fait je suis complètement fou. J’ai tué 5 belles jeunes femmes, dont 3 sont enterrées dans la serre, et personne ne me suspecte d’être un dangereux meurtrier. Cela m’amuse… », annonce nonchalamment le jeune, beau et riche John Harrington. Ce dernier est le directeur d’une maison de couture spécialisée dans les robes de mariée. Schizophrène, hanté par le spectre de sa mère castratrice morte de sa nuit de noces, et ses pulsions meurtrières le poussent à tuer les jeunes mariées avec un hachoir. Marié à une femme qu’il exècre, Mildred (Laura Betti, qui reviendra dans La Baie sanglante), il tombe amoureux d’un nouveau mannequin, Helen, fraîchement arrivé dans son entreprise matrimoniale. Alors qu’il continue à assassiner, la police se rapproche doucement de lui.

A la fin des années 1960, Mario Bava est comme qui dirait à un tournant de sa carrière. Agé de 54 ans au moment où le producteur espagnol Manuel Caño lui propose le scénario de Une hache pour la lune de miel, le réalisateur qui sort alors du coûteux Danger : Diabolik ! souhaite retrouver un film au budget modeste et certains de ses thèmes de prédilection. Cependant, le film déjoue les attentes dans le sens où le sang et autres effets gore sont ici absents. Une hache pour la lune de miel privilégie l’angoisse et la violence, la plupart du temps hors-champ. Quand le personnage use de son hachoir, nul plan sur la lame pénétrant la chair, où de membres sectionnés. Mario Bava laisse l’imagination du spectateur faire son travail et le résultat est aussi efficace.

Une hache pour la lune de miel est une autopsie des pulsions qui poussent un homme bien sous tous rapports à commettre les actes les plus abominables. On pense alors au célèbre Patrick Bateman inventé par Bret Easton Ellis, personnage principal et le narrateur du roman American Psycho. A ce titre, l’acteur Stephen Forsyth, dont c’est ici la dernière apparition au cinéma avant de se consacrer à la musique, est un choix idéal. Son visage figé qui renvoie aux mannequins de plastique qui environnent John Harrington dans son antre secrète, dissimule en réalité un être complètement fou et instable.

Tourné entre Barcelone, Paris et Rome, Il Rosso segno della follia agit comme une ronde étourdissante qui fait perdre pied et qui donne le vertige. Mario Bava, également directeur de la, photographie, joue également sur les distorsions de l’image – entre anamorphoses et zooms – et les sons – excellente bande originale de Sante Maria Romitelli – qui s’imbriquent. Le cinéaste démontre qu’il pouvait donc créer l’effroi et l’épouvante (avec un humour noir à froid) sans avoir recours à l’hémoglobine, uniquement par le biais de sa mise en scène, toujours stylisée, en tout point saisissante.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray d’Une hache pour la lune de miel, disponible chez ESC Editions, a été réalisé à partir d’un check disc. Le menu principal est animé et musical. Le film de Mario Bava avait disposé d’une édition en DVD (aujourd’hui épuisée) chez One Plus One en 2002. Edition collector limitée à 2 500 exemplaires. Nous trouvons également un livret de 16 pages écrit par Marc Toullec.

Sur Homepopcorn.fr, nous sommes fans de monsieur Jean-François Rauger. C’est avec un immense plaisir que nous le retrouvons ici pour une présentation d’Une hache pour la lune de miel (25’). Le directeur de la programmation à la Cinémathèque Française replace le film qui nous intéresse dans la carrière de Mario Bava. Puis, Jean-François Rauger aborde tous les aspects de cette production méconnue du maître italien, en parlant du scénario, du casting, des influences, des thèmes du film, des motifs récurrents, des partis pris et des intentions du réalisateur. Une analyse complète et pertinente.

Du coup, l’intervention de Jean-Pierre Bouyxou apparaît bien redondante, même si très sympathique (8’). Le journaliste cinéma, critique et réalisateur français encense plutôt la splendeur visuelle d’Une hache pour la lune de miel et aborde les aspects formels de ce « film singulier, anti-gore et tout en retenue ».

L’Image et le son

La première et la dernière bobine sont les plus abîmées de ce nouveau master HD. Les points, griffures, poussières, fils en bord de cadre et tâches diverses sont légion et parsèment l’écran. Heureusement, cela s’apaise durant la quasi-intégralité du long métrage, même si certaines scories demeurent. Les couleurs – si importantes chez Mario Bava – retrouvent une certaine fraîcheur, tout comme les contrastes, étonnamment denses à plusieurs reprises. Le piqué est agréable, le relief des matières est palpable et les décors baroques ne manquent pas de détails, y compris sur les séquences sombres. La texture argentique est idéalement préservée et surtout excellemment gérée.

Trois mixages au choix ! Optez pour la version anglaise, langue officielle du tournage (même si tout a été repris en post-synchronisation), dont le confort acoustique est le plus équilibré du lot, en dépit d’un léger chuintement et de craquements parasites. La piste française est la plus faible avec des dialogues lointains, tandis que la version italienne paraît artificielle avec son rendu trop élevé des dialogues.

Crédits images : © ESC Editions / ESC Distribution / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr