Test Blu-ray / Salon Kitty, réalisé par Tinto Brass

SALON KITTY réalisé par Tinto Brass, disponible en Blu-ray le 16 janvier 2024 chez Sidonis Calysta.

Acteurs : Helmut Berger, Ingrid Thulin, Teresa Ann Savoy, John Steiner, Sara Sperati, John Ireland, Tina Aumont, Stefano Satta Flores, Paola Senatore…

Scénario : Ennio De Concini, Maria Pia Fusco & Tinto Brass, d’après le roman de Peter Norden

Photographie : Silvano Ippoliti

Musique : Fiorenzo Carpi

Durée : 2h09

Date de sortie initiale : 1976

LE FILM

Berlin 1939. L’officier SS Wallenberg est chargé de sélectionner et de former de très jolies jeunes femmes allemandes afin de pourvoir le célèbre Salon de « Madame Kitty ». Ces nymphes nazi sont soumises aux passions et pratiques dégradantes des officiers de hauts rangs du Reich. Wallenberg constitue des dossiers sur chacun d’entre eux. Mais lorsqu’une innocente et jeune prostituée découvre les manoeuvres de Wallenberg, sa vengeance mettra le feu à cet holocauste de dépravation.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que près de cinquante ans après sa sortie, Salon Kitty (ou Les Damnées du Troisième Reich, ou bien encore Les Nuits chaudes de Berlin, voire même aussi Madame Kitty) n’a rien perdu de sa force dévastatrice et que le neuvième long-métrage de Tinto Brass n’a pas fini d’en choquer plus d’un. Tant mieux. Spectacle grandiose déconseillé aux âmes sensibles et à ne pas mettre devant tous les yeux, Salon Kitty est le premier volet d’une trilogie du réalisateur consacrée au pouvoir. Entre Portier de nuit Il portiere di notte de Liliana Cavani (sorti deux ans auparavant), Les Damnés La caduta degli dei de Luchino Visconti (dont il reprend d’ailleurs deux des acteurs principaux, Helmut Berger et Ingrid Thullin) et Salò ou les 120 Journées de Sodome Salò o le centoventi giornate di Sodoma de Pier Paolo Pasolini, Salon Kitty met en lumière la vulgarité, la violence, la connerie, la dégénérescence, la décadence du Troisième Reich, en misant justement sur le jusqu’au-boutisme, sur le fond comme sur la forme. Sommet dans la carrière riche et prolifique de son auteur, Salon Kitty met les nerfs à rude épreuve, joue forcément avec le voyeurisme du spectateur, que le cinéaste ne caresse pas dans le sens du pubis, le place comme témoin volontaire des agissements de personnages psychotiques, débauchés et pervertis. Il s’agit non seulement d’une véritable expérience de cinéma, mais aussi et clairement d’un des plus grands films des années 1970. Ni plus ni moins.

Quelques mois après le début de la Seconde Guerre mondiale, le Troisième Reich reprend en mains le plus luxueux des bordels berlinois, le Salon Kitty, dont la vocation n’est plus uniquement de pourvoir aux fantasmes de sa clientèle, mais de l’espionner, de lui soutirer des confidences. Surtout lorsqu’il s’agit de dignitaires étrangers, d’hommes d’affaires et d’officiers allemands. En 1940, l’intergruppenführer Wallenberg expulse les pensionnaires du Salon Kitty, le plus luxueux des bordels de Berlin. Il les remplace par des jeunes filles réputées pour leur fanatisme à la cause nazie. Chaque pièce est truffée de micros et d’appareils enregistreurs. La clientèle se compose de hauts dignitaires du parti, d’officiers supérieurs, de diplomates ou d’hommes d’affaires. Margherita, adolescente d’origine bourgeoise, est la pensionnaire préférée de Wallenberg. Il aime l’humilier et entretient avec elle des rapports ambigus et malsains. Margherita tombe amoureuse du capitaine Hans, qui ne cache pas son hostilité aux maîtres du IIIéme Reich. Les tables d’écoute enregistrent la conversation et des représailles sont prises contre Hans.

On ressort littéralement lessivé de Salon Kitty, d’une part en raison de la multiplication de séquences chocs (quiconque a vu le film se souviendra à vie de la scène des cellules avec les freaks, où les fans de nazisploitation reconnaîtront Salvatore Baccaro, vu dans Hôtel du plaisir pour SS et Holocauste nazi – Armes secrètes du IIIe Reich), d’autre part pour la mise à contribution de tous les sens des spectateurs, qui en prennent plein les yeux, les oreilles, l’âme, l’estomac, le coeur et les méninges. Si le projet d’adaptation du roman de Peter Norden, Espionnage sur l’oreiller (1971) lui a été apporté, Tinto Brass (après un projet avorté sur les Borgia) y a vu de quoi puiser la matière pour aborder le thème du pouvoir qu’il désirait disséquer à travers quelques films. Il collabore sur le scénario avec (entre autres) Ennio De Concini (Les Quatre de l’apocalypse, La Fille qui en savait trop, Divorce à l’italienne, Le Masque du démon) et s’empare entièrement de ce sujet pour explorer la notion du pouvoir comme il le souhaitait, mais aussi et surtout en espérant retrouver les faveurs du public après les deux échecs consécutifs de Dropout et La Vacanza, tous les deux avec Franco Nero et Vanessa Redgrave.

Non seulement Tinto Brass va frapper très fort avec Salon Kitty, mais son film connaîtra un succès retentissant à travers le monde (sauf en Allemagne, ça se comprend), des démêlés avec la censure et même avec son producteur qui n’hésitera pas à remonter (dans le sens couper quelques scènes) le long-métrage sans le consentement du réalisateur, ceci afin d’espérer une exploitation encore plus conséquente. Salon Kitty est donc la réunion à l’écran d’Helmut Berger, hallucinant dans la peau du sadique Helmut Wallenberg, et la suédoise Ingrid Thulin (juste après l’étonnant La Cage de Pierre Granier-Deferre), même si la grande révélation de Salon Kitty demeure incontestablement la sublime Teresa Ann Savoy. La britannique – que l’on retrouvera d’ailleurs dans Caligula du même Tinto Brass – incarne l’inoubliable Margherita, tout d’abord secondaire, qui se révèle petit à petit dans la deuxième partie, au point de devenir l’un des personnages principaux et centraux du récit dans le troisième acte. Margherita annonce quelque part la Rachel Stein / Ellis de Vries jouée par Carice Van Houten dans Black Book (2006) de Paul Verhoeven, chez qui l’on retrouve la même fascination pour la femme qui n’hésite pas à utiliser son corps comme moyen pour arriver à ses fins.

Autre visage reconnaissable dans cette distribution foisonnante, celui de John Steiner (Ténèbres de Dario Argento, Les Héros de l’apocalypse d’Antonio Margheriti, Nous sommes tous en liberté provisoire de Damiano Damiani), de John Ireland (Incubus, Le Continent oublié, Zenabel, La Chute de l’empire romain), de Stefano Satta Flores (Nous nous sommes tant aimés, La Terrasse), de Luciano Rossi (Les Tortionnaires du camp d’amour, Deux Super-flics, La Mort marche en talons hauts) et bien d’autres. Un casting de gueules, où les acteurs y vont à fond dans ce ballet frappadingue, magnifiquement mis en scène et surtout photographié par Silvano Ippoliti, chef opérateur avec lequel Tinto Brass collaborera à plusieurs reprises (La Clé, Miranda) et qui signera aussi l’image du Grand SilenceIl Grande Silenzio de Sergio Corbucci. L’un des gros atouts de Salon Kitty reste également les décors ahurissants, oscillant entre l’Art nouveau et l’Art déco, créés par l’un des plus grands directeurs artistiques du septième art, Ken Adam, célèbre pour son boulot sur la saga James Bond (de Dr No à Moonraker), qui sortait épuisé du tournage de Barry Lyndon de Stanley Kubrick et qui devait retrouver l’inspiration avec Salon Kitty grâce à l’énergie contagieuse de Tinto Brass.

Merveille visuelle à laquelle il est difficile de ne pas succomber et ce même si les partis pris esthétiques contrastent avec l’horreur et l’ignominie qui sont dépeints durant plus de deux heures, Salon Kitty s’avère au final une œuvre féministe (comme souvent chez le cinéaste), où les femmes prennent ici leur destin en main, en luttant contre un nazi arriviste (qui pense avant tout à ses intérêts personnels, en rejetant l’idéologie du parti qui l’a mené en haut de l’échelle), en s’unissant pour un « monde meilleur » où mieux vaut baiser que faire la guerre. Tinto Brass ou le baba-couilles du cinéma italien.

LE BLU-RAY

Après Miranda et La Clé, Sidonis Calysta continue sur sa lancée et présente deux nouveaux films de Tinto Brass en Haute-Définition, Salon Kitty et Monella – Lola la frivole. L’édition Blu-ray de Salon Kitty (anciennement dispo en DVD chez Grenadine, puis chez Tiffany) contient également un livre écrit par Olivier Père, directeur cinéma ARTE France (60 pages). Le menu principal est animé et musical.

Après le film, nous vous conseillons d’écouter l’intervention de l’indispensable Jean-François Rauger (20’). Tout, tout, tout, vous saurez tout sur (le zizi, mais pas seulement) Salon Kitty, « extrêmement important dans la carrière de Tinto Brass, un sommet, un tournant subversif, pop, transgressif ». Point par point, longuement, posément, le critique et directeur de la programmation à la Cinémathèque française revient sur les démêlés du cinéaste avec la censure, le thème du pouvoir, le projet avorté sur les Borgia, l’adaptation du livre Peter Norden, le travail avec le scénariste Ennio De Concini et le chef décorateur Ken Adam, le casting, l’inspiration picturale, la représentation « carnavalesque » du monde nazi (« la première fois qu’on le montre sous cette forme »), l’importance des personnages féminins, la psychologie de l’officier SS Wallenberg, l’énorme succès public du film à sa sortie et sur bien d’autres sujets, mais ce serait encore long à détailler !

Place ensuite au maestro en personne, Tinto Brass, dans une interview reprise de l’édition Blue Underground (14’). Le cinéaste revient sur la genèse de Salon Kitty, l’adaptation du livre Peter Norden, le casting (« j’ai fait raser le pubis d’Helmut Berger, pour faire paraître son sexe plus grand qu’il ne l’était »), ses intentions (« mettre à nu la pourriture du pouvoir, à travers le chaos et l’hypocrisie »), le travail avec Ken Adam (« un apport fondamental au film »), les problèmes avec la censure, le montage et le succès du film.

Last but not least, l’immense Ken Adam (disparu en 2016 à l’âge de 95 ans), chef décorateur mythique de l’histoire du cinéma (Rendez-vous avec la peur, Tout près de Satan, Docteur Folamour, Goldfinger, Chitty Chitty Bang Bang, Le Limier) aborde son travail sur Salon Kitty et sa collaboration avec Tinto Brass (17’). Si vous avez écouté les entretiens précédents, alors certains propos vous paraîtront redondants, surtout lorsque Ken Adam évoque la dépression qu’il a connue après avoir travaillé avec Stanley Kubrick sur Barry Lyndon, jusqu’à ce que Tinto Brass lui permette de retrouver une totale liberté artistique et confiance en lui. Mais heureusement l’ensemble de cette interview reste passionnante, surtout lorsque l’intéressé évoque la création des décors principaux, l’utilisation des miroirs, tout en donnant son propre avis sur Salon Kitty, « un film qui fait penser à un ballet, qui est tellement d’actualité et qui reste moderne par bien des aspects ».

L’interactivité se clôt sur deux bandes-annonces.

L’Image et le son

Sidonis Calysta reprend visiblement le même master HD édité par Blue Underground il y a une dizaine d’années. Un Blu-ray (au format 1080p) qui parvient à restituer merveilleusement l’atmosphère outrancière et dépravée du Berlin des années 1930-40, en dépit d’un piqué un peu doux qui semble d’ailleurs naturel et inhérent aux partis-pris. La photo éthérée signée Silvano Ippoliti fait la part belle aux couleurs vives et froides. Les contrastes sont à l’avenant, la compression parfois chancelante, mais le grain cinéma original est respecté. Si toutes les scories n’ont pas été éliminées (présence de poils notamment, rien de plus étonnant comme nous sommes chez Tinto Brass), mais la copie reste propre et les détails, notamment sur les costumes d’Helmut Berger, impressionnent. Les séquences sombres sont aussi bien définies, avec des noirs solides et des clairs-obscurs tranchés.

Salon Kitty est présenté en version intégrale. Le film passe donc automatiquement en italien (si vous n’aviez pas sélectionné cette langue) au moment des scènes jamais doublées en français et anglais. Trois options sont proposées pour le film de Tinto Brass, français, anglais et italien. Nous ne saurons que trop vous conseiller d’écouter Salon Kitty dans la langue de Dante, beaucoup plus naturelle et dynamique. Les dialogues, les chansons, la musique sont bien lotis, l’écoute est propre, sans souffle. Les sous-titres ne sont pas imposés.

Crédits images : © Sidonis Calysta / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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