FRISSONS D’HORREUR (Macchie solari) réalisé par Armando Crispino, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Mimsy Farmer, Barry Primus, Ray Lovelock, Carlo Cattaneo, Angela Goodwin, Gaby Wagner, Massimo Serato, Ernesto Colli…
Scénario : Lucio Battistrada & Armando Crispino
Photographie : Carlo Carlini
Musique : Ennio Morricone
Durée : 1h41
Date de sortie initiale : 1975
LE FILM
Rome, années 1970 – La capitale italienne subit un été caniculaire et une vague de suicides inexplicable. Ce climat anxiogène a des effets néfastes sur Simona Sanna, jeune légiste à la morgue. Surmenée, elle commence à être victime d’hallucinations. Dans le même temps, ses rapports avec son petit ami Edgardo Fiorini, photographe, se dégradent. C’est alors qu’elle rencontre Paul Lenox, un prêtre persuadé que sa soeur ne s’est pas suicidée comme on le lui affirme. Simona accepte de l’aider dans ses investigations.
On connaissait le réalisateur Armando Crispino (1924-2003) grâce à son premier long-métrage, Les Nuits facétieuses – Le Piacevoli notti (1966), coréalisé avec Luciano Lucignani, porté par l’immense Vittorio Gassman, Gina Lollobrigida et Ugo Tognazzi. Un coup d’essai qui surfait sur la mode des comédies italiennes inspirées par le Moyen Âge, L’Armée Brancaleone et sa suite Brancaleone s’en va-t-aux croisades de Mario Monicelli, sans oublier Belfagor le Magnifique d’Ettore Scola cartonnaient dans les salles. Ancien assistant de Luigi Comencini (Les Volets clos, La Belle de Rome) et d’Antonio Pietrangeli (Le Célibataire, Souvenirs d’Italie, Les Époux terribles), Armando Crispino démarre donc en duo derrière la caméra, faux films à sketches, œuvre inégale, qui vaut bien plus pour le jeu de ses monstres survoltés et en pleine Commedia dell’arte, que pour ses qualités techniques. Mais le metteur en scène délaissera très vite ces farces médiévales et montrera son penchant pour diversifier les sujets. Suivront Johnny le bâtard, un western qui s’avère en fait une relecture de Dom Juan, avec John Richardson, le film de guerre Commandos avec Lee Van Cleef, d’après une histoire de Dario Argento et…Menahem Golan, mais c’est avec le giallo Overtime – L’Etrusco uccide ancora qu’Armando Crispino va réellement commencer à s’épanouir. Il dirige ensuite Barbara Bouchet dans L’Abbesse de Castro, adaptation de la nouvelle homonyme de Stendhal, avant de renouer avec le thriller en 1975. Ce sera Frissons d’horreur – Macchie solari, connu également en France sous le titre La Victime, formidable opus du genre, qui se démarque autant par son style que de son récit, qui annoncent ni plus ni moins Phénomènes – The Happening (2008) de M. Night Shyamalan, en beaucoup plus réussi d’ailleurs. Giallo foncièrement original et mené de main de maître, Frissons d’horreur jouit aussi et surtout d’un atout de taille en la personne de la mythique Mimsy Farmer, la même année que La Traque de Serge Leroy, alors installée en Italie où elle a épousé l’écrivain et scénariste Vincenzo Cerami (La Vie est belle de Roberto Benigni). Magnétique comme toujours, la comédienne livre une prestation de haute volée, comme l’année précédente dans le fameux Le Parfum de la dame en noir – Il Profumo della signora in nero de Francesco Barilli. A ne manquer sous aucun prétexte.
Simona, étudiante, prépare une thèse sur le suicide. Afin de se renseigner sur des cas concrets, elle effectue un stage à la morgue de Rome. La jeune femme se plonge dans son travail pour oublier sa vie personnelle insatisfaisante. En effet, elle ne supporte plus le donjuanisme de son père et ses nombreuses maîtresses. L’une d’elles est retrouvée mutilée tandis qu’elle venait de faire la connaissance de Simona. La jeune femme connaît également des problèmes dans sa vie amoureuse et son ami Edgar, photographe, fait tout pour l’aider à surmonter ses phobies. Mais les jeunes gens ont d’autres problèmes quand ils s’aperçoivent que les morts violentes se multiplient dans l’entourage de Simona…
L’entrée en matière de Frissons d’horreur fait partie de celles qu’on n’oublie pas au cinéma, à l’instar du prologue des Révoltés de l’an 2000 – ¿Quién puede matar a un niño? de Narciso Ibáñez Serrador. Rien que pour ces deux ou trois premières minutes, durant lesquelles des hommes et des femmes se suicident à la chaîne, Frissons d’horreur mériterait d’être vu. Visiblement, il ne fait pas bon traîner à Rome au mois d’août, en plein ferragosto, période de l’année où les romains désertent la ville éternelle accablée par la chaleur, pour aller se dorer la pilule sur une des plages du Lido d’Ostia. Car ceux qui n’ont pas pu partir sont pris de délire et se tranchent les veines, se jettent dans le Tibre, s’immolent dans leur voiture, tuent leurs enfants avant de retourner l’arme contre eux, mais sans raison valable. C’est là que nous rencontrons Simona, celle que nous allons suivre durant 1h40, jeune médecin légiste qui s’affaire à la morgue le jour et prépare sa thèse le soir, qui porte justement sur la distinction faite entre les vrais et les faux suicides. Frissons d’horreur est moins un thriller d’épouvante qu’un vrai et complexe portrait de femme, qui rencontre des problèmes sexuels – elle ne parvient pas à s’offrir à son amant, interprété par Ray Lovelock (Avoir vingt ans, Tire encore si tu peux, Les Sorcières du bord du lac) – puisqu’elle ne peut s’empêcher d’avoir des visions macabres, de penser aux morts qu’elle a vus défiler devant ses yeux sur son lieu de travail, mais aussi à son père, séducteur encore vert, qui représente un oedipe non résolu. Là-dessus, débarque un prêtre qui enquête sur la mort mystérieuse de sa sœur, qui avait rencontré Simona le soir d’avant son assassinat.
Si l’on pouvait craindre la dispersion des éléments narratifs et des enjeux, ceux-ci s’imbriquent impeccablement. Le scénario coécrit par Armando Crispino et son fidèle collaborateur Lucio Battistrada, contient son lot de rebondissements, de retournements de situation, mais aussi de non-dits et de sous-entendus qui mettent mal à l’aise, comme cette relation trouble entre Simona et son père, incarné par Massimo Serato (La Petite sœur du diable, Terreur sur la lagune, Ne vous retournez pas, La Dixième victime, Le Cid), dont le teint hâlé contraste brillamment avec le teint de lait de Mimsy Farmer. Il en est de même pour celle qui unissait le père Paul Lenox (Barry Primus, Bertha Boxcar de Martin Scorsese, Le Baron Rouge de Roger Corman) et sa sœur Betty (la belle Gaby Wagner). Une ambiance malaisante parcourt Frissons d’horreur du début à la fin, le réalisateur ne tombant jamais dans la violence graphique ou gratuite, préférant recourir à la mise en scène, au cadre, aux partis pris du chef opérateur Carlo Carlini (Une langouste au petit déjeuner, Un papillon aux ailes ensanglantées, La Grande pagaille), à l’étrange partition d’Ennio Morricone, ainsi qu’au charisme et au talent de son casting pour installer une atmosphère sombre, déviante, tortueuse, à la fois étouffante et poisseuse.
Difficile d’aller plus loin dans l’analyse de Frissons d’horreur sans dévoiler la suite de l’histoire, qui réserve bien sûr de nombreuses surprises dans le dernier acte, quand finalement Macchie solari emmène les spectateurs vers le thriller de machination, dont la résolution tient ses promesses.
LE BLU-RAY
On l’attendait de pied ferme ce Frissons d’horreur, surtout en découvrant le magnifique visuel du Blu-ray, concocté une fois de plus par le talentueux Frédéric Domont. Le disque repose dans un superbe Digipack à trois volets, surmonté d’un fourreau cartonné du plus bel effet. Le menu principal est animé et musical. Édition limitée à 1000 exemplaires.
Jean-François Rauger est décidément omniprésent dans cette dernière vague du Chat qui fume ! Après Photos interdites d’une bourgeoise et Un papillon aux ailes ensanglantées, le directeur de la programmation à la Cinémathèque française présente donc Frissons d’horreur (22’30), pour notre plus grand plaisir. Celui-ci revient longuement sur ce « film qui arrive de façon tardive dans l’histoire du giallo […] remarquable, car il introduit des éléments nouveaux dans le genre », met en relief le travail d’Armando Crispino (« un réalisateur qui avait une certaine ambition, une volonté de faire quelque chose d’original »), avant de retracer son parcours, puis de s’arrêter plus largement sur Frissons d’horreur. Ainsi, Jean-François Rauger revient sur la genèse du film (qui remonte au début des années 1970), sur le casting, sur les conditions de tournage, sur l’ambiance, la musique d’Ennio Morricone, la psychologie du personnage principal (« la description d’une névrose féminine, le portrait d’une femme frigide qui assimile le sexe à la matérialité de la mort »), la force et la singularité de Frissons d’horreur, avant de conclure en disant que « Macchie solari est un des gialli les plus originaux jamais réalisés ».
Nous passerons ensuite au module intitulé Meurtres au soleil (39’), qui convie Francesco Crispino, historien du cinéma et fils d’Armando Crispino, qui aborde dans un premier temps les grandes étapes de la vie personnelle et professionnelle de son père. Tour à tour, Francesco Crispino évoque la passion de celui-ci pour le cinéma de John Ford et d’Alfred Hitchcock, pour l’écriture, pour Edgar Allan Poe, pour les films d’horreur anglais des années 1960 (Le Voyeur – Peeping Tom de Michael Powell) et pour le cinéma fantastique, parle de ses débuts au cinéma (après avoir été critique), ses rencontres déterminantes (notamment Antonio Pietrangeli), avant de passer en revue ses longs-métrages, sa longue collaboration avec le scénariste Lucio Battistrada, avant d’en venir plus précisément à Frissons d’horreur. La genèse du film (qui devait être le second volet d’une trilogie finalement avortée), l’évolution du scénario au fil des ans, le casting, les personnages, les intentions du réalisateur, les problèmes rencontrés avec la censure, les partis-pris, la musique d’Ennio Morricone, l’accueil moyen de Frissons d’horreur à sa sortie, sa redécouverte, son statut culte et ce qu’il en reste aujourd’hui sont évoqués au fil de ce supplément.
Francesco Crispino est aussi présent dans le dernier bonus intitulé Les Dossiers de l’autopsie (10’). Un titre malin, puisque l’historien du cinéma et fils du cinéaste présente quelques archives liées aux différentes versions du scénario de Frissons d’horreur, dont la première datée de janvier 1972. Des copies de travail, une version en anglais (le film ayant été tourné dans cette langue), des annotations et autres trésors y sont dévoilés pour les fans.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Comme l’indique un panneau en fin de programme, Le Chat qui fume a repris le master HD de Frissons d’horreur sorti aux Etats-Unis sous la bannière de Vinegar Syndrome. Un scan 2K du négatif original 35mm qui a su préserver la merveilleuse texture argentique, ainsi que la beauté et la profondeur des contrastes de la photo. Le cadre fourmille de détails, le piqué est acéré, la profondeur de champ éloquente, les matières des vêtements se font ressentir. Mention spéciale aux couleurs lumineuses et variées. L’ensemble est aussi évidemment très propre, à l’exception de divers poils caméra, d’infimes rayures et une scène plus déséquilibrée (celle de l’église à 1h11). Blu-ray au format 1080p.
Bien que tourné en anglais, Frissons d’horreur n’est proposé qu’en italien et en français, alors que le Blu-ray Vinegar Syndrome comprenait bien la langue de Shakespeare. Dans les deux cas, le confort acoustique est éloquent, les deux pistes trouvant un très bon dosage entre la partition d’Ennio Morricone, les dialogues et les effets annexes.