Test Blu-ray / Les Révoltés de l’an 2000, réalisé par Narciso Ibáñez Serrador

LES RÉVOLTÉS DE L’AN 2000 (¿Quién puede matar a un niño?) réalisé par Narciso Ibáñez Serrador, disponible en DVD et Blu-ray le 16 septembre 2020 chez Carlotta Films.

Acteurs : Lewis Fiander, Prunella Ransome, Javier de la Cámara, Maria Druille, Antonio Iranzo, María Luisa Arias, Marisa Porcel, Luis Ciges…

Scénario : Narciso Ibáñez Serrador d’après le roman de Juan José Plans

Photographie : José Luis Alcaine

Musique : Waldo de los Ríos

Durée : 1h51

Date de sortie initiale : 1976

LE FILM

Un couple d’Anglais, Tom et Evelyn, débarque dans la station balnéaire de Benavis pendant les festivités d’été. Préférant fuir la foule, ils prévoient de partir le lendemain pour la petite île d’Almanzora. Dans ce lieu ignoré des touristes, les Anglais auront tout à loisir de se reposer pendant leurs deux semaines de vacances, en particulier Evelyn qui est enceinte. Mais à leur arrivée, ils découvrent un village totalement abandonné de ses habitants. Bientôt, des enfants au comportement étrange font leur apparition. Et s’ils avaient quelque chose à voir avec la disparition de la population adulte ?

C’est un film d’épouvante complètement méconnu. Pourtant, malgré son Prix de la critique obtenu au Festival international du film fantastique d’Avoriaz en 1977, Les Révoltés de l’an 2000¿Quién puede matar a un niño?, exploité aussi sous ses divers titres internationaux Who can kill a child?, Island of Death, Would you kill a child?, Trapped, Island of the Damned, Death is Child’s play ou The Killers’s Playground, réalisé par l’uruguayen Narciso Ibáñez Serrador (1935-2019) en 1976 est une œuvre matricielle du cinéma fantastique espagnol et à l’origine de la vocation des plus grands noms contemporains du genre. Bien avant l’exceptionnel Midsommar d’Ari Aster, Les Révoltés de l’an 2000 montrait que l’on pouvait inspirer l’angoisse et la peur à travers un récit qui se déroule essentiellement en plein jour, sous un soleil de plomb et une ambiance aussi moite qu’étouffante. Si son nom reste connu en Espagne pour ses prolifiques créations à la télévision, les cinéphiles amateurs de sensations fortes vouent un culte à celui qui est surnommé Chicho Ibáñez Serrador, pour La Résidence La Residencia (1969) et Les Révoltés de l’an 2000, ses deux seules mises en scène pour le cinéma, qui ont posé les bases du fantastique et de l’horreur à venir, tout en reflétant la situation d’un pays ayant vécu quasiment quarante ans sous le règne de Franco. Sorti cinq mois après la mort du dictateur, ¿Quién puede matar a un niño?, librement adapté du roman El juego de los niños de Juan José Plans, est un choc cinématographique, qui agit comme une séance d’hypnose ou un cauchemar éveillé, qui n’a absolument rien perdu de sa force quarante-cinq ans après.

Les huit premières minutes du film peuvent franchement mettre mal à l’aise. Mélange de véritables images d’archives provenant du camp de concentration d’Auschwitz, de la guerre civile indo-pakistanaise, de la guerre de Corée et d’Indochine, du Viet-Nam, de la guerre civile au Nigeria, cette introduction n’est pas à mettre devant tous les yeux puisqu’on y voit entre autres les victimes collatérales de ces conflits, les enfants. Cette longue séquence annonce le terrifiant épilogue du Redacted (2007) de Brian De Palma, qui compilait ainsi des photos de ces « collateral damage » sur fond de la Tosca de Giacomo Puccini. Un prologue qui fout la boule au ventre d’emblée, que Narciso Ibáñez Serrador a toujours regretté d’avoir mis en début de film, plutôt qu’à la fin. Toujours est-il que nous voilà déjà happés par cette succession d’images non truquées qui instaurent un malaise, impression renforcée par une petite comptine enfantine qui illustre les credits inscrits en rouge sang.

Puis, la première partie de l’histoire se déroule doucement, un peu trop peut-être diront certains, durant laquelle on peut faire connaissance avec le couple principal, Tom et Evelyn, interprété par Lewis Fiander et Prunella Ransome, qui profitent de quelques vacances bien méritées sur la Costa Del Sol, après avoir laissé leurs deux enfants au pays. Evelyn attend d’ailleurs leur troisième et sa grossesse est déjà bien avancée. Cela n’empêche pas les deux époux, visiblement très amoureux de flâner dans les rues bondées de la ville de Benavis. Mais désireux de trouver un peu de calme, surtout que les festivités du moment éclatent à chaque coin de rue avec les pétards et les défilés colorés qui empêchent de circuler, Tom et Evelyn décident de s’évader le lendemain dans une petite île située à quatre heures de bateau, qui n’apparaît pas sur les cartes, mais que Tom connaît pour y être allé quelques années auparavant. Tout cela pour oublier le bruit incessant, momentanément interrompu par la découverte de deux corps retrouvés échoués au bord de mer. Arrivé à Almanroza, le couple débarque et seuls des enfants semblent les observer sur le port, sans leur adresser la parole, mais en les fixant du regard. Quelque peu étonnés par l’absence d’adultes, Tom et Evelyn arpentent les rues de l’île, complètement vides, sans un bruit. L’inquiétude monte progressivement, surtout que les lieux habituellement animés comme le restaurant principal du centre-ville, se trouve dépourvu de client et que la rôtisserie, toujours en fonctionnement, comporte des volailles carbonisées. Après avoir posé leurs bagages à l’hôtel du coin, qui brille aussi par l’absence de son réceptionniste, une petite fille apparaît au coin de la rue…

Et c’est parti pour près de deux heures de tension implacable, qui repose sur le cadre virtuose de Chicho Ibáñez Serrador, sur l’attente et l’atmosphère que l’on sent pesante avec les visages des personnages perlés de sueur ou la chemise trempée de Tom, tandis que le soleil, omniprésent, se reflète sur les murs blancs des habitations, magnifiquement éclairées par le grand chef opérateur José Luis Alcaine, collaborateur régulier de Pedro Almodóvar. Il suffit d’une scène pour faire tomber les masques, celle où Evelyn aperçoit un vieil homme venir vers eux, quand soudain une fillette débarque avec un bâton pour le battre à mort derrière un mur. Tom, intervenant auprès de la victime, tente de retrouver son bourreau inattendu et tombe alors sur un groupe d’enfants s’amusant avec un individu pendu par les pieds, en lui donnant des coups au visage à l’aide d’une serpe bien aiguisée. L’horreur peut commencer, le pire étant qu’elle arbore un visage d’ange au sourire enjôleur et innocent. Tom et Evelyn vont faire tout leur possible pour rejoindre leur embarcation, mais les enfants deviennent omniprésents et semblent bien organisés, apparaissant en groupes, à l’instar des Oiseaux d’Alfred Hitchcock, dont l’influence est évidente. D’ailleurs, comment se défendre quand on a devant soi des gamins et qui pourrait tuer un enfant (d’où le titre du film en version originale) ?

Après une ambiance languissante, faite de chaleur écrasante et de sueur qui recouvrent les fines étoffes ou les visages dont celui constellé de taches de rousseur de Prunella Ransome, Les Révoltés de l’an 2000 vire au survival halluciné, où les adultes n’auront pas d’autres recours que d’utiliser les armes contre leurs improbables adversaires, quitte à tirer dans le tas (ces scènes sont aussi dingues que percutantes) ou à leur foncer dessus avec leur véhicule. Mais la menace peut venir de l’intérieur, car rappelez-vous, Evelyn est enceinte…Ibáñez Serrador ne recule devant aucune cruauté et montre la violence de manière frontale. Son épilogue pessimiste voire apocalyptique peut se voir comme un retournement de la nature sur le reste du monde. Un chef d’oeuvre à multiples facettes, un diamant noir.

LE BLU-RAY

L’éditeur nous a fait parvenir l’édition – de grande classe – limitée Steelbook des Révoltés de l’an 2000. Le menu principal est fixe et musical.

Avant le lancement du film, Carlotta Films nous propose une courte (4’30), mais complète, sincère et passionnante présentation des Révoltés de l’an 2000 par Fabrice Du Welz, réalisateur de Calvaire (2004), de Vinyan (2008), d’Alleluia (2014), de Message from the King (2017) et d’Adoration (2019), à qui cette édition est par ailleurs dédiée. Le cinéaste et metteur en scène est visiblement très heureux de parler de ce film qu’il aime beaucoup et qui semble très important pour lui. Il évoque ainsi la redécouverte des Révoltés de l’an 2000, qui était quelque peu tombé dans l’oubli jusqu’aux années 2000, tout en parlant du titre original et de sa signification, du sujet du film, de sa dimension métaphysique et existentielle, des partis pris du réalisateur Narciso Ibáñez Serrador (ainsi que de son précédent long métrage La Résidence), de l’importance et de la pérennité du film. Fabrice Du Welz se souvient aussi de sa découverte des Révoltés de l’an 2000 et explique avoir essayé d’en faire un remake en 2005, projet qu’il n’a pas pu se concrétiser, mais qui a néanmoins été fait en 2012 sous le titre Come Out And Play. Comme le réalisateur l’indique, Vinyan emprunte beaucoup au film de Narciso Ibáñez Serrador, ce dernier ayant lui-même été influencé par les travaux d’Alfred Hitchcock, de George A. Romero, de Roman Polanski et de Federico Fellini. Quand on vous disait que Fabrice Du Welz avait beaucoup de choses à dire en moins de cinq minutes !

Carlotta Films reprend les suppléments vidéos disponibles sur l’édition DVD collector Wild Side Video sortie en 2008 :

Qui peut tirer sur un enfant ? (16’) : Le directeur de la photographie José Luís Alcaine (Femmes au bord de la crise de nerfs, Attache-moi !, Jambon, Jambon, Volver) parle de sa rencontre avec Narciso Ibáñez Serrador et de leur collaboration sur ce film, qu’il considère comme étant un croisement entre La Nuit des morts-vivants (1968) de George A. Romero et des Oiseaux (1962) d’Alfred Hitchcock. Il dissèque les intentions du cinéaste ainsi que ses partis pris (rejet de l’expressionnisme, rendre le film crédible sans retoucher aux couleurs), se souvient des difficultés liées aux divers lieux de tournage (le film a été tourné entre Minorque, Tolède, Madrid et Stiges), tout en se remémorant le travail avec les enfants. José Luís Alcaine s’exprime ensuite sur le film lui-même « qui tient toujours la route » et avoue regretter que le cinéaste n’ait pas fait d’autres films pour le cinéma, préférant se consacrer à la télévision.

Le metteur en scène des enfants (9’) : Le réalisateur Narciso Ibáñez Serrador, décédé en juin 2019, évoque le roman original de Plans qu’il adapta sous le pseudonyme de Luís Peñafiel et revient sur la morale de l’histoire. Il aborde également la psychologie des jeunes protagonistes en essayant de donner quelques pistes sur la raison de leurs agissements. Le cinéaste explique qu’il reste très peu du roman original dans son film, puisque les deux histoires ont été écrites en parallèle, Narciso Ibáñez Serrador (qui aura pondu le scénario en seulement quatre jours) ne s’inspirant en réalité que du point de départ du livre de Peñafiel, qui par ailleurs donnait une explication « fantastique » sur les actes criminels de ces chers bambins. Le metteur en scène revient aussi sur sa collaboration avec le directeur de la photographie José Luís Alcaine durant les neuf semaines – très agréables – de tournage, le casting (il apparaît assez amer sur Lewis Fiander, mais loue le travail de Prunella Ransome) et avoue avoir essayé de recruter Anthony Hopkins pour le rôle principal.

Narciso Ibáñez Serrador vu par… (27’) : Portrait d’un cinéaste et homme de télévision à la carrière influente par les réalisateurs Guillermo del Toro (qu’on ne présente plus), Juan Antonio Bayona (L’Orphelinat, The Impossible, Quelques minutes après minuit, Jurassic World : Falling Kingdom), Jaume Balagueró et Paco Plaza, les deux metteurs en scène de [●REC] et [●REC]2. Du beau monde est réuni ici pour parler et rendre hommage à cette figure de proue du divertissement télévisé espagnol, artiste éclectique et icône de la culture populaire ibérique, qui diffusait un classique de l’épouvante une fois par semaine sur la petite lucarne. Pas étonnant de retrouver cette génération de réalisateurs qui ont été bercés avec les films de la Hammer ou du cru. Chacun rivalise de superlatifs, mais l’ensemble est sincère et l’on sent tous ces cinéastes vouer une réelle admiration pour le travail de Narciso Ibáñez Serrador, « premier réalisateur mainstream du cinéma de genre en Espagne ».

Histoires du cinéma fantastique espagnol (28’) : Un bonus exclusivement disponible sur le Blu-ray des Révoltés de l’an 2000. Il s’agit ici d’un retour sur ce genre phare qui plaça l’Espagne sur le devant de la scène internationale, avec les témoignages des réalisateurs Jess Franco (en français dans le texte), Jacinto Molina (alias Paul Naschy), Jorge Grau (Le Massacre des morts-vivants, Cérémonie sanglante) qui revient sur ses inspirations et son rapport aux rites, ainsi qu’à la religion, et de l’historien Emmanuel Vincenot (historien du cinéma hispanique – Université de Tours). Les démêlés avec la censure sont bien évidemment abordés, ainsi que divers titres de films rendant compte de l’évolution du genre à travers les décennies, tout comme certains noms ayant donné ses lettres de noblesse au fantastique et à l’épouvante ibères tout au long du vingtième siècle jusqu’à aujourd’hui (Segundo de Chomón, Narciso Ibáñez Serrador, Álex de la Iglesia, Alejandro Amenábar…).

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce de la ressortie du film en 2020.

L’Image et le son

Encore une belle et élégante réussite technique que ce nouveau master HD restauré 4K de la part de Carlotta Films. Les couleurs sont chaudes, rafraîchies, plaisantes, la copie est stable, les contrastes denses, le piqué agréable, tout comme la patine argentique bien équilibrée (en dehors de deux ou trois plans plus grumeleux ou flous, même si ces derniers semblent d’origine) et gérée. Certaines séquences sortent du lot, avec de nombreux détails très appréciables au niveau des décors, mais également et surtout sur les gros plans, avec une luminosité de tous les instants. Une définition très solide qui participe à la (re)découverte de ce grand classique pourtant méconnu dans nos contrées et jusqu’alors inédit en Blu-ray, ici au format 1080p. Hormis une carnation parfois étonnamment rosée sur divers plans, ainsi que des poussières visibles ici et là, ce Blu-ray fait honneur à la belle photo de José Luís Alcaine.

C’est la première fois que Les Révoltés de l’an 2000 est disponible dans sa version originale multilingue, qui mixe à la fois l’anglais pour les échanges entre le mari et la femme, et l’espagnol, langue du pays où se déroule l’action. Si l’éditeur fournit également une piste 100 % espagnole et la version française du film, nous vous conseillons évidemment de privilégier la première, d’une part parce qu’il s’agit de la plus riche et la plus dynamique des trois, d’autre part pour son réalisme lors des dialogues parfois difficiles entre les anglais et les gens du coin. Les trois pistes sont présentées en DTS-HD Master Audio 1.0, sans souffle et avec une clarté évidente. A titre informatif, la version française est la plus faible du lot avec des voix couvertes, ainsi que des effets annexes et la musique bien trop en retrait.

Crédits images : © Carlotta Films / Penta Films / Dark Sky Films / MPI MEDIA GROUP / WILD SIDE VIDEO / Fenêtre sur Prod / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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