PHOTOS INTERDITES D’UNE BOURGEOISE (Le Foto proibite di una signora per bene) réalisé par Luciano Ercoli, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Dagmar Lassander, Pier Paolo Capponi, Simon Andreu, Osvaldo Genazzani, Salvador Huguet, Nieves Navarro…
Scénario : Ernesto Gastaldi & Mahnahén Velasco
Photographie : Alejandro Ulloa
Musique : Ennio Morricone
Durée : 1h35
Date de sortie initiale : 1970
LE FILM
Minou, jeune femme prude et insatisfaite, est mariée à l’industriel Peter. A l’opposé de Minou, son amie Dominique est une femme libre et sensuelle qui se livre à des jeux érotiques au cours desquels elle se photographie en compagnie d’amants. Accusant Peter de meurtre, un maître chanteur exige de Minou son corps pour prix de son silence.
Nous parlions il y a peu de temps de Luciano Ercoli (1929-2015), en raison de la sortie en Blu-ray de La Mort caresse à minuit –La Morte accarezza a mezzanotte (1972) chez Artus Films. Nous n’aurons pas l’outrecuidance de retracer le parcours du réalisateur et nous vous invitons à relire notre précédente chronique. Nous irons donc à l’essentiel pour évoquer aujourd’hui son premier long-métrage, Photos interdites d’une bourgeoise – Le Foto proibite di una signora per bene (1970), véritable coup de maître, non pas un giallo, mais un film à suspense, un thriller paranoïaque dans lequel le metteur en scène dévoile toute sa virtuosité et sa maîtrise de la grammaire cinématographique. Ne vous attendez surtout pas à des meurtres sanglants ou élaborés par quelques tueurs masqués munis d’une arme blanche, rien de tout ça ici, ce qui importe le plus étant l’ambiance oppressante, la science du cadre large (superbe), le rythme languissant (sans inspirer l’ennui) et l’excellence d’un casting solidement dirigé. Gros succès à sa sortie, qui avait d’ailleurs remis sur les rails la société de production du cinéaste, la PCM (autrement dit la Produzioni Cinematografiche Mediterranee), Photos interdites d’une bourgeoise peut se targuer d’avoir pris très peu de rides et reste un modèle du genre, ou allons-y carrément, une leçon de cinéma à part entière.
Minou, la jeune épouse de Pierre, un industriel au bord de la ruine, est persécutée par un maniaque, qui la fait chanter en prétendant que son mari est un meurtrier. Contrainte, pour arracher la prétendue preuve du crime, de se soumettre à ses désirs, la femme (qui s’est confiée à son ami Dominique, une érotomane, collectionneuse de photos pornographiques), est toujours persécutée par le maître chanteur, qui la menace cette fois-ci de montrer à Pierre des preuves photographiques de sa propre trahison. Exaspérée, la femme avoue la vérité à son mari qui, cependant, ne croit pas à son histoire ni à l’existence du maître chanteur.
Certains cinéphages, plus que les cinéphiles, risquent d’être quelque peu décontenancés par l’absence d’assassinat, surtout que le crime central du film (s’il a vraiment lieu) ne sera jamais montré, juste évoqué par l’individu inquiétant qui accoste et agresse Minou sur la plage, en affirmant que son mari en est l’auteur. C’est à partir de cette révélation que l’épouse, alors délaissée, va perdre ses repères et commencer à croire que son époux, industriel hyperactif et surendetté, aurait fomenté cet homicide pour justement se sortir de sa délicate situation financière. Mais l’homme qui affirmait dans un premier temps avoir été témoin de cet événement revient finalement sur ses dires, en déclarant avoir inventé cette histoire, dans le but d’abuser de Minou et de la faire chanter. Le scénario de Photos interdites d’une bourgeoise, écrit par Ernesto Gastaldi (Le Cynique, l’infâme, le violent, La Mort caresse à minuit, Les Rendez-vous de Satan, Je suis vivant !), crédité aux côtés d’un certain Mahnahén Velasco qui en fait n’a rien écrit mais « légitimait » la coproduction italo-ibérique, contient son lot conséquent de rebondissements, mais plutôt du point de vue psychologique.
A ce titre, la comédienne allemande Dagmar Lassander, vue la même année dans Une hache pour la lune de miel – Il rosso segno della follia de Mario Bava, puis après dans l’excellent Le Conseiller – Il consigliori d’Alberto De Martino, Si douce, si perverse – Peccati di gioventù de Silvio Amadio et Le Chat noir – Il gatto nero de Lucio Fulci, s’en sort remarquablement bien et apporte à son personnage prénommé Minou ce mélange de force et de vulnérabilité qui nous la rend attachante du début à la fin. Mais son cocktail constant de tabac, de whisky et de pilules n’est-il pas à l’origine de ce qui pourrait être des hallucinations ? Si l’actrice est impeccable, elle se fait voler la vedette à chaque apparition de la magnifique Nieves Navarro, plus connue sous le pseudonyme de Susan Scott, future épouse de Luciano Ercoli, précédemment vue dans Un pistolet pour Ringo – Una pistola per Ringo et Le Retour de Ringo – Il ritorno di Ringo de Duccio Tessari, Colorado – La Resa dei conti de Sergio Solima, et qui sera au générique des films du cinéaste, dont La Mort caresse à minuit. Dans le rôle de Dominique, la meilleure amie de Minou, jeune femme foncièrement indépendante et libérée sexuellement, Susan Scott crève l’écran de sa beauté féline et tiendra le haut de l’affiche dès le second long-métrage de Luciano Ercoli, à savoir Nuits d’amour et d’épouvante – La Morte cammina con i tacchi alti.
Mais pour l’heure, Photos interdites d’une bourgeoise est un thriller de machination qui a de la gueule (superbe photo d’Alejandro Ulloa, Le Miel du diable de Lucio Fulci, California de Michele Lupo, Terreur dans le Shanghaï Express de Eugenio Martin) et qui bénéficie en plus d’une formidable composition du maestro Ennio Morricone, dirigée ici par le fidèle Bruno Nicolai. Autant d’atouts de taille dans la musette qui font de Le Foto proibite di une signora per bene une étape aussi intéressante que primordiale dans la vie d’un cinéphile.
LE BLU-RAY
Quelques semaines après la sortie de La Mort caresse à minuit chez Artus Films, Le Chat qui fume propose Photos interdites d’une bourgeoise en Blu-ray, une belle manière de rendre hommage au génial artisan qu’était Luciano Ercoli. Superbe objet d’ailleurs que ce Digipack à trois volets, illustré comme s’il s’agissait d’une superposition de polaroids , le tout étant glissé dans un fourreau cartonné au visuel sensuel. Mention spéciale également à la sérigraphie du disque. Le menu principal est animé et musical. Édition limitée à 1000 exemplaires.
L’indéboulonnable Jean-François Rauger a décidément du pain sur la planche avec les sorties DVD-Blu-ray et ce chez une quantité pléthorique d’éditeurs. On le retrouve donc à la barre ici pour nous présenter le film qui nous intéresse aujourd’hui. Durant près de vingt minutes, sans aucune interruption, le directeur de la programmation à la Cinémathèque française revient tour à tour sur la genèse de Photos interdites d’une bourgeoise (mis en route pour sauver la PCM de la faillite), la carrière de Luciano Ercoli, celle d’Ernesto Gastaldi, le casting et les thèmes du film (la classe bourgeoise impitoyable, triviale et abjecte), les lieux et les conditions de tournage (qui s’est déroulé à Barcelone), la musique d’Ennio Morricone, la psychologie des personnages, l’absence de morts violentes, la mise en scène, etc.
Le module suivant est une succession d’interviews entrecroisées de Luciano Ercoli, Susan Scott et Ernesto Gastaldi, enregistrées en 2012, soit trois ans avant la mort du réalisateur (42’). Ce dernier, après être revenu sur son parcours, dévoile moult informations sur les conditions de tournage de Photos interdites d’une bourgeoise, qui s’est intégralement déroulé à Barcelone, contrairement à ce qu’aurait dû impliquer une coproduction italo-ibérique. Mais comme les coûts de production étaient moins chers en Espagne, Luciano Ercoli a vite décidé de tout tourner en Catalogne. Susan Scott revient quant à elle sur ses débuts au cinéma (un peu par hasard après sa carrière de mannequin), tandis qu’Ernesto Gastaldi se penche sur l’écriture du scénario. Les trois intervenants s’expriment sur le producteur Ernesto Pugliese, la photographie du film, la musique d’Ennio Morricone et le succès de Photos interdites d’une bourgeoise au cinéma avec près de 800 millions de lires de recette en Italie.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
C’est du très bon boulot. Comme bien souvent, ou comme d’habitude même, Le Chat qui fume a mis les petits plats dans les grands et déroule le tapis rouge à Photos interdites d’une bourgeoise, qui certes n’est pas le thriller-giallo le plus connu de son catalogue, mais qui n’en reste pas moins soigné avec les mêmes honneurs réservés habituellement aux titres plus porteurs dirons-nous. La propreté du master est remarquable, la stabilité est de mise, les contrastes élégants, la texture argentique présente et solidement gérée, la clarté éloquente, les détails foisonnants, le piqué étonnant, la palette chromatique riche et variée.
Seule la version italienne DTS-HD master Audio 2.0 est présentée ici. Aucun souci non plus de ce côté-là, les dialogues ne manquent pas de coffre, mais c’est à la partition d’Ennio Morricone que cet écrin acoustique profite le plus. Les effets annexes sont bien plantés, aucun souffle constaté.