Test Blu-ray / Je suis vivant !, réalisé par Aldo Lado

JE SUIS VIVANT ! (La Corta notte delle bambole di vetro) réalisé par Aldo Lado, disponible en Blu-ray le 13 août 2020 chez Le Chat qui fume.

Acteurs : Jean Sorel, Mario Adorf, Ingrid Thulin, Barbara Bach, José Quaglio, Piero Vida, Fabijan Sovagovic, Relja Basic…

Scénario : Aldo Lado d’après une histoire originale d’Ernesto Gastaldi

Photographie : Giuseppe Ruzzolini

Musique : Ennio Morricone

Durée : 1h32

Année de sortie : 1971

LE FILM

Le corps apparemment sans vie d’un homme est découvert dans un jardin public de Prague. Transporté à l’hôpital, où il est identifié, il entend son décès confirmé par un médecin. Le corps est celui de Gregory Moore, un journaliste américain qui enquêtait sur des jeunes femmes disparues dans de mystérieuses circonstances. Incapable de parler ni de bouger, Moore est conduit dans une chambre froide. Laissé seul dans l’obscurité, le journaliste essaie alors de se remémorer les événements s’étant déroulés durant les jours précédents, afin de comprendre comment il a pu en arriver à cette situation inextricable.

Je suis vivant ! La Corta notte delle bambole di vetro, ou Horreur dans la nuit pour certains, est le premier long métrage d’Aldo Lado, né en Croatie en 1934 et qui se rendra célèbre peu de temps après avec Qui l’a vue mourir ?Chi l’ha vista morire ? (1972), La Cosa Buffa (1972), La CousineLa Cugina (1974) et plus tard L’humanoïde L’Umanoide (1979). Ancien assistant de Maurizio Lucidi (Pecos è qui: prega e muori!, Trois salopards, une poignée d’or, Les Héros ne meurent jamais), de Bernardo Bertolucci (Le Conformiste) et même de Gérard Pirès (Fantasia chez les ploucs), Aldo Lado fait ses armes en tant que scénariste avec Une charogne est néeCarogne si nasce (1968) d’Alfonso Brescia, La victime désignéeLa vittima designata (1971) de Maurizio Lucidi et Un’anguilla da 300 milioni (1971) de Salvatore Samperi. Je suis vivant !, avait tout d’abord été envisagé sous le titre Malastrana, qui renvoyait au nom d’un quartier du centre de Prague où se déroule l’intrigue du film. S’il est tout de même sorti sous cette appellation en Allemagne et au Brésil, Je suis vivant ! a aussi été intitulé La Corta notte delle farfalle pendant un temps en Italie, titre visible sur diverses affiches d’exploitation, avant d’adopter définitivement celui de La Corta notte delle bambole di vetro ou « La courte nuit des poupées de verre ». Avec cette première œuvre, Aldo Lado s’empare des codes du giallo, jusqu’au titre énigmatique à rallonge, pour mieux les triturer et les inscrire dans une thématique qui sera récurrente dans sa carrière, la critique de la bourgeoisie. S’il n’est pas exempt de longueurs, Je suis vivant ! n’en garde pas moins un charme inaltérable, constamment ponctué de séquences marquantes, comme la présence de la sensuelle Barbara Bach, dans une de ses premières apparitions au cinéma, six ans avant de devenir l’une des meilleures James Bond Girls dans L’Espion qui m’aimaitThe Spy Who Loved Me (1977) de Lewis Gilbert.

À Prague, une nuit, le corps d’un journaliste américain, Gregory Moore, est découvert dans un parc. Bien que déclaré mort par les médecins, il est toujours vivant mais il est plongé dans un état de catalepsie. Incapable de bouger ni de parler, sur le point d’être autopsié, il ne peut que se rappeler de ce qui lui est arrivé…Petit à petit, son esprit lui délivre des flash. Il enquêtait sur la disparition inquiétante de sa petite amie, Mira. Il a découvert qu’elle n’est pas la première à disparaître sans laisser de traces et que d’autres femmes sont portées disparues. Il se souvient que son enquête l’a mené vers un club de musique qui s’avère être un lieu de dépravation privé pour vieux notables…Malgré l’absence de rigidité cadavérique, les médecins ont déjà programmé son autopsie. Gregory peut-il se souvenir de tout et, surtout, se réveiller à temps avant qu’il ne soit trop tard ?

Production italo-germano-yougoslave tournée essentiellement à Zagreb, Je suis vivant ! interpelle par son postulat de départ pour le moins insolite et qui sera repris dans une nouvelle de Stephen King, Salle d’autopsie quatreAutopsy Room Four, parue en 1997, disponible dans le recueil Tout est fatal depuis 2002. Dans cette histoire, un homme reprenait conscience sur une table d’autopsie alors que son dernier souvenir était de s’être fait mordre au mollet sur un parcours de golf. Croyant d’abord qu’il est mort avant de comprendre qu’il est victime d’une paralysie totale, cet homme cherchait désespérément un moyen de faire comprendre aux deux docteurs qui s’apprêtent à l’autopsier qu’il est encore en vie. Quelques coïncidences troublantes que ne manqueront pas de pointer les fans du King et les amateurs de gialli déviants. Si Aldo Lado s’égare ensuite à maintes reprises au cours d’une enquête finalement pas si passionnante que cela, on ne pourra pas lui reprocher d’avoir soigné chacun de ses plans. Il est d’ailleurs bien épaulé par Giuseppe Ruzzolini, mythique chef opérateur d’Oedipe Roi, de Théorème et de Porcherie de Pier Paolo Pasolini. Le cinéaste a toujours su filmer et mettre en valeur les villes dans lesquelles il tournait et rien que le générique donne ici le ton, surtout avec la superbe et entêtante composition du maestro Ennio Morricone.

La Corta notte delle bambole di vetro pâtit d’un rythme en dents de scie, qui alterne les scènes au présent, celle où Gregory Moore, paralysé et que l’on croit mort, essaye de se souvenir comment il en est arrivé là, avec les séquences du passé, des réminiscences (plutôt que des flashbacks) que sa mémoire tente de convoquer, jusqu’à l’ultime révélation. A ce titre, Aldo Lado pointe du doigt les nantis, les bourgeois, les notables, qui s’enrichissent et s’engraissent en sacrifiant la jeune génération. Cette classe est montrée comme de véritables vampires, qui paradent et s’affichent dans un défilé de zombies avides de chair fraîche, pour mieux se régénérer, continuer à se perdre dans quelques partouzes débridées, allant jusqu’à sucer la moelle de leurs dernières proies, pour s’en débarrasser ensuite.

Tout le cinéma d’Aldo Lado est déjà présent dans Je suis vivant !, formidablement interprété par un Jean Sorel aussi impressionnant en « cadavre » qu’en journaliste passionné perdu dans une quête qui aura finalement sa peau. Le comédien était alors au top de sa carrière italienne, le film ayant été tourné après Perversion StoryUna sul’altra et Le Venin de la peur Une lucertola con la pelle di donna de Lucio Fulci. A ses côtés, Ingrid Thulin, actrice suédoise et une des égéries du cinéaste Ingmar Bergman, qui entre L’Heure du loup (1967) et Cris et chuchotements (1972), s’était échappée momentanément en Italie pour y tourner Les Damnés La Caduta degli dei (1969) de Luchino Visconti et Je suis vivant !, s’impose par sa beauté froide et clôt le film dans un cri glaçant qui s’inscrit dans toutes les mémoires et résonne encore longtemps après. Enfin, mention spéciale à l’incontournable Mario Adorf et son incroyable trogne.

Malgré les quelques déséquilibres entre le passé et le présent, Je suis vivant ! n’en demeure pas moins souvent passionnant et reste un mystérieux et original objet de cinéma qui mélange habilement les genres, entre polar et drame social, à la limite du fantastique. Un divertissement qui n’est pas sans annoncer le récent – et surestimé – Get Out de Jordan Peele. Comme quoi, il est impératif de se pencher sur ces bons artisans du cinéma d’exploitation transalpin sur lequel certains ont avidement pioché. N’est-ce pas monsieur Tarantino ?

LE BLU-RAY

Je suis vivant ! avait déjà bénéficié d’une édition en DVD, en 2007 chez Neo Publishing. Pour son retour dans les bacs, Le Chat qui fume présente le film d’Aldo Lado en Haute-Définition pour la première fois en France. Une sublime édition limitée à 1000 exemplaires, proposée dans un Digipack à trois volets, glissé dans un fourreau cartonné du plus bel effet. Le menu principal est animé et musical.

Le Chat qui fume reprend le commentaire audio (en français dans le texte) d’Aldo Lado et mené par Federico Caddeo, présent sur le DVD Neo Publishing. Les deux hommes conversent longuement et de façon passionnante sur la genèse, l’écriture du scénario, les conditions de tournage, le casting et les thèmes (un film politique déguisé en giallo) de Je suis vivant !. Les prises de vue à Zagreb, la musique d’Ennio Morricone, le montage, les titres envisagés, la photographie et moult anecdotes de tournage sont au coeur de ce commentaire évidemment conseillé aux fans du cinéma d’exploitation.

Monter les poupées de verre (23’) : Nous voici maintenant en compagnie de Mario Morra, le monteur de Je suis vivant !. L’homme qui compte à son actif des œuvres aussi variées que cultes comme Les Sorcières du bord du lac (1970) de Tonino Cervi, Ma femme est un violon Il Merlo maschio (1971) de Pasquale Festa Campanile, Le Professeur (1972) de Valerio Zurlini et le Zorro (1975) de Duccio Tessari, revient sur ses débuts au cinéma, ses rencontres déterminantes, sa collaboration avec Aldo Lado et bien d’autres éléments toujours intéressants.

Tchèque et mat (1h37) : Oui, vous avez bien lu, nous sommes ici en présence d’un supplément encore plus long que le film qui nous intéresse aujourd’hui. Il s’agit d’un entretien avec Aldo Lado, toujours confortablement installé (ça c’est pour ceux qui ont lu notre chronique de La Bête tue de sang-froid) et disponible pour partager ses souvenirs. Alors forcément, ceux qui auront écouté le commentaire audio trouveront ce bonus souvent très redondant, puisque le réalisateur reprend peu ou prou les mêmes arguments et anecdotes que précédemment, la plupart du temps au mot près, si ce n’est que l’interview est cette fois menée en italien (sous-titré en français). On en apprend toutefois un peu plus sur ses débuts en tant que scénariste auprès du cinéaste Maurizio Lucidi, dont il a également été l’assistant, ou sur le fait que Terence Hill ait décliné le rôle principal de Je suis vivant !. Ce que l’on n’attendait pas, c’est ce que cet entretien est entrecoupé par des propos de Jean Sorel (par exemple à la 26è minute), qui sans langue de bois passe en revue les problèmes survenus sur le tournage (« insupportable » dit-il) et s’exprime sur le doublage anglais « très mauvais ».

Italien une fois, italien toujours (29’) : Place cette fois à Dieter Geissler, l’un des producteurs de Je suis vivant !, qui s’exprime avant tout sur ses débuts au cinéma (sa fascination pour Metropolis de Fritz Lang lui a donné sa vocation) en tant qu’acteur, puis assistant-réalisateur et enfin producteur, qui touchera notamment le jackpot avec L’Histoire sans finThe NeverEnding Story (1984) de Wolfgang Petersen. Avant de produire Ludwig – Le crépuscule des Dieux (1973) de Luchino Visconti, Dieter Geissler aidera Aldo Lado à monter son film, sur lequel il revient abondamment en passant en revue le tournage à Zagreb, le casting, les conditions de prises de vue, la musique d’Ennio Morricone et la chanson de Jürgen Drews, ainsi que les différents titres envisagés, le succès relatif du film et l’idée avortée d’en réaliser un remake dans les années 1980.

Le producteur sans argent (19’) : Largement évoqué au cours des entretiens précédents, ce module se concentre sur l’autre producteur de Je suis vivant !, Enzo Doria. Ce dernier avait déjà produit Les Poings dans les pochesI pugni in tasca (1965) de Marco Bellocchio, Le Jardin des délicesIl giardino delle delizie (1967) de Silvano Agosti et Les Cannibales I cannibali (1970) de Liliana Cavani. Des succès qui ne l’ont pas empêché de galérer pour produire le film d’Aldo Lado (avec des tchèques en bois diront certains), puisque comme nous l’explique Jean Sorel, également présent en pointillés sur ce supplément (Aldo Lado aussi d’ailleurs), les acteurs n’étaient pas payés. Le comédien explique entre autres que le « le comportement d’Enzo Doria était lamentable ». Le reste du temps, peu d’éléments nouveaux sont à grappiller puisque tout ce qui est dit ici sur le film a déjà été entendu dans les bonus précédents.

Le besoin de chanter (21’) : Qui ne connaît pas cette voix d’ange, mythique, extraordinaire, entendue dans les bandes originales du Bon, la Brute et le Truand, Il était une fois dans l’Ouest, Il était une fois la révolution, Le Casse et Il était une fois en Amérique ? Cette voix, c’est celle d’Edda Dell’Orso, chanteuse née à Gênes en 1935. Sa voix plane dans La Corta notte delle bambole di vetro et nous sommes ravis de pouvoir enfin entendre cette interprète qui a bercé des millions de cinéphiles à travers le monde. Edda Dell’Orso revient sur son parcours inattendu puisqu’elle désirait être danseuse, puis s’est finalement tournée vers le piano, avant de devenir institutrice, puis enfin chanteuse. On sent durant ce petit temps passé avec elle, où elle évoque bien évidemment sa rencontre et ses collaborations avec Ennio Morricone, que le chant est et demeure sa raison de vivre.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

Notons aussi la publication du livre Conversation avec Aldo Lado, disponible à la vente sur le site du Chat qui fume https://lechatquifume.myshopify.com/. Un ouvrage écrit par Laure Charcossey.

L’Image et le son

Le Chat qui fume déroule le tapis rouge au film d’Aldo Lado avec un superbe master Haute-Définition (1080p, AVC). Ce traitement royal permet même de le redécouvrir totalement. Dès l’introduction suivie du générique, la propreté s’avère sidérante, la copie est stable, le piqué aiguisé, la subjuguante photo du chef opérateur Giuseppe Ruzzolini est respectée et n’a vraisemblablement jamais été aussi resplendissante avec son grain aussi doux que du duvet. Aucune poussière ou griffure à signaler, la restauration laisse pantois du début à la fin, tout comme la luminosité, les couleurs et l’élégante tenue des contrastes. La Corta notte delle bambole di vetro est proposé dans sa version intégrale.

Propre et dynamique, le mixage italien DTS HD Master Audio Mono 2.0 ne fait pas d’esbroufe et restitue parfaitement les dialogues, laissant une belle place à la musique d’Ennio Morricone. A titre de comparaison, elle demeure la plus dynamique et la plus riche du lot. La version française DTS-HD Master Audio Mono 2.0 apparaît plus métallique et feutrée, parfois sans aucune commune mesure avec la piste italienne, qui rappelons-le était absente de l’édition DVD de 2007. Les sous-titres français ne sont pas imposés sur la version originale.

Crédits images : © Le Chat qui fume / Rewind / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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