AU P’TIT ZOUAVE réalisé par Gilles Grangier, disponible en Combo Blu-ray + DVD Edition limitée le 16 octobre 2024 chez Pathé.
Acteurs : François Périer, Dany Robin, Paul Frankeur, Marie Daëms, Jacques Morel, Alice Field, Robert Le Fort, Bernard Lajarrige, Paul Azaïs…
Scénario : Pierre Laroche & Albert Valentin
Photographie : Marcel Grignon
Musique : Vincent Scotto
Durée : 1h40
Date de sortie initiale : 1950
LE FILM
Dans un quartier populaire de Paris, où les policiers et un assassin de vieilles filles sévissent, le café Au P’tit Zouave offre réconfort et sécurité aux habitants modestes de la ville. Mais l’arrivée d’un homme plus fortuné et mystérieux vient perturber l’équilibre déjà précaire de l’établissement.
Les années qui ont passé ont contribué à réhabiliter l’oeuvre de Gilles Grangier (1911-1996). Si vous êtes fidèles à Homepopcorn depuis toutes ces années, vous savez que nous avons toujours défendu le réalisateur, conspué par la Nouvelle vague et ses disciples du 6e arrondissement. Nos chroniques consacrées à La Vierge du Rhin, Trois jours à vivre, Meurtre à Montmartre, Échec au porteur, Le Sang à la tête, Train d’enfer, Gas-oil, Maigret voit rouge et Archimède le clochard témoignent de notre amour inconsidéré pour le travail de cet artisan du cinéma français, qui a toujours su imprimer sa griffe dans des œuvres populaires. Gilles Grangier, c’est plus d’une soixantaine de mises en scène étalées sur près de quarante ans et s’il y a eu sans aucun doute un avant et un après Jean Gabin (les deux hommes feront douze films ensemble), on connaît indéniablement moins bien la première partie de sa prolifique et éclectique carrière. L’ancien assistant de Sacha Guitry, René Pujol et Georges Lacombe, ayant signé son premier long-métrage en 1943 (Adémaï bandit d’honneur avec Noël-Noël), enchaîne les tournages après la Seconde Guerre mondiale, allant jusqu’à signer trois films par an, avec une prédilection pour la comédie et le film musical. Au P’tit Zouave clôt cette décennie et s’avère une étonnante chronique, légère en apparence, d’un petit bar parisien situé au bas de la station de métro Dupleix, non loin de La Motte-Picquet – Grenelle et des usines Citroën. En réalité, l’endroit est propice aux rencontres les plus singulières, où l’on se confie au patron bougon (Robert Dalban, génial comme à son habitude) qui rappelle Bernard Blier dans Archimède le clochard, tandis que la serveuse Fernande (l’explosive Annette Poivre) regarde tout ce beau monde, les yeux rêveurs, tout en ne perdant pas une miette de ce qui est dit. Alors, quand le quartier devient le terrain de jeu d’un tueur en série, les suspicions commencent. Au P’tit Zouave est anecdotique quand on s’intéresse à Gilles Grangier, mais il y a toujours quelque chose à glaner ici et là chez ce cinéaste, une dimension documentaire notamment, à l’instar de l’ouverture, où le générique défile tandis que la caméra, placée à l’avant du métro, donne un bel aperçu de la capitale. On se sent bien devant un opus de Gilles Grangier, dont on ressent un humanisme non feint, raison pour laquelle Au P’tit Zouave mérite le coup d’oeil.
Le P’tit Zouave, un café du quartier de Grenelle, voit défiler une clientèle bariolée du Paris populaire. Un assassin en série de vieilles filles, « l’homme à la bouteille de lait », sévit dans le quartier. Armand, le patron est à ses heures le receleur de Louis, un petit malfrat du quartier, et loue quelques chambres. Mademoiselle Hélène, une jeune femme rangée y est en pension et doit subir les avances de plusieurs clients, qu’elle repousse avec fermeté. Fernande, la serveuse, jamais en reste d’un sourire entendu et d’un commentaire franc du collier, est moins farouche. Eugène, un ancien policier, est le souteneur d’Olga, une prostituée qui fait ses passes au P’tit Zouave, mais ne manque pas de classe. Quand arrive un soir monsieur Denis, jeune homme distingué jurant avec la clientèle populaire, tout le monde est intrigué. Il remarque tout de suite Hélène et décide de prendre pension dans le café-hôtel en se disant évasivement journaliste. La police s’intéresse au café : Armand se pense visé pour ses activités de recel, mais s’aperçoit que l’inconnu qui rôde incognito autour des clients, qui s’avère être le commissaire Bonnet, ne le coince en réalité que pour l’aider à démasquer le tueur à la bouteille de lait.
Au P’tit Zouave est la seconde collaboration de Gilles Grangier avec François Périer, après Femme sans passé (1948) et avant L’Amour, Madame (1952) et Jeunes Mariés (1953). Le comédien a alors le vent en poupe, apparaissant chez Claude Autant-Lara, Marcel Carné, Julien Duvivier, Christian-Jaque, Henri Decoin, Marcel L’Herbier et René Clair. Ici, il incarne un jeune trentenaire qui débarque d’on ne sait où, pile au moment où les meurtres de vieilles filles se multiplient à Paris. Autant dire que les conversions vont bon train quant à l’identité possible du criminel. Mais Au P’tit Zouave est une œuvre hybride. C’est aussi une comédie de mœurs, où les prostituées au grand coeur viennent prendre un petit remontant, avant de prendre l’escalier qui mène à une petite chambre pratique pour leurs affaires. Le patron Armand Billot, sert ce qu’il faut de Monbazillac, du Ricard, remplit les ballons de rouge ou de blanc, le porto a son petit succès, comme le Malaga. L’alcool détend l’atmosphère, où échauffe les sangs. Certains y noient leur chagrin, d’autres en prennent pour se souvenir.
Il y a la petite Hélène (la belle Dany Robin, Les Mystères de Paris, La Fête à Henriette, Les Amoureux sont seuls au monde), dont on ne connaît pas réellement le parcours, mais qui a l’air d’avoir déjà eu son lot de chagrins, M. Florent (Henri Crémieux, Le Temps des loups, Le Président), veuf et qui en pince pour Hélène, Olga (Marie Daëms, L’Air de Paris, Charmants garçons), la fille de joie mélancolique, Félix Lambert (Jacques Morel, connu pour avoir prêté sa voix à Obélix), amoureux transi et déçu d’Hélène (décidément…), et tous les autres personnages satellites qui gravitent autour du zinc. Avec un dispositif théâtral, tout le monde s’entrecroise. Quand un quitte le bar, un autre rentre et la mécanique est sans cesse relancée, en demandant un petit remontant ou en s’incrustant dans une partie de belote déjà entamée.
Quelques redondances peuvent donc se faire ressentir, surtout que l’ensemble manque d’aération on va dire, étant donné que l’action se déroule quasiment intégralement dans le bar éponyme, dont le nom provient du passé du patron, qui a fait son service militaire dans les Zouaves. Si l’identité du tueur se devine finalement rapidement, la prestation des comédiens est impeccable, surtout Paul Frankeur, impérial dans la peau du commissaire Bonnet, qui observe la « faune » du Zouave comme un Maigret dans un troquet planté près d’une écluse, en attendant que les langues se délient. Le scénario de Pierre Laroche (Le Septième juré, Le Monocle noir, L’Enfer des anges) et Albert Valentin (Le Mouton à 5 pattes, Le Bateau d’Émile, L’Étrange Monsieur Victor) repose essentiellement sur la dynamique des dialogues, par ailleurs très bien écrits, même si le film est bien trop bavard, cette fois encore, comme si les comédiens se tenaient sur une scène.
Mais Gilles Grangier est malin et parvient à donner du souffle à ces diverses rencontres et donc à dresser autant de portraits d’une poignée de protagonistes réunis sous le signe du verre à moitié vide ou à moitié plein, prêt à être englouti, alors que le suivant est déjà prêt sur le bar. À la vôtre !
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Aux côtés de Cinq tulipes rouges, Au P’tit Zouave apparaît dans les bacs chez Pathé, dans la fameuse anthologie Pathé Présente, en Combo Blu-ray + DVD. Les deux disques reposent dans un Digipack élégant, glissé dans un luxueux fourreau cartonné. À noter que le film de Gilles Grangier n’était jusqu’alors jamais sorti en édition Standard. Le menu principal est animé et musical.
L’interactivité se compose de trois modules, dont deux présentés par Olivier Barrot, journaliste et écrivain, spécialiste du cinéma français des années 1930-50. Celui-ci intervient pour évoquer François Périer d’un côté (22’), puis Robert Dalban de l’autre (10’30). Les carrières respectives des deux comédiens sont évoquées, ainsi que leurs parcours, leurs collaborations avec certains réalisateurs, ainsi que leurs films les plus emblématiques. De beaux hommages rendus à ces deux pointures de notre cinéma, qui ont su imprimer la pellicule de leur aura, comme de leur talent, Olivier Barrot indiquant au passage que Au P’tit Zouave mérite tout l’intérêt du spectateur.
Quant au troisième bonus…aaaaaaaaaau secours, Henry-Jean Servat est de retour !!! Fuyez pauvres fous, le trublion nous a préparé un portrait de l’actrice Dany Robin, comme qui dirait à son image, mal fagoté. Nous avons déjà dit tout le « bien » que l’on pensait des présentations de Servat sur d’autres titres (Les Arnaud, Les Monstres, Le Fanfaron, Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas !, Les Enfants terribles, Le Sexe fou), donc autant dire que nous sommes toujours préparés quand il se décide à parler des stars du cinéma français, comme s’il fréquentait le même proctologue que celles et de ceux dont il dresse le portrait avec la langue râpeuse qu’on lui connaît. Ponctuant d’un « Je les adore » en parlant des comédiennes quand il « ose » une comparaison entre Dany Robin et celles plus « starisées », ou d’un « elle était fraîche, gracieuse, gracile, appétissante, charmante », ou bien encore « elle était de celles qu’on a envie d’emmener à l’autel » (en précisant l’orthographe) et « j’étais à un dîner avec Kirk Douglas » (en mode je raconte ma life), le sieur Henry-Jean use les nerfs dès les premières minutes de sa longue intervention (près de 25 minutes tout de même) durant laquelle vous n’apprendrez quasiment rien sur celle qui fut la « petite fiancée de la France ». Aller HJ, au lit maintenant.
L’Image et le son
Les contrastes affichent d’emblée une belle densité, les noirs sont profonds, la palette de gris riche et les blancs lumineux. Seul le générique apparaît peut-être moins aiguisé, mais le reste affiche une stabilité exemplaire ! Les arrière-plans sont bien gérés, le grain original est respecté, le piqué est souvent dingue et les détails regorgent sur les visages des comédiens. Avec tout ça, on oublierait presque de parler de la restauration 4K du film, réalisée à partir du négatif original, par l’Image Retrouvée. Celle-ci se révèle extraordinaire, aucune scorie n’a survécu au scalpel numérique, l’encodage AVC consolide l’ensemble du début à la fin, le relief des matières est palpable. La photo est resplendissante et le cadre au format respecté, brille de mille feux. Ce master très élégant permet de redécouvrir ce petit Grangier dans une qualité technique admirable. Un panneau indique également que ce lifting a pu se faire aussi au moyen d’une copie d’exploitation nitrate. Des coupes étant présentes dans cette dernière, supprimées du négatif original, ont été réincorporées dans le montage du film.
La partie sonore a été restaurée à partir du négatif son original. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur ce mixage DTS-HD Master Audio Mono. Le confort phonique de cette piste unique est total, les dialogues sont clairs et nets. Si quelques saturations demeurent inévitables, la musique est joliment délivrée et aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs. L’éditeur joint également les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiovision.
Crédits images : © Pathé / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr