LES TROIS VISAGES DE LA PEUR (I tre volti della paura) réalisé par Mario Bava, disponible en Blu-ray et combo Blu-ray – 4K UHD chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Michèle Mercier, Lidia Alfonsi, Boris Karloff, Susy Andersen, Jacqueline Pierreux, Milly Monti, Gustavo De Nardo, Mark Damon, Massimo Righi…
Scénario : Marcello Fondato, Alberto Bevilacqua & Mario Bava
Photographie : Ubaldo Terzano
Musique : Roberto Nicolosi
Durée : 1h33
Date de sortie initiale : 1963
LE FILM
Le film est composé de trois sketches qui, chacun, mettent en scène une situation horrifique. Trois histoires :
«Le Téléphone». Rosy, une prostituée, décroche le téléphone. Au bout du fil, une voix mystérieuse lui annonce qu’elle va bientôt mourir. Les appels se succèdent et Rosy, désemparée, ne sait pas si elle doit croire les dires de cette voix d’outre-tombe.
«Les Wurdalaks». Vladimir d’Urfe, un voyageur, parcourt à cheval une campagne slave d’un autre siècle. Il tombe sur le cadavre d’un homme, le coeur transpercé par une épée.
«La Goutte d’eau». Miss Chester, une infirmière, est appelée en pleine nuit dans la demeure d’une malade qui vient de mourir. Alors que l’orage gronde, elle fait la toilette de la défunte et lui subtilise la bague qu’elle a au doigt…
De l’avis de ses très nombreux admirateurs à travers le monde, Les Trois visages de la peur – I Tre Volti Della Paura (ou Black Sabbath pour son exploitation anglo-saxonne) est le meilleur long-métrage réalisé par Mario Bava (1914-1980). Si cela restera forcément sujet à débat, ce film à sketches demeure sans aucun doute la pièce centrale de sa filmographie, celle à travers laquelle le cinéaste bifurque définitivement vers le genre horrifique dont il deviendra l’un des maîtres absolus et définitifs. Les Trois visages de la peur, c’est comme qui dirait le rond-point de la carrière du réalisateur, où Mario Bava profite de ses trois segments pour théoriser l’épouvante au cinéma, à travers trois approches et ambiances distinctes, et pourtant imbriquées et évidentes. Trois ans après Le Masque du démon – La Maschera del demonio, le film pour lequel il était pour la première fois crédité au générique et seul aux manettes, le maestro s’impose en cette année 1963 avec trois œuvres qui reflètent le tournant de sa carrière avec La Fille qui en savait trop – La Ragazza che sapeva troppo, Les Trois visages de la peur, puis Le Corps et le Fouet – La Frusta e il corpo. Le gore, le giallo, le thriller moderne transalpin apparaissent et se lieront l’année suivante dans le « capolavoro » Six femmes pour l’assassin – Sei donne per l’assassino. C’est dire l’importance des Trois visages de la peur, non seulement dans le cinéma italien, mais aussi et surtout dans le genre horrifique au cinéma !
Boris Karloff en personne vient jouer le maître de cérémonie afin de nous présenter les trois histoires qui vont suivre. Tout d’abord, « Le Téléphone », huis-clos oppressant dans lequel une jeune femme est harcelée au téléphone par un inconnu qui la menace de la tuer. Ensuite, « Les Wurdalaks », une sombre histoire de vampires errant dans la lande où vit recluse une famille de paysans, dans la Russie du XIXème siècle. Enfin, « La Goutte d’eau », où une infirmière venue au chevet d’une vieille femme mourante va regretter de lui avoir dérobé sa bague. Terreur et surnaturel, esprits des morts et créatures de la nuit sont donc au menu de ces contes macabres qui incarnent Les Trois Visages de la peur !
« Entrez…entreeeeez…j’ai bien peur que vous soyez obligés de me suivre » (rire diabolique). Bon, il s’agit ici d’un extrait tiré de l’attraction Phantom Manor à Disneyland Paris lorsque vous vous retrouvez coincés dans l’ascenseur de la bâtisse, mais c’est à peu près le même effet que nous fait l’apparition de Boris Karloff en avant-programme des Trois Visages de la peur, qui indique – en regardant les spectateurs droit dans les yeux – que les mauvais esprits et les vampires sont PARTOUT ! Si on le recroisera pour un épilogue qui n’est pas sans rappeler les interventions pince-sans-rire d’Alfred Hitchcock dans sa série Alfred Hitchcock présente, Boris Karloff, âgé de 75 ans, la même année que Le Corbeau – The Raven et L’Halluciné – The Terror de Roger Corman, tient également la vedette du deuxième sketch des Trois Visages de la peur, Les Wurdalaks, inspiré par la nouvelle La Famille du Vourdalak d’Alexis Tolstoï (et non pas Léon), qui puise dans l’imagerie russe. Dans ce segment très stylisé et le plus long du film, 42 minutes, soit près de la moitié du long-métrage, l’ancien monstre de Frankenstein donne la réplique à Mark Damon (La Chute de la maison Usher – House of Usher de Roger Corman, La Bataille pour Anzio d’Edward Dmytryk, Les Cent Cavaliers de Vittorio Cottafavi), dont l’entente avec Mario Bava a été très chaotique. Furieusement poétique, merveilleusement gothique, Les Wurdalaks permet à Mario Bava d’exprimer toute sa créativité formelle à travers des décors extraordinaires représentant la campagne slave, qui renvoient au cauchemar, celui universel et intemporel, qui semble inextricable. Sur un rythme lent, mais ô combien maîtrisé, Mario Bava distille l’angoisse et s’attaque frontalement au thème tabou de la mort d’un enfant, dont le retour surnaturel ne sera pas sans marquer certains de ses confrères et écrivains. Avec ses éclairages stylisés, Les Wurdalaks condense en trois quarts d’heure ce que la plupart des réalisateurs n’ont jamais su faire sur 90 minutes.
Mais cette partie centrale, du moins sur le montage européen, intervient après le sketch intitulé Le Téléphone, que le générique voudrait faire passer comme étant l’adaptation d’une nouvelle de Guy de Maupassant, même si l’écrivain était bien un contemporain d’Alexandre Graham Bell et avait 25 ans au moment de la première communication téléphonique. Il Telefono est aujourd’hui encore un exemple de mise en scène et de montage. Ces 25 minutes sont placées sous une tension permanente, chaque gros plan, chaque cadre, chaque mouvement de caméra reflète la virtuosité de Mario Bava, sa science de la grammaire cinématographique, du storytelling (d’autant plus que cette partie, comme la troisième, multiplie les plages silencieuses), sans oublier sa magistrale direction d’acteurs. Le Téléphone place la magnifique Michèle Mercier, 24 ans, qui venait d’apparaître dans Les Mille et Une Nuits – Le Meraviglie di Aladino de Henry Levin et Mario Bava, ainsi que dans l’impressionnant Symphonie pour un massacre de Jacques Deray, au centre du récit. Avant de devenir pour l’éternité l’Angélique, marquise des anges de Bernard Borderie, la comédienne, qui en 1963 allait également se retrouver à l’affiche des Monstres de Dino Risi dans le génial segment L’Opium du peuple, enflamme l’écran de sa beauté, de son érotisme et de sa sensualité. Mario Bava s’amuse à caresser le corps de son actrice avec sa caméra, en filmant ses courbes affriolantes et ses longues jambes, tout en créant une angoisse qui va crescendo, jusqu’aux deux retournements de situation, aussi implacables qu’inattendus. Ou comment le spectateur peut prendre un malin plaisir à observer, pour ne pas dire mater, cette femme attirante, alors que celle-ci est en train de passer une nuit particulièrement éprouvante ! Scream de Wes Craven et Terreur sur la ligne de Fred Walton peuvent d’ailleurs dire merci à Mario Bava.
Le dernier volet des Trois visages de la peur demeure pour beaucoup le plus prisé du lot. Celui très célèbre où Miss Chester, interprétée par l’actrice française Jacqueline Pierreux (et mère de Jean-Pierre Léaud) n’aurait peut-être pas dû voler la bague de l’une de ses patientes récemment décédée. Nous sommes ici en plein film d’horreur et c’est en voyant ce sketch de 20 minutes que l’on se rend compte, si cela était nécessaire, que les ersatz récents n’ont absolument rien inventé et ne parviendront pour la plupart jamais à la cheville de Mario Bava. Cette ultime partie est terrifiante. Si l’on retrouve cette fois encore les éclairages baroques symboliques du cinéaste, par ailleurs plus affirmés que dans les deux précédentes parties, ce dernier joue aussi et surtout avec le noir, les deux protagonistes principaux, si l’on tient compte de la « dépouille » de la comtesse décédée avec laquelle Jacqueline Pierreux « partage » la vedette de ce volet, étant principalement plongées dans la pénombre de cette demeure décadente que n’aurait pas reniée Luchino Visconti, surtout dans Violence et passion. Les zooms progressifs ou intempestifs, les plans fixes, les gros plans, créent la panique, distillée comme cette fameuse goutte d’eau éponyme, un poison que Mario Bava laisse infuser dans l’inconscient du spectateur, sans effet ostentatoire, juste comme une graine qui germe pour donner naissance à une plante carnivore qui finit par dévorer à la fois ses personnages et son audience.
Si malgré la postface (coupée dans la version française) durant laquelle le maître de cérémonie Boris Karloff et Mario Bava indiquent que tout ceci n’est qu’illusion, il est déjà trop tard. Les images des trois volets sont d’ores et déjà imprimées dans chaque esprit et sont déjà prêtes à envahir vos doux rêves pour les transformer en songes abominables.
LE COMBO BLU-RAY – 4K UHD
Parallèlement à la sortie en Blu-ray de La Ruée des Vikings, Le Chat qui fume propose – sur son site en cliquant ici – l’une de ses éditions les plus attendues de l’année 2021, celle des Trois Visages de la peur en combo Blu-ray + 4K Ultra-HD. Et n’y allons pas par quatre chemins, il s’agit d’un des plus beaux objets concoctés par l’éditeur et le graphiste Frédéric Domont. Le Digipack à trois volets est suprêmement élégant, reprenant les portraits des trois comédiennes principales du film, nimbées des couleurs baroques et reconnaissables de Mario Bava, tandis que le verso est illustré par celui de la comtesse décédée du dernier volet. L’ensemble est glissé dans un fourreau cartonné luxueux au visuel magnifique tiré de l’affiche américaine. Le menu principal est animé et musical.
On commence par le supplément le « moins » intéressant, l’interview de Lamberto Bava (16’). Le fils de Mario Bava, lui-même réalisateur et scénariste, revient sur l’un des films de son père qu’il préfère, Les Trois Visages de la peur. Marqué par quelques anecdotes de tournage (on apprend ainsi que Mark Damon n’aimait pas Mario Bava, sans que l’on sache vraiment pourquoi) et illustré par des photos prises sur le plateau, ce segment part un peu dans tous les sens et Lamberto Bava s’emmêle quelque peu les pinceaux, évoquant par exemple l’interprétation de Michèle Mercier dans La Goutte d’eau, ou cherchant le nom d’un tel sans parvenir à le trouver. Néanmoins, il s’agit évidemment d’un bel hommage d’un fils à son père, l’homme et l’artiste, qui s’estime heureux de le voir enfin considéré comme un des grands maîtres du cinéma italien, aux côtés d’un Federico Fellini ou d’un Dino Risi.
On passe ensuite à la présentation des Trois Visages de la peur par Edgard Baltzer (34’). Ce spécialiste du cinéma italien (et traducteur du livre Mario Bava, un désir d’ambiguïté, paru chez La tour verte) propose une fabuleuse analyse du film qui nous intéresse aujourd’hui, tout en le replaçant dans la carrière de Mario Bava. La genèse d’I tre volti della paura (autrement dit les films à sketches de Roger Corman), les fausses adaptations littéraires mentionnées dans le générique, l’approche différente de la peur dans les trois volets, le casting, les intentions et les partis-pris de Mario Bava sont ainsi des sujets abordés au cours de cette intervention passionnante. Outre des anecdotes liées au tournage, on apprend qu’un quatrième segment a été tourné, qui mettait en scène un couple en train de faire l’amour, surpris par un rat monstrueux, alors tapi dans le noir, qui saute soudainement sur le dos de l’homme. Edgard Baltzer cite à plusieurs reprises le scénariste Alberto Bevilacqua, puis revient en détail sur l’aspect « infiniment triste et mélancolique qui serre le coeur » du film (« qui émeut derrière le rictus »), tandis que le cinéaste s’amuse à faire sentir physiquement la peur aux spectateurs. Enfin, l’invité du Chat qui fume s’exprime sur la version française des Trois Visages de la peur (qu’il défend ardemment), sur la version américaine titrée Black Sabbath et distribuée par la American International Pictures, qui changeait alors l’ordre des sketchs, ajoutait une intervention de Boris Karloff avant chaque volet du film, ou transformait le sens du Téléphone en effaçant les allusions au lesbianisme des deux femmes.
Si on y trouve forcément divers propos qui font écho avec ce qui a été entendu précédemment, ne manquez surtout pas le dernier bonus proposé par Le Chat qui fume, l’intervention de Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (49’), auteurs de Mario Bava – Le magicien des couleurs (Ed. Lobster Films, 2019). Les deux lecteurs assidus de Mad Movies et passionnés par les films d’épouvante sont tout naturellement invités par l’éditeur afin de nous parler longuement des Trois Visages de la peur, film charnière dans la carrière de Mario Bava, qui enchaînait alors les tournages à vitesse grand V. On retrouve pour ainsi dire les mêmes sujets que dans l’interview d’Edgard Baltzer, si ce n’est que les analyses et arguments sont ici plus détaillés, tandis que les motifs, éléments dramatiques ou partis-pris présents dans chaque segment des Trois Visages de la peur sont croisés avec les œuvres précédentes ou à venir du maître italien, notamment Le Corps et le fouet.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce française et celle venue d’Italie, des trois Visages de la peur.
L’Image et le son
Un carton en introduction indique que Les Trois Visages de la peur a été restauré en 2019 par la Société Cinématographique Lyre avec le soutien du CNC, de la Fondazione Cineteca di Bologna et de la Cinémathèque Française. Les travaux ont été réalisés en 4K au Laboratoire L’Immagine Ritrovata (Bologne – Paris) et L.E. Diapason (Paris), à partir des négatifs originaux image et son. Une copie 35mm d’exploitation française a servi de référence pour l’étalonnage. Les versions italienne et française ont été restaurée en intégrant leurs inserts respectifs, retrouvés sur les éléments négatifs et sur une copie italienne d’époque. En l’état, (re)découvrir Les Trois Visages de la peur en 4K UHD – une première mondiale – était impensable il y a encore peu de temps. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette galette tient toutes ses promesses. Oubliez le petit DVD (sans bonus qui plus est) sorti en 2008 aux Éditions Montparnasse, car ce nouvel écrin français destiné au chef d’oeuvre de Mario Bava est aussi idéal que légitime. La restauration 4K est assez grandiose, un évènement devrait-on dire, confirmant la première place du Chat qui fume sur le podium des éditeurs hexagonaux sur l’édition des films du patrimoine en Ultra Haute-Définition après les récents Possession, La Traque, Les Charnelles, Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff, Gwendoline et La Rose écorchée. La copie affiche une stabilité à toute épreuve, des couleurs baroques élégantes qui font la part belle aux teintes rouges, roses, vertes, mauves et bleues, et en dehors d’une rayure verticale visible sur le premier plan du premier volet, la propreté est irréprochable, le piqué aiguisé (encore plus que sur le Blu-ray) et les contrastes solides. Le grain de la pellicule originale est présent, fin, délicat, organique, palpable.
Le Chat qui fume présente le montage européen des trois Visages de la peur dans son intégralité. Autrement dit, l’épilogue avec Boris Karloff, qui n’apparaissait pas dans la version exploitée en France, n’a jamais bénéficié de doublage et passe donc automatiquement en italien sous-titré dans la langue de Molière. Privilégiez évidemment la piste transalpine, même si comme l’indique Edgard Baltzer dans son intervention, le doublage français est très réussi. Dans les deux cas, pas de souffle parasite, le confort acoustique est indéniable, mettant aussi bien en avant les voix des comédiens (avec une nette avance pour la piste française, plus dynamique), que la musique de Roberto Nicolosi et les silences glaçants qui participent notamment à la tension croissante de La Goutte d’eau. Les sous-titres français sont imposés sur la version originale.