Test DVD / Le Grand chariot, réalisé par Philippe Garrel

LE GRAND CHARIOT réalisé par Philippe Garrel, disponible en DVD le 16 janvier 2024 chez Ad Vitam.

Acteurs : Louis Garrel, Damien Mongin, Esther Garrel, Léna Garrel, Francine Bergé, Aurélien Recoing, Mathilde Weil, Asma Messaoudene…

Scénario : Jean-Claude Carrière, Caroline Deruas-Garrel, Philippe Garrel & Arlette Langmann

Photographie : Renato Berta

Musique : Jean-Louis Aubert

Durée : 1h33

Date de sortie initiale : 2023

LE FILM

Depuis toujours, Louis et ses deux soeurs, Martha et Lena, assistent leur père, qui dirige le Grand Chariot, un théâtre de marionnettes dont leur grand-mère a fabriqué toutes les poupées. Lorsque le père meurt au cours d’une représentation, les membres restants de la famille se demandent quoi faire.

Entre la présentation du Grand chariot à la Berlinale en février 2023 et sa sortie dans les salles françaises à la rentrée septembre, Philippe Garrel a été mis en cause par cinq comédiennes, au sein d’une enquête de Mediapart, l’accusant de gestes déplacés, de leur avoir proposé des faveurs sexuelles en échange d’un rôle et de tentatives de baisers (de secours) non consentis. Bon, ça c’était pour installer le contexte houleux dans lequel est arrivé son dernier long-métrage dans les cinémas, ce qui a évidemment pris le pas sur le reste. Nous ne dirons pas dommage, mais en l’état, Le Grand chariot est une œuvre crépusculaire, marquée par une dimension méta dans la mesure où le cinéaste dirige ses trois enfants, Louis, Esther et Léna, tous réunis pour la première fois devant la caméra de leur père. Le Grand chariot évoque la filiation, la transmission et l’héritage (thèmes déjà présents dans Le Sel des larmes) dans une famille d’artiste, ce qui reste, ce qui doit être (ou pas) perpétué après la mort du père, du pilier et le fondateur de la troupe dans laquelle tous évoluent. Après plus d’une trentaine de longs-métrages et de téléfilms à son actif, Philippe Garrel démontre qu’il en a encore sous le capot, qu’il n’a jamais renié ses thèmes de prédilection, ses partis-pris (le film a été tourné en pellicule), faisant de lui un anachronisme dans le panorama cinématographique français. En dépit de quelques bémols (nous y reviendrons), Le Grand chariot est une jolie réussite, qui n’atteint certes pas la virtuosité bouleversante de L’Amant d’un jour, mais s’avère plus convaincant que Le Sel des larmes.

Le Grand Chariot est une constellation d’étoiles. C’est aussi un théâtre de marionnettes. C’est l’histoire d’une famille de marionnettistes, une fratrie, Louis et ses deux sœurs, Martha et Lena, leur père qui dirige la troupe et la grand-mère qui a fabriqué les poupées. Ensemble, ils forment une compagnie et donnent des spectacles de marionnettes. Un jour, lors d’une représentation, le père meurt d’une attaque, laissant ses enfants seuls.

Né en 1948, il est certain que Philippe Garrel pense à « l’après », à l’empreinte qu’il va laisser dans le cinéma, monde dans lequel il évolue depuis près de soixante ans. S’il a réussi à rassembler ses trois enfants à l’écran, c’est incontestablement pour ajouter à son film une aura autobiographique, même s’il se défend d’avoir mis en scène une autofiction (un film miroir plutôt), quand bien même son père Maurice a lui-même exercé le métier de marionnettiste. Esther (Call Me by Your Name), Louis (qu’on ne présente plus) et Léna (Les Amandiers) sont devenus comédiens, Louis étant même devenu réalisateur à son tour et qui après trois essais derrière la caméra, a enfin pu connaître à la fois l’engouement de la critique et celui du public avec L’Innocent (725.000 entrées, dix fois nommé aux César, récompensé par celui de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Noémie Merlant et celui du Meilleur scénario original).

Le Grand chariot se déroule dans un milieu artistique qui disparaît, celui des marionnettistes, qui subsiste dans une famille grâce au père (impeccablement interprété par Aurélien Recoing, de retour chez Garrel plus de 35 ans après Les Baisers de secours), qui voyant ses forces déclinées, décide d’engager un nouveau membre « extérieur », en la personne de Pieter, qui lui aspire à devenir artiste-peintre. C’est ce personnage qui détonne dans Le Grand chariot, comme si Philippe Garrel ne savait pas trop quoi en faire, à part un artiste maudit et autodestructeur qui se perd dans la création de ses toiles, au point d’en perdre la raison. Un cliché ambulant, pesant, parfois gênant, antipathique même. Heureusement, le casting, féminin surtout, les sœurs Garrel donc, mais aussi la formidable Francine Bergé, immense comédienne de théâtre qui joue ici la grand-mère, subjugue du début à la fin et s’impose par une force contagieuse et une sensibilité à fleur de peau. Le Grand chariot montre que, bien qu’unis autour des marionnettes du père, d’autres membres ne souhaitent pas forcément reprendre le flambeau.

C’est le cas de Louis, qui veut devenir comédien depuis toujours et qui une fois « débarrassé » du poids paternel, peut enfin se consacrer à sa passion, jusqu’à parvenir à en vivre confortablement. Au fur et à mesure, par ellipses, la famille se désagrège, doucement, paisiblement, mais sûrement, jusqu’à ce qu’une tempête symbolique ravage ce qui restait alors de l’atelier et donc dernier vestige d’un monde qui était voué à disparaître. Parallèlement, il s’agit aussi du dernier travail de l’illustre Jean-Claude Carrière, qui aura consacré le reste de son existence à collaborer à la fois avec Philippe Garrel (L’Ombre des femmes, L’Amant d’un jour, Le Sel des larmes) et Louis Garrel (L’Homme fidèle, La Croisade) et qui allait tirer sa révérence deux ans avant la sortie du film. Le Grand chariot a donc tout du film-testamentaire, mais évite tout côté pathos et sait rester lumineux (on peut parler de mélancolie solaire), en mettant en valeur le caractère sacré de la vie et de sa sensualité. Un passage de témoin comme pouvait l’être déjà celui de Maurice Garrel (dans sa dernière apparition au cinéma) à son petit-fils Louis dans Un été brûlant.

Depuis le début des années 2010, Philippe Garrel a bien fait de s’ouvrir à un cinéma moins opaque et cérébral, plus empathique et contemporain et Le Grand chariot, récompensé par l’Ours d’argent, reste un opus très attachant.

LE DVD

Après Le Sel des larmes, Ad Vitam se charge cette fois encore du service-après vente d’un film de Philippe Garrel. Le Grand chariot n’est disponible qu’en DVD. Le visuel de la jaquette reprend celui de l’affiche d’exploitation. Le menu principal est animé et musical.

En plus de la bande-annonce, l’éditeur propose la conférence de presse de Philippe Garrel, accompagné de ses filles Esther et Léna, suite à la présentation du Grand chariot à la Berlinale, où il allait être primé par l’Ours d’argent. Durant un peu plus de quarante minutes, le réalisateur, très en forme, répond aux diverses questions qui lui sont posées (non sous-titrées ou traduites) quant à la nature « autobiographique » et personnelle de son film, tandis que ses filles s’expriment sur les conditions d’un tournage en famille. Souvent, les propos du réalisateur partent un peu dans tous les sens, mais il ressort de son intervention une grande satisfaction d’avoir pu réunir les siens devant sa caméra, indiquant par ailleurs n’avoir jamais été aussi heureux sur un plateau.

L’Image et le son

Le Grand chariot a été tourné en pellicule. Comme à son habitude, l’éditeur livre un master lumineux et précis. Le cadre offre un lot de détails flagrant, le piqué est vif, le relief palpable, les séquences diurnes lumineuses et la définition impressionnante. Quelques séquences sombres apparaissent plus poreuses, tandis qu’un sensible bruit vidéo est relevé. La colorimétrie est vive et chatoyante, les contrastes concis.

En dehors des deux scènes de tempête et de la partition étrange signée Jean-Louis Aubert, l’ensemble du mixage Dolby Digital 5.1 concentre l’action sur les frontales. Si les dialogues auraient mérité d’être un peu plus ardents, la balance gauche-droite demeure efficace. N’hésitez pas à sélectionner la version stéréo, dynamique et fluide, épousant délicatement le caractère intimiste de l’oeuvre de Philippe Garrel. L’éditeur joint également une piste Audiodescription, ainsi que les sous-titres destinés aux spectateurs sourds et malentendants.

Crédits images : © Ad Vitam / RECTANGLE PRODUCTIONS – CLOSE UP FILMS – ARTE FRANCE CINEMA – RTS TÉLÉVISION SUISSE – TOURNON FILMS / Captures : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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