Test DVD / L’Innocent, réalisé par Louis Garrel

L’INNOCENT réalisé par Louis Garrel, disponible en DVD et Blu-ray le 21 février 2023 chez Ad Vitam.

Acteurs : Louis Garrel, Roschdy Zem, Noémie Merlant, Anouk Grinberg, Jean-Claude Pautot, Yanisse Kebbab, Léa Wiazemsky, Manda Touré…

Scénario : Louis Garrel, Tanguy Viel & Naïla Guiguet

Photographie : Julien Poupard

Musique : Grégoire Hetzel

Durée : 1h34

Date de sortie initiale : 2022

LE FILM

Quand Abel apprend que sa mère Sylvie, la soixantaine, est sur le point de se marier avec un homme en prison, il panique. Épaulé par Clémence, sa meilleure amie, il va tout faire pour essayer de la protéger. Mais la rencontre avec Michel, son nouveau beau-père, pourrait bien offrir à Abel de nouvelles perspectives.

En 2010 sort sur les écrans Les Mains libres de Brigitte Sy, un magnifique premier long métrage inspiré de son histoire à l’époque où elle dirigeait des ateliers de théâtre en prison avec les détenus. Loin des clichés propres aux films se déroulant en milieu carcéral, mais avec une extrême pudeur ainsi qu’une émotion continuellement à fleur de peau, la réalisatrice y dressait le portrait d’un homme et d’une femme, solitaires et abîmés par la vie, dont la rencontre dans un milieu inattendu va les ressusciter tous les deux. L’immense et regrettée Ronit Elkabetz et l’impressionnant Carlo Brandt incarnaient ces deux êtres troublants avec une rare intensité qui nous bouleversait tout du long jusqu’à la poignante séquence finale. En 2022, son fils Louis Garrel signe L’Innocent, son quatrième long-métrage comme réalisateur, qui s’inspire dans la première partie de la vie de sa mère. Après une critique on ne peut plus enthousiaste, plus de 700.000 entrées dans les salles et deux César, cette comédie-policière, mais aussi polar sentimental et même familial saisit directement le spectateur en plein coeur. Dès son premier film en tant que metteur en scène, le superbe Les Deux amis (adaptation contemporaine de la pièce de théâtre Les Caprices de Marianne d’Alfred de Musset), Louis Garrel (né en 1983) dévoilait une vraie ambition derrière la caméra. Si L’Homme fidèle et La Croisade n’avaient pas atteint la réussite de ce coup d’essai, leur auteur démontrait lui sa capacité à jongler avec les tons et les genres. Dans L’Innocent, il trouve enfin cet équilibre absolu, aussi bien en tant que comédien que cinéaste. On ressort absolument et entièrement conquis par L’Innocent, fabuleux numéro de funambule, interprété par quatre splendides acteurs, parfaits d’alchimie, qui se délectent de marcher sur le fil tendu entre la rigolade et l’émotion, le polar et la romance, mais aussi le cinéma populaire et celui dit d’art et d’essai. Un bijou.

Sylvie, qui anime des ateliers de théâtre en prison, se marie avec Michel, un des détenus, ce qui est mal accepté par son fils Abel, car ce n’est pas la première fois qu’elle se lie avec un détenu et cela mène toujours à des problèmes. Abel est un jeune veuf, qui se sent coupable car sa femme Maud est morte dans un accident de voiture alors qu’il était au volant. Il est très lié avec Clémence, qui était la meilleure amie de Maud. Tous deux travaillent dans un aquarium. À sa sortie de prison, Michel obtient un local bien situé, dans le but d’ouvrir un magasin. Michel n’ayant pas d’argent, Abel se doute (contrairement à sa mère) que Michel est sur un nouveau coup. Il cherche à en savoir plus en l’espionnant, mais se fait remarquer presque à chaque fois. Il découvre aussi par hasard une arme dans la poche du blouson de Michel. À un certain moment, Michel doit partir pour retrouver Jean-Paul, une de ses connaissances. Abel décide de le suivre en cachant le collier connecté du chien de Clémence dans le blouson de Michel. En plus de la localisation, le collier connecté permet à Abel d’écouter la conversation sur son smartphone, ce qui confirme ses doutes. Furieux contre Michel, Abel se fait expliquer le plan, censé être facile et sans danger : en résumé, voler du caviar dans un camion pendant que le chauffeur mange dans un restaurant, où il a toujours les mêmes habitudes.

Ce que l’on retient premièrement après la projection de L’Innocent, c’est la puissance de ses interprètes, tout d’abord celle de la solaire Anouk Grinberg. Devenue rare au cinéma, la comédienne vient de signer un retour en force avec tour à tour Tromperie d’Arnaud Desplechin, La Nuit du 12 de Dominik Moll, Les Volets verts de Jean Becker et L’Innocent donc. À l’aube de ses soixante ans, Anouk Grinberg conserve une aura luminescente, une fraîcheur de jeu inégalée, une spontanéité qui aurait de quoi rendre jalouses les actrices de sa génération. À la fois douce et attentionnée, exubérante et réservée, son personnage de Sylvie s’avère une femme-enfant qui n’aspire qu’à aimer et être aimée en retour, prête à sortir les griffes si l’on touche à un cheveu (bouclé) de son fils Abel.

L’autre personnage marquant est sans nul doute celui de Clémence, incarnée par la sublime Noémie Merlant. Voilà déjà plus de dix ans que l’actrice (née en 1988) apparaît au cinéma, surtout depuis 2014, en enchaînant entre autres les rôles chez Marie-Castille Mention Schaar (Les Héritiers, Le Ciel attendra qui lui vaudra d’être nommée pour le César du meilleur espoir féminin ), Mélanie Laurent (Plonger), avant la reconnaissance qui viendra avec Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, un grand succès critique et public qui s’accompagnera d’une nomination pour le César de la meilleure actrice. Si elle n’avait eu que peu d’occasions pour laisser libre cours à sa fantaisie, en dehors du Retour du héros de Laurent Tirard où là aussi elle crevait l’écran, Noémie Merlant explose encore plus (si cela était possible) dans L’Innocent. On se prend immédiatement d’affection pour Clémence, jeune femme qui compile les relations d’un soir, meilleure amie d’Abel, dont le franc-parler remet souvent à sa place ce dernier. Burlesque et lunaire, Clémence est aussi et surtout fragile comme du cristal et pourtant dure comme un roc, entière, capable de déplacer des montagnes pour venir au secours d’Abel (ou de mettre sa vie en danger, de voler un camion), dont elle est éperdument amoureuse, mais qui s’est mise en retrait depuis la mort accidentelle de son épouse. La longue séquence de braquage, où Abel et Clémence tentent de faire diversion dans le restaurant, est de celles qui marqueront longtemps les spectateurs. Entre rires et larmes, entre confessions intimes et improvisations, fiction et réalité, les deux personnes se livrent à coeur ouvert, pour la première fois, tout en laissant planer le doute (même si l’audience n’est pas dupe), quant à leurs véritables sentiments et ce qu’ils ressentent l’un pour l’autre.

Tout cet acte est représentatif de L’Innocent, qui chamboule les repères, Louis Garrel surfant sur la vague du polar social, en y intégrant une chronique familiale et une comédie-sentimentale romanesque déjà à l’oeuvre dans Les Deux amis. L’amour du cinéaste pour ses protagonistes, mais aussi pour ses acteurs transpire à chaque plan, à chaque réplique. Avec tout cela, on oublierait presque de parler bien sûr de Roschdy Zem. Parfait comme à son habitude, il n’a eu de cesse de se renouveler et paraît même avoir passé la vitesse supérieure depuis Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin (César du meilleur acteur), très vite suivi par La Fille au bracelet de Stéphane Demoustier, Enquête sur un scandale d’état de Thierry de Peretti et Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski, qui montrent encore la pluralité toujours inspirée de ses incarnations. Louis Garrel prouve quant à lui ses dispositions à faire preuve d’un humour « populaire » ainsi qu’à ses détracteurs qu’il sait faire rire et se moquer de sa propre personne par la même occasion.

Sur un rythme vif et porté par une superbe composition de Grégoire Hetzel, Louis Garrel livre donc l’un des films français les plus beaux et jubilatoires de ces dernières années, une comédie subjuguante, délicate, tendre, aux répliques enlevées qui font mouche, menée de main de maître autant sur le fond que sur la forme (qui combine les zooms, l’ouverture à l’iris, le split-screen), follement séduisante et élégante.

LE DVD

Porté par une critique dithyrambique, L’Innocent de Louis Garrel a su réunir plus de 700.000 spectateurs en France, un très gros succès. Ad Vitam présente ce long-métrage en DVD et Blu-ray. Le visuel reprend celui de l’affiche d’exploitation. Le menu principal est animé sur la chanson de Gérard Blanc, Une autre histoire.

Le premier supplément de cette édition Standard est un entretien avec Louis Garrel (15’). le comédien, réalisateur et co-scénariste revient sur tous les aspects de son quatrième long-métrage en parlant tout d’abord de ses intentions, « l’envie d’écrire un polar, faire un film accessible au grand public, un film d’aventure ». L’écriture des quatre personnages principaux, le rapport avec les spectateurs (ou comment déjouer leurs attentes), le tournage à Lyon et dans ses environs, les partis pris esthétiques (Louis Garrel voulait filmer en 16mm, mais a dû recourir au numérique), l’utilisation des chansons de variétés françaises des années 1980, le travail avec les comédiens sont ainsi passés au peigne fin.

Le deuxième supplément croise les propos d’Anouk Grinberg et Roschdy Zem (15’30). La première, enjouée, lumineuse, dit être tombée amoureuse de son personnage dès la première lecture (« un cadeau dans la vie d’une actrice »), évoque sa rencontre avec Louis Garrel (sur lequel elle ne tarit pas d’éloges), les conditions de tournage (« tout le monde a adoré joué ce film […] c’était comme un feu d’artifice du matin au soir »), le scénario (« exceptionnel, vivant, drôle »). Le second, plus mesuré s’exprime surtout sur la double casquette de Louis Garrel sur L’Innocent, qui devait jongler constamment devant et derrière l’objectif. Puis Roschdy Zem développe son personnage, parle des protagonistes (« attachants car décalés, pour ne pas dire désuets »), de la « liberté encadrée » des prises de vue, ainsi que de la grande difficulté de réaliser une comédie.

Beaucoup plus anecdotiques, les propos de Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes sont guère intéressants. Dommage, car ce dernier y parle de son coup de coeur pour le film de Louis Garrel (présenté hors-compétition), mais tombe dans l’éternel nombrilisme lié à cet événement annuel qui n’a aujourd’hui plus aucun attrait en sélectionnant toujours les mêmes réalisateurs en compétition. Ici, tout n’est que « Oui, j’ai tout de suite compris que ce serait un grand film ou un succès ! ».

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Comme Louis Garrel l’explique dans son interview, celui-ci désirait tout d’abord tourner L’Innocent en 16mm, avant de se résoudre à laisser son directeur de la photographie Julien Poupard (La Croisade, Le Prix du succès, Les Ogres) à utiliser le numérique. Néanmoins, il y a eu un gros boulot en post-production afin de donner à l’image une vraie patine proche de l’argentique, avec des contrastes révisés et appuyés, une clarté parfois presque brûlée, des couleurs désaturées. Nous n’avons pas pu avoir l’édition HD entre les mains, mais cette version Standard s’en tire avec les honneurs, en respectant les volontés artistiques originales. Des fourmillements s’invitent à la partie, mais rien de bien grave.

Le confort acoustique est largement assuré grâce au mixage Dolby Digital 5.1. La musique de Grégoire Hetzel (Roubaix, une lumière, Sage femme, Les Innocentes), ainsi que les quelques chansons emblématiques des années 1980 (Une autre histoire de Gérard Blanc, Pour le plaisir d’Herbert Léonard, Nuit magique de Catherine Lara, sans oublier I Maschi de Gianna Nannini) bénéficient d’une très belle spatialisation, les dialogues solidement plantés sur la centrale et la balance frontale fluide et limpide. Les plages de silence sont impressionnantes, les ambiances naturelles ne sont pas oubliées et les effets annexes sont omniprésents. La piste stéréo est également de fort bon acabit et contentera largement ceux qui ne seraient pas équipés sur les enceintes latérales. L’éditeur joint aussi les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © Ad Vitam / Les Films des Tournelles / Emmanuelle Firman / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.