Test Blu-ray / Reality, réalisé par Tina Satter

REALITY réalisé par Tina Satter, disponible en Combo Blu-ray + DVD – Édition Limitée le 27 janvier 2024 chez Metropolitan Vidéo.

Acteurs : Sydney Sweeney, Josh Hamilton, Marchánt Davis, Benny Elledge, John Way, Darby, Arlo…

Scénario : Tina Satter & James Paul Dallas, d’après la pièce de théâtre de Tina Satter

Photographie : Paul Yee

Musique : Nathan Micay

Durée : 1h22

Date de sortie initiale : 2023

LE FILM

Le 3 juin 2017, Reality Winner, vingt-cinq ans, est interrogée par deux agents du FBI à son domicile. Cette conversation d’apparence banale parfois surréaliste, dont chaque dialogue est tiré de l’authentique transcription de l’interrogatoire, brosse le portrait complexe d’une milléniale américaine, vétérane de l’US Air Force, professeure de yoga, qui aime les animaux, les voyages et partager des photos sur les réseaux sociaux. Pourquoi le FBI s’intéresse-t-il à elle ? Qui est vraiment Reality ?

Disons-le d’emblée, Reality est une des grandes et enthousiasmantes expériences cinématographiques de l’année 2023. Ce premier long-métrage et coup de maître de la dramaturge Tina Sutter s’inspire d’une étonnante histoire vraie, celle de Reality Winner (il ne s’agit pas d’un pseudonyme), arrêtée à son domicile le 3 juin 2017 par le FBI. Pour quelle(s) raison(s) ? Un mois auparavant, Reality Winner, linguiste spécialiste du persan et du pachto, ancien membre de l’US Air Force, regarde les actualités, qui parlent du renvoi de James Comey (ancien directeur du FBI) par Donald Trump, alors qu’il dirigeait l’enquête sur les liens éventuels entre l’équipe de campagne du candidat républicain et la Russie. Le 3 juin, des agents du FBI se présentent chez Reality, perquisitionnent sa maison et la soumettent ensuite à un interrogatoire aimable, mais tendu, au sujet de la fuite de documents classifiés liés à un rapport de renseignement concernant des accusations d’ingérences russes dans l’élection présidentielle américaine de 2016, dont ils savent qu’elle l’a consulté et imprimé au début du mois de mai. Tina Sutter, a eu accès à la transcription de cet interrogatoire. Il en découle tout d’abord une pièce de théâtre, jouée à Broadway en 2021 et intitulée Is this a room. L’auteure prend le pari fou de reprendre ce sujet pour le cinéma et en tire un étouffant thriller qui lorgne sur l’atmosphère des films de David Lynch, où le quotidien et la normalité deviennent soudainement étranges, comme si les personnages étaient sur le point de hurler, à l’instar du plan final de Twin Peaks : The Return. Mais TOUT ce qui est montré et entendu, jusqu’aux bégaiements et quintes de toux, dans Reality est vrai. En toute logique, quelques nominations aux oscars devraient suivre dans les prochaines semaines, notamment pour Sydney Sweeney, méconnaissable (sans doute parce qu’elle ne se dévêt pas une seule fois du métrage), magnétique dans le rôle principal, où son visage mis à nu (mais ce sera tout, allez voir ailleurs pour le reste) est capturé par la réalisatrice. La comédienne vue dans le lénifiant Under the Silver Lake de David Robert Mitchell, l’interminable Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino, mais surtout dans les séries Sharp Objects, Euphoria, The Handmaid’s Tale et The White Lotus, trouve enfin au cinéma un rôle qui devrait lui ouvrir de nouvelles portes.

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Test Blu-ray / MurderRock, réalisé par Lucio Fulci

MURDEROCK (Murderock – uccide a passo di danza) réalisé par Lucio Fulci, disponible en Blu-ray + DVD + Livre le 5 décembre 2023 chez Artus Films.

Acteurs : Olga Karlatos, Ray Lovelock, Claudio Cassinelli, Belinda Busato, Cosimo Cinieri, Giuseppe Mannajuolo, Berna Maria do Carmo, Maria Vittoria Tolazzi…

Scénario : Gianfranco Clerici, d’après une histoire originale de Gianfranco Clerici, Lucio Fulci & Vincenzo Mannino

Photographie : Giuseppe Pinori

Musique : Keith Emerson

Durée : 1h29

Date de sortie initiale : 1984

LE FILM

Une prestigieuse académie de danse de New York est le théâtre de meurtres sanglants. Les étudiantes se font assassiner de manière sadique. La directrice de l’établissement, Candice, souffrant de cauchemars étranges mettant en scène le mystérieux tueur, entreprend de mener l’enquête, avec l’aide d’un mannequin.

Bon…ce n’est pas nouveau, MurderRock ne bénéficiera jamais de l’aura de (pour ne citer que ceux-là) Les Quatre de l’apocalypseI Quattro dell’apocalisse, L’Emmurée vivante Sette note in nero, L’Enfer des zombies Zombi 2, Frayeurs Paura nella città dei morti viventi, L’Au-delà …E tu vivrai nel terrore ! L’aldilà, La Maison près du cimetière Quella villa accanto al cimitero et L’Éventreur de New York Lo Squartatore di New York. Néanmoins, le film vaut-il toute cette volée de bois vert reçue depuis sa sortie en 1984, au point d’être devenu emblématique de la déchéance de son auteur ? Sans doute pas. Il est évident que MurderRock, qui débarque sur les écrans italiens quelques semaines seulement après 2072, les mercenaires du futur I Guerrieri dell’anno 2072, s’accompagne d’éléments nanars, mais cela n’empêche pas, au contraire, de prendre du bon temps devant ce giallo-musical. D’accord, nous sommes beaucoup plus proches de Staying Alive de Sylvester Stallone, de Parking de Jacques Demy et de Dancing Machine de Gilles Béhat, qui dans leur genre s’apparentent aussi à des films d’épouvante (on se souvient de Francis Huster poussant la chansonnette et de Patrick Dupont en hyperventilation devant un Alain Delon stoïque fumant son cigare) que de Flashdance et Fame, succès internationaux sur lesquels voulait surfer la production. Murder Rock, ou MurderRock – Uccide a passo di danza, mais aussi Giallo a disco, Murder Rock – Dancing Death, ou même allons-y gaiement Slashdance est un divertissement sans prise de tête, avec de belles nanas qui n’hésitent pas à se dénuder pour faire plaisir aux spectateurs, des meurtres plus ou moins soignés, le tout sur un rythme soutenu. Que demander de plus ?

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Test Blu-ray / L’Effrayant docteur Hijikata, réalisé par Teruo Ishii

L’EFFRAYANT DOCTEUR HIJIKATA (Kyôfu Kikei Ningen : Edogawa Rampo Zenshû – Horrors of Malformed Men) réalisé par Ishii Teruo, disponible en Blu-ray le 1er octobre 2023 chez Le Chat qui fume

Acteurs : Teruo Yoshida, Yukie Kagawa, Teruko Yumi, Mitsuko Aoi, Michiko Kobata, Yumiko Katayama, Kei Kiyama, Reiko Mikasa…

Scénario : Ishii Teruo & Kakefuda Masahiro, d’après le roman de Rampo Edogawa

Photographie : Akatsuka Shigeru

Musique : Kaburagi Hajime

Durée : 1h39

Date de sortie initiale : 1969

LE FILM

Mutique, interné de force dans un asile psychiatrique de Tokyo, le jeune chirurgien Hitomi Hirosuke entend régulièrement dans sa tête un chant féminin qui se superpose au bruit des vagues. Des images l’assaillent également, dont celle d’un homme difforme aux mains palmées, sans qu’il parvienne à leur donner du sens. Une nuit, alors que quelqu’un s’introduit dans sa cellule pour tenter de l’étrangler, Hirosuke se voit contraint de tuer ce mystérieux agresseur et en profite pour s’évader. Une fois dehors, il croise une jeune femme, Hatsuyo, perdue dans ses pensées et fredonnant précisément cette berceuse qui le hante…

Et les vagues du logo de la Toei se brisent une nouvelle fois sur les récifs en ouverture d’un film d’Ishii Teruo. Le cinéaste a entamé sept ans plus tôt une collaboration au long cours avec le studio, après des débuts éclectiques dans les années 1950 sous la bannière de la Shintoho – vers laquelle il revient de temps en temps pour quelques films de science-fiction. Réalisant jusqu’à huit productions par an à un rythme effréné, qu’il co-scénarise bien souvent, son travail à la Toei se concentre d’abord sur une série de polars avant que de contribuer à la résurgence cinématographique de l’ « ero-guro », ce mouvement d’abord littéraire qui mêle érotisme frontal et univers grotesque. Edogawa Ranpo, figure de proue du genre dans les années 1920, est l’un des auteurs horrifiques les plus importants du Japon, imbriquant roman noir et fantastique. En 1969, deux de ses plus grands livres, Le Lézard Noir et La Bête Aveugle, viennent tout juste d’être adaptés respectivement par Fukasaku Kinji et Masumura Yasuzō. Bien plus tard, le romancier fournira encore du carburant à des cinéastes aussi doués que disparates (Tsukamoto Shin’ya pour Gemini en 1999 ; Barbet Schroeder pour Inju en 2008…). Ishii, quant à lui, choisit deux romans plus anciens, L’Île Panorama et Le Démon de l’Île Solitaire, et les croise afin d’en tirer une histoire propre à prolonger ses obsessions actuelles tout en explosant leurs limites.

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Test Blu-ray / Meurtres dans la 110e rue, réalisé par Barry Shear

MEURTRES DANS LA 110e RUE (Across 110th Street) réalisé par Barry Shear, disponible en Combo Blu-ray + DVD + DVD de bonus le 16 janvier 2024 chez Rimini Editions.

Acteurs : Anthony Quinn, Yaphet Kotto, Anthony Franciosa, Paul Benjamin, Ed Bernard, Richard Ward, Norma Donaldson, Antonio Fargas…

Scénario : Luther Davis, d’après le roman de Wally Ferris

Photographie : Jack Priestley

Musique : J.J. Johnson

Durée : 1h37

Année de sortie : 1972

LE FILM

Dans un tripot de Harlem contrôlé par la Mafia, cinq hommes comptent la recette du jour. Deux Noirs déguisés en policiers font irruption dans la salle, abattent les hommes et s’enfuient à bord d’un véhicule des forces de l’ordre. Deux policiers, authentiques ceux-là, s’interposent et sont à leur tour abattus. La Mafia, qui a la mainmise sur le quartier, commence ses propres investigations, aidée par des caïds noirs. De son côté, la police confie l’affaire à Pope, un jeune et idéaliste lieutenant noir, et au capitaine Mattelli, proche de la retraite, et dont la misanthropie n’a d’égale que la corruption…

Tout le monde, ou presque connaît la chanson de Bobby Womack, Across 110th Street et la plupart des spectateurs ont dans la tête l’ouverture de Jackie Brown (1997) de Quentin Tarantino. En réalité, ce dernier a comme d’habitude pompé de tous les côtés et avait tout simplement repris le tube éponyme du film de Barry Shear, baptisé en France Meurtres dans la 110e rue. Souvent classé à tort dans le sous-genre alors en vogue de la Blaxploitation, Across 110th Street est un polar pur et dur se déroulant à Harlem, Pandémonium sur Terre, territoire laissé à l’abandon, ou plutôt aux mains des mafieux blancs qui se la coulent douce de l’autre côté de Central Park, laissant le sale boulot aux noirs avec lesquels ils sont en affaire. Venu de la télévision, pour laquelle il officiait sur une quantité phénoménale de téléfilms et de séries depuis les années 1950 (Des agents très spéciaux, Opération vol, Les Règles du jeu, Opération danger, Les Rues de San Francisco), Barry Shear (1923-1979) aura peu, mais bien tourné pour le cinéma. Meurtres dans la 110e rue est alors son quatrième long-métrage pour le grand écran et restera son film le plus célèbre. Comme dirait Raoul Volfoni, « c’est du brutal » ! Across 110th Street est une véritable immersion (rendu imputable à l’utilisation de la révolutionnaire caméra portée Arriflex 35BL) au coeur de l’enfer, une œuvre poisseuse, redoutablement pessimiste, ultra-violente par moments (certaines scènes sont même déconseillées aux âmes sensibles), qui n’a rien perdu de son efficacité et qui embarque le spectateur pendant 1h35 sur un des affluents du Styx. Merveilleusement interprété par Anthony Quinn (également co-producteur exécutif aux côtés du metteur en scène) et Yaphet Kotto, Meurtres dans la 110e rue, écrit par Luther Davis (auteur des géniaux La Main noire de Richard Thorpe et Une femme dans une cage de Walter Grauman) d’après un roman de Wally Ferris (sorti en France sous le titre Noirs et Blancs, dans la collection Série Noire), est un thriller à réhabiliter de toute urgence.

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Test Blu-ray / Eve of Destruction, réalisé par Duncan Gibbins

EVE OF DESTRUCTION réalisé par Duncan Gibbins, disponible en Blu-ray depuis le 1er octobre 2023 chez Le Chat qui fume

Acteurs : Renée Soutendijk, Gregory Hines, Michael Greene, Kurt Fuller, John M. Jackson Loren Haynes Nelson Mashita Alan Haufrect…

Scénario : Duncan Gibbins & Yale Udoff

Photographie : Alan Hume

Musique : Philippe Sarde

Durée : 1h40

Date de sortie initiale : 1991

LE FILM

En marge de ses programmes plus traditionnels, l’armée américaine travaille dans le plus grand secret à la fabrication de robots censés imiter à la perfection l’apparence et la personnalité humaines, dédiés à la surveillance, au combat rapproché, voire à la destruction massive. Responsable de ce département, le docteur Eve Simmons a notamment créé un modèle féminin à son image : « Eve VIII » ; son propre background mental ayant même servi à construire l’habitus du cyborg. Mais alors qu’on teste ce dernier à l’extérieur sous surveillance, un incident fâcheux le fait échapper au contrôle de ses créateurs.

L’histoire de Duncan Gibbins n’est pas très heureuse. Auteur d’une grosse poignée de vidéoclips pour George Michael, Bananarama, Eurythmics et quelques autres, sa filmographie ne comporte que trois longs-métrages, dont deux dédiés au grand écran (et encore : pas dans tous les pays). Aucun n’effectuera la percée tant attendue en dépit de qualités certaines. L’émouvante Virginia Madsen aura accompagné les premiers pas au cinéma d’au moins deux clippeurs de talent : le prolifique et surdoué Steve Barron en 1984 pour son Electric Dreams (dans lequel elle partageait l’affiche avec feu Lenny von Dohlen) et donc, deux ans plus tard, Duncan Gibbins pour Fire With Fire, une production modeste mais fort estimable où une jeune fille cloîtrée dans un sévère institut catholique et un jeune délinquant purgeant sa peine dans un centre en milieu ouvert décident de s’évader ensemble, au mépris de toutes les autorités qui s’interposent. Cette fois, son partenaire est Craig Sheffer (par la suite, les deux comédiens s’illustreront chacun de leur côté dans l’univers de Clive Barker : Madsen en héroïne de Candyman ; Sheffer en héros de Cabal). Le film de Gibbins rapporte moins de 5 millions de dollars et il lui faudra cinq ans de plus pour revenir au cinéma avec le très bon Eve of Destruction – qui ne fera guère mieux au box office ! Le casting étonnant du film confronte Gregory Hines (alors connu pour Tap de Nick Castle, Deux Flics à Chicago et le Cotton Club de Coppola) à la hollandaise Renée Soutendijk (qui marqua les esprits dans deux grands films signés Paul Verhoeven : Spetters et Le Quatrième Homme). Suite à l’accueil trop mitigé de ces deux travaux, Gibbins mettra en scène Jennifer Grey et Peter Berg en 1993 dans un téléfilm policier de facture très honnête (… mais très télévisuelle !) : Seul dans la nuit (A Case for Murder), qui sera donc sa dernière œuvre. Décédé accidentellement à l’âge de 41 ans, sans avoir réellement connu le succès, Gibbins fait partie de ces artistes partis trop tôt pour qu’on ait pu juger de leur possible importance dans le paysage. D’autant plus grande est la nécessité de garder en mémoire la petite trace qu’ils ont laissée…

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Test Blu-ray / Le Diable boiteux, réalisé par Sacha Guitry

LE DIABLE BOITEUX réalisé par Sacha Guitry, disponible en Combo Blu-ray + DVD + DVD de bonus le 5 décembre 2023 chez Rimini Editions.

Acteurs : Sacha Guitry, Lana Marconi, Émile Drain, Henry Laverne, Maurice Teynac, Philippe Richard, Georges Spanelly, Renée Devillers…

Scénario : Sacha Guitry, d’après sa pièce

Photographie : Nikolai Toporkoff

Musique : Louis Beydts

Durée : 2h05

Année de sortie : 1948

LE FILM

De la fin du XVIIIè au début du XIXè, Talleyrand, homme d’État français et rusé diplomate sert six régimes successifs, parfois opposés… Avec brio, Sacha Guitry dresse le portrait de ce maître de la trahison et du changement d’allégeance, jusqu’à son triomphe final.

Avec Le Diable boiteux (« un film conçu, dialogué, réalisé et interprété par l’auteur »), biographie filmée du prince de Talleyrand, évêque d’Autun, qui servit la France de l’Ancien Régime jusqu’à la Monarchie de Juillet en passant par le Directoire, le Consulat, le Premier Empire et la Restauration (« Vive le roy ! », « Vive la République ! », « Vive l’Empereur ! », « Vive le roi ! » est-il écrit sur le même mur au fil du récit), Sacha Guitry signait son retour au cinéma. Si Le Comédien allait sortir en premier, Le Diable boiteux était initialement prévu avant celui-ci, mais le réalisateur, auteur et comédien allait rencontrer quelques soucis avec la censure. Avant que le tournage soit lancé, la pièce en trois actes et neuf tableaux Talleyrand ou le Diable boiteux attirait les foules au théâtre Édouard VII en 1948. Fasciné par le personnage historique, Sacha Guitry y voyait une opportunité pour faire un parallèle avec ce qu’il venait de vivre, ayant été arrêté puis incarcéré pour son comportement avec l’occupant allemand. Adulé et pourtant détesté par certains, mis au pilori et encensé, Sacha Guitry se met à nu dans la peau de Talleyrand (« le plus grand diplomate qui ait jamais existé […] qui ne s’est jamais soucié de l’opinion d’autrui ») et livre une sublime prestation, probablement l’une de ses meilleures. Si quelques longueurs se font parfois ressentir (le film durant plus de deux heures), notamment lors de la fête organisée pour les infants d’Espagne à Valençay, Le Diable boiteux laisse pantois d’admiration par la beauté incommensurable de ses dialogues et la modernité de sa mise en scène.

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Test Blu-ray / Le Comédien, réalisé par Sacha Guitry

LE COMÉDIEN réalisé par Sacha Guitry, disponible en Combo Blu-ray + DVD + DVD de bonus le 5 décembre 2023 chez Rimini Editions.

Acteurs : Sacha Guitry, Lana Marconi, Pauline Carton, Jacques Baumer, Robert Seller, José Noguéro, Maurice Teynac, Léon Belières, Simone Paris…

Scénario : Sacha Guitry, d’après sa pièce

Photographie : Nikolai Toporkoff

Musique : Louis Beydts

Durée : 1h36

Année de sortie : 1948

LE FILM

La vie romancée de Lucien Guitry par son fils Sacha…Lucien se prend de passion pour le théâtre dès l’enfance et fait ses débuts sur scène à dix-sept ans. Il triomphe dans tous les grands rôles du répertoire. Les difficultés commencent lorsqu’il s’éprend d’une jeune fille qui décide de devenir à son tour comédienne.

« Sacha Guitry, pourquoi avez-vous fait Lucien Guitry ? » demandait un journaliste au dramaturge quand son film s’intitulait encore ainsi. Ce à quoi ce dernier aurait répondu « Parce-que Lucien Guitry m’a fait ». À l’origine du Comédien, sorti en 1948, il y a un livre, Lucien Guitry raconté par son fils, puis une pièce Le Comédien, et finalement un film, comme un hommage ultime rendu à Lucien par Sacha, qui pour le coup endosse les deux rôles dans ce long-métrage. S’il commence comme un véritable documentaire centré sur l’enfance du personnage principal, Le Comédien bifurque rapidement vers la reconstitution en narrant les origines de la passion du théâtre de son père, qui préférait apprendre les pièces les plus célèbres, plutôt que ses leçons d’arithmétique. Le Comédien convoque une troupe d’acteurs exceptionnels (dont la fidèle Pauline Carton), qui gravitent tous autour du noyau central représenté par le maître en personne, maniant le sarcasme et l’ironie comme personne d’autre à son époque. Le Comédien est une œuvre irrésistible, marquée constamment par de fabuleuses répliques, le tout doublé d’une déclaration d’amour d’un fils pour son père, qui le ressuscite pour toucher sa main une dernière fois grâce à l’artifice du septième art, pour converser avec lui, pour lui signifier qu’il sera toujours présent chaque seconde. Et c’est superbe.

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Test Blu-ray / Cherry 2000, réalisé par Steve De Jarnatt

CHERRY 2000 réalisé par Steve De Jarnatt, disponible en Blu-ray depuis le 1er octobre 2023 chez Le Chat qui fume

Acteurs : Ben Johnson, Pamela Gidley, Melanie Griffith, David Andrews, Laurence Fishburne, Harry Carey Jr., Brion James, Michael C. Gwynne…

Scénario : Michael Almereyda, d’après une histoire originale de Lloyd Fonvielle

Photographie : Jacques Haitkin

Musique : Basil Poledouris

Durée : 1h39

Date de sortie initiale : 1987

LE FILM

En l’an 2017, une partie des États-Unis a été ravagée par la guerre atomique. Les zones sinistrées, nouveau terrain de jeu pour les contrebandiers sanguinaires, ne sont pas sûres. Sam Threadwell, cadre dans une station de recyclage des déchets électroniques et métalliques, coule des jours heureux avec sa femme artificielle, une Cherry 2000 d’un autre âge programmée pour répondre à ses moindres caprices et simuler l’amour béat en gardant toujours le sourire. Jusqu’au jour où les circuits de Cherry grillent accidentellement et rendent le robot hors d’usage.

Qui peut dire : « Je n’ai réalisé que deux longs-métrages dans ma vie, mais tous deux sont devenus cultissimes » ?… C’est au beau milieu des années 1980, après un court-métrage (Tarzana, 1978) et un épisode de New Alfred Hitchcock Presents (le remake de Man from the South d’après Roald Dahl) que le scénariste-réalisateur Steve De Jarnatt, avant de ne plus officier que dans le domaine de la série télévisée (X-Files, American Gothic ou Urgences, entre autres), met en scène coup sur coup l’inclassable Cherry 2000 et le sublime Miracle Mile (réédité en 2017 chez Blaq Out et très vite épuisé !). Personnage à part dans l’industrie hollywoodienne, sa carrière sur grand écran fut aussi éphémère que mémorable. Plus étonnant encore, elle pourrait constituer un diptyque à l’envers, la post-apocalypse décrite dans Cherry 2000 prenant potentiellement ses racines dans l’événement déclencheur de Miracle Mile. Peu revus et commentés depuis lors mais vénérés religieusement par un noyau de fervents admirateurs et, de plus en plus, par une partie de la critique, les deux films révèlent une personnalité à part, une véritable vision d’auteur trouvant sa cohérence dans l’insaisissable, à l’intérieur d’un cinéma du samedi soir naïf et assumé comme tel. Côté casting, le pétillant Cherry 2000 offre un rôle d’envergure au second couteau David Andrews, lui aussi homme de télévision avant tout. Aperçu dans A Nightmare on Elm Street, on le reverra dans Graveyard Shift (La Créature du Cimetière – film de vidéoclub entre tous !), puis en frère de Kevin Costner dans Wyatt Earp ou plus tard encore dans Hannibal, mais le gros de sa prolifique carrière s’épanouit sur le petit écran. Quant à Melanie Griffith, redécouverte en 1984 par Abel Ferrara (Fear City) et surtout Brian De Palma (Body Double), Steve De Jarnatt vient alors de la diriger dans Man from the South, face à Steven Bauer et John Huston. Sur la pente ascendante, elle enchaînera l’année suivante avec le Working Girl de Mike Nichols, gagnant définitivement ses galons de star. Autour du couple gravitent gloires du passé (Ben Johnson, Harry Carey Jr.), « gueules » de l’époque (Brion James, Tim Thomerson, Marshall Bell) et vedettes en devenir (Laurence Fishburne) dans un univers de comic book qui doit beaucoup à l’inventivité roublarde du réalisateur et aux compétences de son équipe technique – lesquelles font pas mal d’or avec beaucoup de plomb !

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Test Blu-ray / Hypnotic, réalisé par Robert Rodriguez

HYPNOTIC réalisé par Robert Rodriguez, disponible en DVD et Blu-ray le 21 décembre 2023 chez M6 Vidéo.

Acteurs : Ben Affleck, William Fichtner, Alice Braga, JD Pardo, Hala Finley, Dayo Okeniyi, Jeff Fahey, Jackie Earle Haley…

Scénario : Robert Rodriguez & Max Borenstein

Photographie : Robert Rodriguez & Pablo Berron

Musique : Rebel Rodriguez

Durée : 1h34

Date de sortie initiale : 2023

LE FILM

Déterminé à retrouver sa fille, le détective Danny Rourke enquête sur une série de braquages qui pourraient être liés à sa disparition. Mais les criminels qu’il poursuit sont bien plus machiavéliques qu’il ne l’imaginait : ils hypnotisent des innocents pour qu’ils commettent des crimes contre leur volonté. Personne ne semble à l’abri. Pour les déjouer, Rourke va devoir se méfier de tout le monde…

Il en a fait du chemin depuis ses débuts el Señor Robert Rodriguez ! D’El Mariachi (1993), tourné avec les moyens du bord (on parle de 7000 dollars) à Alita : Battle Angel, produit et coécrit par James Cameron, avec son budget colossal de 200 millions de dollars ! Avec une vingtaine de longs-métrages à son actif, on pouvait penser que le réalisateur bénéficierait enfin d’une tranquillité assurée ou qu’il disposerait désormais d’un confort lui permettant de miser sur de grosses productions à 100-150 millions de dollars. Visiblement, Robert Rodriguez n’a pas décidé de lâcher les films de séries B qui ont fait sa notoriété. C’était dernièrement le cas pour Red 11 (tourné avec un budget encore plus petit qu’El Mariachi) et même C’est nous les héros We Can Be Heroes, succès de la plateforme Netflix et rattaché aux Aventures de Shark Boy et Lava Girl (2005). Alors que se profilait un énième épisode de la saga Spy Kids (Spy Kids: Armageddon), également diffusé sur Netflix, Robert Rodriguez retrouvait le chemin des salles avec Hypnotic, projet qui couvait depuis une vingtaine d’années, pensé comme un hommage au cinéma d’Alfred Hitchcock. Si l’ensemble des spectateurs penseront forcément au lénifiant Inception (qui pompait largement sur l’exceptionnel Le Monde sur le fil de Rainer Werner Fassbinder), Hypnotic, qui n’a ni les mêmes moyens, ni la prétention (certains diront la suffisance suintante) du film boursoufflé de Christopher Nolan, n’en reste pas moins une série B fort honnête. Comme souvent chez le cinéaste, beaucoup d’idées apparaissent ici et là et la plupart ne sont pas suffisamment exploitées, mais le spectacle est garanti et Ben Affleck, à qui cela sied bien de prendre de la bouteille (en gros depuis sa période Batman), porte solidement ce petit divertissement sur ses épaules de déménageur.

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Test Blu-ray / Salon Kitty, réalisé par Tinto Brass

SALON KITTY réalisé par Tinto Brass, disponible en Blu-ray le 16 janvier 2024 chez Sidonis Calysta.

Acteurs : Helmut Berger, Ingrid Thulin, Teresa Ann Savoy, John Steiner, Sara Sperati, John Ireland, Tina Aumont, Stefano Satta Flores, Paola Senatore…

Scénario : Ennio De Concini, Maria Pia Fusco & Tinto Brass, d’après le roman de Peter Norden

Photographie : Silvano Ippoliti

Musique : Fiorenzo Carpi

Durée : 2h09

Date de sortie initiale : 1976

LE FILM

Berlin 1939. L’officier SS Wallenberg est chargé de sélectionner et de former de très jolies jeunes femmes allemandes afin de pourvoir le célèbre Salon de « Madame Kitty ». Ces nymphes nazi sont soumises aux passions et pratiques dégradantes des officiers de hauts rangs du Reich. Wallenberg constitue des dossiers sur chacun d’entre eux. Mais lorsqu’une innocente et jeune prostituée découvre les manoeuvres de Wallenberg, sa vengeance mettra le feu à cet holocauste de dépravation.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que près de cinquante ans après sa sortie, Salon Kitty (ou Les Damnées du Troisième Reich, ou bien encore Les Nuits chaudes de Berlin, voire même aussi Madame Kitty) n’a rien perdu de sa force dévastatrice et que le neuvième long-métrage de Tinto Brass n’a pas fini d’en choquer plus d’un. Tant mieux. Spectacle grandiose déconseillé aux âmes sensibles et à ne pas mettre devant tous les yeux, Salon Kitty est le premier volet d’une trilogie du réalisateur consacrée au pouvoir. Entre Portier de nuit Il portiere di notte de Liliana Cavani (sorti deux ans auparavant), Les Damnés La caduta degli dei de Luchino Visconti (dont il reprend d’ailleurs deux des acteurs principaux, Helmut Berger et Ingrid Thullin) et Salò ou les 120 Journées de Sodome Salò o le centoventi giornate di Sodoma de Pier Paolo Pasolini, Salon Kitty met en lumière la vulgarité, la violence, la connerie, la dégénérescence, la décadence du Troisième Reich, en misant justement sur le jusqu’au-boutisme, sur le fond comme sur la forme. Sommet dans la carrière riche et prolifique de son auteur, Salon Kitty met les nerfs à rude épreuve, joue forcément avec le voyeurisme du spectateur, que le cinéaste ne caresse pas dans le sens du pubis, le place comme témoin volontaire des agissements de personnages psychotiques, débauchés et pervertis. Il s’agit non seulement d’une véritable expérience de cinéma, mais aussi et clairement d’un des plus grands films des années 1970. Ni plus ni moins.

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