SOUVENIRS PERDUS réalisé par Christian-Jaque, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 9 avril 2021 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Bernard Blier, Pierre Brasseur, Suzy Delair, Danièle Delorme, Edwige Feuillère, Yves Montand, François Perier, Gérard Philipe, Armand Bernard, Daniel Lecourtois, Pierre Mondy, Marthe Mercadier…
Scénario : Jacques Companéez, Christian-Jaque, Jacques Prévert, Henri Jeanson, Pierre Véry & Pierre Prévert
Photographie : Christian Matras
Musique : Joseph Kosma
Durée : 2h01
Date de sortie initiale : 1950
LE FILM
Nous voici aux objets trouvés de Paris… Comment tant de choses banales ou singulières sont-elles échouées ici ? À la suite de quel drame, de quelle comédie ? Florence, mannequin, se fait photographier dans les salles égyptiennes du musée du Louvre quand elle rencontre Philippe et le début d’un nouvel amour… Jean-Pierre invétéré séducteur, ment avec poésie non pas pour être aimé pour lui-même mais pour ce qu’il n’est pas… Tous les journaux en ont parlé à l’époque, Gérard de Lancey, interné par sa famille pour ses extravagances et sa folle prodigalité s’évadait de l’asile… Raoul, agent de la circulation amoureux de l’épicière du quartier, monte un plan pour la séduire…
Sur Homepopcorn.fr, nous avons déjà longuement parlé du réalisateur Christian-Jaque (1904-1994) à travers nos chroniques consacrées à Si tous les gars du monde…, La Tulipe Noire, Les Bonnes causes, L’Enfer des anges et La Chartreuse de Parme. Pour la quatrième fois, Coin de Mire Cinéma nous permet de redécouvrir l’une de ses œuvres méconnues et ce malgré un casting exceptionnel, Souvenirs perdus (1950). Rendez vous compte, Danièle Delorme, Gérard Philipe, Pierre Brasseur, Edwige Feuillère, Bernard Blier, Yves Montand, Suzy Delair, François Périer, Pierre Mondy et bien d’autres apparaissent au fil des quatre sketches qui composent le film ! Quatre segments indépendants liés par un fil rouge, celui d’une caméra plongée dans les dédales de la section des Objets Trouvés de la Préfecture de Police située au 36 rue des Morillons dans le XVe arrondissement, métro Convention. Une voix-off, celle du chansonnier Robert Rocca, s’adresse aux spectateurs dans ce « temple de l’étourderie », ce « musée de la distraction ». Comment ces objets sont-ils apparus ici ? A la suite de quel drame ou de quel vaudeville ? Souvenirs perdus va se focaliser sur quatre objets en particulier et à travers eux, révéler leur histoire et leur provenance. Ainsi une statue d’Osiris, une couronne mortuaire en perles de verre, une cravate de fourrure et un violon vont dresser le portrait d’hommes et de femmes, résumer un pan de ces vies respectives. C’est ici l’occasion pour Christian-Jaque de se confronter à quatre genres réunis en un seul, puisque comme l’indiquait la promo d’époque, Souvenirs perdus est à la fois « une histoire sentimentale, loufoque, pathétique et souriante », offrant aux comédiens l’opportunité de réaliser de fabuleux numéros.
Souvenirs perdus rassemble du beau monde à la fois devant la caméra, mais aussi derrière et notamment au scénario puisqu’on y retrouve les noms illustres de Henri Jeanson, qui signe les segments (ainsi que les dialogues) de la Cravate de fourrure et de la Couronne mortuaire, en collaboration avec Pierre Véry, de Jacques et Pierre Prévert, auteurs de La Statuette d’Osiris et du Violon, le tout chapeauté par Christian-Jaque et Jacques Companéez. Tout à tour, les spectateurs suivent ces quatre récits d’une demi-heure centrés sur une statue qui permet à deux anciens amants (Pierre Brasseur et Edwige Feuillère, bouleversants) de se retrouver brièvement un soir de Noël après s’être perdus de vue dix ans auparavant, une couronne mortuaire qui fait croire à une jeune femme (Suzy Delair, hilarante, déchaînée et sexy) que son jeune amant (François Périer, explosif), fantaisiste est mort, une cravate de fourrure qui est à l’origine de la mort d’une jeune fille solitaire (Danièle Delorme, poignante et magnifique) étranglée par un halluciné évadé de l’asile psychiatrique (Gérard Philipe, exceptionnel), un violon qui marque la fin du rêve d’un agent de police (Bernard Blier, touchant) qui voit un chanteur des rues (Yves Montand, qui interprète entre autres Les Feuilles mortes) conquérir la femme (Gilberte Géniat) qu’il convoitait.
Comme il le fera tout au long de sa longue et prolifique carrière, Christian-Jaque passera d’un genre à l’autre avec la même réussite, en réalisant quelques grands écarts, des bas-fonds parisiens de L’Enfer des anges en N&B aux grandes aventures en couleur de La Tulipe Noire. Dans Souvenirs perdus, le cinéaste se fond dans le genre qu’il aborde, de la comédie bondissante du segment de La Couronne Mortuaire, à la photographie lumineuse, au thriller quasi d’épouvante (où Gérard Philipe interprète brillamment un déséquilibré devenant un tueur en série) de La Cravatte de fourrure, marqué par des partis-pris expressionnistes aux noirs denses et au cadre oblique tout droit hérité du Troisième homme de Carol Reed sorti deux ans auparavant. Dans La Statue d’Osiris, la photographie se fait plus duvêteuse et luminescente, comme si l’image caressait les deux anciens amants, qui se rappellent alors leur jeunesse perdue et envolée, alors que les intentions de Christian-Jaque et de son chef opérateur Christian Matras renvoient à ceux du cinéma muet dans Le Violon, qui s’ouvre d’ailleurs comme un film burlesque des années 1920.
Une fois n’est pas coutume, aucun sketch n’est en dessous de l’autre et chaque histoire, chaque personnage, chaque rebondissement, fonctionnent parfaitement. La mise en scène de Christian-Jaque est comme d’habitude élégante, la photographie est une vraie merveille, la partition de Joseph Kosma berce les tympans, les acteurs sont formidables, l’émotion, le charme et le rire s’équilibrent parfaitement. Aucune fausse note donc dans ces Souvenirs perdus, qui avait su rassembler près de 2,4 millions de spectateurs à sa sortie le 11 novembre 1950.
LE DIGIBOOK
Nous avions quitté Coin de Mire Cinéma en décembre dernier et l’éditeur fait déjà son grand retour avec six nouveaux titres qui rejoignent directement les 37 autres films déjà disponibles dans la désormais incontournable Collection La Séance et dont vous pouvez retrouver les chroniques de chaque édition dans nos colonnes, puisque nous accompagnons Coin de Mire Cinéma depuis ses débuts ! Faites de la place sur vos étagères, car l’éditeur a pu mettre la main sur Souvenirs perdus (1950) et Fanfan la Tulipe (1952) de Christian-Jaque, Brelan d’as (1952) de Henri Verneuil, Les Grandes manoeuvres (1955) de René Clair, La Poudre d’escampette (1971) de Philippe de Broca et Les Granges brulées (1973) de Jean Chapot, tous désormais disponibles en Édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret ! Souvenirs perdus était jusqu’à présent disponible en DVD chez LCJ Editions & Productions depuis 2015. Comme pour chaque premier titre chroniqué d’une nouvelle vague, nous rappellerons les spécificités des éditions Coin de Mire, fondées par Thierry Blondeau, indépendant et autodidacte, cinéphile passionné et grand collectionneur (plus de 10.000 titres dans sa DVDthèque) qui a décidé de se lancer dans le marché de la vidéo en 2018 dans le but d’éditer des films qu’il désirait voir débarquer dans les bacs depuis longtemps. Prenant son courage à deux mains, essuyant le refus de la plupart des éditeurs qui riaient devant son projet, Thierry Blondeau ne s’est jamais découragé. Son envie et son amour infini pour le cinéma et le support DVD/Blu-ray ont porté leurs fruits. La collection « La Séance » était née ! Inédits en Blu-ray, ces titres seront édités à 3000 exemplaires.
Comme pour tous les titres Coin de Mire Cinéma, L’édition de Souvenirs perdus prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la bio-filmographie de Christian-Jaque avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, et la reproduction en fac similé des matériels publicitaires et promotionnels, dont la couverture de L’Écran Français du 22 mai 1950, l’affichette française et même la partition musicale du Compagnon des mauvais jours. Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce du film Paris est toujours Paris, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores.
L’édition de Souvenirs perdus contient les actualités de la 45e semaine de l’année 1950 (9’) et les informations sont particulièrement chargées avec pêle-mêle la page sportive (le Prix Montgomery à Auteuil, le Xe Grand Prix de Penya Rhin en Espagne, marqué par un accident ayant entraîné la mort de trois spectateurs et une vingtaine de blessés), la célébration de l’Assomption à Rome par le pape Pie XII, un voyage de Franco en Afrique occidentale espagnole ainsi qu’une visite aux îles Canaries, la Suède en deuil après la mort du Roi Gustave V, la découverte de l’épave du Malabar Princess dans le massif du Mont-Blanc, suivie de la mort de René Payot, guide-instructeur de l’École de haute-montagne, responsable de la colonne de secours, qui tombe malheureusement dans une crevasse au cours de l’expédition de reconnaissance. Enfin, gros plan sur la guerre du Viêt Nam.
Les fameuses réclames diffusées en avant-programme dans les cinémas en 1950 sont aussi variées qu’inspirées avec les pubs pour les glaces Huskis, Evian (avec le footballeur Roger Lamy), la margarine Astra, le savon Monsavon (« Lavez-vous ! »), la collection La Tour de Londres…
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Restauration HD réalisée à partir du négatif original pour Souvenirs perdus. Un nouveau lifting disponible en Blu-ray au format 1080p. Grâce aux bons soins des Productions Roitfeld, avec la participation du CNC, le film de Christian-Jaque affiche une nouvelle et pimpante jeunesse. Si certaines poussières ont pu échapper aux yeux des restaurateurs (quelques points blancs et rayures verticales notamment), force est de constater la réussite exemplaire de ce nouveau master HD qui affiche des noirs denses (le segment de la Cravate en fourrure est à se damner de beauté), des blancs lumineux (surtout dans la partie de la Couronne Mortuaire), une stabilité à toute épreuve, une texture argentique présente, fine, élégante et excellemment gérée. Un bel hommage au travail toujours impressionnant du directeur de la photographie Christian Matras (Maxime, Les Espions, Lola Montès, Cartouche).
La piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations et chuintements demeurent inévitables, surtout durant la partie avec Gérard Philipe aux silences légèrement perturbés par des craquements, l’écoute se révèle la plupart du temps fluide, équilibrée, limpide. Les ambiances sont précises et si certains échanges manquent de punch et se révèlent moins précis, les dialogues sont dans l’ensemble clairs. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.