Test Blu-ray / Les Granges brûlées, réalisé par Jean Chapot

LES GRANGES BRÛLÉES réalisé par Jean Chapot, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 9 avril 2021 chez Coin de Mire Cinéma.

Acteurs : Alain Delon, Simone Signoret, Paul Crauchet, Bernard Le Coq, Renato Salvatori, Jean Bouise, Catherine Allegret, Pierre Rousseau, Fernand Ledoux, Miou-Miou…

Scénario : Jean Chapot, Sébastien Roulet & Frantz-André Burguet

Photographie : Sacha Vierny

Musique : Jean-Michel Jarre

Durée : 1h34

Date de sortie initiale : 1973

LE FILM

Un crime a été commis dans un coin isolé du Haut-Doubs, l’hiver. Le juge d’instruction soupçonne l’un des membres d’une famille habitant une grosse ferme à proximité. La chef de famille, Rose, une femme énergique, se dresse contre lui.

Immédiatement après le grand succès de La Veuve Couderc, Simone Signoret désire retrouver son partenaire Alain Delon dans un autre film, produit cette fois encore par Raymond Danon. La comédienne jette alors son dévolu sur le scénario des Granges brûlées, coécrit par Jean Chapot et Sébastien Roulet, d’après une idée originale de Franz-André Burguet. La force de l’histoire et des personnages convainc les deux stars de confier la mise en scène à Jean Chapot, qui sera malheureusement très vite dépassé par les évènements. Incapable de diriger ses acteurs ou de donner la moindre indication à son équipe, le réalisateur est écarté, surtout que les rapports avec Alain Delon devenaient extrêmement violents. Le film est rapidement repris en main par le monstre du cinéma français, qui finit d’emballer les scènes dans lesquelles le juge doit apparaître, avant de repartir et de laisser Jean Chapot revenir pour terminer le film. Toujours est-il que ces houleuses conditions de tournage ne se ressentent pas une seule seconde durant Les Granges brûlées, polar noir se déroulant sous la neige blanche immaculée, qui vaut évidemment pour la confrontation Delon-Signoret, ainsi que pour ses formidables acteurs secondaires, Paul Crauchet, Bernard Le Coq, Miou-Miou, Jean Bouise, Catherine Allégret et Renato Salvadori, sans oublier le cadre atypique dans lequel se passe l’action. S’il n’a pas connu le même sort que La Veuve Couderc, en attirant deux fois moins de spectateurs, Les Granges brûlées reste un classique du cinéma hexagonal, à l’intrigue classique, mais marquée par la composition étrange (pour ne pas dire déplacée) d’un Jean-Michel Jarre en transe sur ses synthétiseurs (qui rappellent parfois les bruitages de la Dictée Magique), trois ans avant le triomphe planétaire d’Oxygène.

Dans le Haut-Doubs, une ferme enfouie sous la neige enferme pour l’hiver une famille, un troupeau et les tonnes de fourrage nécessaires. Cette famille, c’est celle de Rose, 50 ans, robuste, intelligente, sans méchanceté. Elle règne sur sa petite tribu jusqu’à la nuit où le cadavre d’une jeune femme poignardée avec sauvagerie est découvert proche de la ferme, la famille de Rose vivait une vie quotidienne sans histoires. L’enquête se déclenche, et très vite, le juge d’instruction, Pierre Larcher, en vient à soupçonner la ferme et en particulier les fils de Rose. C’est entre Larcher et Rose, que va se jouer cette partie, que s’engage ce duel à mort…

La carte de visite de Jean Chapot (1930-1998) était blindée puisqu’elle mentionnait ses activités de comédien, de dialoguiste, de compositeur, de producteur, de réalisateur et de scénariste. S’il fait ses premiers pas au cinéma en tant qu’acteur dans Les Fanatiques d’Alex Joffé en 1957, c’est en tant qu’auteur et metteur en scène qu’il se fait connaître avec son premier long-métrage La Voleuse (1966), qui réunit Romy Schneider et Michel Piccoli. En 1972, son film Le Fusil à lunette est récompensé par la Palme d’or du court métrage au festival de Cannes. Les Granges brûlées restera son ultime long-métrage réalisé pour le cinéma. Après cette expérience douloureuse, Jean Chapot consacrera sa carrière uniquement à la télévision et signera quelques téléfilms à succès comme Docteur Teyran (1980) avec Michel Piccoli ou Les Mouettes (1990) avec Michel Galabru et Macha Méril. Il est difficile de dire si Jean Chapot ou Alain Delon est le réalisateur de telle ou telle scène, même s’il semble évident que le film ait été tourné en grande partie par le comédien. Les Granges brûlées reste célèbre pour l’opposition Delon-Signoret, qui fait le sel du film, bien plus que l’enquête, bien que suffisamment prenante du début à la fin.

Film policier certes, mais avant tout drame psychologique, Les Granges brûlées dresse le portrait d’hommes et de femmes plantés au milieu de nulle part, comme enfermés dans une boule à neige. Certains se sont résignés depuis longtemps à l’idée de s’en dépêtrer, tandis que d’autres, les plus jeunes notamment, désirent s’en extirper, même s’il faut pour cela s’opposer à leurs parents, qui espéraient que leurs progénitures reprennent le flambeau de l’entreprise, ou comme c’est le cas ici, l’exploitation familiale. A ce titre, Bernard Le Coq et Miou-Miou tirent leur épingle du jeu, le premier en fils cadet qui vit mal le fait que sa jeune compagne, la seconde donc, se soit éloignée de la ferme pour trouver un emploi de serveuse dans la ville la plus proche, loin de ce trou paumé. Le personnage de Rose Cateux, merveilleusement interprété par Simone Signoret, n’est pas sans rappeler celui tenu par Jean Gabin dans La Horse (1970) de Pierre Granier-Deferre, ainsi que dans L’Affaire Dominici de Claude-Bernard Aubert, sorti la même année que Les Granges brûlées et dans lequel apparaît également Paul Crauchet. La matriarche règne sur la ferme et ceux qui y habitent, autrement dit son mari, ses deux fils, sa fille, ses deux belles-filles et ses trois petits-enfants. Cinquante ans, solide comme un roc, le visage et la silhouette marqués par trop de labeur et le froid glacial (omniprésent et qui s’insinue même sous les draps), Rose voit son quotidien bouleversé par ce crime qui a été commis juste à côté de leur propriété. Sa rencontre avec Pierre Larcher, le juge d’instruction chargé de l’affaire, va entraîner une réaction en chaîne, non pas d’événements, mais de révélations inattendues, celle de secrets cachés, enfouis, qui vont faire ou refaire surface. Car Pierre Larcher est convaincu qu’un membre de la famille Cateux a quelque chose à voir dans le meurtre qui s’est déroulé dans cette petite bourgade. L’homme s’insinue progressivement au sein des Cateux, d’autant plus que le fils Paul semble avoir quelque chose à se reprocher.

Les Granges brûlées est nettement plus convaincant dans ses silences, quand la caméra observe les personnages les yeux dans les yeux, sans rien dire, mais où les spectateurs sensibles ressentiront le respect mutuel entre les deux forces en présence, à la fois des protagonistes, mais aussi des acteurs eux-mêmes, entre le « Môme » et la « Vieille ». Jean Chapot, ou Alain Delon on ne sait plus, sait tirer profit de ses très beaux décors, en particulier celui de cette grosse ferme de bois, dont on perçoit l’odeur des planches détrempées et du foin qui pourrit. Rose, doux prénom qui contraste avec le purin environnant, est une femme droite, qui campe sur ses positions et telle une louve protégera ceux qu’elle aime, même si elle doit pour cela s’opposer aux représentants de la loi si ces derniers ont le moindre soupçon sur l’un des siens. C’est là toute la subtilité et l’intelligence du jeu d’Alain Delon, parvenir à faire passer l’affection et l’admiration de Larcher pour Rose Cateux, sans que cela n’entrave son investigation.

En dépit de certaines baisses de rythme, surtout dans sa seconde partie, Les Granges brûlées demeure une valeur sûre du cinéma français, qui à cette époque parvenait à concilier le film d’auteur et le film populaire, au sens le plus noble du terme.

LE DIGIBOOK

Et de deux ! Après Souvenirs perdus, voici Les Granges brûlées, le second titre de cette nouvelle vague Coin de Mire Cinéma que nous passons au crible et dont nous chroniquerons également les autres opus de la Collection La Séance, à savoir Fanfan la Tulipe (1952) de Christian-Jaque, Brelan d’as (1952) de Henri Verneuil, Les Grandes manoeuvres (1955) de René Clair et La Poudre d’escampette (1971) de Philippe de Broca, tous désormais disponibles en Édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret ! Les Granges brûlées était jusqu’à présent trouvable en DVD chez Studiocanal depuis 2005.

Comme pour tous les titres Coin de Mire Cinéma, L’édition des Granges brûlées prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la bio-filmographie de Jean Chapot avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, et la reproduction en fac similé des matériels publicitaires et promotionnels, dont la pochette du 45 tours de la B.O.F., d’un extrait de « Pays Comtois Magazine », d’affiches italiennes (La Mia Legge), du magazine « Les Veillées des chaumières ». Le menu principal est fixe et musical.

Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce du film L’Affaire Dominici, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores.

Maintenant que vous êtes bien installé, prenez le temps de suivre le journal des actualités de cette 22e semaine de l’année 1973 (9’). Ces « Regards sur le monde » vous permettront de prendre quelques leçons de conduite (la bonne tenue du volant et la sortie de virage) avec deux pilotes expérimentés, de réviser votre histoire et votre géographie sur le Portugal et ses colonies (Macao notamment) et surtout d’admirer les derniers coups de truelle qui sonnent la fin de l’érection de la Tour Montparnasse, tandis que les habitants du quartier s’expriment sur ces 56 nouveaux étages de bureaux. Nous retiendrons un témoignage qui affirme « qu’il s’agira du plus beau point de vue sur Paris, puisque ce sera le seul où la Tour Montparnasse n’apparaît pas ! ».

Le film démarre dans dix minutes, alors il vous reste un peu de temps pour acheter les nouvelles glaces Miko (Mikorama), des cacahuètes Pernut’s et du chocolat Crunch ! Et pour ce soir, si vous habitez Lyon, n’hésitez pas à passer commande chez Super B qui propose le service SOS Bouffe, de 7h à 22h, 7 jours sur 7. Tandis que vous attendrez le livreur, servez-vous donc un Cointreau avec du Tonic, « c’est tellement rafraîchissant ! ». Demain, après vous être rasé avec un rasoir Bic, faîtes un saut chez votre concessionnaire Volkswagen, où l’on pourra vous faire essayer la K70 !

Après la séance, délectez-vous avec le supplément (repris du DVD de 2005), qui croise les propos (sans langue de bois) de Florence Moncorgé-Gabin (script-girl et qui fait une apparition dans Les Granges brûlées où elle interprète la compagne du juge), Philippe Monnier (premier assistant réalisateur) et de Jean-François Delon (co-premier assistant réalisateur). Durant 26 minutes, les trois intervenants s’expriment sur le tournage houleux des Granges brûlées, dû à l’incapacité de Jean Chapot de diriger ses comédiens, d’indiquer clairement et simplement ses intentions et sur ce qu’il attendait des acteurs dans un plan. Tétanisé par le poids du film, le réalisateur est littéralement paralysé, jusqu’à l’explosion d’Alain Delon, qui devient agressif et dur avec Jean Chapot, qui quitte alors le plateau, avant d’être remplacé par son comédien principal derrière la caméra durant quasiment le reste du tournage. On apprend également que Simone Signoret, connaissant le metteur en scène et qui l’avait poussé à réaliser lui-même Les Granges brûlées, essayait de le secouer et de le faire parler, voyant qu’il perdait les pédales et se murait dans un silence qui mettait l’équipe mal à l’aise. Quelques images de Jean Chapot, invité à parler du film dans un journal télévisé, sont aussi au programme.

Le Blu-ray contient un autre supplément en vidéo, un petit making of d’époque (9’), tourné à Pontarlier, dans le Haut-Doubs, sur le plateau, où l’on aperçoit Simone Signoret, Jean Chapot et Alain Delon. Pas de propos de ce dernier, mais en revanche les deux autres s’expriment sur les protagonistes et les habitants de la ville qui ont inspiré l’histoire. La caméra s’infiltre ensuite près du fournil du boulanger de la ville, qui entre deux fournées s’amuse à faire l’acteur. Puis, le réalisateur Guy Teisseire se rend sur le lieu principal du tournage, celui de la grange éponyme, avant de donner la parole à Christophe Sassard, le plus jeune comédien du film.

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.

L’Image et le son

Coin de Mire Cinéma affiche une nouvelle grande réussite à son palmarès avec ce magnifique master restauré 4K, réalisé par Studiocanal (avec le soutien du CNC), à partir du négatif image des Granges brûlées. D’une stabilité jamais démentie, immensément propre, l’image du Blu-ray est resplendissante et donne à la neige, omniprésente, une clarté immaculée qui lui a longtemps manqué. Le piqué est acéré, les contrastes denses, les détails foisonnent (la buée qui sort de la bouche des comédiens, y compris quand ils se trouvent dans la ferme), les noirs sont concis et la carnation est naturelle. La texture argentique est respectée et en dehors d’un dernier plan moins pointu, c’est du tout bon.

Le son a lui aussi subi un dépoussiérage de premier ordre, également à partir du négatif son français. Les dialogues sont limpides, la musique de Jean-Michel Jarre bénéficie d’un coffre inédit, sans jamais faire vibrer les tympans, même à volume élevé. Les sous-titres français, destinés aux spectateurs sourds et malentendants, sont disponibles.

Crédits images : © Studiocanal – Oceania Produzioni Internazionali Cinematographiche / Coin de Mire Cinéma / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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