Test Blu-ray / Les Quatre de l’apocalypse, réalisé par Lucio Fulci

LES QUATRE DE L’APOCALYPSE (I Quattro dell’apocalisse) réalisé par Lucio Fulci, disponible en combo Blu-ray+DVD le 22 février 2023 chez Studiocanal

Acteurs : Fabio Testi, Lynne Frederick, Michael J. Pollard, Harry Baird, Tomás Milián, Adolfo Lastretti…

Scénario : Ennio De Concini, d’après une nouvelle de Brett Harte

Photographie : Sergio Salvati

Musique : Franco Bixio, Fabio Frizzi & Vince Tempera

Durée : 1h40

Date de sortie initiale : 1975

LE FILM

Un tricheur, une prostituée enceinte, un ivrogne et un médium fou errent sur les routes après avoir échappé à un massacre organisé. Leur sort ne s’arrange guère avec la rencontre de Chaco, un sadique halluciné, qui leur inflige les pires traitements. Laissés pour morts, ils trouveront la rédemption sur le chemin de la vengeance…

En 1966, après avoir fait ses classes dans le domaine de la comédie en dirigeant le tandem Franco et Ciccio sur une bonne demi-douzaine de longs-métrages, Lucio Fulci se tourne vers le western avec Le Temps du massacreTempo di massacro, interprété par Franco Nero et George Hilton. Ce premier coup d’essai dans le genre sera ensuite suivi des légendaires gialli du maître (Le Venin de la peur, La Longue nuit de l’exorcisme, Perversion Story), puis de films d’aventure (Croc-Blanc Zanna Bianca et sa suite Le Retour de Croc-Blanc Il Ritorno di Zanna Bianca). Alors que les cowboys italiens se faisaient plus rares, surtout depuis le chant du cygne représenté en 1973 par Mon nom est Personne Il mio nome è Nessuno de Tonino Valerii, le réalisateur devait étonnamment revenir au western avec Les Quatre de l’apocalypseI quattro dell’apocalisse. Mais ce dernier va bien au-delà et s’avère en réalité un road movie qui n’est pas sans rappeler certaines œuvres du Nouvel Hollywood, notamment et contre toute attente Macadam à deux voies de Monte Hellman. À la fin des années 1960, aux Etats-Unis, ce style de récit initiatique (ou pas) prend son envol avec la sortie du film de Dennis Hopper, Easy Rider en 1969. Suivront Point limite zéro de Richard C. Sarafian en 1971 et Two-Lane Blacktop la même année par Monte Hellman. C’est l’époque des grands chamboulements, la guerre du Vietnam a traumatisé l’Amérique, la révolution sexuelle bat son plein, les mœurs et les actes changent et se libèrent. Il y a eu Woodstock en 1969 et l’affaire Charles Manson, auquel Chaco fait largement référence dans Les Quatre de l’apocalypse, qui découle pour ainsi dire des bouleversements profonds survenus dans le monde, ayant conduit outre-Atlantique à l’émergence de jeunes réalisateurs (un peu comme la Nouvelle Vague à la fin des années 1950 en France), Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, George Lucas, Steven Spielberg…Lucio Fulci comprend ce qui est en train de se passer et met en scène un road-movie mystique et mélancolique imprégné de peyotl (et de musique pop/folk un rien hippie sur les bords), parcouru par une violence frontale et graphique encore assez rare. Rétrospectivement, Les Quatre de l’apocalypse est assurément un des chefs d’oeuvre méconnus de Lucio Fulci, l’un de ses opus les plus mystérieux et entêtants, qui n’a probablement pas livré tous ses secrets près d’un demi-siècle après sa sortie.

Dans une petite ville puritaine devenue le repaire du vice, les habitants, avec la complicité du shérif, purgent la cité au cours d’un massacre sans pitié. Seuls un joueur professionnel, une prostituée, un ivrogne et un noir dialoguant avec les morts survivent, mais le pire est peut-être encore devant eux…

Dans I quattro dell’apocalisse, le spectateur fait partie intégrante du voyage et accompagne les personnages principaux, dont on ne saura que le minimum vital, si ce n’est que ces parias de la société vont être réunis par le destin, épargnés après un massacre qui a touché les habitants d’une ville où ils étaient de passage. Ou comment filmer des tranches de vie au quotidien et des individus qui avancent sans réel point de mire. Pour Lucio Fulci et son scénariste Ennio De Concini (La Fille qui en savait trop, Le Masque du démon), qui s’inspirent d’une œuvre de Bret Harte, le voyage aidera les protagonistes (forcément marginaux, laissés pour comptes, âmes damnées) à évoluer, même s’ils ont tout d’abord un réel problème de communication, leurs échanges faisant souvent penser à un dialogue de sourd. La proximité forcée après les événements qui auraient pu leur coûter la vie, va les faire s’ouvrir aux autres, jusqu’à la rencontre avec le diable en personne, qui répond au nom de Chaco, auquel l’incroyable Tomás Milián, ici entre un Yves Boisset (Folle à tuer) et un Bruno Corbucci (Flics en jeans) prête sa folie unique, pour sa troisième collaboration avec le cinéaste.

Les Quatre de l’apocalypse est devenu pour de nombreux cinéphiles un objet de fascination et le mythe autour de ce film s’est construit avec le temps. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce film ne ressemble à aucun autre et sûrement pas à un western transalpin, comme si Lucio Fulci, arrivant à un nouveau carrefour de sa carrière, hésitait entre les directions possibles, allant même jusqu’à inclure une touche de gore-cannibalisme dans une scène qui annonce ses futurs fleurons sanglants du cinéma d’exploitation. La cruauté est centrale dans Les Quatre de l’apocalypse, mais le récit ne cesse de bifurquer, prenant autant notre quatuor que les spectateurs par surprise, jusqu’au dernier acte, splendide, hypnotique, qui nous emmène là où on s’y attendait le moins, au moment où Bunny est sur le point d’accoucher. Cette dernière est incarnée par la magnifique Lynne Frederick (Phase IV de Saul Bass, Le Cirque des vampires de Robert Young), qui mourra prématurément en 1994 à l’âge de 39 ans. La relation de Bunny et Stubby Preston, interprété quant à lui par Fabio Testi (la même année que L’important c’est d’aimer d’Andrzej Żuławski) est réellement troublante et débouchera à la scène finale, aussi éprouvante que bouleversante.

Crépusculaire (superbe photographie de Sergio Salvati, chef opérateur de L’Au-delà, L’Enfer des zombies, L’Emmurée vivante), atypique et féroce, mais aussi émouvant, Les Quatre de l’apocalypse, interdit aux moins de 18 ans en Italie, ne caresse pas le public dans le sens du poil. Il lui montre sans fard à quoi ressemble le monde, sans pour autant se montrer pessimiste, désireux de se raccrocher à ce qui reste de bon dans l’humanité, comme la naissance d’un enfant innocent. Et ce même si une putain l’a engendré.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

La collection Make My Day ! de Jean-Baptiste Thoret arrive déjà à son 56è titre ! Nous en avons déjà longuement parlé et vous savez donc ce qui vous reste à faire pour la découvrir. Toujours est-il que nous avons affaire ici à un double-programme composé de Tuez-les tous… et revenez seul ! d’Enzo G. Castellari et du magnifique long-métrage de Lucio Fulci, Les Quatre de l’apocalypse. Les quatre disques, deux DVD et deux Blu-ray, repose dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné aux couleurs éclatantes typiques de cette anthologie. Le menu principal est très légèrement animé et musical.

L’historien du cinéma et critique présente tout naturellement le film qui nous intéresse au cours d’une préface en avant-programme (7’). Comme il en a l’habitude, Jean-Baptiste Thoret replace de manière passionnante Les Quatre de l’apocalypse (« un des films les plus étranges, inclassables et atypiques de l’histoire du western italien ») dans la filmographie de Lucio Fulci. Mais ce qui nous intéresse avant tout, c’est d’en savoir plus sur la genèse, les thèmes, le casting et la sortie de cet opus méconnu du cinéaste et Jean-Baptiste Thoret aborde évidemment tous ces sujets, et bien plus. Pas de spoilers ici, le critique pense également à celles et ceux qui n’auraient pas encore vu Les Quatre de l’apocalypse.

L’éditeur a pu mettre la main sur un documentaire exceptionnel intitulé Western à Alméria (35’), qui propose un bel aperçu du désert de Tabernas, où ont été tournés des dizaines de séries, documentaires, films et westerns (italiens principalement) qui l’ont rendu célèbre dans le monde entier, en raison de ses similitudes avec les déserts nord-américains de type Far West. Cela tombe bien, car Lucio Fulci est justement en train d’y tourner Les Quatre de l’apocalypse, ce qui nous permet de découvrir des images de tournage du film (ou comment un canard est sacrifié pour une scène…), de voir le maître à l’oeuvre et surtout de l’écouter sur les différences entre le western italien et américain, ainsi que sur la situation d’un genre (« le cinéma a de l’avenir, pas le western ») qui était alors en train de passer de vie à trépas. Un beau voyage au milieu des ravins, des cactus, des dunes, des collines, des herbes rares, des canyons, au cours duquel on croise aussi Tomás Milián, qui s’exprime en anglais sur son travail auprès des cinéastes transalpins. Enfin, quelques secrets du cinéma sont dévoilés (cascades, effets spéciaux, pyrotechnie, bagarres…).

Enfin, ne manquez pas l’intervention de l’excellent Lionel Grenier (44’30). C’est toujours avec beaucoup plaisir que nous retrouvons le rédacteur en chef du site luciofulci.fr qui donne de très nombreuses indications sur le parcours du cinéaste, tout en replaçant Les Quatre de l’apocalypse dans son œuvre. Lionel Grenier vous indiquera son contexte et vous donnera des indications sur le casting, sur les intentions et les partis pris du réalisateur.

L’Image et le son

Studiocanal nous livre la tant attendue édition HD française des Quatre de l’apocalypse. Avec son magnifique grain argentique, force est de constater que le chef d’oeuvre de Lucio Fulci renaît bel et bien de ses cendres avec une édition digne de ce nom. La propreté du master est ébouriffante. Toutes les scories, poussières, griffures ont été purement et simplement éradiquées. Ce Blu-ray au format 1080p (AVC) s’avère tout autant saisissant dans son rendu des scènes diurnes que pour les séquences sombres, l’image est souvent éclatante avec un piqué inédit, une profondeur de champ impressionnante et un relief des textures que nous n’attendions pas. Les couleurs, sensiblement désaturées, retrouvent une deuxième jeunesse et l’élévation HD est indispensable. Un lifting de premier ordre. Enfin, le film est proposé dans sa version intégrale non censurée.

Les Quatre de l’apocalypse est présenté dans sa version intégrale. De ce fait, certaines séquences qui n’avaient jamais bénéficié de doublage français ni anglais, passent automatiquement en italien sous-titré dans la langue de Molière. Propre et dynamique, le mixage italien DTS HD Master Audio Mono ne fait pas d’esbroufe et restitue parfaitement les dialogues, laissant une belle place à la musique. La version française DTS-HD Master Audio Mono, au doublage typique de l’époque, apparaît vive, même si évidemment moins naturelle. Évitez la piste anglaise, inappropriée. Les sous-titres français semblent toutefois suivre les dialogues de cette version…

Crédits images : © Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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