LE CID (El Cid) réalisé Anthony Mann, disponible en Combo Blu-ray + DVD – Édition Limitée le 16 février 2022 chez Rimini Editions.
Acteurs : Charlton Heston, Sophia Loren, Raf Vallone, Geneviève Page, John Fraser, Gary Raymond, Hurd Hatfield, Massimo Serato…
Scénario : Philip Yordan, Fredric M. Frank & Ben Barzman
Photographie : Robert Krasker
Musique : Miklós Rózsa
Durée : 3h
Date de sortie initiale : 1961
LE FILM
L’Espagne est presque entièrement aux mains des Maures du sultan Ben Youssouf. Seuls les petits royaumes d’Aragon et de Léon résistent encore. Don Rodrigue, jeune chevalier castillan, multiplie les exploits, au point que ses ennemis eux-mêmes l’appellent le Cid, le seigneur. Pour avoir fait grâce à des princes arabes vaincus, Rodrigue est accusé de trahison par le père de sa bien-aimée, don Gormaz. Au cours du duel les opposant, Rodrigue blesse à mort don Gormaz, qui fait jurer à sa fille Chimène qu’elle le vengera. Partagée entre son amour pour Rodrigue et sa promesse, Chimène choisit de tenir parole…
En l’espace de dix ans, Charlton Heston aura interprété à l’écran le président Andrew Jackson (Le Général invincible d’Henry Levin), par ailleurs à deux reprises (Les Boucaniers d’Anthony Quinn), Buffalo Bill (Le Triomphe de Buffalo Bill de Jerry Hopper), l’explorateur William Clark (Horizons lointains de Rudolph Maté) et Moïse (Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille). Si l’on ajoute à tous ces rôles celui de Judah Ben-Hur, le comédien est devenu le spécialiste des personnages « bigger than life ». Charlton Heston est incontestablement l’une des plus grandes stars du cinéma et débarque dans les années 1960 avec Le Cid – El Cid d’Anthony Mann, superproduction internationale dans laquelle il incarne Rodrigo Díaz de Vivar, dit El Cid Campeador ou simplement El Cid, chevalier mercenaire chrétien, héros de la Reconquista. Si ce dernier est évidemment peu connu en dehors des frontières espagnoles, l’occasion était trop belle pour le producteur Samuel Bronston (John Paul Jones, maître des mers de John Farrow, Le Roi des rois de Nicholas Ray), qui s’empare de ce mythe national pour mettre en route un spectacle cinématographique qui a pour vocation de concurrencer Hollywood, par l’intermédiaire de son studio installé en terre ibérique. Alors qu’il vient de réaliser les scènes du camp d’esclaves en Libye, Anthony Mann est viré du tournage de Spartacus par Kirk Douglas lui-même, producteur en plus de tenir le haut de l’affiche, qui lui reproche son manque de poigne. Samuel Bronston lui confie les rênes du Cid, de son budget conséquent et de son casting quatre étoiles, composé également de Sophia Loren, Raf Vallone, Geneviève Page et John Fraser. Considéré par maître Scorsese comme étant l’un des plus grands films épiques jamais réalisés, Le Cid est assurément l’un des longs-métrages les plus impressionnants que vous aurez l’opportunité de voir dans votre vie de cinéphile.
XIe siècle. L’Espagne envahie par les Maures est en proie à des luttes internes pour le pouvoir. La légende nous parle du condottiere Rodrigue Diaz de Vivar, dit le Cid Campeador, comme du plus grand héros sur cette terre. Au cours du voyage qui doit le ramener chez lui pour se marier avec la belle Chimène, Rodrigue capture quelques chefs maures qui, à l’appel du sanguinaire et sournois Ben Youssouf, tyrannisent la péninsule espagnole. Rodrigue leur rend la liberté à la condition qu’ils ne fassent plus la guerre à l’Espagne et aux terres du roi Ferdinand. C’est alors qu’un des chefs maures le fait entrer dans l’histoire en lui donnant comme surnom Le Cid pour le remercier de sa clémence. Arrive sur les lieux le comte Ordonez qui vient réclamer les prisonniers au nom du roi Ferdinand. Rodrigue refuse de les lui remettre ce qui lui vaut devant le roi et sa cour une honteuse accusation de trahison. Même le père de Chimène est contre lui, avec ce résultat que Rodrigue le tue dans un duel à mort à l’épée, forçant Chimène à le haïr. Un autre combat à mort dans un duel judiciaire à mort contre Don Martin, le champion du roi Ramirez, pour la possession de la ville de Calahorra, fera retrouver à Rodrigue son honneur perdu et la main de Chimène, mais non son amour. Ce duel lui vaut le surnom de Campeador, ce qui signifie « celui qui parcourt les champs ». La mort du roi Ferdinand, devenu un vieil homme, donne lieu à des conflits pour le pouvoir entre les deux infants, les princes Alphonse, Sancho et leur sœur doña Urraca, reine des intrigues. Rodrigue veut rester neutre, mais lorsque le prince Alphonse fait assassiner son frère Sancho par un tueur à sa solde, Rodrigue commence par tuer ce dernier puis intervient pendant la cérémonie de couronnement du nouveau roi, humiliant Alphonse, le prétendant au trône, en lui faisant jurer sur la Bible qu’il n’a pas trempé dans l’assassinat de son frère. Cette action vaut à Rodrigue l’exil à vie et la confiscation de tous ses biens. C’est alors que Chimène comprend la grandeur de Rodrigue et l’accompagne en exil. Après une nuit passée dans une grange avec Chimène, Rodrigue se retrouve au milieu d’une foule d’Espagnols qui chantent son nom et il ne peut s’empêcher de prendre la tête de ces hommes au nom de l’Espagne. Pendant ce temps, la ville côtière de Valence est tombée aux mains de Ben Youssouf et de ses partisans.
Loin de nous la prétention de dire si l’Histoire est respectée ou non. Nous prenons Le Cid version cinématographique comme elle se présente à nous. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que soixante ans après, la fresque d’Anthony Mann demeure encore l’une des plus grandes références du genre. Quasiment entièrement tourné dans l’Espagne franquiste, avec un petit détour par l’Italie pour les scènes en intérieur, El Cid installe le décor, le contexte historique et l’ennemi d’entrée de jeu par l’intermédiaire d’une voix-off et d’une succession de plans aussi simples que grandioses. On comprend très vite que cela va être monumental et que tout va être fait pour en mettre plein les yeux aux spectateurs, rapidement conquis. Et cela ne se démentira pas une seule seconde. Durant les trois heures qui vont suivre, l’audience suivra les aventures de Rodrigue, présenté d’emblée comme une figure christique (sa première action sera même de porter une croix), qui cherchera toute son existence à concilier amour et honneur, en accomplissant sa destinée, mener le combat contre les Maures qui envahissent l’Espagne, tout en essayant de vivre pleinement auprès de celle qu’il a toujours aimé, Chimène. A nouveau, Charlton Heston se fond à merveille dans la peau d’un héros légendaire. Si ce rôle fait aujourd’hui écho à d’autres qu’il a pu tenir par le passé, la star hollywoodienne parvient chaque fois à trouver ce qui différenciera Le Cid de Moïse ou de Ben-Hur, avec cette touche shakespearienne qui lui sera chère tout au long de son illustre carrière.
Le scénario signé Philip Yordan (Les 55 jours de Pékin, Bravados, Plus dure sera la chute, La Charge des Tuniques Bleues, Le Livre noir), Fredric M. Frank (Les Dix Commandements, Sous le plus grand chapiteau du monde) et Ben Barzman (L’Attentat, Le Garçon aux cheveux verts, La Chute de l’Empire Romain) accorde autant de place au spectaculaire qu’aux scènes intimistes. Non seulement l’Espagne est montré comme un pays ruiné et menacé par le terrible émir Youssouf, mais également déchiré intérieurement par les guerres fratricides entre les différentes provinces. Un homme va se lever, Rodrigue Diaz, qui va appeler tous les hommes de son pays, chrétiens, juifs, musulmans, à s’unir contre leur ennemi commun, jusqu’à la dernière bataille, extraordinaire et filmée de façon virtuose par Anthony Mann, qui joue à armes égales avec Cecil B. DeMille et qui avait déjà « tâté » du blockbuster en s’occupant des séquences de l’incendie de Rome dans le Quo Vadis de Mervyn Leroy dix ans auparavant.
Des décors naturels espagnols (e tournage ayant été largement facilité par Franco), en passant par les costumes, la magnificence de la photographie de Robert Krasker (Brève rencontre de David Lean, Le Troisième Homme de Carol Reed, Senso de Luchino Visconti), les envolées lyriques de Miklós Rózsa (La Maison rouge de Delmer Daves, Les Amants traqués de Norman Foster, Le Poison de Billy Wilder), la beauté stupéfiante de Sophia Loren, la performance de Geneviève Page (qui vole même la vedette à la star italienne), les titanesques séquences d’action avec ses milliers de figurants, le montage magistral de Robert Lawrence (La Chevauchée des bannis d’André De Toth) qui ne laisse aucun répit aux spectateurs, sans oublier son message humaniste et tolérant, tout contribue à faire du Cid une des plus grandes épopées de l’histoire du cinéma, qui obtint un énorme succès, attira plus de 4 millions de spectateurs dans les salles françaises et récolta trois nominations aux Oscar en 1962.
LE COMBO BLU-RAY + DVD – ÉDITION LIMITÉE
Oyez, oyez ! Cinéphiles de tout horizon, vous l’attendiez tous, Le Cid d’Anthony Mann est de retour dans les bacs ! Après une toute première édition en DVD en 1999 chez Opening, l’épopée d’Anthony Mann arborait les couleurs de Filmedia en 2011 en édition collector DVD et en Blu-ray, l’édition HD étant depuis devenue défectueuse…Il aura fallu attendre dix ans pour que Le Cid bénéficie d’un traitement royal. Rimini récupère tout naturellement ce titre qui revêt ses plus beaux atours. Et une fois de plus, nous devons ce magnifique objet à nos camarades de La Plume. Le Mediabook – composé du Blu-ray et du DVD du film + 1 DVD de suppléments – que nous tenons dans les mains est absolument sublime et donne immédiatement envie de se plonger dans le livre Le Chevalier Heston (96 pages), écrit par Stéphane Chevalier (déjà à l’oeuvre sur Les 55 jours de Pékin, Queimada, Le Pont de Remagen, Le Lion et le Vent, La Maison aux sept pignons, Khartoum, Un été à la Goulette, Les Vikings) et Jacques Demange (vu dans les suppléments de L’Appel de la forêt, Marché de brutes et La Brigade du suicide). Un supplément à part entière, parfaitement conçu (en dehors de la reprise de quelques paragraphes), passionnant dans le fond et élégant sur la forme. Tout y est abordé, la genèse du film, le contexte historique du tournage (ainsi que les conditions des prises de vue), ainsi que celui de l’action du film, le casting, la place du Cid dans la carrière de Charlton Heston et dans celle d’Anthony Mann, un gros plan sur les comédiens Douglas Wilmer, Frank Thring et Gary Raymond (avec même un entretien pour ce dernier, réalisé à l’occasion de la réalisation de ce livre), sans oublier une analyse du film. Et on ne va pas se mentir, nous sommes très fiers d’être cités dans les remerciements par La Plume, que nous remercions à notre tour du fond du coeur. Le menu principal est animé et musical.
Concernant les suppléments, l’éditeur reprend déjà le court-métrage d’animation intitulé Le Cid (26’), réalisé en 2006 par Emmanuelle Gorgiard : Chimène et Rodrigue s’aiment. Pour venger l’honneur de Don Diègue, son père, Rodrigue tue le Comte Don Gomès, père de Chimène. Chimène veut alors la mort de Rodrigue mais craint de l’obtenir. Pour ne pas vivre avec la haine de Chimène, Rodrigue lui offre sa vie. Des insectes interprètent le Cid de Corneille. Ces insectes-acteurs sont excités par le texte, ses défis, ses appels au meurtre et à la vengeance. Si la mémoire des protagonistes est parfois approximative et leur jeu excessif, l’esprit cornélien plane sur cette arène baroque. Cette merveille visuelle (les décors et les marionnettes sont fantastiques) et poétique, librement inspirée de l’oeuvre de Corneille, mérite toute l’attention du spectateur et bénéficie d’un casting vocal de choix avec Jean-Noël Brouté, Judith Henry, Maurice Chevit, Dominique Besnehard et surtout Sergi Lopez, impeccable en Rodrigue. En revanche, pas de trace du making of dispo sur l’ancienne édition HD.
Dommage aussi de ne pas retrouver le module intitulé Le Médiateur (36’), réalisé par Noël Simsolo, qui donnait la parole à Pierre-Henri Deleau, qui proposait un formidable retour sur Le Cid, doublé d’une présentation sur la carrière d’Anthony Mann.
Mais ne faisons surtout pas la fine bouche, car Rimini Editions et La Plume proposent des bonus inédits et concoctés pour cette nouvelle sortie du Cid.
Stéphane Chevalier est allé à la rencontre de Jean-François Rauger. Durant près d’une demi-heure, le critique et directeur de la programmation à la Cinémathèque française revient en long en large sur la fresque d’Anthony Mann, ainsi que sur la réalité historique du récit, les personnages, l’évolution du scénario (les multiples réécritures), le casting, la dimension shakespearienne de l’histoire, les conditions de tournage, les partis-pris et les intentions du réalisateur, la place du Cid au sein de la filmographie d’Anthony Mann, le travail sur le cadre, la métaphore du système hollywoodien, qui connaissait alors une crise grave économique, esthétique et morale. Jean-François Rauger indique notamment que la scène finale est presque une métaphore du cinéma hollywoodien qui tente de survivre, alors que le système est déjà mort…
L’autre nouveau supplément est une intervention de Samuel Blumenfeld (13’). Nous avons quelques doutes sur certains arguments avancés ici, du genre « On ne comprend rien au film si on ne sait rien des enjeux politiques portés par la production », autrement dit, les spectateurs qui ne sont pas au courant de la négociation politique entre le producteur Samuel Bronston et Franco (qui allait déclarer le film d’intérêt national) ne pourraient pas apprécier Le Cid ? Bref…Cela n’empêche pas le critique du Monde de donner beaucoup d’informations sur ce sujet, liées à la genèse du film et au rôle important tenu par Anthony Mann dans sa conception. Samuel Blumenfeld annonce que Le Cid devait, à l’origine, servir la propagande franquiste, en remettant « le pays sur la carte du monde ». Par la suite, le journaliste replace Le Cid dans la filmographie d’Anthony Mann, parle de la difficile avancée du scénario et analyse de façon pertinente la dernière séquence du film, renvoyant cette fois encore à une page qui se tourne d’Hollywood, Le Cid apparaissant comme étant « l’un des derniers vestiges d’un art en train de disparaître, la fin d’un empire »…
L’Image et le son
Sans surprise, l’éditeur a tout simplement repris le même master précédemment édité par Opening/Filmedia il y a une dizaine d’années, issu de la restauration appuyée par Martin Scorsese et Miramax réalisée en 1993. Tourné en Super Technirama 70, Le Cid d’Anthony Mann réapparaît donc dans la copie qui avait fait couler un peu d’encre auprès des cinéphiles, en raison du lissage conséquent de la texture argentique (ou quand le DNR s’apparentait à un vrai rouleau compresseur), donnant à la pourtant magnifique photographie de Robert Krasker, un aspect artificiel et même parfois « bricolé ». Un « partis-pris » ahurissant de la part de l’équipe en charge de la restauration. Le cadre large est présent, mais le grain manque cruellement à l’appel, ainsi que la profondeur de champ, la palette chromatique aurait mérité une révision, les teintes étant de temps en temps étrangement légères, pour ne pas dire délavées. Heureusement, l’ensemble est assez propre, hormis quelques poussières, griffures et défauts de pellicule encore présents. Le Blu-ray est au format 1080p, mais un lifting complet s’avère nécessaire pour le film d’Anthony Mann. A noter que Le Cid est ici présenté avec la musique d’ouverture du pré-générique (d’une durée de trois minutes trente), l’entracte (à 1h58) et la musique de fin.
Deux pistes sont proposées. Une version française DTS-HD mono Dual, une options en anglais DTS-HD Master Audio 5.1. Notre choix se tourne bien évidemment vers cette dernière, plus ample et dynamique, qui fait la part belle à la partition de Miklós Rózsa, ainsi qu’à la restitution des dialogues, bien plantés sur la centrale. Au jeu des comparaisons, la VO l’emporte aisément sur la piste française, plus couverte et marquée par un léger souffle, mais qui bénéficie tout de même d’un bon doublage. Chose amusante, Claude – Ma Biche – Gensac prête sa voix à Sophia Loren, tandis que René Arrieu double Charlton Heston, comme il le fera aussi sur Major Dundee de Sam Peckinpah et Khartoum de Basil Dearden. Les sous-titres français ne sont pas imposés.