CHÈRE LOUISE réalisé par Philippe de Broca, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 18 mars 2022 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Jeanne Moreau, Julian Negulesco, Didi Perego, Jill Larson, Lucienne Legrand, Pippo Starnazza, Luce Fabiole, Jenny Arasse, Louis Navarre, Yves Robert…
Scénario : Jean-Loup Dabadie, d’après une nouvelle de Jean-Louis Curtis
Photographie : Ricardo Aronovitch
Musique : Georges Delerue
Durée : 1h34
Date de sortie initiale : 1972
LE FILM
Louise, la quarantaine, divorcée et sans enfant, vit seule à Annecy depuis la mort de sa mère. Elle rencontre Luigi un immigré italien de 20 ans venu faire fortune en France et lui offre l’hospitalité. Elle décide de l’entretenir et lui trouve un emploi. Peu à peu, elle s’attache à lui mais leur relation va être bouleversée par la différence d’âge, le poids des dettes de Louise et le regard des autres.
Suite à l’échec cuisant des Caprices de Marie en 1970, Philippe de Broca s’associe pour la première fois avec Jean-Loup Dabadie pour La Poudre d’escampette, fantaisie d’aventure pleine d’humour, de rebondissements, d’émotions et de gags visuels, où brille le fabuleux trio de comédiens vedettes Piccoli-Jobert-York. Remis en selle avec plus d’1,3 millions d’entrées, le réalisateur se voit proposer un autre scénario du même auteur immédiatement après, un portrait de femme, d’après L’Éphèbe de Subiaco, une des quatre nouvelles qui composent Le Thé sous les cyprès de Jean-Louis Curtis. Loin, très loin des comédies virevoltantes qui ont fait son succès et qui l’ont fait passer à la postérité, Chère Louise montre pourtant l’une des facettes de Philippe de Broca, celle d’une profonde et indéniable mélancolie, qui s’est souvent fait ressentir y compris dans ses plus grandes gaudrioles, comme si rire, s’esclaffer, sauter et même défier la gravité permettaient à ses personnages et donc à lui-même, de calfeutrer le temps d’un film et d’un tournage, l’inéluctabilité du temps qui passe et du vieillissement. A l’instar d’Édouard Molinaro, Philippe de Broca ne se dévoilait jamais autant que dans ses opus les plus obscurs. Chère Louise est une œuvre douce, délicate, pudique, amère aussi sans doute, marquée par l’hypersensibilité de Jean-Loup Dabadie, secondée et relayée par celle d’un metteur en scène qui se livre à travers cette chronique intemporelle et universelle, magistralement interprétée par Jeanne Moreau.
Quadragénaire, divorcée et sans famille, Louise s’est installée à Annecy où elle enseigne le dessin. Trouvant un jour ses deux chiens empoisonnés par des voisins malveillants, elle demande à Luigi, un jeune immigré italien désœuvré et vivant d’expédients auquel elle avait fait l’aumône, de l’aider pour les enterrer. Louise devient sa protectrice : elle l’installe chez elle, lui trouve du travail, tente d’améliorer son éducation. Luigi devient bientôt son amant, et l’esseulée s’attache à cet être candide et infantile, quoique inconstant et amoral. Luigi ne tarde pas à perdre son travail, et Louise doit résoudre d’importants problèmes financiers pour continuer à l’entretenir et à le gâter. Consciente de leur trop grande différence d’âge, elle l’incite à sortir seul et à fréquenter des jeunes comme lui. Cependant, lorsque Luigi lui présente Pauline, elle n’a de cesse au cours du dîner qui les réunit d’humilier le jeune homme et de provoquer la rupture. Ils reprennent leurs rapports jusqu’au jour où Luigi fait la connaissance de Poussy, une richissime jeune américaine qui s’éprend de lui au point de vouloir l’épouser et l’emmener aux États-Unis. Il demande à Louise de se faire passer pour sa mère afin de favoriser l’entreprise. Par amour, Louise se prête au jeu.
Maintenant, il faut que tu vives en douce, comme avant. Il ne faut pas appeler ça la solitude, il faut dire la tranquillité.
Chère Louise est le film le plus méconnu de Philippe de Broca, celui qui est souvent oublié quand on retrace son illustre carrière (près de trente longs-métrages, une poignée de courts, trois participations à des œuvres collectives, une dizaine de téléfilms), qui a très vite disparu des écrans à sa sortie, pour ne réapparaître que près d’un demi-siècle plus tard. Quand on découvre Chère Louise, on est tout d’abord happé par la beauté de la photographie ouatée de Ricardo Aronovich, chef opérateur de Christmas Evil – You Better Watch Out (1980) de Lewis Jackson, L’Important c’est d’aimer (1975) d’Andrzej Zulawski et de L’Attentat (1972) d’Yves Boisset. Puis, une femme s’affaire sur une tombe fraîchement dressée, celle de Marie Varance, récemment décédée. Il s’agit de la sépulture de la mère de Louise, avec laquelle nous allons faire un petit bout de chemin pendant 90 minutes. Le thème principal retentit, signé Georges Delerue, frissons garantis. Quelques notes de piano qui mettent dans l’ambiance, un spleen qui nous envahit et qui ne nous quittera pas une seconde.
« Je suis heureuse ! »
« Allons bon… »
Philippe de Broca misait beaucoup sur Chère Louise, espérant même un Prix d’interprétation au Festival de Cannes, où le film avait été présenté en compétition. Si l’accueil du public sera on ne peut plus « correct », celui de la critique est désastreux. Jeanne Moreau, qui avait déjà joué sous la direction du réalisateur dans le sketch La Révolution française ou Mademoiselle Mimi, du film collectif Le Plus vieux métier du monde (1967), repart bredouille et laisse sa consoeur Susannah York être récompensée pour Images de Robert Altman, tandis que Chère Louise est un feu follet dans les salles en septembre 1972. Une déconfiture pour le réalisateur, comme celle de l’exceptionnel Roi de coeur six ans plus tôt, qui pour se refaire refera appel à Jean-Paul Belmondo, avec lequel il tournera Le Magnifique. Mais pour l’heure, Chère Louise fait penser à une lettre jaunie par le temps, que l’on aurait retrouvé dissimulée entre deux tiroirs d’une vieille commode, qui nous intimide, mais que l’on se mettrait à lire discrètement, puis plus attentivement en étant aspiré par la tendresse, l’amour et la tristesse qui s’en dégagent. La relation que Louise, femme seule, qui n’a pas d’amis et plus de famille, va entretenir durant quelques semaines avec Luigi (superbe Julian Negulesco, tout juste révélé par Claude Faraldo dans BOF.. (anatomie d’un livreur)), sera « une embellie » dans sa vie, comme elle le dit elle-même, même si elle sait d’avance qu’il s’agit de l’histoire d’une rupture annoncée. Le masque qu’elle arbore et qu’elle s’obstine à porter aux yeux du monde, celui d’une femme qui ne sourit qu’occasionnellement, commence à s’ébrécher au fur et à mesure que les sentiments, qu’elle repoussait jusqu’à présent, deviennent réels et concrets, en mettant à nu sa profonde solitude, ainsi que son manque d’amour et même de sexe.
Louise et Luigi déambulent dans les rues et sur les canaux d’Annecy (Philippe de Broca filme la ville comme s’il s’agissait de Venise), plongée dans le brouillard, comme si le film était déjà une succession de souvenirs de sa protagoniste, qui commençaient à s’estomper dans sa mémoire. C’est une parenthèse (dés)enchantée, qui n’a pas peur du romanesque, dans laquelle nous entraîne un cinéaste qui s’emparait alors d’une commande, pour révéler ouvertement une part importante de sa propre personnalité. Et c’est magnifique.
LE DIGIPACK
Nous arrivons au terme de cette neuvième vague Coin de Mire Cinéma. Et nous terminons en beauté avec Chère Louise de Philippe de Broca, 53è titre de l’éditeur, qui rejoint ainsi les fraîchement sortis La Roue, Rue des cascades (Un gosse de la butte), Charmants garçons, Les Liaisons dangereuses 1960 et Le Ciel sur la tête. Après La Poudre d’escampette, Coin de Mire Cinéma ressuscite donc cet autre film rare et jusqu’à présent inédit dans les bacs.
L’édition prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie de Philippe de Broca, avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction en fac-similé des matériels publicitaires et promotionnels, des photos promotionnelles et des « fotobusta » italiennes. Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film (ici celle du Tueur de Denys de La Patellière), puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).
Une interactivité conséquente, sans doute l’une des plus chargées pour Coin de Mire Cinéma, qui démarre par les Journaux des actualités de la 36è semaine de l’année 1972 (7’). Cette fois, il s’agit d’un très large reportage sur les Jeux olympiques d’été de 1972, qui se sont déroulés du 26 août au 11 septembre. Au moment de la réalisation de ce documentaire, les huit terroristes palestiniens, représentant le groupe « Septembre Noir », n’avaient pas encore fait irruption dans le village olympique, en tuant deux membres de l’équipe d’Israël et en prenant neuf otages. Dans la bataille, les neuf otages israéliens seront tués, tout comme cinq des terroristes et un policier. Les images montrent ici tous les préparatifs, la construction du stade olympique (démarrée en 1968), ainsi que le début des festivités.
Les réclames publicitaires s’enchaînent à vitesse grand V avec les glaces Miko (« la meilleure façon de passer l’entracte »), les montres Kelton, l’électroménager Seb, le chocolat Crunch, les stylos Bic, le déodorant Rexona (« parce que les journées des femmes sont beaucoup plus mouvementées que les hommes l’imaginent ! »), la Simca 1000 Spécial (avec Raymond Bussières dans le rôle de…Descartes, « je l’ai conduite, donc j’y crois ! »).
Déjà présent sur l’édition de Dernier domicile connu, Le Rapace, La Poudre d’escampette, du Monocle rit jaune et celle de Des pissenlits par la racine, Julien Comelli, journaliste en culture pop, est de retour chez Coin de Mire Cinéma, pour nous présenter Chère Louise (14’), qu’il évoquait d’ailleurs sur le précédent titre de Philippe de Broca sorti chez l’éditeur, puisque les deux longs-métrages ont non seulement pour dénominateur commun le metteur en scène, mais aussi le scénariste Jean-Loup Dabadie. Un film qui avait disparu de la circulation, longuement replacé dans la carrière du cinéaste, avant d’être analysé, tant sur le fond que sur la forme. Les conditions de tournage y sont abordées, tout comme le casting et d’autres éléments, notamment l’accueil catastrophique au Festival de Cannes et l’échec cuisant du film à sa sortie, sans aucun temps mort.
S’ensuit un petit making of d’époque (8’30) dans lequel Jeanne Moreau et Philippe de Broca interviennent à tour de rôle pour parler de Chère Louise, tandis que nous pouvons observer le réalisateur et la comédienne en plein travail, avec des images filmées sur le plateau. Philippe de Broca évoque un film de pirates qu’il avait écrit avec Claude Sautet et Jean-Loup Dabadie, un projet finalement avorté en raison d’un budget bien trop conséquent à monter, mais qu’il espérait tout de même concrétiser un jour. La nouvelle de Jean-Louis Curtis, les thèmes du film (de Broca refuse de parler de mélancolie « car les deux personnages ont furieusement envie de vivre leur histoire, alors que rien n’est fait pour que ça marche »), les personnages (« un cadeau merveilleux de la part de Jean-Loup Dabadie » dit Jeanne Moreau) et leurs rapports sont entre autres inscrits au cours de ces entretiens.
Le Blu-ray contient deux bonus supplémentaires.
Le premier est un retour sur le film en compagnie de Denis Amar (22’), assistant de Philippe de Broca sur Chère Louise et futur réalisateur de l’incroyable Asphalte (1981). Celui-ci revient sur ce long-métrage « dont on ne saurait dire quand il a été fait », indiquant que le cinéaste avait délibérément choisi Annecy et un style « démodé dans le concept », afin de ne pas dater son œuvre, comme sil était « tombé dans un trou d’espace-temps ». Sa relation avec Philippe de Broca, la douceur et la grâce du film, le casting, la personnalité du réalisateur, l’accident survenu à la fin du tournage, qui a bien failli coûter la vie à Jeanne Moreau (dont le personnage devait à l’origine se noyer, entraînant avec elle Luigi, qui tentait de la sauver, alors qu’il ne savait pas nager lui-même) et qui allait entraîner une réécriture urgente du dénouement, ainsi que d’autres souvenirs sont au programme de ce bonus immanquable.
Enfin, nous terminons les suppléments avec un autre entretien indispensable, riche, émouvant, du comédien Julian Negulesco (41’), enregistré dans la bibliothèque de l’Ambassade de Roumanie en France. Beaucoup d’éléments sont abordés au cours de cette interview intime, durant laquelle l’acteur de Chère Louise évoque tour à tour l’accident de Jeanne Moreau que nous évoquons dans le paragraphe précédent, le sien également (un accident de moto qui l’a défiguré, même s’il portait un casque, qui entraînera un mois de convalescence), son parcours, sa rencontre avec Claude Faraldo (avec lequel il tournera BOF.. (anatomie d’un livreur)), le travail avec Philippe de Broca et Jeanne Moreau (« une élégance poussée au snobisme, mais un snobisme de classe »), l’importance de Chère Louise dans sa carrière et dans sa vie, la fin initialement prévue (et donc réécrite en raison de l’accident de plongée de Jeanne Moreau), la psychologie des personnages, les conditions de tournage, l’accueil au Festival de Cannes…un superbe moment passé en compagnie de Julian Negulesco.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Chère Louise a été restauré 4K à partir du négatif original. Les travaux numériques ont été réalisés par le laboratoire VDM en 2021. L’élévation HD proprement dire offre au film de Philippe de Broca une nouvelle cure de jouvence, aucune scorie n’est à déplorer, le grain cinéma est restitué et les contrastes trouvent une nouvelle densité. L’encodage AVC consolide l’ensemble, les textures sont flatteuses, le piqué est renforcé et rend hommage aux nombreux gros plans sur le visage de Jeanne Moreau et de ses partenaires. La photographie de Ricardo Aronovich est resplendissante et trouve ici un fabuleux écrin, avec ses quelques plans cotonneux, ses éclairages parfois luminescents et ses gammes de couleurs hivernales.
Le mixage DTS-HD Master Audio Mono instaure un très bon confort acoustique. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. De sensibles saturations, mais rien de rédhibitoire. L’éditeur joint les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.