Test Blu-ray / Le Rapace, réalisé par José Giovanni

LE RAPACE réalisé par José Giovanni, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 10 septembre 2021 chez Coin de Mire Cinéma.

Acteurs : Lino Ventura, Xavier Marc, Rosa Furman, Aurora Clavel, Augusto Benedico, Marco Antonio Arzate, René Barrera, Farnecio de Bernal, Carlos Lopez Figueroa, Enrique Lucero…

Scénario :José Giovanni, d’après le roman de John Carrick

Photographie : Pierre Petit

Musique : François de Roubaix

Durée : 1h47

Date de sortie initiale : 1968

LE FILM

Le “Rital”, un mercenaire aventurier est engagé par l’avocat Calvez, éminence grise d’une bande de conjurés, pour abattre le Président d’une République d’Amérique du Sud. Il s’agit d’abattre le Président actuel pour faire un héros national du petit-fils de l’ancien Président, celui-ci devant partager l’aventure aux côtés du tueur à gages pour justifier sa renommée…

Ecrivain, scénariste, dialoguiste et réalisateur, José Giovanni (1923-2004), de son vrai nom Joseph Damiani, est un ancien collabo et repris de justice, trois fois condamné, à vingt ans de travaux forcés, puis condamné à mort pour trois assassinats (gracié par le président Vincent Auriol en 1949) et à nouveau condamné à dix ans de prison pour rançonnement de juifs cachés sous l’Occupation. Après quelques remises de peine, il sort de prison en 1956 à l’âge de 33 ans après plus de onze années passées derrière les barreaux, non sans avoir emporté avec lui un journal qu’il avait tenu durant son incarcération et dans le couloir de la mort dans l’attente de la décision de la Cour de cassation et de la grâce présidentielle. Ce journal intime deviendra un roman, Le Trou, qui raconte également sa tentative d’évasion de la Prison de la Santé en 1947. Le succès est immédiat et le cinéaste Jacques Becker s’empare des droits pour le cinéma. José Giovanni ne quittera plus le monde du Septième Art et collaborera avec les plus grands comme Claude Sautet (Classe tous risques), Jacques Deray (Symphonie pour un massacre), Robert Enrico (Les Grandes gueules, Les Aventuriers), Jean-Pierre Melville (Le Deuxième Souffle), avant de passer lui-même à la mise en scène en 1967 avec La Loi du Survivant. Chose étonnante, ce dernier n’est autre que l’adaptation d’une partie de son roman Les Aventuriers, délaissée par Robert Enrico. Encouragé par Lino Ventura à continuer sur sa lancée de metteur en scène, il entreprend lui-même Le Rapace, tiré du roman The Vulture de l’auteur écossais John Carrick. Direction le Mexique donc, pour ce thriller insolite qui offre à Lino Ventura un de ses rôles les plus singuliers des années 1960, celui d’un justicier qui débarque de nulle part, près de Veracruz en 1938, dans le but d’assassiner un dictateur local d’un pays fictif et non identifié d’Amérique du Sud. Un personnage violent, qui parle peu (sa première réplique intervient au bout d’un bon quart d’heure) et qui d’ailleurs n’est pas là pour s’étaler sur sa vie qu’on imagine essentiellement liée au meurtre et au sang. Longtemps indisponible, peu diffusé à la télévision, Le Rapace est l’une des grandes redécouvertes de l’année 2021.

À Veracruz, en 1938, « Le Rital », dit aussi « Le Rapace » (Lino Ventura), fait route à travers ce pays qui n’est pas le sien. C’est un aventurier mystérieux, un tueur à gages, désabusé, peu scrupuleux, au caractère brutal. En route, il fait évader des prisonniers politiques. Il finit par arriver chez ceux qui ont engagé ses services, un groupe de conjurés qui fomentent un coup d’État. Sa mission consiste à assassiner le président du pays. Mais, pour ne pas devoir admettre devant l’opinion publique le rôle central d’un mercenaire, étranger de surcroît, dans la révolution, on lui adjoint un étudiant idéaliste, Miguel, qui est aussi le petit-fils d’un ancien président du pays. Le jeune homme devra le seconder au cours de l’opération et, surtout, remplir le rôle du « héros révolutionnaire » officiel. Le plan a été établi : les deux hommes doivent attendre la discrète visite du chef de l’Etat à sa maîtresse, qui réside aux abords de la ville. « Le Rapace » et Miguel parviennent à tuer le président et à s’enfuir, conformément au plan. Mais ils ignorent tous deux que la suite du plan prévoit leur élimination.

Pendant ce temps, à Vera Cruz…

Quand il joue dans les adaptations des romans de José Giovanni, Lino Ventura passe d’un univers à l’autre avec la même aisance. De Milan à Nice dans Classe tous risques, au milieu des arbres vosgiens dans Les Grandes gueules, truand parigo ultime dans Le Deuxième souffle, féru de sports extrêmes et d’aventures perdu au large des côtes congolaises dans Les Aventuriers. C’est le comédien qui allait trouver les mots pour inciter José Giovanni à repasser derrière la caméra pour Le Rapace. Doté d’un budget beaucoup plus conséquent que pour La Loi du survivant, José Giovanni déploie ici tout son talent et signe un véritable western, où étrangement le personnage de Lino Ventura annonce celui qu’il tiendra dans L’Emmerdeur cinq ans plus tard. En effet, durant la première partie du film, le Rital passe son temps à attendre sa cible, derrière les volets, tandis que celui qui doit l’assister dans sa mission, Miguel Juarez (Xavier Marc, qu’on a pu revoir en 2005 dans La Légende de Zorro de Martin Campbell), que le Rapace surnomme Chico en raison de son jeune âge, ne cesse de lui faire perdre ses nerfs. Les rapports entre les deux protagonistes sont très difficiles, le Rapace, type sanguin qui ne laisse rien passer et qui est prêt à massacrer celui qui se mettrait en travers de son chemin, tandis que Chico, idéaliste, est prêt à tout pour montrer qu’il n’est pas un couard, comme le qualifie le tueur avec lequel il doit cohabiter un petit moment. Tout ceci avant de passer à l’action.

S’il n’est pas adapté d’un de ses romans, une première alors pour l’écrivain, José Giovanni s’approprie le livre de John Carrick et en retire la moelle qui parcourt ses propres œuvres. Les rapports entre les hommes ou de ceux-ci avec les femmes, l’amitié virile, la violence omniprésente, la mort qui rôde, la vendetta, sont les thèmes encore une fois au centre du Rapace. Le réalisateur prend le temps d’exposer ses personnages, à la psychologie complexe, car secrète, ceux-ci dissimulant la plupart du temps leurs émotions sous un masque qu’ils se sont façonnés avec le temps. Maussade, dégoûté par l’existence ou plutôt par ce que les hommes en font, désillusionné, le Rital ne cherche même pas à comprendre pourquoi Chico croit en un monde meilleur et le lui dit franchement. José Giovanni scinde son film en deux parties, un huis clos pendant près d’une heure, avant que les deux hommes finissent par sortir enfin de leur repaire, pour prendre la poudre d’escampette après avoir débarrassé le pays de celui qu’il l’a mis à feu et à sang.

Tout l’univers de José Giovanni se trouve dans Le Rapace, film d’aventures et de guerre dépaysant et surprenant, au sujet intemporel, formidablement traité (belle photo et composition toujours magistrale de François de Roubaix aux accents morriconniens) et merveilleusement interprété par l’un des plus grands monstres du cinéma français.

LE MEDIABOOK

Alors, la vague 8 de Coin de Mire Cinéma ? Après Chiens perdus sans collier, c’est fait, Gas-oil, aussi, Le Grand Chef, done, Train d’enfer, ok. On passe maintenant au cinquième titre de cette dernière salve, notre 48e chronique consacrée au catalogue de l’éditeur, Le Rapace de José Giovanni. N’attendons pas plus longtemps, penchons-nous sur cette nouvelle Séance et ouvrons ce Digibook – Blu-ray + DVD + Livret !

Comme pour tous les titres Coin de Mire Cinéma, L’édition du Rapace prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la bio-filmographie de José Giovanni avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, et la reproduction en fac similé des matériels publicitaires et promotionnels, à l’instar de coupures de presse diverses, d’affiches d’exploitations européennes et japonaises, d’articles de presse. Le menu principal est fixe et musical.

Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent, suivies de la bande-annonce du film Les Jeunes loups de Marcel Carné, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores.

Une interactivité un peu plus chargée que d’habitude. On commence par les journaux des actualités de la 17e semaine de l’année 1968 (10’) et plus précisément par un gros plan sur la jeunesse. En Allemagne, le leader du Mai 68 local Rudi Dutschke alias Rudi le Rouge, se sort indemne d’un attentat politique (le premier perpétué en Allemagne depuis 1945) commis contre lui, lors d’une manifestation en 1968. S’ensuivent de violentes répressions et échauffourées urbaines. En France, une manifestation de sympathie a été organisée au Quartier Latin. Puis, direction la faculté de Nanterre, où l’on rencontre brièvement le premier doyen Pierre Grappin et où la contestation des étudiants semble pour le moment pas ou peu présente. Enfin, nous découvrons un reportage sur le quotidien d’une cover-girl.

Place aux réclames ! (7’). Des jeunes se rendent au cinéma et avant que leur film démarre (Le Gendarme se marie), se régalent avec une glace à double-parfum Miko. La Renault 8S est filmée sous tous les angles et la compagnie UTA (« un réseau sur lequel le soleil ne se couche jamais ») vous donnera envie de voyager. Nos lectrices seront ravies d’apprendre que la cigarette – « dans le vent, au goût US et à bout filtre » – Flash a été créée pour les femmes jeunes et à la page ! Ensuite, détendez-vous en prenant un bon Martini, puis allez donc découvrir les nouvelles machines à laver Arthur Martin, en compagnie de Jacques Legras et André Pousse.

Si vous êtes est un habitué de Homepopcorn.fe et si comme nous vous êtes habitués à disséquer les bonus de vos DVD et Blu-ray, alors le visage de Julien Comelli ne doit pas vous être inconnu. Habituellement récurrent dans les suppléments des éditions d’Elephant Films, le journaliste en Culture-Pop est déjà apparu chez Coin de Mire Cinéma à travers des modules disponibles sur Des pissenlits par la racine, Le Monocle rit jaune et La Poudre d’escampette. Dans un premier supplément, il nous présente le film de José Giovanni (12’), en revenant tout d’abord sur les débuts de la carrière de ce dernier, forcément liés à son passé carcéral, en évoquant les scénarios adaptés de ses propres romans, puis son premier film en tant que réalisateur, La Loi du survivant. Ensuite, Julien Comelli en vient au Rapace, au livre de John Carrick et à sa transposition au cinéma, une première pour José Giovanni, jusqu’à présent habitué à travailler sur l’adaptation de ses romans. Les conditions de tournage au Mexique, les personnages, l’aspect western du film, le casting sont aussi abordés.

Julien Comelli suite, cette fois en présence de Zazie Giovanni (52’30), dans un bonus uniquement disponible sur le Blu-ray. Au cours de ce passionnant entretien réalisé en août 2020, l’épouse et veuve de José Giovanni revient sur leur rencontre, à l’époque où elle était la secrétaire de Raymond Queneau et Gaston Gallimard, avant d’être stagiaire sur Les Grandes gueules de Robert Enrico. Puis, l’interview bifurque sur divers films écrits et/ou réalisés par José Giovanni, à savoir Le Trou, Le Deuxième souffle, La Loi du survivant, Classe tous risques (sur lequel il rencontre Lino Ventura), Le Rapace bien entendu, le méconnu (et introuvable) Où est passé Tom ?, Une robe noire pour un tueur, Dernier domicile connu (sur lequel nous reviendrons très prochainement), pour lesquels sont très largement évoquées les conditions de tournage. La collaboration de José Giovanni avec François de Roubaix, ses rapports et le travail avec les comédiens, les projets avortés (dont un sur des jeunes en réinsertion dans le Sud de la France) et bien d’autres éléments sont également inscrits au programme.

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces, dont celle du Rapace (« qui guettera sa proie avec la patience d’un vautour ! »).

L’Image et le son

Le plan pluriannuel de numérisation et de restauration initié par Coin de Mire Cinéma en 2018 a permis de ressusciter Le Rapace de José Giovanni. Attendu par les fans de Lino Ventura, ce film s’offre enfin à nous en Haute définition (1080p), dans une nouvelle copie entièrement restaurée à partir d’un master 4K. L’élégante photo signée Pierre Petit (Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques et Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause de Michel Audiard) n’a jamais été aussi belle à l’écran. Cette édition renforce les contrastes et l’homogénéité n’est jamais prise en défaut. L’image est stable, entièrement débarrassée de scories diverses et variées, les scènes en extérieur affichent une luminosité inédite, tout comme un relief inattendu, un piqué souvent pointu et des couleurs chatoyantes. Revoir Le Rapace dans de telles conditions ravit les yeux !

La piste DTS HD Master Audio Mono 2.0 est de fort bon acabit et délivre les dialogues avec fluidité et vivacité. Le timbre grave de Lino Ventura berce les tympans, la composition aérienne de François de Roubaix est excellemment restituée et les effets annexes précis. Les sous-titres français pour le public sourd et malentendant sont aussi disponibles.

Crédits images : © Studiocanal / Coin de Mire Cinéma / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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