Test Blu-ray / Le Secret, réalisé par Robert Enrico

LE SECRET réalisé par Robert Enrico, disponible en Blu-ray le 14 juin 2023 chez Studiocanal.

Acteurs : Jean-Louis Trintignant, Marlène Jobert, Philippe Noiret, Jean-François Adam, Solange Pradel, Antoine Saint-John, Michel Delahaye, Maurice Vallier…

Scénario : Robert Enrico & Pascal Jardin, d’après le roman de Francis Ryck

Photographie : Étienne Becker

Musique : Ennio Morricone

Durée : 1h43

Date de sortie initiale : 1974

LE FILM

Quelque part en France, détenteur d’un secret qui pourrait nuire à des instances imprécises, mais puissantes, David est séquestré dans une forteresse. Il s’évade en tuant son geôlier puis trouve asile chez une amie obligeante, pour une nuit. Il se rend ensuite dans les Cévennes, dans l’espoir de passer la frontière. Là, un couple de solitaires, Thomas et Julia, l’invite à se reposer dans sa ferme. Malgré l’attirance qu’elle éprouve pour David, Julia ne peut s’empêcher de s’interroger sur son attitude et le suspecte d’être dangereux. Elle décide d’en parler à son frère, Claude, journaliste, qui lui confirme ses craintes. De son côté, Thomas accepte d’aider David à quitter le pays…

La même année que Conversation secrète The Conversation de Francis Ford Coppola, Palme d’or au Festival de Cannes, un autre thriller paranoïaque, français cette fois, se distinguait en 1974, à savoir Le Secret, le dixième long-métrage de Robert Enrico. Après quelques « véhicules de stars » et les triomphes des Grandes gueules (3,6 millions d’entrées), Les Aventuriers (3,1 millions), Ho ! (1,8 million) et Boulevard du Rhum (1,2 million), le cinéaste connaît de légers revers avec Un peu, beaucoup, passionnément… avec Maurice Ronet et Les Caïds, porté par Serge Reggiani, Michel Constantin et Jean Bouise. Deux ans après cet échec (un peu plus d’un demi-million de spectateurs), Robert Enrico s’allie avec Pascal Jardin (également auteur des formidables dialogues du film), pour adapter un roman de l’écrivain Francis Ryck, Le Compagnon indésirable, dont l’un des livres venait d’ailleurs d’être transposé avec succès au cinéma par Claude Pinoteau avec Le Silencieux. S’il s’en sortira mieux au box-office, Le Secret n’atteindra pas la barre des 900.000 entrées dans l’Hexagone. Pourtant, cet opus de Robert Enrico demeure incontestablement l’un des plus intéressants de sa carrière, un petit bijou méconnu, interprété par un trio de choc, Marlène Jobert, Jean-Louis Trintignant et Philippe Noiret, monstres de talent et de charisme, lancés dans une cavale sans issue et une histoire ambiguë du début à la fin. Une redécouverte s’impose.

David est détenu dans un endroit secret, situé dans un ancien fort, où il est torturé. Il parvient à s’évader et arrive rapidement à Paris, où il se rend chez une ancienne amie. Persuadé qu’il est poursuivi, il évite de rentrer chez lui et reprend sa cavale. Il arrive en Ardèche, où il pense pouvoir se cacher dans une bergerie abandonnée. En chemin, il fait la connaissance d’un couple de parisiens, formé de Thomas et de Julia. Ceux-ci vivent en marge de la société, dans un manoir délabré. Comprenant que David est en difficulté, ils l’invitent à passer quelques jours chez eux. Le couple se montre plein de bienveillance, mais le comportement de David, continuellement inquiet et taciturne, les intrigue. Leur hôte finit par leur avouer qu’il est recherché, parce qu’il a surpris par hasard « quelque chose que l’on ne doit pas savoir », et qu’il est en danger de mort. Thomas, aussi bien par sympathie que grisé par la situation, lui propose de le conduire à Mimizan-Plage et, de là, de le faire passer en Espagne par bateau. Le trio prend la route. En chemin, Thomas aperçoit un barrage de gendarmerie. Il fait alors descendre David, pour pouvoir le récupérer une fois le barrage passé. Les gendarmes leur disent rechercher un dangereux malade mental, évadé d’un hôpital psychiatrique de Toulouse. Dans le couple, le doute s’installe : leur compagnon de route est-il un innocent traqué, ou alors un psychopathe incontrôlable qui risque de les tuer à tout moment ? Julia, surtout, penche de plus en plus pour la deuxième hypothèse.

Robert Enrico et Pascal Jardin ne cessent de faire perdre leurs repères aux spectateurs, qui en viennent à douter sur la santé mentale et donc des explications divulguées au compte-goutte par David, magistralement incarné par Jean-Louis Trintignant, qui enchaînait alors les tournages, au point d’être à l’affiche de quatre autres films en 1974, Le Mouton enragé de Michel Deville, L’Escapade de Michel Soutter, Glissements progressifs du plaisir d’Alain Robbe-Grillet et Les Violons du bal de Michel Drach. Mais juste avant de se glisser dans la peau du frappadingue Émile Buisson dans Flic Story de Jacques Deray, Jean-Louis Trintignant livrait une autre performance aussi impressionnante dans Le Secret, dans lequel il campe un type traqué (selon-lui) pour quelque-chose qu’il n’aurait pas dû voir. « Ces choses peuvent arriver à n’importe qui, n’importe quand » dit d’ailleurs David, dont on ne saura finalement jamais s’il s’agit d’un journaliste, d’un espion, les deux réunis ou rien de tout cela. Car Robert Enrico et son coscénariste préservent un mystère qui ne sera pas totalement percé, malgré un dénouement radical, âpre, inattendu, violent, qui laisse encore pas mal de questions en suspens après la dernière image particulièrement sombre et glaçante.

David pourra compter sur le soutien de Thomas, ancien militant politique, qui se prend d’amitié pour cet individu traqué et qui réveille en lui le goût de l’aventure, tandis que Julia, son épouse, est attirée par le danger qui en émane. « Est-il fou ? » « Et s’il ne l’est pas ? » se disent Thomas (merveilleux Philippe Noiret) et Julia. Si le premier reste convaincu de ce qu’avance David, Julia commence sérieusement à se demander si celui qu’ils aident a réellement toute sa tête, d’autant plus que toutes les polices de France semblent lancées à la poursuite de cet homme considéré comme paranoïaque, mythomane et dangereux. Une fois de plus et un an avant le génial Folle à tuer d’Yves Boisset (dans lequel elle deviendra la traquée sortie d’une clinique psychiatrique), Marlène Jobert crève l’écran dans Le Secret, dans le rôle de Julia, petit bout de femme au caractère bien trempé, qui va se laisser embarquer dans cette aventure, surtout par amour pour son mari. Thomas et Julia est un couple bien installé, plongé dans un quotidien sans histoire. Alors quand David débarque, Thomas indique à ce dernier que ses malheurs combinés au bonheur qu’il vit avec sa femme, « pourrait donner quelque chose de plus tonique », n’hésitant pas à mettre en jeu son existence et celle de la femme qu’il aime, pour lui venir en aide.

Sur un rythme maîtrisé, des Cévennes aux plages landaises, le spectateur suit ce trio désabusé (impression renforcée par la superbe partition du maestro Ennio Morricone), réunis le temps d’une échappée durant laquelle ils se sentiront probablement libres pour la seule et unique fois. Robert Enrico et Philippe Noiret se retrouveront dès 1975 pour Le Vieux fusil, qui sera récompensé par le César du meilleur film, celui du meilleur acteur et de la meilleure musique originale.

LE BLU-RAY

Nouvel opus de la collection Nos années 70 dirigée par Jérôme Wybon, Le Secret réapparaît donc chez Studiocanal, dix ans après une première édition en DVD. La jaquette est glissée dans un boîtier classique de couleur bleue, lui-même placé dans un surétui cartonné. Le menu principal, fixe et muet, reprend le même visuel.

Jérôme Wybon présente logiquement le film qui nous intéresse aujourd’hui. Un module de trois petites minutes, mais bien rempli, où le directeur de la collection explique que « Le Secret est un film de producteur, Jacques-Éric Strauss », avant de parler de la carrière de celui-ci. On apprend d’ailleurs qu’il avait déjà proposé Le Clan des Siciliens à Robert Enrico. Puis, Jérôme Wybon parle de l’auteur Francis Ryck, du casting (Jacques-Éric Strauss ne voulait pas de Jean-Louis Trintignant dans un premier temps), du tournage, de l’échec public du Secret à sa sortie, ainsi que des suppléments également disponibles sur cette édition.

Le reportage sur le tournage, réalisé le 20 avril 1974, dévoile des images capturées directement sur le plateau et donne la parole à Robert Enrico, Marlène Jobert (« C’est pour mieux servir mon métier d’actrice que je suis devenue productrice et je ne serai coproductrice que des films que je tournerai »), Philippe Noiret et Jean-Louis Trintignant (5’). L’occasion de voir le réalisateur à l’oeuvre avec son équipe, tandis que les comédiens s’expriment sur les personnages et leurs motivations.

Le dernier supplément est une poignée de scènes coupées (7’), présentées et remises dans leurs contextes par Jérôme Wybon, qui explique que Robert Enrico avait pour habitude de faire pas mal de prises, même s’il s’est montré plus économe pour Le Secret. Un court passage montre Trintignant donner le clap avant de tourner.

L’Image et le son

Studiocanal nous gratifie d’un master HD (1080p, AVC) plutôt impressionnant, présenté dans son format original 1.66 (16/9, compatible 4/3). La propreté de la copie est indéniable, la restauration ne fait aucun doute, les contrastes sont beaux, le cadre fourmille de détails, le piqué demeure pointu. Le grain est très bien géré, l’ensemble stable sans bruit vidéo, les couleurs concoctées par Étienne Becker (Les Chiens, Le Vieux fusil, Dernier domicile connu, Police Python 357) sont agréables pour les mirettes, souvent rutilantes, presque pastel. Le charme opère, on est bluffé par la fraîcheur de l’ensemble, une vraie résurrection.

Le mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0 instaure un réel confort acoustique. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. La composition d’Ennio Morricone berce agréablement les tympans. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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