LE SANG DU VAMPIRE (Blood of the Vampire) réalisé par Henry Cass, disponible en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre le 6 avril 2021 chez Artus Films.
Acteurs : Donald Wolfit, Barbara Shelley, Vincent Ball, Victor Maddern, William Devlin, Andrew Faulds…
Scénario : Jimmy Sangster
Photographie : Monty Berman
Musique : Stanley Black
Durée : 1h25
Année de sortie : 1958
LE FILM
Transylvanie, 1874. Des villageois exécutent sauvagement un homme accusé de vampirisme. Un scientifique parvient à le ressusciter grâce à une transplantation du cœur. Quelques années plus tard, on le retrouve à la tête d’un asile d’aliénés implanté dans une forteresse. Dénommé à présent Callistratus, il expérimente des transfusions sanguines sur ses patients.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser et à ce que beaucoup pensent d’ailleurs encore, Le Sang du vampire – Blood of the Vampire, réalisé en 1958 par Henry Cass, n’est pas un opus sorti de la merveilleuse usine de La Hammer. C’est un peu comme la zircone, qui a l’aspect du diamant, qui en a la couleur, mais qui n’en est pas. Cependant, il existe bel et bien un lien entre cette production indépendante Robert S. Baker/Monty Berman et la célèbre fabrique de films d’épouvante, en la personne de Jimmy Sangster (1927-2011), dont nous avons déjà parlé à moult reprises sur Homepopcorn, à travers nos chroniques des Horreurs de Frankenstein (qu’il a aussi mis en scène), The Maniac, The Anniversary, Hurler de peur, Paranoïaque ou bien encore Les Maîtresses de Dracula. Capable de passer d’un genre à l’autre en suivant la mode et surtout le goût des spectateurs, le scénariste de moult bijoux qui ont fait la renommée du studio fondé en 1934 par William Hinds et Enrique Carreras, finalement repris par leurs fils Anthony Hinds et Michael Carreras, Jimmy Sangster a également officié pour d’autres firmes spécialisées dans le film d’horreur. C’est donc le cas pour Le Sang du vampire, issu de la Tempean Productions, société fondée en 1948, qui avait pu constater l’engouement international pour Le Monstre – Quatermass Xperiment (1955) et La Marque – Quatermass 2 (1957) de Val Guest, mais aussi et surtout de Frankenstein s’est échappé – The Curse of Frankenstein (1957) de Terence Fisher. Robert S. Baker et Monty Berman décident de surfer sur cette mouvance et engagent Jimmy Sangster. Rétrospectivement, Le Sang du vampire sera tourné avant les deux autres monuments de la Hammer, La Revanche de Frankenstein – The Revenge of Frankenstein et Le Cauchemar de Dracula – Dracula, réalisés par Terence Fisher et écrits par Jimmy Sangster. Autant dire que Le Sang du vampire a de quoi tromper une audience friande du genre, mais même si ce film ne provient donc pas de la Hammer, il se révèle pourtant tout aussi réussi et important, à tel point que l’oeuvre de Henry Cass est aujourd’hui considérée, et à juste titre, comme étant l’un des grands classiques, sadique, drôle et intelligent – de l’Age d’or du British Gothic.
Le prologue se déroule en Transylvanie, en 1874. Dans la campagne désolée, des villageois s’apprêtent à mettre en terre le cadavre d’un homme accusé de vampirisme. L’un d’entre eux lui enfonce un pieu dans le cœur. Alors que tous se retirent, le fossoyeur l’enterre mais celui-ci est poignardé par Carl, le serviteur du mort. Avant d’être soupçonné d’être un vampire, ce dernier était un médecin qui avait trouvé le moyen de maintenir un corps privé de son cœur artificiellement en vie, durant une période infinie. Après avoir déterré le corps, Carl le ramène dans un endroit secret et demande à un docteur corrompu et alcoolique d’effectuer une greffe du cœur sur le prétendu mort. L’opération est un succès mais Carl tue le chirurgien pour ne laisser aucun témoin. Six ans plus tard, dans la ville de Carlstadt, en Croatie. Un tribunal juge le médecin John Pierre accusé d’avoir provoqué la mort d’un de ses patients. Condamné aux travaux forcés à perpétuité, il est finalement transféré, après un accord secret, dans un sinistre asile d’aliénés perdu dans les montagnes. L’édifice est dirigé par le docteur Callistratus, qui se trouve être l’homme tué six ans plus tôt pour actes de vampirisme, et ce dernier a engagé Pierre car il a besoin d’être secondé dans ses travaux. Si le cœur qu’on lui a greffé fonctionne, le scientifique souffre néanmoins d’une grave infection entraînant une dégénérescence des cellules provoquée par un sérum qu’il a bu avant son exécution, qui a permis à son corps de survivre après sa mort. Il a ainsi besoin de transfusions sanguines régulièrement qu’il effectue sur les incarcérés. Leucémique et assoiffé de sang frais, il doit guérir le plus tôt possible et il sollicite l’aide de Pierre pour trouver les groupes sanguins qui ne sont pas nocifs à son organisme.
Le nom de Henry Cass (1902-1989) ne dira rien ou presque aux cinéphiles, à part pour ceux qui s’y connaissent en comédie britannique, puisqu’il signera sans doute son film le plus célèbre, l’élégant Vacances sur ordonnance – Last Holiday (1950) avec le grand Alec Guinness, qui accédait ici pour la première fois en haut de l’affiche. Quand il réalise Le Sang du vampire, le cinéaste a déjà près d’une vingtaine de longs-métrages à son actif, aucun film d’épouvante, mais sept collaborations avec la Tempean Productions. Et il s’acquitte on ne peut mieux de la tâche qui lui est confiée, à savoir regarder ce qui se fait chez le concurrent et d’essayer de faire la même chose, avec les moyens mis à sa disposition. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Henry Cass a été un élève très appliqué, puisqu’on retrouve dans Le Sang du vampire, tout ce qui a fait la renommée de la Hammer, autant sur le fond que sur la forme. Évidemment, l’une des stars reste ici Jimmy Sangster, qui s’en donne à coeur joie dans les répliques cinglantes et cyniques, dans l’humour noir, avec une approche fondamentalement moderne du mythe du vampire, puisque le personnage principal n’est pas une créature fantastique, mais un homme, un médecin qui a besoin de sang frais pour survivre et qui se l’injecte par transfusion et non en le buvant à même la gorge de ses victimes. Un mix très réussi et surtout intelligent entre Dracula et le baron de Frankenstein.
Sur cette formidable « transposition » aussi inattendue qu’inédite écrite par Jimmy Sangster, Henry Cass soigne sa mise en scène, profite de ses très beaux décors en toiles peintes, tout en se reposant également sur la magnifique photographie de Monty Berman. Saluons l’excellence du casting, sur lequel trône Donald Wolfit (1902-1968), comédien shakespearien de renom et alors tout juste nommé chevalier commandeur de l’ordre de l’Empire britannique. Comment s’est-il retrouvé à l’affiche de ce film, le mystère demeure. Toujours est-il qu’avec sa tronche incroyable qui rappelle parfois celle de Béla Lugosi, sa voix inquiétante, son regard fielleux et ses mimiques, Donald Wolfit crève l’écran et campe un personnage inoubliable. A ses côtés, on se souviendra aussi de la composition de Victor Maddern (Des pas dans le brouillard, Les Mutinés du Téméraire, Le Cirque de la peur, Cromwell), impayable dans le rôle de Carl, pauvre être difforme, défiguré et serviteur de Callistratus, ainsi que de la beauté de Barbara Shelley, qui vient d’être emportée des suites du COVID-19 à l’âge de 88 ans.
Même si pensé, produit et réalisé sous influence, Le Sang du vampire n’a sûrement pas à rougir face à ce qui se faisait chez son « voisin » plus connu. Le découvrir dans sa version (quasi ?) complète – le fameux montage « continental », non censuré donc – est particulièrement réjouissant et le charme opère encore. Après cette réussite, on peut même parler de coup de maître, Jimmy Sangster s’associera à nouveau l’année suivante avec Robert S. Baker et Monty Berman pour livrer leur version du mythe de Jack l’Éventreur, film reconnu comme étant l’un des meilleurs sur ce personnage tristement légendaire.
LE MEDIABOOK
Avant de bénéficier d’une Édition Collector Blu-ray + DVD + Livret, Le Sang du vampire avait déjà été proposé par Artus Films en DVD huit ans auparavant. Depuis, le film a subi une solide restauration. Il fallait donc célébrer cet évènement comme il se doit et l’éditeur n’a pas hésité à concocter une magnifique édition à laquelle l’éminent Alain Petit, complice d’Artus Films, a évidemment participé, lui qui avait longtemps oeuvré pour mettre la main sur ce montage fantasmé et qui signe seul le livret de 80 pages intitulé L’Age d’or du British Gothic & Le Sang du vampire, l’une des pièces maîtresses de cette édition remarquable et richement illustrée. De plus, le cinéphile désireux d’acquérir cette édition du Sang du vampire, se verra proposer deux visuels différents (que vous pouvez admirer ci-dessous), la première couverture étant limitée à 1000 exemplaires, la seconde à seulement 200 et uniquement dispo sur artusfilms.com ! Cette édition Médiabook est par ailleurs disponible à la vente sur le site de l’éditeur Artus Films ici et là (selon le visuel de votre choix), ainsi que sur le site de Métaluna Store https://metalunastore.fr/products/le-sang-du-vampire?_pos=1&_psq=le%20sang%20&_ss=e&_v=1.0 . Le menu principal est fixe et musical, les bonus étant identiques sur les deux disques.
Qui d’autre que Nicolas Stanzick aurait pu présenter aussi bien le film qui nous intéresse aujourd’hui ? Nous ne l’avons jamais caché à travers nos chroniques, le journaliste est pour nous l’un des meilleurs intervenants et spécialistes sur l’épouvante, et plus particulièrement sur la Hammer Films. Toujours débordant d’énergie, l’auteur du livre Dans les griffes de la Hammer : la France livrée au cinéma d’épouvante replace non pas Le Sang du vampire dans l’histoire de la Hammer, puisque le film de Henry Cass n’est pas issu de cette firme, mais dans celle du cinéma d’épouvante britannique (33’). Nicolas Stanzick aborde alors tous les aspects de ce « grand film paradoxal, un grand classique du genre et pourtant une contrefaçon, un film culte pour les amateurs de cinéma fantastique initiés au genre, et une œuvre méconnue ». Forcément, la Hammer est largement évoquée tout de même, notamment la sortie triomphale du Cauchemar de Dracula, film qui sera déterminant pour le studio et qui va lui permettre de se déployer, tout en donnant envie aux concurrents de surfer sur ce succès. C’est le cas de la Tempean Productions. Évidemment, Nicolas Stanzick s’étend aussi sur la carrière et l’oeuvre du scénariste Jimmy Sangster. Puis, le fond et la forme du Sang du vampire sont longuement analysés et disséqués, ainsi que le casting, les montages différents en raison de la censure britannique qui sévissait, sans oublier les fameuses scènes coupées en question, enfin disponibles dans la version présentée par Artus Films.
Fidèle à Artus Films, Alain Petit, expert en cinéma Bis, présente le film de Henry Cass (37’). Comme nous l’apprenons dans son livret, ainsi que lors de cette intervention en vidéo, entre Alain Petit et Le Sang du vampire, c’est toute une aventure doublée d’une histoire d’amour. En effet, le complice de l’éditeur partage ses souvenirs personnels liés au film qui nous intéresse aujourd’hui (sa découverte du Sang du vampire au Clichy-Palace au début des années 1960), puis sur ses longues recherches réalisées dans les années 1980 pour retrouver les ajouts de la version continentale. Durant ce module, Alain Petit évoque également la situation du cinéma d’épouvante britannique, la genèse du Sang du vampire, l’écriture du scénario de Jimmy Sangster, le réalisateur Henry Cass, le casting, les personnages, la musique, avec quelques redites par rapport à ce qui a été entendu dans le segment précédent, mais où la passion de notre interlocuteur l’emporte aisément.
L’éditeur joint également un large Diaporama de photos et d’affiches d’exploitation, les génériques en langue française (3’), ainsi que la bande-annonce originale.
L’Image et le son
Le Sang du vampire réapparaît chez Artus Films, toujours dans son montage Continental, mais cette fois restauré 2K. Les négatifs originaux ayant disparu, les inserts occasionnent divers décrochages et de sensibles chamboulements de la définition. C’est le cas de la fameuse scène où Carl passe en revue quelques prisonnières au décolleté plongeant. Dans l’ensemble, ce Blu-ray « composite » force néanmoins le respect avec notamment une solide restitution de la photographie baroque réalisée selon le procédé Eastmancolor, issu de la maison Kodak, qui fait la part belle à la couleur rouge vive (impressionnée directement sur la pellicule, au même titre que le bleu et le vert), pour ainsi dire omniprésente durant 1h25. Les teintes pastel sont claires, lumineuses, fraîches, le piqué est très convaincant, la propreté est éloquente (pas de rayure ou de poussière), la stabilité au rendez-vous et la texture argentique préservée. Le format original 1.66 (compatible 16/9) est respecté.
Les deux mixages Linear PCM Mono disponibles ici instaurent un confort acoustique indéniable, même si le doublage français d’époque a souvent tendance à en faire trop. Cependant, beaucoup de cinéphiles louent sa qualité et préfèrent encore visionner Le Sang des vampires dans la langue de Molière. Privilégiez tout de même la piste anglaise, mais est-il nécessaire de le préciser, afin de mieux profiter de l’accent des comédiens, même si elle s’avère étrangement moins dynamique que son homologue.