Test Blu-ray / Fata Morgana, réalisé par Vicente Aranda

FATA MORGANA réalisé par Vicente Aranda, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 2 mai 2023 chez Artus Films.

Acteurs : Teresa Gimpera, Marianne Benet, Marcos Martí, Antonio Ferrandis, Alberto Dalbés, Antonio Casas, Glòria Roig, Francisco Álvarez…

Scénario : Vicente Aranda & Gonzalo Suárez

Photographie : Antonio G. Larraya

Musique : Antonio Pérez Olea

Durée : 1h26

Date de sortie initiale : 1965

LE FILM

Dans une ville évacuée de sa population pour d’obscures raisons, quelques personnes ont décidé de rester. La mannequin Gim n’a pas voulu quitter son compagnon, Alvaro, qui vit dans une somptueuse villa avec des personnalités excentriques. On apprend alors qu’un assassin récidiviste a décidé de frapper à nouveau, et qu’il choisit ses victimes parmi les plus belles femmes de la ville. Le Professeur, un expert en criminologie, est le seul capable d’aider Gim à échapper au meurtrier.

Il y a trois mois, nous vous parlions du réalisateur Vicente Aranda (1926-2015) à l’occasion de la sortie en Blu-ray de l’étonnant À coups de crosse, avec un Bruno Cremer monstrueux et une Fanny Cottençon bad-ass. L’opportunité avec ce thriller brutal de revenir sur le cinéaste et membre fondateur de La gauche divine, mouvement d’intellectuels, de professionnels et d’artistes de gauche qui s’est développé à Barcelone des années 1960 au début des années 1970. Juste après Brillante porvenir (1965), qu’il avait mis en scène avec Román Gubern, Vicente Aranda, l’un des chefs de file de l’école de Barcelone, signe son premier long-métrage en solo, Fata Morgana, qu’il coécrit avec Gonzalo Suárez et qui rend compte de la totale liberté créatrice de l’époque. Ouvertement et complètement inclassable, ce film que certains qualifieront très justement d’hermétique, ne s’adresse pas à tous les publics, mais plutôt aux cinéphiles pointus, qui sauront accueillir ce délire visuel, qui repose essentiellement sur la forme, au détriment de l’émotion. À mi-chemin entre le Nouveau Roman et les délires autocentrés de Jean-Luc Godard, Fata Morgana est assurément un OFNI, une curiosité, mais aussi le témoignage d’un temps révolu.

Il y a de tout dans Fata Morgana. Du comics/fumetti, du giallo, de l’espionnage, du pulp, du fantastique…Un an après le lénifiant, irritant, mais fourmillant d’idées Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution de JLG, Vicente Aranda prend le train en marche et étale sur pellicule tout ce qui lui passe par la tête en se rapprochant dès les premières secondes de la bande dessinée en utilisant littéralement le procédé des cases et phylactères pour installer l’intrigue d’un agent investi d’une mission, en passant du N&B à la couleur. Expérimental, Fata Morgana l’est d’entrée de jeu, même si un panneau en introduction indique que « cette fable a lieu après les événements de Londres », qui tenterait d’ancrer l’histoire dans un contexte réaliste, sans doute après un attentat, mais dont on ne saura rien par la suite. Car Fata Morgana enchaîne ensuite les vignettes d’un intérêt relatif, voire inexistant. Ce qui prime ici, c’est la forme, la superbe photographie très colorée d’Antonio G. Larraya, la composition d’Antonio Pérez Olea (Les Cent Cavaliers, La Mariée sanglante), sans oublier bien sûr le montage d’Emilio Rodríguez (père et fils…) qui s’apparente à un kaléidoscope visuel, dont les scènes seraient reliées lâchement entre elles par un semblant d’intrigue.

Ce patchwork mettra les nerfs à rude épreuve du spectateur non initié au cinéma d’auteur et aux égarements d’artistes. Comme la plupart des réalisateurs, Vicente Aranda met tout ce qui lui vient à l’esprit dans son premier film, trop sans doute, ce qui donne à l’ensemble un aspect gloubi-boulga où l’audience est invitée à prendre non seulement ce qu’elle souhaite y piocher, mais aussi ce qu’elle est capable de piger. Kafkaïen, cérébral, absurde, pénible, hypnotique, labyrinthique, surréaliste, Fata Morgana est intéressant et riche, contient des idées que n’auraient pas renié David Lynch ou Michelangelo Antonioni, auxquels on ne peut s’empêcher de penser du début à la fin. On finit par suivre, même si difficilement, cette chronique d’une mort annoncée, dans laquelle on nous explique en gros que l’on ne peut échapper à son destin.

Inventif, Fata Morgana l’est indéniablement. Passionnant, sûrement pas. On regarde alors ce dernier comme une exposition ou une installation vidéo à laquelle on aurait été convié sans être au fait du pourquoi du comment de son créateur, en se laissant porter par l’explosion chromatique attractive et le charme de Teresa Gimpera (L’Esprit de la ruche, Le Sang des autres ou la volupté de l’horreur, La Nuit des diables, Opération Re Mida), en espérant y déceler des informations et y ressentir diverses émotions. Ce n’est pas chose aisée, mais pas impossible et c’est pourquoi Fata Morgana demeure une expérience cinématographique à part entière.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Presque dix ans après avoir édité La Mariée sanglante, Artus Films revient au cinéma de Vicente Aranda en présentant cette fois Fata Morgana, dans un superbe combo Blu-ray + DVD, qui prend la forme d’un Digipack à deux volets, disposé dans un fourreau cartonné merveilleusement illustré. Le menu principal est fixe et musical.

Outre un Diaporama, la bande-annonce (en version originale sous-titrée…en anglais) et un générique alternatif, nous trouvons une présentation du film par le fidèle Christian Lucas (23’). Si son intervention manque encore de spontanéité et s’avère trop « écrite », le collaborateur d’Artus Films donne beaucoup d’informations très intéressantes sur Fata Morgana en abordant pêle-mêle la signification du titre, les autres films du même nom (dont le superbe documentaire de Werner Herzog), la carrière du réalisateur, celle de Teresa Gimpera, les inspirations de ce premier long-métrage (Le Petit Chaperon Rouge, Blanche-Neige et les 7 nains, Alice au pays des merveilles, Hamlet…), les liens avec la bande dessinée, l’importance des personnages féminins dans le cinéma de Vicente Aranda, ainsi que les diverses associations de ce dernier avec Victoria Abril.

L’Image et le son

Artus Films nous gratifie d’un master impressionnant, présenté dans son format original 1.66 (16/9, compatible 4/3). La propreté de la copie est indéniable (hormis les premières secondes), la restauration 2K ne fait aucun doute, les contrastes sont beaux, le cadre fourmille de détails avec un piqué acéré. Le grain est préservée, mais a vraisemblablement été lissé à plusieurs reprises, l’ensemble stable, les couleurs pop et acidulées sont agréables pour les mirettes, toujours rutilantes. En dehors d’un ou deux plans abîmés, le charme opère et l’on (re)découvre Fata Morgana avec ses beaux partis pris esthétiques respectés.

Seule la version originale aux sous-titres français non imposés est disponible sur cette édition. La restauration est satisfaisante en dépit d’un léger souffle récurrent. L’écoute est frontale, riche, dynamique et vive. Les effets annexes sont conséquents et le confort acoustique assuré.

Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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