LE THÉORÈME DE MARGUERITE réalisé par Anna Novion, disponible en DVD & Blu-ray le 5 mars 2024 chez Pyramide Vidéo.
Acteurs : Ella Rumpf, Jean-Pierre Darroussin, Clotilde Courau, Julien Frison, Sonia Bonny, Xiaoxing Cheng, Idir Azougli, Camille de Sablet…
Scénario : Agnès Feuvre, Marie-Stéphane Imbert, Anna Novion & Mathieu Robin
Photographie : Jacques Girault
Musique : Pascal Bideau
Durée : 1h48
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
L’avenir de Marguerite, brillante élève en Mathématiques à l’ENS, semble tout tracé. Seule fille de sa promo, elle termine une thèse qu’elle doit exposer devant un parterre de chercheurs. Le jour J, une erreur bouscule toutes ses certitudes et l’édifice s’effondre. Marguerite décide de tout quitter pour tout recommencer.
Il y a une dizaine d’années, la réalisatrice Anna Novion nous enchantait avec Rendez-vous à Kiruna (la ville la plus connue de la Laponie suédoise), un petit road-movie bourré de charme et d’émotion. Elle revient au cinéma après avoir signé quelques épisodes de la série Le Bureau des légendes, avec Le Théorème de Marguerite, dans lequel la cinéaste explore à nouveau un cheminement intérieur, ici celui d’une jeune femme de 25 ans, superbement interprétée Ella Rumpf, comédienne franco-suisse révélée dans Grave de Julia Ducournau, où elle volait d’ailleurs la vedette à Garance Marillier à chaque apparition. Actrice magnétique vue récemment dans les séries Succession et Tokyo Vice, elle explose littéralement dans Le Théorème de Marguerite, pour lequel elle vient d’être récompensée par le César de la meilleure révélation féminine, damnant ainsi le pion à l’excellente Rebecca Marder, alors favorite pour son rôle dans De grandes espérances de Sylvain Desclous. Là où les protagonistes évoluaient dans de magnifiques paysages suédois, le comportement de Marguerite et ses décisions vont muter hors des murs de l’École Nationale Supérieure où elle s’est enfermée depuis plusieurs années, à la suite d’un événement qui va remettre en question tout le travail effectué dans le cadre de sa thèse. À l’instar du personnage de Jean-Pierre Darroussin dans Rendez-vous à Kiruna, architecte parisien ronchon qui avait vécu toute sa vie en apnée et qui retrouvait alors un second souffle inattendu lors d’une « mission » troublante à l’étranger et à laquelle il ne pouvait échapper, Marguerite replonge dans la jungle urbaine et va devoir apprendre à penser à elle pour la première fois de son existence. Décidément, 2023 a été une des plus belles années pour le cinéma français depuis longtemps et Le Théorème de Marguerite est sans doute l’un des plus beaux de ses derniers fleurons.
NOUVEAU DÉPART réalisé par Philippe Lefebvre, disponible en DVD le 7 février 2024 chez Orange Studio.
Acteurs : Franck Dubosc, Karin Viard, Clotilde Courau, Youssef Hajdi, Tom Leeb, Clémentine Baert, Bérengère Krief, Louise Orry-Diquéro…
Scénario : Philippe Lefebvre & Maria Pourchet, d’après le scénario original de Daniel Cúparo & Juan Vera
Photographie : Axel Cosnefroy
Musique : Philippe Kelly
Durée : 1h32
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
Amoureux de Diane comme au premier jour, Alain traverse la cinquantaine sans crise. Même le départ des enfants, il l’a bien vécu. Diane moins.… Cette période, elle l’entame avec la sensation qu’elle pourrait mourir d’ennui ou d’angoisse. Pour Alain, qui voit pour la première fois son couple vaciller, il est temps de se poser les questions essentielles, et de prendre un risque majeur après 30 ans de vie commune : quitter Diane pour réveiller la flamme et l’envie de se retrouver.
Nouveau départ est à la base le remake du film argentin El amor menos pensado, sorti chez nous sous le titre Retour de flamme, avec le grand Ricardo Darín. Décidément, la comédie sud-américaine « inspire » le cinéma français, puisqu’Un coup de maître de Rémi Bezançon, Citoyen d’honneur de Mohamed Hamidi,7 jours pas plus d’Héctor Cabello Reyes et Un homme à la hauteur de Laurent Tirard étaient aussi des adaptations de films provenant du « Pays de l’argent ». Le projet a été confié à Philippe Lefebvre, scénariste (complice de Guillaume Canet), comédien et réalisateur (Le Siffleur), qui après quelques séries (Fais pas ci, fais pas ça, Les Chamois, Sam), fait son retour au cinéma avec son deuxième long-métrage comme metteur en scène. Nouveau départ se penche sur la relation d’un homme et d’une femme, mariés depuis trente ans, atteints par syndrome du nid vide, quand leur deuxième et dernier enfant s’envole au Japon pour y faire ses études. Alors qu’un sentiment de tristesse et de solitude s’empare de Diane, son mari Alain, profondément amoureux de son épouse, se rend compte qu’ils n’ont peut-être pas vieilli de la même façon. Cette comédie tendre est impeccablement campée par le tandem Karin Viard – Franck Dubosc, qui s’ils se connaissaient depuis l’adolescence (ils ont fréquenté en même temps le conservatoire de Rouen), ne s’étaient jamais encore donnés la réplique, même s’ils avaient partagé l’affiche des Visiteurs – La Révolution. Avec sa coscénariste Maria Pourchet (King), Philippe Lefebvre signent un film très attachant et sans doute universel. Son échec relatif dans les salles (285.000 entrées, c’est peu avec ces têtes d’affiche) sera rattrapé plus tard et Nouveau départ devrait en toute logique connaître une seconde vie par la suite, ce qu’on lui souhaite et ce qu’il mérite largement.
LES FEUILLES MORTES (Kuolleet lehdet) réalisé par Aki Kaurismäki, disponible en DVD et Blu-ray le 6 février 2024 chez Diaphana.
Acteurs : Martti Suosalo, Alma Pöysti, Alina Tomnikov, Jussi Vatanen, Janne Hyytiäinen, Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen, Nuppu Koivu…
Scénario : Aki Kaurismäki
Photographie : Timo Salminen
Durée : 1h17
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
Deux personnes solitaires se rencontrent par hasard une nuit à Helsinki et chacune tente de trouver en l’autre son premier, unique et dernier amour. Leur chemin vers ce but louable est obscurci par l’alcoolisme de l’homme, la perte d’un numéro de téléphone, l’ignorance de leur nom et de leurs adresses réciproques. La vie a tendance à mettre des obstacles sur la route de ceux qui cherchent le bonheur.
C’est chaque fois la même chose ou presque avec Aki Kaurismäki. On connaît la musique, on sait ce qui nous attend, on se dit qu’il va nous ressortir la même galerie de personnages et pourtant au final on est cueilli. Les Feuilles mortes – Kuolleet lehdet est le vingtième long-métrage du réalisateur finlandais (sans compter ses nombreux clips musicaux, ses courts-métrages et ses segments de films collectifs) et cet opus ne s’écarte pas d’intentions et de partis-pris esthétiques déjà installés par le passé, ce qui donne souvent au cinéma d’Aki Kaurismäki un aspect aussi intemporel qu’anachronique. Récompensé par le Prix du Jury au Festival de Cannes, Les Feuilles mortes n’est pas le troisième et dernier volet de la trilogie des migrants constituée des films Le Havre (2011) et L’Autre Côté de l’espoir (2017), mais un « complément » à celle du prolétariat, initiée en 1986 avec Ombres au paradis, qui sera aussi prolongée d’Ariel (1988) et de La Fille aux allumettes (1990). Si le cinéaste avait déclaré prendre sa retraite après L’Autre Côté de l’espoir, il en sort donc six ans après pour nous livrer un nouveau bijou. Rapide (75 minutes), concis, merveilleusement interprété, drôle, politique, Les Feuilles mortes foudroie autant le coeur que l’âme. Un des indispensables de 2023.
FERMER LES YEUX (Cerrar los ojos) réalisé par Víctor Erice, disponible en DVD le 3 janvier 2024 chez Blaq Out.
Acteurs : Manolo Solo, Jose Coronado, Ana Torrent, Petra Martínez, María León, Mario Pardo, Helena Miquel, Antonio Dechent…
Scénario : Víctor Erice & Michel Gaztambide
Photographie : Valentín Álvarez
Musique : Federico Jusid
Durée : 2h42
Année de sortie : 2023
LE FILM
Julio Arenas, un acteur célèbre, disparaît pendant le tournage d’un film. Son corps n’est jamais retrouvé, et la police conclut à un accident. Vingt-deux ans plus tard, une émission de télévision consacre une soirée à cette affaire mystérieuse, et sollicite le témoignage du meilleur ami de Julio et réalisateur du film, Miguel Garay. En se rendant à Madrid, Miguel va replonger dans son passé…
1973, à travers une épure extrême et l’interprétation quasi-surréaliste de la petite et sensationnelle Ana Torrent, âgée de 7 ans, le réalisateur Víctor Erice (né en 1940) filme le malaise et les frustrations de l’Espagne meurtrie par la dictature franquiste. Le spectateur doit alors composer avec certaines longueurs, des ellipses et l’apparente froideur de l’ensemble. Il ne tient qu’à lui de se laisser porter par l’immense poésie qui se dégage du film, de voir au-delà des silences et du regard d’Ana pour y décrypter une critique virulente du régime en place. L’Esprit de la ruche – El espíritu de la colmena est le film catalyseur d’un cinéma contestataire et engagé où allait s’engouffrer une poignée de cinéastes, comme Carlos Saura, qui réalisera Cria Cuervos quelques années plus tard… avec Ana Torrent. Bien avant Le Labyrinthe de Pan, le chef d’oeuvre de Guillermo del Toro, Víctor Erice exprime les maux d’un pays marqué par la guerre civile et vampirisé par la dictature. Dans un monde où le langage et la communication semblent interdits, Ana, cinq ans, imagine tout ce qu’on lui cache. Sa capacité à observer et à croire à ce qu’elle voit lui permet de vivre. Elle se rendra compte qu’il lui faudra, pour grandir, explorer seule des territoires inconnus et prendre des risques. Ana parviendra finalement à s’échapper grâce au rêve et à son imagination. La jeune actrice impose déjà son intense regard noir « perçant l’ombre » dont Víctor Erice capte les moindres expressions comme lorsqu’Ana visionne Frankenstein (la version de James Whale) au début du film. Elle découvre ainsi la violence humaine dans l’injustice de la mort. À l’aide de son chef opérateur Luis Cuadrado, qui commençait à perdre la vue sur le tournage, Víctor Erice réalise un film d’une incroyable beauté plastique. La mise en scène sublime, lumineuse, d’une richesse inouïe, explore la frontière entre l’enfance et le monde des adultes, la réalité et la fiction, la vie et la mort. Afin de ne pas subir les foudres de la censure franquiste, il use de la métaphore poétique et du regard des enfants sur le monde adulte. Tourné au cours des dernières années du franquisme, L’Esprit de la ruche est passé à travers les mailles de la censure qui n’a su trouver les arguments pour interdire le film et ce malgré de nombreux spectateurs le critiquant, ouvrant ainsi une voie nouvelle dans le cinéma espagnol. Dix ans plus tard, Víctor Erice revient avec El Sur. L’action se déroule en Espagne dans les années 1950. Dans une maison, appelée « La Mouette » et située dans un village du Nord, vivent Agustín, médecin et sourcier, son épouse, institutrice révoquée de l’enseignement après la Guerre civile, et leur petite fille, Estrella. Le réalisateur adopte à nouveau le point de vue d’une enfant, fascinée et en adoration pour son père. Des sentiments malmenés quand celle-ci découvre que celui qui lui a donné la vie a aimé une autre femme qu’il a laissée dans son Sud natal. Ce film, adapté d’un roman d’Adelaida García Morales, alors son épouse, demeure le plus méconnu de son auteur, qui reniera plus ou moins son second long-métrage car le jugeant inachevé, étant donné qu’il l’avait conçu en deux parties, la deuxième ne parvenant pas à trouver de financements suffisants. Cette expérience éloignera Víctor Erice du monde du cinéma pendant une nouvelle décennie. Nous voilà rendus en 1992. Le Songe de la lumière, le troisième film de Víctor Erice s’avère une extraordinaire réflexion sur la vie, sur le passage du temps, un traité sur la création artistique ayant nécessité pas moins de trois mois de tournage, un an de montage ainsi que le travail de trois chefs opérateurs. Un véritable film d’aventure porté par la quête de l’artiste peintre Antonio Lopez qui ne peut finalement que déposer les armes devant le caractère inéluctable de son entreprise : capturer sur sa toile la lumière du soleil. Il se dégage du Songe de la lumière une époustouflante et contagieuse passion pour l’art contemporain, la peinture et le cinéma, des images qui laissent pantois d’admiration le spectateur, plongeant dans une expérience sensorielle rare. 2023, revoilà Víctor Erice, que l’on pourrait rapprocher de Terrence Malick pour le don semblable du réalisateur espagnol de capturer ce qu’on ne peut définir ni saisir, la communion entre l’homme et la nature. Fermer les yeux est une œuvre testamentaire, un film-somme, une pleine plongée dans le septième art. Incontestablement l’un des sommets cinématographiques de l’année passée, Cerrar los ojos aborde et prolonge des thèmes déjà explorés par Víctor Erice dans ses travaux passés, mais se double également d’une réflexion sur le cinéma, qui inspire la vie réelle, où les deux s’imbriquent, où l’existence dépasse même parfois la fiction par ses retournements inattendus. Durant près de trois heures qui passent en un éclair, le maître espagnol remet les pendules à l’heure, le cinéma est certes un divertissement, ce que Fermer les yeux est indubitablement, mais où tout n’est qu’émotions. Vous trouverez difficilement un long-métrage plus bouleversant que Fermer les yeux sorti en 2023. Chef d’oeuvre.
TONI EN FAMILLE, réalisé par Nathan Ambrosioni, disponible en DVD le 10 janvier 2024 chez Studiocanal.
Acteurs : Camille Cottin, Léa Lopez, Thomas Gioria, Louise Labèque, Oscar Pauleau, Juliane Lepoureau, Catherine Mouchet, Guillaume Gouix…
Scénario : Nathan Ambrosioni
Photographie : Raphaël Vandenbussche
Durée : 1h32
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
À 42 ans, Toni, de son vrai prénom Antonia, élève seule ses cinq enfants, un véritable travail à temps complet. Ex-vedette de télécrochet dans sa jeunesse, elle chante aussi le soir pour nourrir sa famille. Aujourd’hui, ses deux aînés s’apprêtent à partir à l’université. Toni s’interroge : que deviendra-t-elle quand tous ses enfants auront quitté le nid familial ? Lui est-il encore possible de se réinventer ?
Nathan Ambrosioni n’aura que 25 ans en 2024 et pourtant ce réalisateur autodidacte, devenu le plus jeune metteur en scène à bénéficier de l’avance sur recettes du CNC, a déjà livré deux longs-métrages d’une étonnante maturité. Le premier, Les Drapeaux de papier, sorti en 2018, réunissait Noémie Merlant, Guillaume Gouix, Jérôme Kircher et Alysson Paradis et imposait d’emblée une vraie patte d’auteur. Le second est donc Toni en famille, qui, à l’instar de son film précédent, est mis en scène, écrit et monté par Nathan Ambrosioni. Celui-ci passe la vitesse supérieure et livre une comédie-dramatique aussi drôle que délicate, tendre, percutante et bouleversante, magnifiquement interprétée par Camille Cottin, qui n’en finit plus d’étonner et qui trouve indiscutablement ici l’un de ses plus grands rôles. Elle est par ailleurs excellemment entourée par cinq jeunes acteurs exceptionnels, parmi lesquels se détachent Léa Lopez, également née en 1999, déjà pensionnaire de la Comédie-Française, vue dans les séries Clem et Nina, qui s’impose ici comme une grande révélation. Véritable coup de coeur, Toni en famille, auréolé d’un beau succès critique et public (300.000 entrées) démontre que Nathan Ambrosioni en a sérieusement sous le capot et donne sacrément envie de suivre sa carrière.
L’ÉTÉ DERNIER réalisé par Catherine Breillat, disponible en DVD & Blu-ray le 6 février 2024 chez Pyramide Vidéo.
Acteurs : Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin, Clotilde Courau, Serena Hu, Angela Chen, Romain Maricau, Nelia Da Costa…
Scénario : Catherine Breillat & Pascal Bonitzer, d’après le film Queen of Hearts de May el-Toukhy
Photographie : Jeanne Lapoirie
Musique : Kim Gordon
Durée : 1h39
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
Anne, brillante avocate, défend les mineurs victimes d’abus et les adolescents en difficulté. Son mari Pierre, leurs deux filles et elle vivent en parfaite harmonie dans une belle villa sur les hauteurs de Paris. Lorsque Théo, fils de Pierre né d’un précédent mariage, emménage avec eux, l’équilibre de la famille se retrouve chamboulé par l’irruption de cet adolescent rebelle et contestataire.
Dix ans après Abus de faiblesse, la cinéaste Catherine Breillat fait son retour derrière la caméra avec L’Été dernier, un comeback fracassant, remake du film danois Queen of hearts (2019), qui rappelle aussi l’excellent Pingpong (2006) de Matthias Luthardt, mâtiné du Blé en herbe de Colette, adapté en 1954 par Claude Autant-Lara. C’est une résurrection pour la réalisatrice, affaiblit ces dernières années par une hémorragie cérébrale (qui l’a rendue hémiplégique) et la tristement célèbre affaire Rocancourt, qui signe ni plus ni moins avec L’Été dernier un de ses meilleurs films, son quinzième. Ce drame sulfureux, mais jamais vulgaire ni gratuit, est porté par l’intensité de ses comédiens, Léa Drucker, à qui la maturité sied décidément divinement bien, le jeune Samuel Kircher et, celui que la critique a souvent tendance à oublier, l’immense Olivier Rabourdin, présent depuis une trentaine d’années dans le cinéma français, une fois nommé aux César (comme second rôle pour Des hommes et des dieux) et qu’il serait temps de porter aux nues. L’Été dernier est en l’état l’un des grands films de 2023.
Depuis toujours, Louis et ses deux soeurs, Martha et Lena, assistent leur père, qui dirige le Grand Chariot, un théâtre de marionnettes dont leur grand-mère a fabriqué toutes les poupées. Lorsque le père meurt au cours d’une représentation, les membres restants de la famille se demandent quoi faire.
Entre la présentation du Grand chariot à la Berlinale en février 2023 et sa sortie dans les salles françaises à la rentrée septembre, Philippe Garrel a été mis en cause par cinq comédiennes, au sein d’une enquête de Mediapart, l’accusant de gestes déplacés, de leur avoir proposé des faveurs sexuelles en échange d’un rôle et de tentatives de baisers (de secours) non consentis. Bon, ça c’était pour installer le contexte houleux dans lequel est arrivé son dernier long-métrage dans les cinémas, ce qui a évidemment pris le pas sur le reste. Nous ne dirons pas dommage, mais en l’état, Le Grand chariot est une œuvre crépusculaire, marquée par une dimension méta dans la mesure où le cinéaste dirige ses trois enfants, Louis, Esther et Léna, tous réunis pour la première fois devant la caméra de leur père. Le Grand chariot évoque la filiation, la transmission et l’héritage (thèmes déjà présents dans Le Sel des larmes) dans une famille d’artiste, ce qui reste, ce qui doit être (ou pas) perpétué après la mort du père, du pilier et le fondateur de la troupe dans laquelle tous évoluent. Après plus d’une trentaine de longs-métrages et de téléfilms à son actif, Philippe Garrel démontre qu’il en a encore sous le capot, qu’il n’a jamais renié ses thèmes de prédilection, ses partis-pris (le film a été tourné en pellicule), faisant de lui un anachronisme dans le panorama cinématographique français. En dépit de quelques bémols (nous y reviendrons), Le Grand chariot est une jolie réussite, qui n’atteint certes pas la virtuosité bouleversante de L’Amant d’un jour, mais s’avère plus convaincant que Le Sel des larmes.
Après leurs déboires et leurs aventures du premier opus, Nordine Salhi et Karim Jeb alias Karim et Nono reviennent plus en forme et plus déterminés que jamais et continuent leur quête de succès par tous les moyens. Après un premier échec cuisant dans l’univers de la télé-réalité, les deux acolytes décident de se lancer dans le rap. Dans sa recherche du succès musical, Karim, alias Nécrophile, aidé de son manager Nono, ne cesse d’accumuler des tentatives ratées. Une opportunité vers la célébrité est saisie, mais tout ne se passe pas comme prévu, et les mésaventures vont s’enchaîner pour les deux protagonistes.
Bon…nous n’apprendrons rien à personne, ou presque, en disant que Les Déguns est incontestablement l’un des pires films de tous les temps. Pourtant, le film porté par l’improbable tandem Karim Jebli et Nordine Salhi – avec les apparitions de Cyril Hanouna, Benjamin Castaldi, Élie Semoun, Chantal Ladesou…, un vrai Expendébiles – aura tout de même attiré près d’un demi-million de spectateurs dans les salles. Oui, c’est à ne pas croire. Preuve s’il en est du niveau de culture et de l’humour de la génération Z (ooooh le vilain réac, boooouh!!!) à qui ce truc « co-réalisé » par Cyrille Droux et Claude Zidi Jr. était essentiellement destiné. Devant le succès rencontré par cette bouse infâme, la tentation était sûrement trop grande de profiter de cet engouement et pour mettre en route une suite, on préfère parler ici de séquelle (dans le sens complication plus ou moins tardive et durable d’une maladie, d’un traumatisme). Mais il aura fallu donc « attendre » cinq ans pour revoir les bouffons sans charisme dans de nouvelles aventures. Toujours adapté de leur web-série éponyme (quatre saisons…), Les Déguns 2, que Claude Zidi Jr. a tourné après son excellent Ténor, est on va dire plus « regardable » que le premier opus, mais indéniablement consternant, interminable, inconcevable. Celles et ceux qui iront jusqu’au bout de ces deux longs-métrages devraient être exonérés d’impôts à vie, avant d’aller faire un bilan de santé avec le toucher rectal en sus, histoire de vous rappeler avec quelle partie de l’anatomie a été écrit, mis en scène et interprété cet objet filmique et pitoyable. Comme le disait un vieux sage à barbe, « Fuyez pauvres fous ! ».
LA PETITE réalisé par Guillaume Nicloux, disponible en DVD le 24 janvier 2024 chez M6 Vidéo.
Acteurs : Fabrice Luchini, Mara Taquin, Maud Wyler, Juliette Metten, Veerle Baetens, Lucas Van Den Eynde, Viv Van Dingenen, Sandrine Dumas…
Scénario : Guillaume Nicloux & Fanny Chesnel, d’après le roman Le Berceau de Fanny Chesnel
Photographie : Yves Cape
Musique : Ludovico Einaudi
Durée : 1h29
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
Joseph apprend que son fils et le compagnon de celui-ci viennent de périr dans un accident. Ils attendaient un enfant via une mère porteuse en Belgique. Que va devenir leur futur bébé ? Joseph en est-il le grand-père légitime ? Porté par la promesse de cette naissance qui va prolonger l’existence de son fils, le sexagénaire part à la rencontre de la jeune flamande au caractère farouche et indomptable…
On ne pourra pas reprocher à l’éclectique Guillaume Nicloux de varier les genres et les plaisirs. Avec quinze longs-métrages, trois courts, quatre téléfilms, une série télévisée (Il était une seconde fois) et un documentaire à son actif, le réalisateur, scénariste et également romancier revient toujours là où on l’attendait le moins. Après avoir emmener Michel Houellebecq et Gérard Depardieu en cure dans un centre de thalassothérapie (dans Thalasso donc, inédit en DVD) et tâté du thriller horrifique avec La Tour, le cinéaste est de retour avec La Petite, comédie-dramatique extrêmement attachante, pour laquelle il dirige un Fabrice Luchini transcendé, que nous n’avions pas vu aussi magnifique depuis des lustres. Celui-ci semble s’en remettre totalement à Guillaume Nicloux, qui le sort de sa zone de confort comme Bruno Dumont avait pu le faire en 2016 dans Ma loute. Le comédien est ici d’une sobriété exemplaire, bouleversant et n’a jamais été aussi charismatique à plus de 70 ans. Si l’on pourrait éventuellement tiquer devant un dispositif somme toute trop sage, avec une mise en scène disons fonctionnelle, La Petite est un film propre, carré, élégant, drôle, irrigué par une tristesse et une mélancolie qui émanent du personnage principal, qui pourtant n’exprime pas ses sentiments dans ce sens. C’est là toute la réussite de La Petite, qui exploite tout le génie de sa tête d’affiche, qui l’emmène sur un nouveau terrain, tout en capturant le début de l’automne de son existence. Simple, mais efficace.
INNOCENCE SANS PROTECTION (Nevinost bez zastite) réalisé par Dušan Makavejev, disponible en DVD le 8 novembre 2023 chez Malavida Films.
Acteurs : Dragoljub Aleksić, Ana Milosavljevic, Vera Jovanovic…
Scénario : Dusan Makavejev & Branko Vucicevic
Photographie : Stevan Miskovic & Branko Perak
Musique : Vojislav Kostic
Durée : 1h17
Date de sortie initiale: 1968
LE FILM
En 1968, après avoir fait circuler une annonce dans les journaux à la recherche de personnes aux qualités morales et physiques extraordinaires, Dusan Makavejev fait la rencontre de l’acrobate Dragoljub Aleksic et découvre du même coup son film, le premier Innocence sans protection. Il trouve dans cette figure nationale aussi excentrique qu’extraordinaire l’incarnation d’une partie de l’Histoire et de la culture yougoslave et lui rend hommage dans un portrait aussi drôle qu’émouvant.
À propos d’Innocence sans protection – Nevinost bez zastite, son troisième long-métrage, le réalisateur Dušan Makavejev déclarait à feu Michel Ciment en 1968 « Le cinéma moderne doit échapper à toute définition. Qu’est-ce qu’Innocence sans protection ? Un essai filmé, un documentaire, une nouvelle sorte de spectacle ou la reconstitution d’un vieux film ? C’est tout cela à la fois. Le cinéma moderne doit être un savon dans une main humide. Si vous essayez de le saisir, il vous échappe ». En effet, on retrouve l’aspect collage qui plaisait tant au cinéaste depuis ses premières œuvres, L’Homme n’est pas un oiseau ou Une affaire de coeur : La Tragédie d’une employée des P.T.T., mais aussi dans ses courts-métrages, Conte pédagogique – – Pedagoska bajka (1961), savoureuse relecture du conte des frères Grimm, Parade (1962), témoignage d’une Journée internationale des Travailleurs, et le formidable Am, Stram, Gram (1961), merveille visuelle, drôle et burlesque sur le mirage de l’argent. Avec Innocence sans protection, Dušan Makavejev arrive au bout d’un concept et présente donc « une réédition d’un bon vieux film, arrangé, embelli et commenté » par ses soins, comme l’indique un carton en introduction. Une nouvelle expérience cinématographique signée Dušan Makavejev !