Test Blu-ray / Maigret tend un piège, réalisé par Jean Delannoy

MAIGRET TEND UN PIÈGE réalisé par Jean Delannoy, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 4 septembre 2020 chez Coin de Mire Cinéma.

Acteurs : Jean Gabin, Annie Girardot, Jean Desailly, Gérard Sety, André Valmy, Olivier Hussenot, Lucienne Bogaert, Lino Ventura, Jean Tissier, Jeanne Boitel, Jean Debucourt, Paulette Dubost…

Scénario : Rodolphe-Maurice Arlaud, Michel Audiard & Jean Delannoy, d’après le roman de Georges Simenon.

Photographie : Louis Page

Musique : Paul Misraki

Durée : 1h54

Date de sortie initiale : 1958

LE FILM

Paris, 1957. Une série de meurtres met la police judiciaire en échec : quatre femmes ont déjà été retrouvées poignardées, leurs vêtements lacérés. Certain de la susceptibilité du coupable, le commissaire Maigret fait croire à son arrestation pour le pousser à se manifester.

En dehors de Jean Richard et de Bruno Cremer qui ont su marquer l’esprit des téléspectateurs en l’incarnant respectivement 23 ans et 14 ans, le Commissaire divisionnaire Maigret prend immédiatement les traits de Jean Gabin dans l’inconscient collectif concernant l’adaptation cinématographique des aventures du célèbre personnage créé par Georges Simenon. Le comédien l’aura en effet interprété à trois reprises dans Maigret tend un piège (Jean Delannoy, 1958), Maigret et l’Affaire Saint-Fiacre (Jean Delannoy, 1959) et Maigret voit rouge (Gilles Grangier, 1963). Pourtant, Pierre Renoir (le premier Maigret du cinéma dans La Nuit du Carrefour de Jean Renoir, 1932), Harry Baur (La Tête d’un homme, 1932, de Julien Duvivier), Charles Laughton (L’Homme de la tour Eiffel, 1949, de Burgess Meredith) et même Michel Simon (Brelan d’as, 1952, d’Henri Verneuil), s’étaient entre autres déjà emparés de ce rôle mythique. A la fin des années 1950, Jean Gabin est la plus grande star du cinéma français depuis son retour en grâce avec Touchez pas au grisbi (1954) de Jacques Becker. Le comédien multiplie les projets et les rôles divers, de French Cancan (1955) de Jean Renoir à Razzia sur la chnouf (1955) de Henri Decoin, en passant par ses collaborations avec Gilles Grangier (Gas-oil, 1955, Le Sang à la tête, 1956, Le Rouge est mis, 1957), sans oublier les merveilleux Des gens sans importance (1956) de Henri Verneuil, Voici le temps des assassins (1956) de Julien Duvivier et La Traversée de Paris (1956) de Claude Autant-Lara. Outre les deux films qu’il tourne avec Jean-Paul Le Chanois (Le Cas du docteur Laurent, 1957 et Les Misérables, 1958), Jean Gabin retrouve Jean Delannoy avec lequel il avait déjà tourné Chiens perdus sans collier en 1955, pour interpréter cette fois le commissaire Jules Maigret dans Maigret tend un piège, le premier de ses cinq triomphes au box-office en 1958 puisque le comédien attirera plus de 22 millions de français dans les salles cette année-là.

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Test Blu-ray / Le Monocle rit jaune, réalisé par Georges Lautner

LE MONOCLE RIT JAUNE réalisé par Georges Lautner, disponible en Édition Digibook Blu-ray + DVD + Livret le 6 mars 2020 chez Coin de mire Cinéma

Acteurs : Paul Meurisse, Marcel Dalio, Olivier Despax, Robert Dalban, Barbara Steele, Edwards Meeks, Rénée Saint-Cyr, Lino Ventura…

Scénario : Albert Kantof, Jacques Robert, Colonel Remy

Photographie : Maurice Fellous

Musique : Michel Magne

Durée : 1h37

Date de sortie initiale : 1964

LE FILM

Le monde entier subit une vague de meurtres de savants atomistes et d’attentats contre des installations nucléaires. Lorsqu’un commando est surpris en plein acte, on charge le commandant Dromard, dit « Le Monocle » de mener l’enquête qui le conduit à Hong-Kong…

Troisième et dernier volet de la trilogie dite du Monocle, Le Monocle rit jaune (1964) est assurément le meilleur volet de la saga. A l’époque du Monocle noir (1961), le réalisateur Georges Lautner n’a que quatre longs métrages à son actif quand il découvre le roman éponyme, écrit par le Colonel Rémy et publié en 1960. Résolument sombre, cette série noire (Prix du Quai des Orfèvres en 1960) évoque même un avortement et un foetus jeté dans les flammes. Peu passionné par le livre, le réalisateur y voit néanmoins l’occasion de dynamiter les codes du polar au cinéma en y intégrant une dose massive de second degré et de fantaisie. Une comédie d’espionnage, ce qui était alors impensable. Rétrospectivement, Le Monocle noir est le film avec lequel le cinéaste des Tontons flingueurs, Les Barbouzes et Ne nous fâchons pas, créé sa marque de fabrique. Toutefois, même si la mise en scène demeure géniale avec ses cadres composés et son N&B élégant, Le Monocle noir souffre aujourd’hui d’une exposition poussive et interminable, d’un rythme en dents de scie, de loooongues scènes de dialogues, d’un intérêt très relatif et d’une intrigue à laquelle on ne comprend absolument rien et qui surtout ne passionne jamais. Tout repose sur la réalisation de Georges Lautner donc, mais aussi sur les dialogues concoctés par Pierre Laroche (également scénariste), l’interprétation explosive du grand Paul Meurisse, qui de son côté avait tout fait pour «  saboter  » une oeuvre «  sérieuse  » que lui imposait son contrat.

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Test Blu-ray / Non coupable, réalisé par Henri Decoin

NON COUPABLE réalisé par Henri Decoin, disponible en Édition Digibook Blu-ray + DVD + Livret le 22 mai 2019 chez Coin de mire Cinéma

Acteurs : Michel Simon, Jany Holt, Jean Debucourt, Jean Wall, Georges Brehat, François Joux, Robert Dalban, Charles Vissières, Henri Charrett, Pierre Juvenet, Ariane Murator, Christian Delacroix, Emile Chopitel, Max Trejean…

Scénario : Marc-Gilbert Sauvajon

Photographie : Jacques Lemare

Musique : Marcel Stern

Durée : 1h42

Date de sortie initiale : 1947

LE FILM

Installé dans une petite ville de province française, le Docteur Ancelin est un médecin raté et alcoolique. Pourtant, il sent en lui une certaine supériorité… Un soir, un stupide accident d’automobile la lui révèlera, Il sait maintenant en quoi il est plus fort que tous les autres : il porte en lui le génie de tuer. Il y résistera mais les événements et son orgueil seront plus forts que lui…

Grand sportif, il a notamment été champion de France de natation, ancien officier de cavalerie et d’aviation pendant la Première Guerre mondiale, chef d’escadrille, Henri Decoin (1890-1969) se reconvertit ensuite dans l’écriture et devient journaliste. Puis, il se tourne vers le théâtre et tout naturellement vers le cinéma, en devenant assistant-réalisateur à la fin des années 1920. Il passe ensuite derrière la caméra en 1933 pour son premier long métrage, Toboggan. Il rencontre Danielle Darrieux, qu’il épouse et qu’il suit à Hollywood à la fin des années 1930. Cette expérience lui permet d’assimiler les méthodes américaines. A son retour en France, Henri Decoin s’évertuera à appliquer ses acquis dans son propre travail, en variant les genres, passant du polar (Razzia sur la Chnouf) au film d’espionnage, en passant par les films historiques et drames psychologiques.

Non coupable fait partie de cette dernière catégorie, mais teinté cette fois de thriller. Sombre et inattendu dans la carrière d’Henri Decoin, Non coupable apparaît à mi-parcours dans la longue carrière (de 1931 à 1964) éclectique et prolifique du réalisateur des Inconnus dans la maison, Les Amoureux sont seuls au monde, Au grand balcon, La Vérité sur Bébé Donge, L’Affaire des poisons et du Masque de fer avec Jean Marais. Henri Decoin signe ici un film détonnant, qui tranche singulièrement avec le reste de sa filmographie et qui offre à Michel Simon un rôle de monstre humain à la fois empathique et pathétique. En un mot, indispensable.

Michel Ancelin est un médecin qui a plongé dans l’alcoolisme. Dans sa déchéance, plus il subit le regard moqueur des gens, plus il se hait… jusqu’à cette nuit où conduisant en état d’ivresse, il renverse et tue un motocycliste, devant les yeux effarés de Madeleine Bodin, sa jeune amie et maîtresse. Il maquille le méfait en déplaçant le cadavre et la moto puis en enlevant l’ampoule du phare, pour faire croire à un banal et malheureux accident de la route. Il efface les traces de freinage de la voiture. Tout fonctionne à merveille, et la police classe l’affaire sans suite. Un détail anodin, la perte d’une bague en or que portait Madeleine, va venir tout bousculer dans ce couple apparemment sans histoires, et une série de drames vont s’ensuivre.

Dans les années 1940, qui d’autre que Michel Simon aurait pu incarner ce médecin de province, méprisé par ses confrères et même par sa compagne (qui le trompe), qui se découvre des talents de tueur et donc une raison d’être, tout en inspirant une indéniable sympathie ? D’emblée, le spectateur est invité à suivre son quotidien, autrement dit ses soirées noyées dans l’alcool, dans le but d’oublier une vie gâchée. A la suite d’un accident qui a causé la mort d’un homme, ce docteur Ancelin (à la fois Jekyll et Hyde) va alors se créer un personnage romanesque, celui d’un tueur qui met à mal l’enquête d’un inspecteur envoyé de Paris dans cette petite bourgade d’Indre-et-Loire. Henri Decoin filme justement cette ville oubliée de province, mise sous les feux des projecteurs, en raison de la « popularité » de ce criminel que tout le monde recherche. Les journalistes du coin s’affolent, les habitants soupçonnent les voisins. Et pendant ce temps, Ancelin jubile car le tueur est considéré comme un « artiste », un « génie », qui arrive à passer à travers les mailles du filet.

En 1947, Henri Decoin et Michel Simon tourneront deux films ensemble. Les Amants du pont de Saint-Jean et ce Non coupable, œuvre charbonneuse dans lequel le cinéaste exploite à merveille la gueule incroyable du comédien. A travers un N&B fuligineux, Henri Decoin place son antihéros dans l’ombre de ses méfaits, alors que son désir premier est d’être placé dans la lumière et de briller aux yeux du monde, voulant également se prouver à lui-même qu’il n’est pas le raté décrit par tous. Fort de son impunité, il multiplie alors les assassinats, en écoutant la réaction de ses voisins et connaissances. Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon d’Elio Petri (1970) n’est pas loin !

Henri Decoin filme malgré tout l’histoire d’un perdant, qui, sans dévoiler le dénouement imparable et virtuose, parviendra même à manquer sa sortie. Michel Simon, immense, récompensé par le Prix de la meilleure interprétation masculine au Festival de Locarno, suinte l’alcool et la suffisance, mais également la tristesse et la solitude. Parmi ses partenaires, on reconnaîtra l’indispensable Robert Dalban en patron de café (un de ses rôles récurrents à l’époque) et Jean Debucourt, grand comédien de la Comédie-Française, dont la voix est passée à la postérité pour avoir été celle de Jésus dans Don Camillo. Il est ici impérial en inspecteur de police.

Il serait temps de reconsidérer l’oeuvre d’un des plus grands artisans du cinéma français de l’après-guerre. Non coupable, dont Christophe Gans voulait réaliser un remake avec Albert Dupontel, en est d’ailleurs le parfait exemple. Heureusement, Henri Decoin connaît depuis peu un regain de popularité grâce à l’édition de ses films en DVD et Blu-ray. Il n’est donc jamais trop tard.

LE DIGIBOOK

Coin de Mire Cinéma est de retour ! Pour en savoir plus sur cette collection unique, reportez-vous à notre présentation réalisée lors du premier test consacré à Archimède le clochard https://homepopcorn.fr/test-blu-ray-archimede-le-clochard-realise-par-gilles-grangier/. Pour cette nouvelle salve de la collection « La Séance », l’éditeur reprend le même principe. Non coupable d’Henri Decoin, un temps disponible en DVD chez LCJ, est le premier titre de cette vague, qui comprend également Le Cas du docteur Laurent de Jean-Paul Le Chanois (1958), Rue des prairies de Denys de La Patellière (1959), Le Train de John Frankenheimer (1964), La Grosse caisse de Alex Joffé (1965) et L’Affaire Dominici de Claude Bernard Aubert (1973). Inédits en Blu-ray, ces titres seront édités à 3000 exemplaires. Chaque titre est annoncé au tarif de 32€, disponible à la vente sur internet et dans certains magasins spécialisés à l’instar de Metaluna Store tenu par l’ami Bruno Terrier, rue Dante à Paris.

Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie de Henri Decoin avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction en fac-similé des matériels publicitaires et promotionnels de l’époque, des photos promotionnelles françaises et italiennes, du programme illustré des cinémas Balzac Helder Scala Vivienne, d’un article de la revue Ciné-Miroir d’octobre 1947 et d’un article de Calypso. Le menu principal est fixe et musical.

Comme sur tous les titres de la collection, nous trouvons les actualités liées à la semaine de sortie du film qui nous intéresse. Ici, place aux infos de la 39e semaine de l’année 1947 (11’). Quelques images montrent l’arrivée imminente d’un ouragan tropical sur la Floride, les ravages de la guerre d’indépendance de l’Inde, une visite du général De Gaulle à Lyon où il est acclamé par 20.000 personnes sur la place Bellecour, le voyage pour les Etats-Unis des Petits Chanteurs à la croix de bois, l’exploration de l’abîme de la Henne Morte (à moins 450 mètres), etc.

Place ensuite aux réclames publicitaires de l’année 1947 (4’30) avec un tout nouveau réfrigérateur dernier cri, un shampooing à base de moelle de bœuf et la nouvelle cire de la marque Le Drapeau !

Autre supplément, nous trouvons également une fin alternative du film Non coupable (3’), restaurée à partir du négatif nitrate, présentée également à la suite de l’oeuvre d’Henri Decoin. A l’instar de La Belle équipe et Les Amoureux sont seuls au monde, un épilogue maladroit (et plus optimiste) a heureusement été rejeté et donnait une autre signification à l’histoire.

L’Image et le son

Non coupable a été restauré en 4K à partir du négatif image nitrate. Les travaux numériques et photochimiques ont été réalisés par le laboratoire Hiventy. Quelques fourmillements sont constatés sur le générique d’ouverture, ainsi que divers points, tâches et flous sporadiques. Ce master HD trouve ensuite son équilibre avec des noirs denses, une texture argentique élégante, plus appuyée sur les gros plans. Les contrastes profitent de cette promotion Haute-Définition, les détails sont très appréciables, la propreté ne déçoit pas et au final ce Blu-ray permet (re)découvrir Non coupable dans les meilleures conditions techniques.

Aucun souci acoustique constaté sur ce mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Le confort phonique de cette piste unique est indéniable, les dialogues sont clairs et nets. Si quelques saturations demeurent inévitables, la musique est joliment délivrée et aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.


Crédits images : © TF1 International / TF1 Droits Audiovisuels / Coin de Mire Cinéma / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Archimède le clochard, réalisé par Gilles Grangier

ARCHIMÈDE LE CLOCHARD réalisé par Gilles Grangier, disponible en Édition Digibook Blu-ray + DVD + Livret le 22 octobre 2018 chez Coin de mire Cinéma

Acteurs : Jean Gabin, Darry Cowl, Bernard Blier, Noël Roquevert, Julien Carette, Dora Doll, Jacqueline Maillant, Paul Frankeur, Jacques Marin…

Scénario : Albert Valentin, Gilles Grangier, Michel Audiard d’après une idée originale de Jean Gabin

Photographie : Louis Page

Musique : Jean Prodromidès

Durée : 1h24

Date de sortie initiale : 1959

LE FILM

Archimède, un clochard atypique se refusant à dormir sous les ponts, décide pour passer l’hiver de se faire enfermer en prison. À cette fin et après plusieurs essais infructueux, il décide de mettre à sac son bistrot favori. Mais malgré tous ses efforts, son temps de prison est bien trop court à son goût. Relâché, il va bien falloir trouver une solution pour passer l’hiver au chaud. Entretemps, son bistrot a changé de propriétaire et le nouveau patron n’est pas aussi docile que l’ancien mais Archimède, bien né et très cultivé, a plus d’un tour dans son sac.

Cette seconde bouteille, tu la sors de la glace ? C’est pas le Nautilus !

Archimède le clochard est un film qui me tient particulièrement à coeur puisqu’il s’agit du préféré de mon père. Le dialogue n’était pas le fort de la famille. Mon père né en Eure-et-Loir, fils de métayer, taiseux, était passionné par le cinéma français des années 1950-60. A la maison, nous ne parlions pas vraiment et à table durant le repas, la télé diffusait toujours un film sélectionné par mon père. Archimède le clochard de Gilles Grangier (1911-1996) revenait très souvent. J’ai appris à communiquer avec mon père à travers les films qu’il aimait, apprenait ce qui le faisait rire ainsi, ce qui l’interpellait, lui qui n’exprimait jamais ou très peu ses sentiments. Quelque part, Archimède le clochard a donc forgé ma cinéphilie, ainsi que tous les films avec Jean Gabin ou de Gilles Grangier, tout le cinéma français de 1950 à 1980. Rétrospectivement, cette sixième collaboration (sur douze au total) entre le comédien et le réalisateur est leur plus grand succès en commun avec plus de quatre millions d’entrées en France et le septième de toute la carrière de Jean Gabin.

De la posologie au veuvage, ce n’est qu’une question de gouttes !

Depuis La Vierge du Rhin en 1953, Jean Gabin et Gilles Grangier ont enchaîné les films et les succès avec Gas-oil (1955), Le Sang à la tête (1956), Le rouge est mis (1957), Le Désordre et la nuit (1958). Ce dernier, méconnu, est pourtant un des meilleurs films du binôme. Cette adaptation du roman de Jacques Robert coécrite entre autres par Michel Audiard, qui signe également les excellents dialogues du film, est à redécouvrir et à réhabiliter absolument. Désireux de s’amuser un peu et de se débarrasser d’un de ses rôles les plus singuliers et sombres, celui d’un flic porté sur la boisson, qui s’éprend d’une très jeune toxicomane, Jean Gabin a lui-même l’idée d’Archimède le clochard. Le générique indique d’ailleurs « d’après une idée originale de Jean Moncorgé », le vrai nom du comédien.

Il y interprète un clochard bien élevé et très cultivé, contraint de quitter l’immeuble en construction où il avait élu domicile, en raison du grondement des machines. L’hiver s’annonce particulièrement rude. Ennemi farouche du travail et du bruit, il imagine un plan pour se faire emprisonner et passer ainsi la mauvaise saison au chaud. Il s’emploie tout d’abord à saccager un café, mais la maréchaussée ne juge pas utile de l’incarcérer. Il s’attaque alors à un défilé militaire, avant de provoquer un scandale dans le métro. Rien à faire, les autorités refusent de réagir. Le monde douillet de la prison se refuse à Archimède, qui n’a plus que ses citations d’auteurs et son gros rouge pour se protéger des premiers frimas de l’hiver.

Archimède : Il est tiède !
Pichon : Vous voulez de la glace ?
Archimède : Tout corps plongé dans un liquide subit une poussée de bas en haut égale au poids du volume de liquide déplacé. Pas de glace !

Archimède le clochard est un sommet dans l’association Gabin/Grangier. Sur de magnifiques dialogues signés Michel Audiard, le comédien livre une de ses plus grandes prestations et enchaîne les punchlines, chante pour le plaisir sans faire l’aumône, enchaîne les danses endiablées, parvient à dérider les bourgeois coincés au cours d’une surprise-partie. S’il se fait un petit pécule, il n’hésite pas à payer une bouteille (ou deux) de Bollinger à ses amis ouvriers des Halles. Avec son répondant, son éducation qu’on imagine noble (son véritable nom Joseph Hugues Guillaume Boutier de Blainville est d’ailleurs évoqué), capable de moucher un petit mec hautain avec quelques vers d’Apollinaire (« Mon beau navire ô ma mémoire, Avons-nous assez navigué, Dans une onde mauvaise à boire, Avons-nous assez divagué, De la belle aube au triste soir »), Archimède a décidé de se mettre volontairement en retrait de la société, en rejetant les institutions, luttant quotidiennement contre l’asservissement, tout en profitant de ce que la vie a de mieux à offrir.

Gabin se métamorphose, tout en restant lui-même et la fraîcheur de son jeu reste encore hallucinante soixante ans après la sortie du film. Il est également savamment épaulé par les trognes et le talent de Darry Cowl, Julien Carette, Bernard Blier et Paul Frankeur, sans oublier la débutante Jacqueline Maillan et le charme de Dora Doll. Assisté à la mise en scène par un jeune Jacques Deray, Gilles Grangier se met certes au service de son acteur, mais livre en même temps le témoignage du Paris d’époque avec ses rues de plus en plus agitées, ses habitants qui commençaient à courir dans tous les sens, ses métros bondés. A sa sortie, Archimède le clochard est un triomphe et Jean Gabin remporte l’Ours d’argent du meilleur acteur au Festival international du film de Berlin de 1959.

(A mon père)

LE DIGIBOOK

C’est la révélation de l’année. Fondateur de la structure indépendante Coin de mire Cinéma, Thierry Blondeau est un autodidacte, un cinéphile passionné et grand collectionneur (plus de 10.000 titres dans sa DVDthèque) qui a décidé de se lancer dans le marché de la vidéo dans le but d’éditer des films qu’il désirait voir débarquer dans les bacs depuis longtemps. Prenant son courage à deux mains, essuyant le refus de la plupart des éditeurs qui riaient devant son projet, Thierry Blondeau ne s’est jamais découragé. Son envie et son amour infini pour le cinéma et le support DVD/Blu-ray ont porté leurs fruits. Voilà donc la collection « La Séance » qui s’ouvre le 22 octobre 2018 avec six titres : Les Amants du Tage et Des gens sans importance d’Henri Verneuil, Si tous les gars du monde… de Christian-Jaque, Porte des Lilas de René Clair, Les Grandes familles de Denys De La Patellière et Archimède le clochard de Gilles Grangier. Inédits en Blu-ray, ces titres seront édités à 3000 exemplaires.

Coin de mire Cinéma a d’ores et déjà annoncé les sorties de Paris est toujours Paris de Luciano Emmer, Le Cas du Docteur Laurent de Jean-Paul le Chanois, Des Pissenlits par la racine de Georges Lautner, Le Train de John Frankenheimer (en co-édition avec L’Atelier d’images), La Grosse caisse d’Alex Joffé et L’Affaire Dominici de Claude Bernard Aubert. Chaque restauration sera assurée par TF1 en collaboration avec le CNC. Ont également participé à la réalisation de ce projet L’Atelier d’images (entre autres Hugues Peysson et Jérôme Wybon), Celluloïd Angels, Intemporel et Slumberland. Signalons que chaque titre est annoncé au tarif de 32€, disponible à la vente sur internet et dans certains magasins spécialisés à l’instar de Metaluna Store tenu par l’ami Bruno Terrier, rue Dante à Paris.

L’édition prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie de Gilles Grangier avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction du dossier de presse original et d’articles divers. Le menu principal est fixe et musical.

Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).

L’édition d’Archimède le clochard contient donc les actualités de la 15e semaine 1959 comme l’inauguration d’une nouvelle ligne de métro à Tokyo, une inondation à Madagascar, une italienne qui a ouvert une pension de famille pour chats perdus (500 pensionnaires) ou un cygne moscovite qui voue un amour fou à l’homme qui l’a recueilli (9’).

Ne manquez pas les formidables réclames de l’année 1959 avec une publicité inventive pour les bonbons de La Pie qui chante, une autre pour un bâtonnet glacé au Grand Marnier (« en vente dans cette salle »), une pub pour le café avec Henri Salvador ou une autre pour une cuisinière Arthur Martin dernier cri (8’).

La bande-annonce d’Archimède le clochard et celles des cinq autres titres de la collection édités le 22 octobre sont également disponibles.

L’Image et le son

Archimède le clochard était jusqu’alors disponible en DVD chez René Chateau, dans une édition sortie en septembre 2000 quasiment épuisée. Pour son arrivée dans l’escarcelle de Coin de mire Cinéma, le film de Gilles Grangier a été restauré en Haute-Définition. Si la stabilité de l’image ne fait aucun doute, la restauration n’a pas été poussée comme nous pouvions l’espérer puisqu’il reste pas mal de dépôts résiduels, de scories, de griffures, de points et des rayures verticales. Les contrastes retrouvent de leur superbe, ainsi que la luminosité de la copie qui fait franchement plaisir. Notons tout de même quelques champs-contrechamps à la définition aléatoire, qui s’accompagnent parfois de flous sporadiques. Le grain argentique est heureusement conservé et bien géré.Le Blu-ray est au format 1080p.

Aucun souci acoustique constaté sur ce mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Le confort phonique de cette piste unique est indéniable, les dialogues sont clairs et nets. Si quelques saturations demeurent inévitables, la musique est joliment délivrée et aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © Coin de mire Cinéma / TF1 Droits Audiovisuels /  Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr