LE DÉMON DE LA CHAIR (The Strange Woman) réalisé par Edgar G. Ulmer, disponible en DVD le 1er décembre 2020 chez Artus Films.
Acteurs : Hedy Lamarr, George Sanders, Louis Hayward, Gene Lockhart, Hillary Brooke, Rhys Williams, June Storey…
Scénario : Herb Meadow, Hunt Stromberg & Edgar G. Ulmer d’après le roman de Ben Ames Williams
Photographie : Lucien Andriot
Musique : Carmen Dragon
Durée : 1h36
Année de sortie : 1946
LE FILM
Dans le Maine du XIXème siècle, à Bangor, une femme fatale sème la mort autour d’elle, n’hésitant pas à demander à son soupirant de tuer son père s’il veut qu’elle cède à ses avances, et fait ainsi basculer le destin de trois hommes amoureux d’elle.
Edgar Georg Ulmer (1904-1972) est un cinéaste que les cinéphiles n’ont cessé de redécouvrir depuis sa mort. Metteur en scène, scénariste, producteur et directeur de la photographie américain d’origine austro-hongroise, ancien comédien et décorateur, celui que l’on connaît plus communément sous le nom d’Edgar G. Ulmer est l’auteur de moult films chéris par les spectateurs. Assistant de F.W. Murnau, Robert Siodmak, Billy Wilder, Fred Zinnemann, il passe à la mise en scène dans les années 1930 et signe notamment Le Chat noir – The Black Cat (1934) avec Boris Karloff et Bela Lugosi. Suivront plus tard, pêle-mêle, L’Ile des péchés oubliés (1943), Barbe Bleue (1944) avec John Carradine, Detour (1945), Les Pirates de Capri (1951), L’Homme de la planète X (1951) qui reflètent l’éclectisme et le caractère prolifique du réalisateur. Edgar G. Ulmer a alors près de quarante films et documentaires à son actif quand il entreprend Le Démon de la chair – The Strange Woman (1946), film noir et drame psychologique adapté d’un roman de Ben Ames Williams, produit et interprété par la sublimissime Hedy Lamarr, femme fatale, vénéneuse et à se damner dans un rôle taillé sur mesure, dans lequel elle enflamme l’écran et les sens.
Jenny Hager n’est pas une petite fille qui a eu une enfance heureuse. Entre son père alcoolique et sa mère qui a abandonné le domicile conjugal, Jenny doit trouver ses marques. Un jour qu’elle jouait avec des amis elle tente de noyer un de ses camarades, Ephraïm. Une personne de la ville, qui s’avère être le juge, arrive à temps pour le sauver. Jenny explique que se sont les garçons qui l’ont poussé dans l’eau et qu’elle a plongé pour le sauver. Ce dernier propose à Jenny de venir travailler chez lui en échange de quoi elle pourrait rejoindre le pensionnat. Jenny refuse. Son père lui avoue qu’il la verrait mieux au pensionnat que de vivre avec lui. Elle lui rétorque que plus tard elle aura tout ce qu’elle veut : la richesse et les hommes…Devenue adulte (sublime transition dans l’eau troublée), elle parvient à se faire épouser par le père d’Ephraïm, un homme aussi âgé que fortuné. Amoureux d’elle, Ephraïm est repoussé par l’aventurière qui promet de ne se donner à lui qu’à la condition qu’il assassine son vieil époux.
Vous n’aviez jamais entendu parler d’Hedy Lamarr (1914-2000) ? Nous ne réaliserons pas sa biographie ici, vous savez où vous diriger pour cela, mais pour faire simple nous dirons que la comédienne née en Autriche-Hongrie, désignée en son temps « plus belle femme du monde » aura tourné pour certains grands cinéastes, de King Vidor (Camarade X) à John Farrow (Terre damnée), en passant par Cecil B. DeMille (Samson et Dalila), Jacques Tourneur (Angoisse), Victor Fleming (Tortilla Flat), Jack Conway (La Dame des tropiques) et d’autres. Née Hedwig Eva Maria Kiesler, l’actrice à la réputation sulfureuse (6 mariages et autant de divorces, sans compter ses relations médiatisées ou colportées par la rumeur avec Errol Flynn, Marlon Brando, David Niven, Orson Welles…) qui revendiquait son indépendance et sa liberté, est aussi passée à la postérité pour ses découvertes scientifiques, notamment dans le domaine des télécommunications. En 1946, alors que son contrat de sept films avec la MGM prend fin, Hedy Lamarr souhaite rebondir immédiatement et profiter de sa notoriété. Comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, la comédienne devient productrice exécutive et met en route Le Démon de la chair – The Strange Woman. Si l’on raconte que le grand Douglas Sirk aurait mis en scène la partie du film narrant l’enfance de Jenny, le viennois Edgar G. Ulmer est le seul mentionné au générique et reste le réalisateur choisi spécialement par Hedy Lamarr.
Dans ce psychodrame, formidablement réalisé, profondément amoral et tendu, marqué par des dialogues virulents, la star déploie tout son talent tel un éventail, dont chaque rivure afficherait une facette, entre empathie et rejet, séduction et écoeurement, effervescence et désenchantement. Le costume du XIXè sied à ravir à l’actrice omnipotente, qui sait comment se mettre en valeur et l’être par d’autres, en particulier le chef opérateur français Lucien Andriot (La Piste des géants – The Big Trail de Raoul Walsh, J’avais cinq fils – The Fighting Sullivans de Lloyd Bacon, L’Homme du sud – The Southerner de Jean Renoir), dont la photo quasi-éthérée qui l’enveloppe lui confère une aura inaccessible et quasi-fantastique. Pourtant, si comme les personnages du film nous n’avons souvent d’yeux que pour elle, Hedy Lamarr ne tire pas la couverture à ses camarades de jeu, à l’instar de George Sanders. Le comédien était alors au sommet, venant d’enchaîner Hangover Square de John Brahm, Le Portrait de Dorian Gray – The Picture of Dorian Gray d’Albert Lewin et Scandale à Paris – A Scandal in Paris de Douglas Sirk. Avant The Private Affairs of Bel Ami d’Albert Lewin et L’Aventure de madame Muir – The Ghost and Mrs Muir de Joseph L. Mankiewicz, l’acteur tournait ce petit film sans doute moins connu dans son illustre carrière, mais dans lequel il est une fois de plus excellent, très élégant dans le rôle du manipulé (une fois n’est pas coutume) et amoureux transi John Evered.
Le Démon de la chair est un drame romantico-toxique doublé d’un portrait passionnant d’une femme complexe, vicieuse, perverse, arriviste, machiavélique, schizophrène, mais aussi pleine de failles, ce qui la rend dans un sens attachante et même désirable. Une modernité qui n’est pas la seule qualité du Démon de la chair, qui mérite toute l’attention des passionnés du septième art.
LE DVD
Le Démon de la chair est le quatrième et dernier titre de la vague Artus Films de décembre 2020 après Ma Barker et son gang, Les Rôdeurs de l’aube et Daniel Boone, l’invincible trappeur, dont vous pouvez retrouver les chroniques correspondantes en cliquant sur les liens proposés. Anciennement disponible chez Bach Films, Le Démon de la chair rejoint la collection des Classiques chez Artus Films. La jaquette est typique de cette collection que l’on aime beaucoup, glissée dans un boîtier Amaray de couleur noire. Le menu principal est fixe et muet.
Une bande-annonce présente quelques titres disponibles au catalogue de l’éditeur.
L’Image et le son
La copie présentée affiche un N&B lumineux, mais reste marquée constamment par des poussières diverses, des tâches, des rayures, des griffures, des scratchs…En dehors d’un ou deux décrochages, l’ensemble est étonnamment stable et quelques scènes à la photo diffuse sont plus belles que d’autres et l’on se met à rêver de posséder un jour Le Démon de la chair dans une édition entièrement restaurée et pourquoi pas en Haute-Définition !
Le confort acoustique est suffisant, en dépit de quelques fluctuations, des craquements et de légères saturations. Les sous-titres français ne sont pas imposés.