FANTOZZI réalisé par Luciano Salce, disponible en DVD le 28 septembre 2021 chez Tamasa Diffusion.
Acteurs : Paolo Villaggio, Anna Mazzamauro, Gigi Reder, Giuseppe Anatrelli, Umberto D’Orsi, Liù Bosisio, Bernardino Emanuelli, Plinio Fernando…
Scénario : Leonardo Benvenuti, Piero De Bernardi & Paolo Villaggio, d’après les romans de Paolo Villaggio
Photographie : Erico Menczer
Musique : Franco Bixio, Fabio Frizzi & Vince Tempera
Durée : 1h38
Date de sortie initiale : 1975
LE FILM
Fantozzi est un employé de bureau basique et stoïque. Il est en proie à un monde de difficultés qu’il ne surmonte jamais malgré tous ses efforts.
Vous ne le connaissez sûrement pas puisqu’il n’a jamais su ou pu passer le tunnel du Mont-Blanc pour arriver en France, mais Fantozzi est un des personnages comiques italiens les plus populaires dans son pays, créé et interprété par Paolo Villaggio (1932-2017), qui apparaîtra dans une dizaine de longs-métrages, de 1975 à 1999, dont le succès ne s’est jamais démenti. Petit comptable sans histoire, marié à une femme laide et père d’une fille qui l’est encore plus, Fantozzi, Ugo de son prénom, a tout d’abord été un héros de la littérature. Devant le triomphe rencontré par ses livres inspirés par son expérience de comptable dans le monde de l’entreprise, Paolo Villaggio s’est très vite fait courtiser par divers producteurs, qui souhaitaient adapter son univers. N’ayons pas peur des mots, Fantozzi premier du nom est un capolavoro, immensément culte de l’autre côté des Alpes, qui enchaîne les gags visuels et sonores, ainsi que les répliques dingues, comme des perles sur un collier, sans aucun temps mort, mais entraînant des éclats de rire en permanence. Il aura fallu attendre plus de 45 ans pour que l’Hexagone découvre ce clown incroyable – « le plus grand de sa génération » dira de lui Roberto Begnini, son partenaire dans La Voce della Luna de Federico Fellini – et nous ne sommes pas prêts de l’oublier.
Le comptable Ugo Fantozzi est un humble et malheureux employé de la ItalPetrolCemeTermoTessilFarmoMetalChimica, servile envers ses supérieurs et ignoré de ses collègues (qui jouent à la bataille navale toute la journée), à tel point qu’il s’est fait accidentellement emmurer dans les anciennes toilettes de l’entreprise pendant dix-huit jours sans que personne ne s’en aperçoive. Même à la maison, les choses ne vont pas mieux : marié à l’ingrate Pina (Liù Bosisio) et père de la monstrueuse Mariangela (Plinio Fernando), il doit chaque matin affronter des difficultés et des imprévus pour pouvoir pointer à l’heure. Pendant ses journées de travail, Fantozzi courtise depuis des années sa collègue, Miss Silvani (Anna Mazzamauro), et en profite à la fin des obsèques de la mère d’un cadre pour l’inviter à déjeuner. La réponse affirmative de Silvani distrait Fantozzi au volant, qui fait une queue de poisson à une voiture conduite par trois voyous. Une bagarre s’ensuit, durant laquelle Fantozzi est humilié devant Silvani, qui annule leur rendez-vous. De retour au travail, Fantozzi doit aussi composer avec le comptable Filini (Gigi Reder), organisateur d’événements récréatifs, dont le traditionnel match de football entre célibataires et personnes mariées qui se déroule dans un terrain de banlieue. A Noël, les gérants de l’usine échangent des cadeaux pharaoniques (des panettones en or massif avec des saphirs et des améthystes en guise de bougies, le tout en buvant une cuvée de 1612) et offrent aux enfants des employés une brioche et une bouteille de mousseux, à condition que les enfants récitent un poème devant eux. Quand vient le tour de Mariangela, la fille du comptable, elle ne reçoit pas les cadeaux et est assez fortement moquée à cause de sa laideur. Fantozzi, déçu, entre dans la pièce et emmène l’enfant.
Difficile de résumer ou de donner un aperçu de tout ce qui se déroule dans Fantozzi. Une chose est sûre, vous vous laisserez emporter par ce cyclone comique dévastateur ! Le film est réalisé par Luciano Salce (1922-1989), cinéaste aujourd’hui oublié par la critique et les spectateurs, dont les comédies avaient pourtant attiré un large public pendant près de 35 ans. Certains se souviendront peut-être de ses opus mettant en scène son grand ami Ugo Tognazzi pour Mission ultra-secrète, Elle est terrible, Les Heures de l’amour et Le Canard à l’orange. Venu du théâtre, Luciano Salce a toujours su diriger ses immenses comédiens et utiliser l’espace pour rendre le gag le plus efficace possible. Ancien spécialiste de l’absurde, du surréalisme et de la dérision, il était assurément l’un des plus désignés pour donner vie à l’univers de Villagio-Fantozzi. Il est temps de lui redonner la place qu’il mérite largement aux côtés de ses illustres confrères, qui ont donné à la comédie italienne ses lettres de noblesse. Avec Fantozzi, sorti la même année que Le Canard à l’orange, le metteur en scène pulvérisera les scores au box-office puisque le film atteindra la plus haute marche du podium avec près de huit millions d’entrées. Il signera la première suite dès l’année suivante,Il secondo tragico Fantozzi, dont le succès sera encore plus foudroyant et qui restera de l’avis de tous le meilleur épisode de la série.
Il y a indéniablement du Buster Keaton, du Monsieur Hulot et du Totò chez Paolo Villagio, mais le comédien crée son propre personnage, sans doute plus attachant, car quasi-anonyme, un homme dans la foule, que rien ou presque ne distingue, si ce n’est tout le malheur et la malchance qui peuvent s’abattre sur lui et qui marquent son quotidien. Sa bonhommie est immédiate, sa timidité, sa résignation et sa générosité le rendent tout de suite empathique, le type étant du genre à demander à celui qui lui a mis un coup de pied dans les parties s’il ne s’est pas fait mal. Fantozzi est une chronique marquée par divers épisodes, non pas un film à sketches comme le cinéma transalpin les chérissait, mais plutôt une fable où les onze tableaux sont aussi inspirés les uns les autres, l’arrivée au portail de l’entreprise avant 8h30 (avec le rituel du petit-déjeuner), les funérailles de la mère du directeur et l’invitation catastrophique de mademoiselle Silvani, la partie de foot entre les mariés et les célibataires, la partie de pêche au camping avec le collègue Filini, Noël à l’entreprise et l’humiliation de la fille de Fantozzi, le nouvel an anticipé avec Filini, le défi au billard la rencontre avec la mère de Catellani, l’entraînement au tennis avec Filini, le restaurant japonais avec Mlle Silvani et le ski à Courmayeur, la rébellion et l’entretien finale avec le directeur Galattico. Paolo Villaggio, comme qui dirait le Louis de Funès transalpin, est prodigieux dans la peau de Fantozzi et lui apporte une profonde humanité, dans laquelle chacun peut se projeter et s’identifier.
Burlesque, virtuose, hilarant, Fantozzi est un chef d’oeuvre absolu de la comédie. Tout le monde en prend pour son grade, mais avec une poésie finalement rare dans le cinéma italien, sans vulgarité, mais avec du génie à la pelle.
LE DVD
Entre Tamasa et le cinéma italien, cela a toujours été une très grande histoire d’amour. Fantozzi rejoint la collection désormais conséquente de l’éditeur consacrée aux classiques (ou pas) du septième art transalpin, aux côtés d’Où est la liberté…?, Europe 51, Les Adolescentes, Guendalina, Il Medico della mutua et bien d’autres. Le DVD repose dans un slim digipack cartonné qui comprend également un petit livret de 20 pages illustré et contenant une belle analyse de Fantozzi par le grand Jean A. Gili. Le menu principal est fixe et musical.
Le seul supplément en vidéo est une intervention de Gian Luca Farinelli, directeur de la Cinémathèque de Bologne (9’), enregistrée à l’occasion de la présentation de Fantozzi au Festival de la Rochelle. Celui-ci revient sur le personnage (son origine, son statut social, son métier, sa famille…) créé par Paolo Villaggio, qui « avec Totò est l’un des plus grands comiques italiens du 20e siècle », donne quelques informations sur le comédien principal (ancien ouvrier d’une grande usine sidérurgique), et sur son immense succès auprès des spectateurs (le triomphe de Fantozzi donnera naissance à neuf suites) durant près de trois décennies.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces, dont celle de Fantozzi.
L’Image et le son
Fantozzi a bénéficié d’une complète restauration 2K, réalisée à partir du négatif original. Ce lifting se voit surtout au niveau de la propreté de la copie et de la clarté qu’on imagine ravivée. Mais en dehors de cela, les couleurs demeurent fanées, elles l’étaient sûrement à l’origine, l’esthétique de l’époque n’étant pas ce qu’on pourrait qualifier d’élégante. Les visages apparaissent étrangement rosés, la compression montre parfois ses limites, la gestion du grain est aléatoire (certains plans sont étonnamment lisses) et seules les teintes rouges et vertes semblent avoir du peps. Notons aussi que les scènes « à effets spéciaux », celles où apparaît le « nuage des employés », sont évidemment plus en retrait avec une chute significative de la définition. Il existe vraisemblablement une scène coupée (il s’agissait d’une première tentative de Fantozzi pour perdre du poids), réintégrée au montage lors de la première restauration en 2004, qui a été supprimée à nouveau lors de la dernière restauration en date, autrement dit celle de 2015.
L’unique piste italienne s’avère fluide, sans craquements et suffisamment dynamique, pour se plonger dans les aventures de Paolo Villaggio et de son personnage Fantozzi. Les sous-titres français ne sont pas imposés.