Test Blu-ray / Où est la liberté…?, réalisé par Roberto Rossellini

OÙ EST LA LIBERTÉ…? (Dov’è la libertà…?) réalisé par Roberto Rossellini, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 10 mars 2021 chez Tamasa Diffusion.

Acteurs : Totò, Vera Molnar, Nyta Dover, Franca Faldini, Giacomo Rondinella, Leopoldo Trieste, Fernando Milani, Vincenzo Talarico…

Scénario : Vitaliano Brancati, Ennio Flaiano, Antonio Pietrangeli, Roberto Rossellini & Vincenzo Talarico

Photographie : Aldo Tonti & Tonino Delli Colli

Musique : Renzo Rossellini

Durée : 1h28

Date de sortie initiale : 1954

LE FILM

Le barbier Salvatore Lojacono sort de prison après avoir purgé une peine de vingt ans pour crime passionnel. Il rentre chez lui à Rome, mais ne reconnaît plus ni sa famille ni ses voisins : il ne rencontre autour de lui qu’égoïsme et hypocrisie. Après plusieurs mésaventures, il ne voit plus qu’une issue, se faire condamner pour retourner en prison et retrouver la tranquillité.

À la fois précurseur du néoréalisme italien avec sa Trilogie Fasciste (Le Navire blanc, Un pilote revient et L’Homme à la croix) et figure majeure de ce mouvement cinématographique (Rome, ville ouverte, Païsa et Allemagne année zéro), Roberto Rossellini (1906-1977) est un des réalisateurs les plus en vue à la fin des années 1940. 1950 est un tournant dans sa carrière et par ailleurs dans sa vie, puisqu’il rencontre Ingrid Bergman, qui lui donnera trois enfants et avec laquelle il tournera cinq longs-métrages, de Stromboli à Jeanne au bûcher (1954). Quand on évoque Roberto Rossellini, s’il y a bien un genre auquel on ne pense pas c’est bien la comédie. Pourtant, il existe deux films dissimulés chaque fois entre deux « monuments ». Si le premier intitulé La Machine à tuer les méchants – La Macchina ammazzacattivi (1952) est quelque peu oublié, le second, coincé entre Europe 51 et Voyage en Italie est Où est la liberté…? – Dov’è la libertà…? (1954). C’est le metteur en scène qui en a l’idée, qu’il confie ensuite à ses scénaristes Vitaliano Brancati (Don Cesare di Bazan de Riccardo Freda et auteur du Bel Antonio), Ennio Flaiano (Le Cheik Blanc et La Dolce Vita de Federico Fellini), Antonio Pietrangeli (Les Amants diaboliques de Luchino Visconti) et Vincenzo Talarico (Moi, moi, moi et les autres d’Alessandro Blasetti). Écrit spécialement pour le mythique Totò (1898-1967), Où est la liberté…? apparaît étrangement comme une œuvre hybride, et pour cause…Emballé par son sujet au début du tournage, Roberto Rossellini s’en désintéresse progressivement. S’il maîtrise parfaitement l’humour ou le côté décalé de certaines situations, ce qui a déjà pu être constaté dans quelques-uns de ses films précédents, le cinéaste lorgnait en réalité sur son opus suivant, Voyage en Italie. Après trois mois de prises de vues, le tournage est arrêté et ne reprendra qu’un an plus tard sous la direction de Mario Monicelli, alors en charge de la seconde équipe et qui avait déjà dirigé Totò avec Steno, dans Totò cherche un appartement (1949), Gendarmes et voleurs (1951), Totò e il re di Roma (1951) et Totò et les femmes (1952). Rétrospectivement, il est plus aisé d’attribuer les scènes de pure comédie à Mario Monicelli, autrement dit tout ce qui est lié au procès, et celles réalisées par Roberto Rossellini, qui s’inscrivent encore et toujours dans le néoréalisme, qui montrent le personnage Totò redécouvrir la ville après plus de vingt années d’emprisonnement. Il en résulte un film en demi-teinte, qui souffre d’un manque de rythme certain, mais qui demeure une vraie curiosité, aussi bien dans la filmographie de Roberto Rossellini, que dans celle de l’une des plus grandes stars du cinéma italien de tous les temps.

Le coiffeur Salvatore, après vingt ans passés dans la prison de Portofino pour avoir tué l’amant de sa femme, a été libéré par anticipation. Il passe à nouveau en jugement car il a tenté de réintégrer la cellule où il se trouvait plus « libre » que dehors. Il raconte…À sa sortie de prison, il ne reconnaît plus son quartier romain, et encore moins les habitants, endurcis par les épreuves de la guerre. L’égoïsme et la corruption règnent. Une prostituée l’entraîne dans un marathon de danse, dont les participants, épuisés, sont grugés par l’organisateur, qui fuit avec la recette. Puis il retrouve un ancien codétenu qui escroque de pauvres gens avec des faux billets. Il survit en coiffant les clients de la pension où il habite, mais est chassé par sa logeuse quand elle découvre qui il est. Les Torquati, beaux-frères de sa femme, morte maintenant, l’accueillent avec un semblant de chaleur, mais ce sont de louches individus qui, pendant la guerre, ont volé des biens juifs. Ils poussent par ailleurs Salvatore à épouser Agnesina, une jeune domestique, enceinte du chef de famille. Écœuré, Salvatore échafaude un plan pour revenir en prison…

Il est difficile aujourd’hui d’imaginer, en France tout du moins, à quel point Antonio Griffo Focas Flavio Angelo Ducas Comneno Porfirogenito Gagliardi De Curtis di Bisanzio dit Totò déchaînait les foules dans son pays et plus particulièrement dans sa ville natale de Naples. Un phénomène sans doute unique et qui n’a connu aucun précédent depuis, malgré la renommée des « monstres » qui lui succéderont à l’instar d’Alberto – l’Albertone – Sordi, Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Vittorio Gassman et Nino Manfredi. Sur ces grandes figures marquantes de la comédie italienne, Totò trône encore dans le coeur et l’esprit des transalpins. Comme Louis de Funès dans l’Hexagone, le comédien devient une star à l’âge de 50 ans et sa carrière comptera plus de 110 films. Totò est non seulement le « père » de tous les acteurs de comédie dans son pays (sa renommée ne franchira pour ainsi dire jamais les frontières de l’Italie), mais il reste également celui autour duquel s’articulera le cinéma ausonien puisque l’acteur en côtoiera les plus grands noms devant la caméra et collaborera avec les maestri comme Luigi Comencini, Lucio Fulci, Sergio Corbucci, Dino Risi, Vittorio De Sica et Pier Paolo Pasolini. Pas étonnant que sa route ait donc croisé celle de Roberto Rossellini, même si le chemin aura été de courte durée. Mais ses scènes tournées avec le réalisateur se remarquent immédiatement dans Où est la liberté…?. Ce sont celles où le comédien y apparaît plus grave, tout en retenue, émouvant, bouleversant même, inquiétant parfois, comme dans la scène où Salvatore Lojacono raconte à la prostituée qu’il vient de rencontrer, comment il en est venu à égorger son ancien meilleur ami avec son rasoir de barbier, après avoir appris que sa femme le trompait avec ce dernier. Une séquence singulière qui met en avant le talent dramatique de Totò, merveilleusement photographié et mis en valeur par Aldo Tonti, qui sera de son côté remplacé par son confrère Tonino Delli Colli quand Mario Monicelli reprendra le tournage.

Dans Où est la liberté…?, Totò apparaît un peu comme le Lemmy Caution – Eddie Constantine plongé dans Alphaville de Jean-Luc Godard, ou quand un réalisateur « sérieux » et à l’univers bien défini parvient à s’approprier une figure populaire pour l’inclure dans le sien. Roberto Rossellini suit son personnage (et donc acteur) déambuler dans les rues de Rome, qu’il ne reconnaît pas, où il se perd après avoir passé plus de vingt années au placard, y compris durant la Seconde Guerre mondiale. Libéré pour bonne conduite, complètement inadapté, Salvatore doit également se plier aux règles de la réinsertion, autrement dit ne pas fréquenter les repris de justice, les lieux publics, devant rentrer avant la tombée de la nuit et ne pas sortir avant l’aube, ne pas participer aux rassemblements ou aux cortèges funèbres. On lui donne aussi seulement trois jours pour trouver un logement. Pas étonnant que Salvatore souhaite retourner entre les quatre murs paisibles de « ce vieux château planté dans un décor enchanteur » entre lesquels il a déambulé pendant les deux dernières décennies, où il s’est occupé des autres détenus comme un père (il les rase et les fait rire, aide un prisonnier musicien à composer sa sérénade napolitaine), où régnaient la bonté, l’amitié et l’altruisme. Toutes les valeurs qui semblent absentes du monde « extérieur ». De rencontre en rencontre, Salvatore essaye de trouver sa place, mais n’y parvient pas. Il va alors tout faire pour réintégrer illégalement la prison du château Sant’Elmo. Un plan « d’invasion » jusqu’alors inédit.

S’il est désormais acquis que les principales scènes de comédie sont signées Mario Monicelli, Où est la liberté…? reste avant tout un film (méconnu) de Roberto Rossellini, qu’il a conçu, supervisé, mis en scène en grande partie et dont le regard sur la vie, les mœurs, les rues et ses concitoyens est aussi inégalable que reconnaissable.

LE COMBO BLU-RAY – DVD

Inédit en France, Où est la liberté…? apparaît dans nos bacs en combo Blu-ray + DVD, qui prend la forme d’un Digipack simple à deux volets. Visuel efficace où Totò est évidemment mis en valeur. Le menu principal est fixe et musical.

Un seul supplément en vidéo est proposé sur cette édition. Il s’agit d’un entretien avec Aurore Renaut (16’), maîtresse de conférences en études cinématographiques et audiovisuelles à l’université de Lorraine et autrice de Roberto Rossellini: De l’Histoire a la Télévision (Le Bord de l’eau, 2016). L’invitée de Tamasa replace Où est la liberté…? (sorti en Italie en 1954 et en 1961 en France) dans son contexte, dans la filmographie de Roberto Rossellini (où le film possède une place un peu particulière) et dans celle de Totò. La genèse du film, les éléments comiques déjà aperçus dans les oeuvres précédentes du cinéaste, mais aussi le phénomène Totò en Italie (peu aidé en France où on l’attribuait d’un doublage à l’accent marseillais) sont ensuite abordés. Puis Aurore Renaut en vient à l’aspect hybride d’Où est la liberté…?, « qui a autant d’affinités avec le néoréalisme qu’avec la comédie populaire », un film « qui souffre sans doute de défauts et d’inégalités », tout simplement en raison du départ de Roberto Rossellini après trois mois de tournage après s’être désintéressé du projet, préférant se concentrer sur Voyage en Italie. Les prises de vues reprendront un an plus tard à l’été 1953, avec Mario Monicelli aux manettes, qui s’occupera des scènes manquantes (essentiellement celles se déroulant au tribunal) et supervisera probablement le montage en flashbacks. N’oublions pas l’analyse fine et pertinente d’Où est la liberté…?, qui participe à la belle réussite de ce supplément.

L’éditeur joint aussi à cette édition un livret de 20 pages, concocté par le spécialiste du cinéma italien et historien Jean A. Gili, qui revient notamment sur Totò, sa vie, son œuvre et le phénomène national encore présent dans les esprits des italiens plus d’un demi-siècle après sa disparition.

L’Image et le son

Tamasa annonce une restauration 2K d’Où est la liberté…?. Nous n’avons aucune autre indication en ce qui concerne la source de ce lifting, toujours est-il que subsistent des fils en bord de cadre, des fourmillements, des moisissures, des poussières diverses, des rayures verticales, ainsi que des décrochages sur les fondus enchaînés. Le master restauré ne semble pas de première jeunesse, mais s’en tire honorablement avec des contrastes corrects, des noirs suffisamment denses, une gamme de gris étendue et appréciable, une luminosité bien gérée. Le grain argentique est conservé (même si aléatoire, parfois très marqué), le piqué agréable, tout comme les détails, aussi bien de jour comme de nuit. Notons que le film de Roberto Rossellini est proposé pour la première fois au monde en Haute-Définition.

Pas de version française sur ce titre, mais une version originale correcte, où certaines voix et à la musique Renzo Rossellini saturent sensiblement, mais qui parvient à trouver son équilibre. La différence entre les séquences enregistrées en son direct et celles post-synchronisées est notable, les secondes étant bien entendu plus dynamiques et les premières plus agressives. Quelques craquements et autres traces du passé sont encore présentes, mais rien de rédhibitoire.

Crédits images : © Tamasa Diffusion / 1954 Studiocanal – Ponti – De Laurentiis / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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