URSULE ET GRELU réalisé par Serge Korber, disponible en Blu-ray le 14 juin 2023 chez Studiocanal.
Acteurs : Annie Girardot, Bernard Fresson, Roland Dubillard, Jean Le Poulain, Marcel Dalio, Alfred Adam, Jacqueline Doyen, Patrick Préjean, Jean Carmet, Mario David…
Scénario : Michel Cournot & Serge Korber, d’après le roman de Léopold Chauveau
Photographie : Jean-Jacques Tarbès
Musique : Alain Goraguer
Durée : 1h35
Date de sortie initiale : 1974
LE FILM
Ursule, membre actif de l’Armée du Salut, rencontre lors d’un naufrage l’accordéoniste Grelu. Ils tombent amoureux, mais la vie les sépare. Lorsqu’enfin ils se retrouvent, Grelu mène une existence rangée, Ursule continue de mener une vie trépidante. Ils décident tout de même de se marier.
Vous n’aviez jamais sans doute entendu parler d’Ursule et Grelu ! L’auteur de ces mots n’avait jusqu’à présent pas eu connaissance de cette comédie sortie en 1974, mettant en scène Annie Girardot et Bernard Fresson et signée Serge Korber (1936-2022). Le réalisateur du merveilleux Un idiot à Paris (1967), adapté du roman de René Fallet, et de deux opus originaux avec Louis de Funès, L’Homme orchestre (1970) et Sur un arbre perché (1971), livre un de ses films les plus dingues, pour ne pas dire inclassables, avec Ursule et Grelu, fantaisie burlesque à la frontière de la tragédie, un OFNI presque inracontable, qui doit beaucoup à l’énergie dévastatrice de son couple vedette (qui l’étaient aussi dans la vie) et des gags souvent visuels à la limite du slapstick. En 1972, Serge Korber avait bifurqué vers le drame avec Les Feux de la Chandeleur, dans lequel il dirigeait déjà Annie Giradot. Dans Ursule et Grelu, il lui offre un personnage diamétralement opposé, dont l’immense comédienne se délecte visiblement du début à la fin. Même si son partenaire n’a rien à lui envier, on ne cesse d’admirer cette grande dame du cinéma français, qui n’avait pas son pareil pour insuffler sa gouaille personnelle à des rôles insolites, à la fois graves et farfelus. Ursule et Grelu n’est assurément pas une réussite totale, néanmoins le septième long-métrage de Serge Korber demeure une curiosité à laquelle le cinéphile saura accorder 95 minutes de son temps.
C’est l’histoire d’une rencontre fortuite, lors d’un naufrage en méditerranée, entre Grelu, accordéoniste, et Ursule travaillant pour l’armée du salut. Nonobstant le fait que tout les oppose dans leurs personnalités et leurs vies quotidiennes, ils s’éprennent amoureusement l’un de l’autre. Un jour, Ursule accouche d’une petite fille. Grelu disparaît. Ils ne cesseront alors de se perdre et se retrouver au fil de leurs vies respectives.
Difficile d’en dire plus sur Ursule et Grelu, écrit par Serge Korber et Michel Cournot (Les Gauloises bleues), d’après le roman Grelu de Léopold Chauveau, qui s’avère pour ainsi dire expérimental et ambitieux dans le sens où les situations reposent sur un fil lâche. Le récit est une réaction en chaîne, une succession ininterrompue de gags et de rebondissements, pas forcément réussis, mais on ne peut nier la poésie qui se dégage de chaque scène. Si Annie Girardot est comme d’habitude sublime, le précieux Bernard Fresson, qui sortait alors de Max et les Ferrailleurs de Claude Sautet et d’Un peu de soleil dans l’eau froide de Jacques Deray, s’impose une fois de plus et tient le haut de l’affiche, tâche dont il s’acquitte admirablement. Si le rythme accuse quelques faiblesses dans la seconde partie et occasionne un certain ventre vide durant lequel l’intrigue (ou son semblant) peine à se relancer au bout de la seconde séparation, on ne pourra pas reprocher à Serge Korber de redoubler d’inventivité sur la forme, à l’instar du premier acte avec une maquette représentant le Titanic 2, un bateau malmené par la tempête, marqué aussi par des trouvailles inattendues, comme quand Ursule glisse d’une cabine à l’autre.
Gros point positif égalementpour la photo de Jean-Jaques Tarbès (Borsalino, Flic Story, Les Ripoux, La Vie dissolue de Gérard Floque), ainsi que la partition inspirée et mélancolique d’Alain Goraguer (L’Affaire Dominici, La Planète sauvage), qui apporte un contrepoint dramatique intéressant. Outre de fabuleux seconds rôles, Jean Carmet (parfait clown triste), Marcel Dalio, Patrick Préjean (survolté), Alfred Adam, Robert Dalban, Roland Dubillard, Henri Garcin et Mario David, le tandem, magnifique de complicité (même si l’on sait que leur relation n’était pas rose et même marquée par la violence de l’acteur), s’amuse avec cette partition atypique, anglo-saxonne dans l’âme. Cela a probablement décontenancé les spectateurs puisque Ursule et Grelu ne fera en tout et pour tout que 210.000 entrées, soit un des scores les plus bas au box-office personnel d’Annie Girardot, qui pourtant en défendra ardemment les qualités.
LE BLU-RAY
Inédit en DVD, Ursule et Grelu apparaît dans les bacs, directement en Blu-ray, dans la collection Nos années 70 dirigée par l’excellent et indispensable Jérôme Wybon. Suite et fin de cette dernière vague, le film de Serge Korber rejoint ainsi La Cage et Le Secret dont nous parlions dernièrement. Le disque repose dans un boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un surétui cartonné. Le menu principal, fixe et muet, reprend le même visuel.
Comme sur tous les titres de cette anthologie, Jérôme Wybon présente le film qui nous intéresse aujourd’hui. Durant cinq minutes, le grand manitou de la collection évoque la seconde collaboration entre Serge Korber et Annie Girardot, avec laquelle il avait failli faire Sur un arbre perché, où elle devait donner la réplique à Yves Montand, avant que le projet atterrisse finalement dans les mains de Louis de Funès. Jérôme Wybon donne ensuite des indications sur l’échec du film, sur la représentation étonnante du couple gay, les bonus de cette édition, ainsi que sur la suite de la carrière de Serge Korber, qui sera entre autres marquée par son incursion dans le domaine pornographique, suite à un pari lancé par François Truffaut.
S’ensuit une petite interview de Serge Korber (5’), tirée d’un entretien réalisé pour FilmoTV, durant laquelle le réalisateur s’exprimait sur Ursule et Grelu, et plus particulièrement sur le producteur Raymond Danon. Alors que Claude Brasseur avait donné son accord pour interpréter, Annie Girardot impose Bernard Fresson, avec lequel elle partageait sa vie, Raymond Danon offrant alors à Claude Brasseur (furieux, on le comprend) l’occasion de rejoindre le casting des Seins de glace de Georges Lautner. Quelques anecdotes de tournage sont au rendez-vous, Serge Korber évoquant un « film de fou, une grande aventure, un délire total ».
Place à Annie Girardot, qui dans un module de trois minutes défend Ursule et Grelu, « un film très neuf, nouveau dans sa réalisation, un film moderne, une nouvelle façon de faire rire et de pleurer […] un film qui fait peur, corrosif, pas un film gentillet du tout ». La comédienne parle également du sujet de la crise pétrolière qui avait été anticipé dans Ursule et Grelu, quelques semaines avant le grand choc pétrolier qui allait poindre.
Mais l’élément central de cette interactivité reste incontestablement la longue interview de Bernard Fresson (51’), sur laquelle Jérôme Wybon a pu mettre la main, réalisée pour la télévision belge et animée par Sélim Sasson, alias le «Monsieur cinéma» de la RTBF, dans le cadre de l’émission Cinéscope. L’occasion d’en savoir plus sur ce comédien (« éternel inquiet ») souvent cantonné aux seconds rôles (« Vous ne faites pas 3-4 films par an et vous n’avez pas toujours le premier rôle, mais on ne vous voit pas dans des navets »), dont la présence puissante était toujours marquante. Bernard Fresson évoque le trac qui ne l’a jamais quitté (et encore moins au théâtre, même si la pièce se jouait des centaines de fois), Ursule et Grelu (« un film sur la liberté »), ses études et son parcours, son métier (« c’est entrer en contact avec son subconscient, ce qui n’est pas forcément quelque chose de drôle […] cela ne m’amuserait pas de faire un film qui marcherait et que j’aimerais pas faire, je trouverais ça détestable »), ses premières apparitions au cinéma comme dans Hiroshima mon amour d’Alain Resnais (ou comme Marguerite Duras allait l’aider pour obtenir le rôle), Robert Enrico (Tante Zita) et Henri-Georges Clouzot («quelqu’un d’exceptionnel, un type auquel on peut tout reprocher mais qui a une telle culture, un tel talent, qu’on ne peut pas lui en vouloir »). Bernard Fresson parle aussi de Costa-Gavras (Z), d’André Cayatte (Il n’y a pas de fumée sans feu), d’Yves Boisset (Un condé), du rôle qu’il vient de tenir dans French Connection 2 de John Frankenheimer, de Claude Sautet (Max et les ferrailleurs), de son travail pour la télévision…le tout parfois illustré d’extraits des films mentionnés. Un très beau moment.
L’Image et le son
Comme l’indique Jérôme Wybon dans son intervention, Ursule et Grelu a été restauré 4K en 2019. Superbe lifting ! La copie est en tout point resplendissante, les couleurs ravivées, la stabilité irréprochable, la propreté ébouriffante. Le piqué ne cesse d’étonner, les contrastes sont denses et impressionnants. La texture argentique est quant à elle heureusement préservée, fine, équilibrée, constamment flatteuse pour les yeux. Les séquences en extérieur sont lumineuses. Sans aucun doute l’un des plus beaux Blu-ray de la collection Nos années 70, pour le moment.
Le mixage DTS HD Master Audio Mono 2.0 instaure un réel confort acoustique. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. La composition d’Alain Goraguer de ne manque pas de coffre. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.
Crédits images : © Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr