Test Blu-ray / Toutes les couleurs du vice, réalisé par Sergio Martino

TOUTES LES COULEURS DU VICE (Tutti i colori del buio) réalisé par Sergio Martino, disponible en coffret Combo Blu-ray + DVD + Livre La Trilogie du vice – L’Étrange Vice de Madame Wardh + Toutes les couleurs du vice + Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé le 4 juin 2024 chez Artus Films.

Acteurs : George Hilton, Edwige Fenech, Ivan Rassimov, Julián Ugarte, George Rigaud, Maria Cumani Quasimodo, Nieves Navarro, Marina Malfatti, Luciano Pigozzi…

Scénario : Ernesto Gastaldi & Sauro Scavolini

Photographie : Giancarlo Ferrando

Musique : Bruno Nicolai

Durée : 1h31

Date de sortie initiale : 1972

LE FILM

Victime d’un traumatisme dans son enfance, Jane est sujette à des cauchemars où elle se voit la proie d’un meurtrier. De plus, elle croit reconnaître cet assassin dans la personne d’un inconnu qui semble la suivre. Sa soeur Barbara lui conseille de consulter un psychiatre. Jane, entraînée par une nouvelle voisine, s’adonne à des pratiques de sorcellerie avant d’être reprise en main par le psychiatre qui la confie à un couple âgé à la campagne. Ses protecteurs ayant été tués, Jane menace de sombrer dans une dépression et songe au suicide. Son amant arrive cependant à déceler dans ces divers incidents un complot criminel ourdi pour priver Jane d’un héritage.

Sergio Martino-Edwige Fenech deuxième ! Ciak motore ! Azione ! Après le triomphe international de L’Étrange Vice de Madame Wardh, le réalisateur enchaîne avec un autre giallo, La Queue du scorpionLa Coda dello scorpione, interprété par George Hilton et la suédoise Anita Strindberg, Edwige Fenech venant de mettre au monde son unique enfant et devant alors laisser sa place à sa consœur. Qu’à cela ne tienne, la belle Edwige revient pour Toutes les couleurs du vice (ou L’Alliance invisible, titre d’exploitation hexagonal à sa sortie), sorte de relecture italienne de Rosemary’s Baby, qui imprègne non seulement le scénario d’Ernesto Gastaldi et Sauro Scavolini (Le Cynique, l’infâme, le violent, Amour et mort dans le jardin des dieux, Cité de la violence), mais aussi la mise en scène même de Sergio Martino, alors sous influence. Cette référence forcément avouée se retrouve même dans le décor principal, celui de la résidence de Jane, immeuble édouardien, qui rappelle fortement le Dakota Building où se déroule le chef d’oeuvre de Roman Polanski. Voulant sans cesse se renouveler, malgré les difficultés liées au genre qui demandait de respecter un cahier des charges établi dans le but de livrer aux spectateurs ce qu’ils étaient venus chercher en payant leur place de cinéma, Sergio Martino parvient à tirer son épingle du jeu, tout en reprenant les mêmes ingrédients ou presque de son modèle. En renouant avec le même trio vedette de L’Étrange Vice de Madame Wardh, Edwige Fenech, George Hilton et Ivan Rassimov, le cinéaste emmène son public et ses protagonistes sur un territoire pour le moment peu exploré, en mêlant mystère, magie et épouvante, en entremêlant le rêve et la réalité, en faisant progressivement disparaître la frontière friable entre les deux dimensions, afin de mettre en relief la psyché perturbée de son personnage central. Encore une immense réussite imputable aussi bien au réalisateur qu’à ses scénaristes.

Traumatisée très tôt par le meurtre de sa mère dont elle a été témoin, Jane perd l’enfant qu’elle attend dans un accident de la route. Craignant de sombrer dans la folie, elle se tourne, sur les conseils de sa sœur Barbara, vers un psychiatre, le Dr Burton, avec lequel Barbara travaille elle-même. Son mari s’oppose à cette décision, mais Barbara est désorientée, ne sait pas à qui faire confiance et a parfois peur de son mari, aussi décide-t-elle d’écouter sa sœur. Pendant ce temps, Jane fait la connaissance de Mary, une femme mystérieuse qui vient d’emménager dans son immeuble et à qui elle confie ses inquiétudes. Sous prétexte de l’aider à surmonter ses maux, Mary incite Jane à participer à une sorte de cérémonie du sabbat, une messe noire de quelques adeptes dirigée par un mystérieux prêtre. Bouleversée par ces événements et également hantée par un homme qui apparaît dans ses cauchemars et semble se matérialiser dans la réalité, Jane ne peut plus distinguer le monde des rêves du monde réel. Néanmoins, Jane continue d’assister aux sabbats et participe à un rituel à caractère sexuel…

Vous l’aurez compris, Edwige Fenech est une fois de plus au centre de ce remarquable giallo, dans lequel elle compose brillamment un personnage sur le point de sombrer définitivement dans la folie. Passée à la postérité dans de nombreuses comédies coquines aux titres français explicites du style La Flic à la police des mœurs, La Toubib du régiment, La Flic chez les poulets, La Prof donne des leçons particulières, Marche pas sur ma virginité, Ah ! mon petit puceau !, Qui chauffe le lit de ma femme ?, on oublie souvent à quel point la comédienne était bien plus qu’une belle plante(ureuse) et son implication émotionnelle dans Toutes les couleurs du vice vaut bien tous les éloges. Certes, Sergio Martino n’oublie de la filmer nue, sous tous les angles (très arrondis), mais il la plonge aussi dans des séquences aussi brutales qu’inattendues à l’instar des scènes des rituels. La scène où Jane s’enfuit, horrifiée après la mort de (complétez les parenthèses) et se retrouve subitement face à l’homme de ses cauchemars (Ivan Rassimov, magnétique avec son visage taillé à la serpe et ses yeux surmontés de lentilles bleues cyan) qui se matérialise et lui révèle la face cachée de sa mère est sans doute l’une des plus impressionnantes de toute la carrière de l’actrice. La beauté d’Edwige Fenech laisse place à l’effroi le plus tangible et l’on sent vraiment Jane terrifiée, perdant pied, seule et désemparée.

Moins présent à l’écran que dans L’Étrange Vice de Madame Wardh, George Hilton, alors entre Les Rendez-vous de SatanPerché quelle strane gocce di sangue sul corpo di Jennifer? de Giuliano Carnimeo et Folie meurtrière Mio caro assassino de Tonino Valerii campe lui aussi un personnage, comme toujours ambigu, mais paradoxalement attachant et ses scènes avec Edwige Fenech sont les plus réussies du film. Si l’on retrouve donc Ivan Rassimov, qui incarne comme qui dirait une autre entité du dangereux Jean qu’il campait dans Lo Strano vizio della signora Wardh (et qui apporte une dimension fantastique au récit), on saluera également la prestation de la magnifique (et généreuse) Susan Scott, aka Nieves Navarro, qui elle aussi allait marquer le genre – et le Bis en général – de sa présence et de son talent (Photos interdites d’une bourgeoise, Emmanuelle et les derniers cannibales, La Mort caresse à minuit, La Mort marche en talons hauts, Les Longs jours de la vengeance).

On se perd volontiers dans cette antichambre placée entre le fantasme et la réalité (magistral montage d’Eugenio Alabiso), nappé de la composition enivrante de Bruno Nicolai (là aussi inspirée du thème principal de Krzysztof Komeda pour Rosemary’s Baby) et magistralement photographié par le fidèle Giancarlo Ferrando. Une véritable expérience cinématographique.

LE COFFRET

C’est l’un des événements de l’année dans le domaine du support physique hexagonal. Artus Films réunit trois gialli de Sergio Martino (avec Edwige Fenech pourrait-on ajouter), « la trilogie du vice », dans un sublime coffret comprenant les éditions DVD et Blu-ray de L’Étrange Vice de Madame Wardh, Toutes les couleurs du vice et Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé. Six disques solidement harnachés dans un Digipack à quatre volets, magnifiquement illustré et glissé dans un fourreau cartonné du plus bel effet. À cela s’ajoute un magistral livret de cent pages intitulé Les Vices cachés de Sergio Martino, réalisé par Emmanuel Le Gagne, avec Sébastien Gayraud et David Perrault. Quelques fautes d’orthographe par-ci, par-là, mais l’ensemble y est passionnant, érudit, très informatif sur l’ensemble de la carrière (divisée en genres) du cinéaste, mais aussi sur les trois longs-métrages qui nous intéressent plus particulièrement, puis sur les autres gialli du maestro. Parfait équilibre entre le texte et les illustrations. Les menus principaux sont fixes et musicaux. À noter que Toutes les couleurs du vice avait déjà eu les honneurs d’une édition DVD chez Neo Publishing en 2010 dans la collection Giallo.

On démarre la section des suppléments par un entretien croisé de George Hilton (décédé en 2019) et de l’historien du cinéma Antonio Tentori (32’). Le premier évoque ses débuts en Amérique du Sud (où il est né), son arrivée à Milan en 1962 (où il ne parlait pas du tout la langue, mais où le hasard l’avait mené), ses rencontres déterminantes (dont Lea Massari), ses premiers rôles en Italie, dont celui qui allait tout changer pour lui, dans Le Temps du massacre Tempo di massacro de Lucio Fulci en 1966. Il évoque son immense succès dans le western, puis sa rencontre avec Sergio Martino, qui allait l’emmener sur un terrain inexploré. L’occasion pour lui de parler longuement de son amitié et de ses collaborations avec Edwige Fenech, sur leurs gialli surtout (« Toutes les couleurs du vice est peut-être le meilleur film de Sergio Martino »), en disant notamment que le tournage des scènes d’amour avec sa partenaire « n’étaient jamais embarrassantes », avant d’aborder le casting et les conditions de tournage à Londres, ainsi que du système des coproductions européennes. Le critique de cinéma replace brillamment le film dans la carrière de Sergio Martino (« un film particulier »), les accointances avec Rosemary’s Baby de Roman Polanski, le jeu d’Edwige Fenech, la distribution, l’élégance et le raffinement de la mise en scène de Sergio Martino, ainsi que l’importance historique de Torso (« qui anticipe le slasher »). Le mot de la fin revient à George Hilton, qui déclare être surpris et fier de voir la longévité de certains de ses films, puis surtout de n’avoir jamais pris à la légère les rôles qu’on lui confiait, même s’il avouait regretter un peu que certaines pointures comme Scola et Monicelli ne l’aient jamais appelé. Enfin, il confie ses quatre rôles préférés, ceux qu’il tenait dans Le Temps du massacre, Folie meurtrière, Chacun pour soi et La Queue du scorpion.

Place à Sergio Martino (39’) ! Le réalisateur, toujours de ce monde, ici dans une interview de 2020, démarre son intervention en expliquant pourquoi l’année 1972 a été pour lui assez fertile et symbolique de l’âge d’or du cinéma transalpin (« devant et dans les cinémas il y avait foule comme dans un stade »). Le cinéaste en vient rapidement à Toutes les couleurs du vice (« qui avait pour ambition d’être un peu différent, très onirique, avec comme référence Rosemary’s Baby […] j’ai cherché à me diversifier, en essayant de ne pas refaire le même film »), aux conditions de tournage à Londres, à la fin originale (coupée, puis remontée par la suite, car le public ne comprenait apparemment pas le principe de la prémonition) et au casting. Sergio Martino développe également l’origine de certaines scènes (celle du générique, le rêve qui s’ensuit), évoque Edwige Fenech (« avec elle j’ai su dépasser le stéréotype de la blonde platine »), le tournage des scènes de nu (« fondamentales »)…

Enchaînons directement avec l’interview du scénariste Ernesto Gastaldi (21’). Nous avons déjà parlé moult fois de ce dernier à travers nos chroniques (Le Cynique, l’infâme, le violent, Colère noire, Mort suspecte d’une mineure, La Mort caresse à minuit, Les Rendez-vous de Satan et bien d’autres) que vous retrouverez facilement sur notre antenne et c’est toujours un plaisir de l’écouter. Dans cet entretien de 2020, Ernesto Gastaldi revient sur sa rencontre avec les frères Martino, Luciano et Sergio, puis sur leurs collaborations, une dizaine entre 1965 et 1983. Ernesto Gastaldi ne mâche pas ses mots quand il parle des « saloperies » faites par le producteur (Luciano donc) qui n’hésitait pas à mentir sur le cachet demandé par le scénariste, pour éviter que d’autres producteurs mettent la main sur lui. Il en vient à Sergio Martino (« un grand réalisateur, mais qui n’a pas eu son grand projet »), parle de sa reconnaissance tardive grâce à Quentin Tarantino (qui s’était agenouillé devant le metteur en scène italien, devant une presse étonnée), se souvient de la belle époque du cinéma transalpin (« on vendait à 128 pays près de 300 films par an ! »). L’un des « derniers des Mohicans » comme il se définit lui-même avec Sergio Martino aborde plus rapidement Toutes les couleurs du vice, avec lequel il souhaitait « démystifier le paranormal ».

Nous retrouvons Emmanuel Le Gagne, accompagné cette fois par Sébastien Gayraud (écrivain et conférencier, spécialiste de l’horreur et du cinéma d’exploitation), qui nous parlent évidemment ici de Toutes les couleurs du vice (25’). Cette rencontre reste parfois en surface, mais n’en reste pas moins plaisante à écouter, quand bien même les sujets explorés l’ont déjà été dans les bonus précédents, y compris dans le livre joint à cette édition. Vous entendrez parler en vrac de la signification du titre, des références du film (Rosemary’s Baby surtout), des thèmes (le spectacle de la phobie, du trauma, de la perversion), des partis-pris (« avec une mise en scène proche du cinéma anglo-saxon ») et des intentions du réalisateur (« qui signe un film fantastique, mais qui ne comporte pas d’éléments surnaturels »).

L’interactivité se clôt sur un Diaporama de photos et d’affiches d’exploitation, ainsi que sur la bande-annonce (espagnole).

L’Image et le son

Le transfert n’est sans doute pas irréprochable, mais le master (espagnol) restauré 2K est quasi-immaculé (un ou deux points par ci, des griffures par là), stable (en dehors de l’ouverture et de la conclusion) et dépourvu de déchets résiduels. Les noirs sont concis, la colorimétrie automnale souvent éclatante. Les décors sont riches, la gestion des contrastes est également très solide, les gros plans ne manquent pas de détails. Malgré de menus changements chromatiques au cours d’une même séquence et un grain parfois aléatoire (tantôt très appuyé, tantôt lissé), ce master HD ne manque pas d’attraits. Le Blu-ray est au format 1080p.

Propre et dynamique, le mixage italien Linear PCM ne fait pas d’esbroufe et restitue parfaitement les dialogues, laissant une belle place à la musique de Bruno Nicolai. A titre de comparaison, elle demeure la plus dynamique et la plus riche du lot. La version française apparaît plus métallique et feutrée, parfois sans aucune commune mesure avec la piste italienne.

Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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