Test Blu-ray / Marketa Lazarova, réalisé par Frantisek Vlácil

MARKETA LAZAROVA réalisé par Frantisek Vlácil, disponible en Blu-ray + DVD + Livre le 7 novembre 2023 chez Artus Films.

Acteurs : Josef Kemr, Magda Vásáryová, Nada Hejna, Jaroslav Moucka, Frantisek Velecký, Karel Vasicek, Ivan Palúch, Martin Mrazek…

Scénario : Frantisek Vlácil & Frantisek Pavlícek, d’après le roman de Vladislav Vancura

Photographie : Bedrich Batka

Musique : Zdenek Liska

Durée : 2h46

Date de sortie initiale : 1967

LE FILM

En Bohème, au XIIIème siècle. Christianisme et paganisme s’affrontent. Des brigands, menés par Mikolas, aux ordres du Seigneur Bouc, attaquent une caravane de chevaliers allemands qu’ils tuent sans pitié, excepté le jeune prince Kristian, qu’ils ramènent à leur camp. C’est le début d’un affrontement violent avec Lazar, allié des allemands, seigneur voisin et voleur, qui destine sa fille, la belle Marketa, au service de Dieu.

Considéré comme étant le plus grand film tchèque de l’histoire du cinéma, Marketa Lazarova apparaît d’emblée comme une étape dans le parcours d’un cinéphile. Adapté du roman éponyme de Vladislav Vančura, jusqu’alors jugé inadaptable, le film de František Vláčil aura nécessité 3 ans de préparation et 18 mois de tournage, avec des prises de vue parfois interrompues certes, mais en l’état, Marketa Lazarova demeure LE monument du cinéma tchèque, par son ampleur, sa richesse, son ambition. C’est une tâche ardue de s’atteler à une critique de Marketa Lazarova, puisque pour être honnête plusieurs visionnages seraient nécessaires pour comprendre ne serait-ce qu’une petite partie de ce qui nous est raconté, pour pouvoir raccorder les personnages, pour tenter de dénicher quelques éléments qui pourraient nous impliquer dans cette impressionnante saga. Le spectateur devra donc se mettre en condition avant d’affronter ces 160 minutes, qui peuvent paraître interminables. C’est une épreuve à la fois pour les nerfs et pour la cervelle et le mieux est d’essayer de s’en remettre totalement au cinéaste, conscient que son œuvre ne sera pas facile d’accès, mais qui parvient néanmoins à captiver à de nombreuses reprises grâce à diverses fulgurances et à la somptueuse photographie du chef opérateur Bedrich Batka.

Mais au fait de quoi ça parle Marketa Lazarova ? Les fils de Kozlík, un chef de clan de voleurs, tendent une embuscade à un groupe se rendant en hiver à Mladá Boleslav. Le nouvel évêque de Hennau, allié du roi de Bohême, s’échappe, mais son jeune fils Kristian et son assistant sont capturés. Mikoláš, l’un des fils de Kozlík, surprend Lazar, le chef de clan voisin, en train de fouiller le site de l’embuscade pour voler les morts mais épargne sa vie alors qu’il prie le Christ. Ils ont tous les deux une vision sainte impliquant la fille vierge de Lazar, Marketa. Dans leur village, Kozlík réprimande Mikoláš pour avoir laissé un homme s’échapper, avoir amené des captifs et épargné Lazar. Sa rage augmente lorsqu’il entend Adam, son autre fils, dire qu’ils auraient pu utiliser l’évêque en fuite comme moyen de pression contre le roi. Sa fille, Alexandra, tombe amoureuse de Kristian, au grand dégoût d’Adam. Alexandra s’était déjà abandonnée une fois à Adam et une autre fois rejetée par lui. Lorsque leur mère Katarina l’a découvert et l’a dit à Kozlík, Adam a perdu son bras en guise de punition pour l’inceste. Kozlík répond à une convocation royale à Boleslav. Le capitaine du roi tente de le saisir, mais il s’échappe, poursuivi par les loups jusqu’au village. Anticipant la venue d’un régiment dirigé par le capitaine, le clan se retire dans les bois. Mikoláš rend visite à Lazar, le pressant d’aider Kozlík à tendre une embuscade au régiment.

Si comme l’auteur de ces mots vous avez eu du mal rien qu’à lire ce résumé de Marketa Lazarova, bonne chance pour la suite. Les partis-pris et les intentions du réalisateur décontenancent à chaque instant. Malgré toute la bonne volonté du monde, en restant concentré le plus possible, il est impossible de ne pas décrocher devant ce récit qui part dans tous les sens, où chaque réplique demeure quasi-incompréhensible. Marketa Lazarova s’avère beaucoup plus attachant et donc intéressant quand tout ce beau monde se tait enfin, laissant le temps au spectateur paumé d’admirer les splendides paysages naturels, les costumes, chaque élément disséminé dans l’exceptionnel cadre large où rien n’a été laissé au hasard. La magie du septième art agit dans le sens où l’on se demande si František Vláčil n’a pas trouvé le moyen de se rendre réellement en Bohême au XIIIe siècle, pour aller filmer l’attaque d’un convoi par les fils du chef de clan Kozlik, l’enlèvement de Kristian, le fils de l’évêque de Hennau et celui de Marketa, la fille du comte féodal Lazar…

Il s’en passe des choses dans Marketa Lazarova, on serait tenté de dire comme dans Plus belle la vie si l’on devait continuer sur une lancée ironique. En même temps, il est difficile de faire autrement, car le film compile tous les « tics » propres au cinéma d’auteur hermétique qui a par exemple donné naissance au mythique sketch des Inconnus, Cinéma Cinémas. Il serait dommage de passer à côté de Marketa Lazarova, ou tout du moins de ne pas lui accorder une séance, quitte à couper le film à plusieurs reprises, chose que nous vous déconseillons tout de même, car il est extrêmement difficile de reprendre le train en marche. Mieux vaut donc prévoir trois heures (la durée moyenne d’un blockbuster aujourd’hui), la cafetière à proximité, pour se plonger dans l’expérience.

Si l’histoire vous laissera sans doute sur la bande d’arrêt d’urgence, au moins il est certain que vous y verrez certains des plus beaux plans de l’année, tandis que les spectateurs avides de technique pourront se régaler du montage de Miroslav Hájek (La Vallée des abeilles, Au feu les pompiers !, Happy End, Les Amours d’une blonde, L’As de pique). Rien à redire non plus sur le jeu et l’implication des comédiens, dont Josef Kemr (Le Neuvième coeur, Un marteau pour les sorcières), Ivan Palúch (Morgiana), ainsi que sur la splendide composition de Zdenek Liska (L’Incinérateur de cadavres, Le Trésor de l’île aux oiseaux).

À sa sortie, la critique et le public ont fait un triomphe à Marketa Lazarova et son succès ne s’est jamais démenti. Si l’on a évidemment le droit de ne pas être d’accord avec les avis dithyrambiques et d’être assurément plus modéré et nuancé envers le film, cette curiosité complexe, pour ainsi dire inclassable, mérite qu’on s’y attarde.

L’ÉDITION BLU-RAY + DVD + LIVRE

En même temps que La Vallée des abeilles, Artus Films sort Marketa Lazarova, qui bénéficie en plus d’un excellent livret de 62 pages, intitulé František Vláčil : l’esthète des contrastes, écrit par Christian Lucas. Un ouvrage riche et soigné, qui propose un très large tour d’horizon de la filmographie du réalisateur, ainsi que de sa carrière, œuvre par œuvre. Évidemment, Christian Lucas se penche plus longuement sur Marketa Lazarova, en donnant – comme à son habitude – moult informations sur la longue genèse du film, son tournage épique, le casting, les liens de personnages, l’adaptation du roman de Vladislav Vančura…Les deux disques sont logés dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné très joliment illustré. Le menu principal est fixe et musical. Nous avons constaté que sur le DVD, le son se coupe à cinq minutes de la fin. Un problème technique dont nous avons informé l’éditeur. Le Blu-ray n’est pas impacté.

On ne change pas une équipe qui gagne, Artus Films a tout naturellement confié la présentation de son dernier opus en date au désormais incontournable Christian Lucas (23’). Comme d’habitude, ce dernier a bien préparé son intervention et répondra à toutes vos questions sur Marketa Lazarova. Ainsi, celui-ci revient sur l’histoire du film, le casting, le réalisateur, les lieux de tournage, l’adaptation du roman de Vladislav Vančura, avant de donner son propre avis. Forcément, si comme nous vous avez lu le livre du même sieur Lucas avant de visionner ce module, cette présentation vous paraîtra redondante car tous les éléments présentés ici le sont déjà dans l’ouvrage lié à cette édition.

Artus Films a aussi pu mettre la main sur un document d’archive (1989, 20’30), dans lequel František Vláčil revient sur sa carrière et notamment sur Marketa Lazarova, le film qui lui a demandé le plus de travail, un tournage « presque insupportable par moments » ajoute-t-il. Des images de tournage diverses, des storyboards, des extraits de films illustrent les propos du cinéaste.

L’interactivité se clôt sur un Diaporama d’affiches et de photos d’exploitation.

L’Image et le son

Marketa Lazarova avait déjà bénéficié d’une sortie en DVD dans les bacs français, en 2008 chez Malavida Films. Artus Films présente le film de František Vláčil dans un nouveau master restauré, issu d’un scan 4K du négatif original et donc en Blu-ray pour la première fois. Le résultat est bluffant. Voilà une copie qui se révèle extrêmement pointilleuse en matière de piqué sur les nombreux gros plans, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés, de clarté et de relief. La propreté de la copie est souvent sidérante, la nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans, la photo retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. Si quelques points ont pu échapper au scalpel numérique, les fondus enchaînés sont fluides et ne décrochent pas, la copie est stable, et l’ensemble ravit les mirettes du début à la fin. Quelle beauté !

Seule la version originale (tchèque et allemande donc) aux sous-titres français non imposés est disponible sur cette édition. La restauration est satisfaisante, l’écoute frontale, riche, dynamique et vive. Les effets annexes sont conséquents et le confort acoustique assuré.

Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.