LE TRÔNE DE FEU (Il Trono di fuoco / The Bloody Judge) réalisé par Jess Franco, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 17 mai 2022 chez Artus Films.
Acteurs : Christopher Lee, Maria Schell, Leo Genn, Hans Hass Jr., Maria Rohm, Margaret Lee, Peter Martell, Howard Vernon, Milo Quesada…
Scénario : Michael Haller, Anthony Scott Veitch, Jess Franco & Enrico Colombo, d’après une histoire originale de Peter Welbeck
Photographie : Manuel Merino
Musique : Bruno Nicolai
Durée : 1h38
Date de sortie initiale : 1970
LE FILM
À la fin du XVIIe siècle, l’Europe se livre à une véritable chasse aux sorcières. En Angleterre, un juge sadique et un peu trop zélé arrête bon nombre de femmes innocentes qu’il fait accuser « d’adoratrice du diable », les rend responsables d’actes de sorcellerie sans preuves évidentes et les brûlent publiquement. Marie vient de perdre sa sœur dans ces atroces conditions : elle est bien décidée à venger sa mémoire.
Nous avons très largement abordé la vie et la carrière de Jesús Franco Manera aka Jess Franco (1930-2013) à travers nos chroniques des Nuits brûlantes de Linda, Shining Sex, Deux espionnes avec un petit slip à fleurs, Opération Re Mida (Lucky l’intrépide), La Fille de Dracula, Les Possédées du diable et Le Journal intime d’une nymphomane. Alors autant attaquer immédiatement, en allant voir tout de suite où le film qui nous intéresse aujourd’hui, en l’occurrence Le Trône de feu – The Bloody Judge, se situe dans la filmographie conséquente et éclectique de l’ami Jess. Cet opus est tourné en 1969, année des Brûlantes ou L’Amour dans les prisons de femmes (aussi connu sous le titre 99 femmes) et de Sumuru, la cité sans hommes, tandis que certains pays peuvent déjà découvrir Justine ou les Infortunes de la vertu ou Les Deux beautés (Marquis de Sade’s Justine) avec Klaus Kinski. Jess Franco est partout dans les salles du monde entier, certains de ses longs-métrages sortent avec un, deux voire trois ans de décalage selon le territoire, la censure sévit ici ou au contraire certaines scènes pornographiques sont ajoutées au montage pour faire plaisir aux spectateurs. Le cinéaste ne sait plus où donner de la tête et où pointer sa caméra, mais tant qu’il tourne, il ne saurait être plus heureux. Bien sûr, dans cette anthologie foisonnante, le cinéphile/age trouvera forcément à boire et à manger. Le Trône de feu peut aisément être placé dans le haut du panier. L’Inquisition a inspiré le cinéma. On peut citer en vrac Capitaine de Castille (1947) de Henry King avec Tyrone Power et Cesar Romero, La Passion de Jeanne d’Arc (1928) et Jour de colère – Vredens Dag (1943) de Carl Theodor Dreyer, Les Sorcières de Salem (1957) de Raymond Rouleau, Le Grand Inquisiteur (1968) de Michael Reeves et, plus proche de nous, Les Fantômes de Goya de Milos Forman. Un sujet qui inspire visiblement le réalisateur, qui signe probablement l’un de ses meilleurs films, à la fois sur le fond comme sur la forme, et qui bénéficie surtout d’un solide atout dans sa musette, en la personne de l’illustre Christopher Lee, qu’il avait déjà dirigé (Le Sang de Fu Manchu – The Blood of Fu Manchu, Le Château de Fu Manchu – The Castle of Fu Manchu) et qu’il retrouvera encore plus tard (Les Nuits de Dracula, Les Inassouvies – Philosophy in the Boudoir, Dark Mission : Les Fleurs du mal…).
Après la mort du roi Charles II, George Jeffreys, qui dirige la justice en Angleterre, essaie de consolider le règne du nouveau monarque, le roi Jacques II, en persécutant impitoyablement ceux qui sont accusés d’être des rebelles et des adversaires du nouveau roi. Pour cela, il déchaîne une brutale chasse aux sorcières. Le sang coule dans tout le royaume partout. Selon lui, la trahison, les activités subversives et des conspirations sont omniprésentes. Il torture et assassine sans s’arrêter. Pour lui, les rebelles qui n’acceptent pas le nouveau roi sont des ennemis de l’État. Le roi Jacob réclame le pouvoir absolu, à l’instar des rois de France, et veut aussi restaurer le catholicisme en Angleterre – y compris par l’inquisition, la torture et le meurtre. Sadique et avide de sang, Lord Jeffreys croit profondément que sa mission est juste et utilise de plus en plus sa position pour forcer des jeunes femmes à se soumettre à lui et à les agresser sexuellement pour son propre plaisir. Celles qui le refusent sont torturées pour adoration de Satan et sorcellerie. Une de ses victimes est la belle et jeune Alicia Grey. Jeffrey la condamne à mort mais, avant qu’elle ne soit finalement exécutée, celle-ci doit endurer les pires tortures. D’un autre côté Jeffreys semble avoir peur de Mother Rosa, une diseuse de bonne aventure aveugle. Il croit au pouvoir de cette sorcière et redoute ses prophéties et les malédictions qu’elle pourrait lui lancer. En Marie, la sœur d’Alicia assassinée, Mother Rosa et Harry Selton, le fils du noble et respecté Lord Wessex, Jeffrey a trouvé de nouveaux dangereux ennemis.
Même si nous ne comprenons pas tout ce qui se déroule du point de vue politique et religieux du côté de l’Angleterre en cette bonne année 1685, cela n’empêche pas de prendre beaucoup de plaisir à suivre Le Trône de feu. Deux camps se déchirent. L’un reste loyal au dernier des Stuart, le second a juré fidélité au prince Guillaume d’Orange. Mais c’était sans compter la présence du juge royal (que l’on retrouvera dans Les Démons du même Franco en 1973, sous les traits de Cihangir Gaffari cette fois) qui jette des sentences implacables, prétextant une chasse aux sorcières pour se débarrasser en fait d’opposants politiques. Et qui de mieux que Christopher Lee, affublé d’une belle perruque bouclée traditionnelle, pour incarner ce grand croque-mitaine craint par toute la population ? Celui-ci s’en donne à coeur joie dans la perfidie, jubile quand il doit délivrer ses peines de mort quotidiennes (en donnant moult détails) à celles et ceux accusés de sorcellerie, comme à cette pauvre Alicia, incarnée par la magnifique Margaret Lee (Sais-tu ce que Staline faisait aux femmes ? de Maurizio Liverani, Le Soleil des voyous de Jean Delannoy, Le Cirque de la peur de John Llewellyn Moxey). Mais c’était sans compter sur la sœur de cette dernière, Mary, interprétée par la diaphane et sublime Maria Rohm (L’Appel de la forêt de Ken Annakin), qui travaillera à maintes reprises avec Jess Franco (Le Sang de Fu Manchu, Sumuru, la cité sans hommes, 99 femmes, Justine ou les Infortunes de la vertu, Venus in Furs…), à laquelle notre juge pervers et sadique succombera. Le reste du casting, composé de Maria Schell (Le Diable par la queue de Philippe de Broca, La Ruée vers l’Ouest d’Anthony Mann, Nuits blanches de Luchino Visconti, Gervaise de René Clément), Leo Genn (Les 55 jours de Pékin de Nicholas Ray, Les Évadés de la nuit de Roberto Rossellini), sans oublier l’inoubliable Howard Vernon (Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff, Train d’enfer, La Môme Vert-de-Gris, La Rose écorchée), forcément dans le rôle du bourreau, est du même acabit et tous les comédiens tirent leur épingle du jeu.
Rien à redire sur la mise en scène, pour laquelle Jess Franco (très inspiré par La Tour de Londres – Tower of London de Rowland V. Lee, sorti trente ans auparavant) peaufine ses plans, contrairement à ses tournages plus « traditionnels » où, pressé par le temps (et par l’absence de budget, ce qui n’est pas le cas ici) ou tournant plusieurs films à la fois, la réalisation est souvent heurtée et pâtit inéluctablement de son empressement. Les décors et les costumes ne manquent pas de charme, la musique de Bruno Nicolai est un gros point fort, tout comme la photographie de Manuel Merino (X 312… vol pour l’enfer…, 4, 3, 2, 1, objectif lune, Carré de dames pour un as) aux éclairages parfois étonnamment baroques, proches de ceux de l’univers de Mario Bava.
Production garmano-italo-espagnole, Le Trône de feu est un excellent ouvrage del signor Franco, qui reconstituait alors les terres britanniques du 17è siècle en Espagne et au Portugal, en se laissant parfois aller à certains penchants (la scène où Mary se met à lécher le corps ensanglanté d’une prisonnière torturée, les atrocités subies par les belles engeôlées la plupart du temps dénudées, qui annoncent le torture porn), tout en conservant une belle rigueur du début à la fin.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Nous en parlions lors de nos précédente chroniques, Le Trône de feu rejoint la collection déjà conséquente consacrée à l’oeuvre Jess Franco chez Artus Films. Nous nous penchons cette fois sur The Bloody Judge, disponible en combo Blu-ray + DVD. L’objet prend la forme d’un élégant Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné au visuel élégant et très attractif. Le menu principal est fixe et musical. A noter que le film était déjà sorti en DVD en 2007 chez Opening, sous le titre anglais.
Critique aux Cahiers du Cinéma, Stéphane Du Mesnildot fait son retour pour nous parler du Trône de feu (17’). Le journaliste fait tout d’abord un petit tour d’horizon du sous-genre du film dit d’Inquisition (« qui est à peine plus cher qu’un film de prison dans la série B »), thème récurrent dans le cinéma d’exploitation à partir de la fin des années 1960, en donnant quelques titres alléchants. Puis, l’invité d’Artus Films et de Christian Lucas se penche un peu plus sur « le scénario un peu complexe », l’intrigue politique et plus généralement sur « l’un des films de Jess Franco les plus denses », dans lequel le réalisateur dirige Christopher Lee pour la troisième fois de sa carrière. Les scènes clés, ainsi que le casting sont passés au peigne fin.
Ne manquez pas la scène coupée (5’40), présentée en version française, qui s’avère très réussie et d’autant plus intéressante qu’elle présente en fait la rencontre entre Harry et Mary, le premier sauvant la seconde d’une tentative de suicide après la mise à mort d’Alicia devant les yeux de sa sœur. Très belle séquence où Mary s’enfonce petit à petit dans les marais et les sables mouvants, avant d’être secourue.
L’interactivité se clôt sur trois films-annonces, ainsi qu’un Diaporama de photos et d’affiches d’exploitation.
L’Image et le son
Le Trône de feu s’offre à nous en Haute Définition dans une nouvelle et superbe copie entièrement restaurée à partir d’un master 2K. Ce Blu-ray renforce les contrastes, la densité des noirs. L’image est stable, entièrement débarrassée de scories diverses et variées, les couleurs sont ardentes, vives et chatoyantes, certains décors brillent de mille feux, les détails sont légion aux quatre coins du cadre large, le relief des matières des costumes demeure palpable tout du long, la texture argentique flatteuse. Les scènes en extérieur affichent une luminosité inédite, tout comme un relief inattendu, un piqué pointu. Aucun ou peu de défauts constatés, pas de tâches, bruit vidéo, poussières, tout a été balayé avec soin. Un titre qui tire pleinement profit de la Haute-Définition. Blu-ray au format 1080p.
Ceux qui auraient découvert Le Trône de feu en version française (avec la voix mythique de Roger Rudel pour Christopher Lee), pourront se ruer sur le mixage de fort bonne qualité et au doublage soigné. La piste anglaise n’est évidemment pas en reste et offre de belles séquences d’action très dynamiques, avec également un bon report des dialogues, des effets annexes et de la musique de Bruno Nicolai. Pistes présentées en PCM 2.0.