Test Blu-ray / Les Amants sacrifiés, réalisé par Kiyoshi Kurosawa

LES AMANTS SACRIFIÉS (Supai no tsuma – スパイの妻) réalisé par Kiyoshi Kurosawa, disponible en DVD et Blu-ray le 19 avril 2022 chez Arte Editions.

Acteurs : Yu Aoi, Issey Takahashi, Masahiro Higashide, Ryota Bando, Yuri Tsunematsu, Minosuke, Hyunri, Takashi Sasano…

Scénario : Ryusuke Hamaguchi, Kiyoshi Kurosawa & Tadashi Nohara

Photographie : Tatsunosuke Sasaki

Musique : Ryosuke Nagaoka

Durée : 1h56

Date de sortie initiale : 2020

LE FILM

Kobe, 1941. Yusaku et sa femme Satoko vivent comme un couple moderne et épanoui, loin de la tension grandissante entre le Japon et l’Occident. Mais après un voyage en Mandchourie, Yusaku commence à agir étrangement… Au point d’attirer les soupçons de sa femme et des autorités. Que leur cache-t-il ? Et jusqu’où Satoko est-elle prête à aller pour le savoir ?

Quand Kiyoshi Kurosawa (Au bout du monde, Cure, Kaïro, Avant que nous disparaissions, Le Secret de la chambre noire, Vers l’autre rive, Shokuzai, Tokyo Sonata…) rencontre Ryusuke Hamaguchi (Drive My Car, Asako I & II, Senses). A l’écran tout du moins, puisque le second (tout comme le coscénariste Tadashi Nohara) aura été l’étudiant du premier à l’Université des Arts de Tokyo. Les deux maîtres du cinéma japonais se trouvent réunis sur la même affiche pour Les Amants sacrifiés, mis en scène par le prolifique Kiyoshi Kurosawa, dont la filmographie avoisine la soixantaine d’oeuvres (courts/longs-métrages et séries) et écrit par Ryusuke Hamaguchi, qui signe pour la première fois un scénario réalisé par un autre cinéaste. Cette association donne naissance à un sommet d’émotions, de sensibilité à fleur de peau et de délicatesse, une élégance racée aussi bien sur le fond comme sur la forme, qui convoque à la fois le cinéma britannique et américain des années 1940-50, avec une rigueur nippone, tout en s’inscrivant parfaitement à travers ses thèmes dans la filmographie de Kiyoshi Kurosawa, où le couple, les relations entre les hommes et les femmes sont la clé de voûte. Outre ses qualités exceptionnelles, Les Amants sacrifiés a été filmé en 8K. Pour vous donner une idée de la définition de l’image, le nombre de pixels est multiplié par 4 en comparaison de l’UHD dite traditionnelle, format souhaité, pour ne pas dire imposé par la NHK, l’unique groupe audiovisuel public au Japon, qui cherchait à financer la production d’un film tourné dans la ville de Kobe, en utilisant une caméra 8K comme médium. Si le procédé a tout d’abord fait peur au réalisateur, qui craignait une image lisse artificielle, diamétralement opposée à la texture attendue pour un film d’époque, par ailleurs son premier opus historique, Kiyoshi Kurosawa a été très vite rassuré en apprenant qu’il pouvait la retravailler en post-production. Si l’on peut déplorer quelques problèmes de rythme, sans doute trop languissant, Les Amants sacrifiés hypnotise et happe le spectateur pour l’emporter dans un tourbillon de sentiments du début à la fin, jusqu’au dernier plan, absolument bouleversant. Du grand art.

Des membres de la police militaire japonaise saisissent et arrêtent un marchand de soie britannique accusé d’espionnage. En 1940, Yūsaku Fukuhara dirige une entreprise internationale d’import-export à Kobe. Après l’arrestation, puis la libération, du marchand britannique, une unité de la police militaire arrive à son bureau. Taiji, le chef de l’unité récemment promu et ami d’enfance de la femme de Yūsaku, prévient ce dernier que les autorités compétentes le surveillent en vertu de la loi de mobilisation nationale, en partie à cause de sa préférence pour les vêtements occidentaux, les marchandises importées, et de ses contacts étroits avec les étrangers. Yūsaku est indifférent à la tension croissante dans la société et n’est pas affecté par la visite de Taiji. Le marchand britannique dit au revoir à Yūsaku et Satoko chez eux et leur dit qu’il se rend à Shanghai, car il ne peut plus faire d’affaires au Japon. Satoko joue le rôle d’un voleur glamour dans un film de braquage amateur avec le neveu de Yūsaku, Fumio et Yūsaku projette le film pour ses collègues de bureau. Après la nouvelle année, il informe Satoko que lui et Fumio partent pour un court voyage d’affaires en Mandchourie pour importer des médicaments bon marché et d’autres biens. Leur voyage est retardé de deux semaines supplémentaires. Yūsaku retourne à Kobe, accompagné d’une femme sans avertir Satoko. Peu de temps après leur retour, Fumio annonce qu’il quittera l’entreprise pour écrire un roman sur ses expériences en Mandchourie avant d’être enrôlé. Satoko se méfie de plus en plus de Yūsaku après avoir appris l’existence de la femme qui est revenue avec son mari…

Quand le maître de la peur collabore avec celui qui est qualifié aujourd’hui de nouveau prodige du romanesque, cela ne pouvait que donner un bijou du cinéma japonais. Le récit se focalise sur un couple emporté dans et par la grande histoire, celle de Seconde Guerre mondiale, où il est difficile de rester fidèle à ses convictions et à ses idéaux quand la menace se trouve « à l’intérieur ». Furieusement sensitif, passionnel, sentimental, Les Amants sacrifiés ne craint pas d’avoir recours à des effets chimériques, impression souvent renforcée par les partis-pris (merveilleuse photographie de Tatsunosuke Sasaki, dont il s’agit du premier film) et l’usage de cette fameuse 8K qui donne au film un aspect presque ouaté, cotonneux, les personnages semblant déambuler dans un songe. Au fil de l’histoire, les protagonistes sont de plus en plus plongés dans l’ombre, comme si l’on découvrait en même temps que les héros du film, la face cachée de chacun. Évidemment, ce que l’on retiendra surtout des Amants sacrifiés, c’est son sublime couple principal, Yū Aoi (lauréate du prix de la meilleure actrice aux Asian Film Awards en 2021), déjà vue chez le metteur en scène dans L’Autre rive et Shokuzai, et Issey Takahashi, acteur et chanteur star dans son pays, dont la présence fabuleuse s’imprime instantanément de façon indélébile dans la mémoire des spectateurs.

Ils sont aussi formidables que magnifiques dans ce film d’espionnage, dont les jeux de manipulations et de faux-semblants rappellent parfois Les Enchaînés Notorious et Soupçons Suspicion d’Alfred Hitchcock, chefs d’oeuvre qui auront d’ailleurs autant marqué Kiyoshi Kurosawa que Ryusuke Hamaguchi. Ces emprunts – auxquels on peut ajouter une pincée de Torn Curtain Le Rideau déchiré – sont bien sûr digérés et le film demeure complètement nippon dans l’âme, se penche sur le passé d’un pays arrivé à l’heure du choix, d’une prise de conscience et de ses responsabilités (tout ce qui concerne les activités de l’Armée impériale japonaise en Mandchourie fait froid dans le dos), un tout qui aura inévitablement des répercussions mondiales. L’amour d’un couple marié peut-il donc survivre ou s’épanouir comme avant ce confit armé ?

Les Amants sacrifiés sera très justement récompensé par le Lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise en 2020.

LE BLU-RAY

Kiyoshi Kurosawa a déjà vu une grande partie de ses films être éditée chez ARTE Editions. Les Amants sacrifiés est disponible en DVD et Blu-ray chez ce même éditeur. La jaquette au visuel élégant est glissée dans un boîtier classique de couleur bleue, lui même disposé dans un fourreau cartonné. Le menu principal est animé et musical.

Aucun supplément en vidéo. En revanche, vous trouverez dans le boîtier un livret d’accompagnement de 20 pages, constitué du synopsis, de photogrammes, de propos du cinéaste, d’un retour sur la genèse des Amants sacrifiés, un entretien avec Kiyoshi Kurosawa, une présentation sur le contexte historique du film, quelques biographies, ainsi que la liste artistique et technique.

L’Image et le son

Ce qui est amusant, c’est que Kiyoshi Kurosawa a débuté la mise en scène avec des petits films indépendants tournés en 8mm, alors qu’il étudiait encore la sociologie. Les Amants sacrifiés est non seulement à la pointe de la technologie, mais également avant-gardiste, puisque le réalisateur a disposé d’une caméra Sharp 8C-B60A 8K à capteur Super35. On est tout d’abord légèrement décontenancé par le rendu artificiel de l’image, puis l’on découvre le travail réalisé en post-production sur l’étalonnage, la densité des contrastes, les ambiances éthérées, qui n’altèrent en rien le piqué souvent chirurgical ou la restitution des détails, des matières, des gros plans. Il faut un petit temps d’adaptation sans doute, mais une fois que les spectateurs auront apprivoisé ces partis-pris esthétiques, le spectacle demeure total et cette édition HD en met plein la vue.

Nous n’attendions pas une immersion comme celle-là ! La piste DTS HD Master Audio 5.1 japonaise s’en donne à coeur joie dans la spatialisation musicale, les effets sur les latérales, une balance frontale percutante et un report saisissant des voix sur la centrale… Toutes les enceintes sont joliment mises à contribution et donnent vraiment l’impression d’accompagner les deux protagonistes vers leur destinée. De son côté, l’option Stéréo est à l’avenant, à la fois dynamique et intimiste, avec une scène frontale très riche.

Crédits images : © Art House / Arte France / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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