Test Blu-ray / La Ballade des sans-espoirs, réalisé par John Cassavetes

LA BALLADE DES SANS-ESPOIRS (Too Late Blues) réalisé par John Cassavetes, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 6 juin 2023 chez Rimini Editions.

Acteurs : Bobby Darin, Stella Stevens, Everett Chambers, Nick Dennis, Vince Edwards, Val Avery, Marilyn Clark, James Joyce…

Scénario : John Cassavetes & Richard Carr

Photographie : Lionel Lindon

Musique : David Raksin

Durée : 1h37

Année de sortie : 1961

LE FILM

Pianiste et compositeur « Ghost » Wakefield dirige un quintette de jazz, qui peine à rencontrer le succès malgré le talent des musiciens. Ceux-ci doivent souvent se contenter de jouer dans des squares déserts ou pour des galas de charité. Lors d’une fête, Ghost rencontre Jess Polanski, une chanteuse accompagnée par Benny, leur imprésario commun. Il décide de composer une chanson pour elle…

New York, 1956, John Cassavetes fonde un atelier théâtral, le Variety Arts Studio, où il fait travailler ses élèves sur des improvisations. Au cours de l’année 1958, il participe à une émission télévisée et lance un appel afin de récolter des fonds lui permettant de tourner un long métrage en 16 mm à partir d’improvisations faites en atelier. John Cassavetes part tourner avec sa troupe dans les rues de New York. Il demande au jazzman Charles Mingus d’improviser lui aussi la musique. Une première version du film ne le satisfait pas. John Cassavetes retourne dans la rue pour filmer certaines scènes, mais en supprime d’autres. Il dira que le seul but de Shadows était « de mieux connaître leur métier tout en effaçant les marquées destinées aux comédiens dans le but de les laisser vivre ». En rupture totale, dynamitant les codes du cinéma traditionnel avec l’aide de comédiens inconnus, un vent nouveau souffle sur le cinéma américain. Shadows marque les débuts de John Cassavetes. Rétrospectivement, on retrouve déjà quelques partis pris qui feront sa marque de fabrique, notamment avec les visages des comédiens que la caméra (à l’épaule) ne quitte jamais, tout en laissant une liberté d’action totale aux acteurs. Shadows porte sur des jeunes Noirs et Métis, confrontés à la discrimination raciale ainsi que sur leur quête d’identité, déambulant de nuit dans les rues humides de New York. Tourné dans l’anonymat le plus complet, ce premier film expérimental obtient un succès international, en particulier en Europe alors marquée par l’émergence de la Nouvelle Vague. Le cinéma spontané dit « vérité » est né. Forcément remarqué par Hollywood, John Cassavetes, qui doit nourrir sa famille, accepte de mettre en scène son premier film de studio, en l’occurrence la Paramount Pictures. Ce sera La Ballade des sans-espoirs ou Too Late Blues en version originale. Évidemment de facture plus classique que les œuvres les plus représentatives de son cinéma habituel, ce mélodrame s’avère une belle porte d’entrée pour les non-initiés dans l’univers de John Cassavetes, tandis qu’il reste une fabuleuse curiosité pour les cinéphiles.

Pianiste et compositeur de jazz, John Wakefield dit « Ghost », un personnage falot et veule, dirige un quintet de jazzmen blancs. Au cours d’une fête, il rencontre Jess Polanski, une jeune chanteuse, peu sûre d’elle, poussée à l’alcool et sous l’emprise de Benny Flowers, imprésario véreux. Alors qu’elle est prête à s’offrir, Ghost refuse de profiter d’une femme ivre. C’est seulement le lendemain que Ghost, au cours d’un concert dans un jardin public désert, embrasse Jess, ce qui alimente la jalousie de l’imprésario. Poussé par ce dernier, le groupe commence à enregistrer un disque avec la chanteuse, ce que les musiciens vont fêter de façon remuante au bar du grec Nick. Benny manipule en sous-main deux colosses irlandais qui vont provoquer Ghost et qu’ils envoient évidemment à terre sous les yeux de sa belle. Cette humiliation pousse Ghost à rompre avec Jess, à annuler l’enregistrement, et à quitter le groupe. Benny fait alors de lui un pianiste dans une boîte de jazz et l’offre comme gigolo à la Comtesse.

« J’évite de penser. C’est trop douloureux. »

Il y a indubitablement du John Cassavetes dans le personnage de Ghost (qui se prénomme en fait John, ce n’est pas un hasard), leader d’un quintette de jazz qui n’a guère trouvé le succès malgré le talent et la ferveur des musiciens, avec lesquels il lui arrive de jouer dans les squares déserts. Mais Ghost, comme Cassavetes ne veut pas se vendre et souhaite continuer à ne jouer que ce qu’il aime. Et si Ghost acceptera de faire la « pute » auprès d’une riche oisive qui se veut mécène, le musicien aura tout de même préservé son âme. C’est là que La Ballade des sans-espoirs est intéressant à plus d’un titre, puisqu’il s’agit d’une radiographie calfeutrée de son auteur et de son rapport avec son art, mais aussi avec l’industrie qui le dirige. Coécrit par John Cassavetes et Richard Carr, qui avaient déjà collaboré sur la série Johnny Staccato, Too Late Blues reprend certains motifs et thèmes abordés dans Shadows, les rapports entre les individus, notamment entre les hommes et les femmes, la communauté, la place de l’individu dans un groupe, la mélancolie, l’errance (« le monde est rempli de gens solitaires »), le tout sur fond de jazz qui irriguait déjà les veines du premier long-métrage du cinéaste. On boit aussi beaucoup, énormément dans La Ballade des sans-espoirs, une scène montrant même la réalisation d’un cocktail « explosif », mais finalement « très bon et même doux comme une crème de menthe », qui aurait pu être écartée du montage final chez un autre pour des questions de rythme, qui devient l’une des plus célèbres et marquantes.

John Cassavetes bénéficie de moyens plus conséquents que sur Shadows, lui donnant la possibilité de faire un travelling ici et là et de s’octroyer le talent du chef opérateur Lionel Lindon (Un Crime dans la tête, Le Temps du châtiment, La Brune de mes rêves, Un pacte avec le diable), qui signe une superbe photographie, contrastée et dont les clairs-obscurs renvoient aux sentiments des personnages, partagés entre l’ombre et la lumière. La Ballade des sans-espoirs est aussi un film d’acteurs, de troupe et tous les comédiens y sont aussi merveilleux que magistralement dirigés, de Bobby Darin (L’Enfer est pour les héros, Le Rendez-vous de Septembre et déjà présent dans Shadows) à la bouleversante Stella Stevens (Nickelodéon, L’Aventure du Poséidon, Un Nommé Cable Hogue, Docteur Jerry et Mister Love) en passant par Vince Edwards (qui n’est pas sans rappeler John Cassavetes lui-même), Everett Chambers (parfait dans la peau de l’imprésario salopard), Seymour Cassel dans le rôle de Red, le bassiste, sans oublier les non-professionnels dont John Cassavetes aimait s’entourer.

L’ensemble est donc plus structuré, sobre et sans doute moins libre que Shadows. Cependant, La Ballade des sans-espoirs n’est pas une « trahison » dans l’oeuvre de John Cassavetes (également producteur ici), qui se met certes au service d’une « firme hollywoodienne », mais qui ne renie pas d’où il vient, étaye ce qu’il avait commencé à dire précédemment, en utilisant les nouveaux outils mis à sa disposition pour essayer d’interpeller une plus large audience. Too Late Blues ne rencontrera pas son public, mais le film restera plus personnel que le sera Un enfant attendA Child is Waiting, une expérience qui sera douloureuse et que le réalisateur finira même par renier en raison du montage intégralement repris par le producteur Stanley Kramer.

LE BLU-RAY

Merci, MERCI à Rimini Editions de nous permettre de (re)déocuvrir enfin La Ballade des sans-espoirs en DVD et Blu-ray en France !!! Dieu qu’il était attendu celui-là…C’est désormais chose faite ! Le combo prend la forme d’un Digipack à deux volets, illustré par un visuel élégant. Le menu principal est animé et musical.

Outre la bande-annonce (VO), véritable supplément à part entière car présentée par mister Cassavetes himself, nous trouvons un entretien dense et passionnant de vingt minutes avec Quentin Victory Leydier auteur de Avec John Cassavetes (éditions Lettmotif). L’invité de Rimini Editions replace La Ballade des sans-espoirs dans la carrière du réalisateur, met en relief les points communs avec Shadows et aussi les grandes différences (formelles surtout). Les personnages, le montage, les intentions de Cassavetes et le casting sont abordés au cours de cette présentation.

L’Image et le son

Quel plaisir de (re)découvrir ce bijou noir dans de telles conditions ! Rimini Editions se devait de restituer la beauté originelle du N&B (noirs denses, blancs éclatants) de La Ballade des sans-espoirs, présenté pour l’occasion dans une version restaurée. L’apport HD demeure omniprésent, impressionnant, offrant aux spectateurs un relief inédit, des contrastes denses et chatoyants, ainsi qu’un rendu ahurissant des gros plans, des ambiances enfumées. La propreté du master est ébouriffante, aucune scorie n’a survécu au lifting numérique, la stabilité (y compris sur les fondus enchaînés) et la clarté sont de mise, le grain cinéma respecté. Blu-ray au format 1080p.

Les versions originale et française bénéficient d’un mixage DTS-HD Master Audio Mono. Dans les deux cas, l’espace phonique se révèle probant et dynamique, le confort est indéniable, et les dialogues sont clairs, nets, précis. Sans surprise, au jeu des comparaisons, la piste anglaise s’avère plus naturelle et harmonieuse. Que vous ayez opté pour la langue de Shakespeare (conseillée) ou celle de Molière, aucun souffle ne vient parasiter votre projection et l’ensemble reste propre. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Rimini Editions / Paramount Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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