ÉCHEC AU PORTEUR réalisé par Gilles Grangier, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 19 janvier 2022 chez Pathé.
Acteurs : Paul Meurisse, Jeanne Moreau, Serge Reggiani, Simone Renant, Robert Porte, Fernand Sardou, Bernard La Jarrige, Christian Fourcade…
Scénario : Noël Calef, Gilles Grangier & Pierre Véry, d’après le roman de Noël Calef
Photographie : Jacques Lemare
Musique : Jean Yatove
Durée : 1h24
Année de sortie : 1958
LE FILM
Membre d’un gang de trafiquants, Bastien Sassey transporte un ballon de foot contenant de la drogue. Mais celui-ci est bientôt remplacé par un ballon en plastique chargé d’explosifs, destiné à éliminer un gang rival. Hélas, cette bombe à retardement tombe entre les mains d’un groupe d’enfants qui joue à proximité…
Depuis toujours, sur Homepopcorn, à travers nos critiques consacrées à Train d’enfer, Le Sang à la tête, Gas-oil, Maigret voit rouge et Archimède le clochard, nous n’avons jamais cessé de réhabiliter le talent du réalisateur Gilles Grangier (1911-1996), un des meilleurs artisans du cinéma français des années 1950-1960. On lui doit entre autres près de soixante-dix long-métrages, téléfilms et séries, mis en scène en quarante ans de carrière, dont douze opus avec Jean Gabin. Éclectique, le cinéaste n’aura de cesse de passer du drame à la comédie, en passant par le film policier. Échec au porteur appartient à la dernière catégorie. Sorti en janvier 1958, la même année que Trois jours à vivre avec Daniel Gélin et surtout Le Désordre et la Nuit, avec « le Vieux », ce polar quelque peu oublié est pourtant représentatif du solide boulot de Gilles Grangier. Si le projet est proposé à ce dernier par Michel Audiard, « le Petit Cycliste » ne s’occupe pas du scénario. On doit en effet l’adaptation du roman du même nom de Noël Calef, immense succès dans les librairies deux ans auparavant et auréolé du Prix du Quai des Orfèvres, à l’auteur lui-même, épaulé par Pierre Véry (L’Assassinat du père Noël, Les Disparus de Saint-Agil, Goupi-Mains rouges, Les Anciens de Saint-Loup, L’Enfer des anges) et Gilles Grangier. Cela se ressent immédiatement. Échec au porteur est un film sec, sans mots d’auteur qui ont fait la renommée d’Audiard, naturaliste, qui fait la part belle aux décors naturels (ici les terrains vagues de Gennevilliers) comme les affectionnaient tant le réalisateur, qui les mettait toujours en valeur, autant que ses comédiens, les ambiances de quartier, leurs habitants et les métiers disparus. Avec son intrigue soutenue et resserrée sur 85 minutes, son casting quatre étoiles (Paul Meurisse, Jeanne Moreau, Serge Reggiani, Gert Fröbe…) et son suspense maintenu du début à la fin, Échec au porteur est à redécouvrir absolument.
Bastien Sassey (Serge Reggiani) est un transporteur de drogue – qu’il dissimule dans un ballon de football – bien décidé à renoncer à ses trafics pour l’amour de Jacqueline (Jeanne Moreau). Pour cela, il accepte une ultime proposition qui doit lui rapporter beaucoup, mais de la part d’une bande rivale de celle pour qui il travaillait jusque-là. En se présentant chez ses nouveaux commanditaires, Bastien reçoit mission de livrer le soir même au chef de sa bande d’origine un ballon rempli de drogue, mais celle-ci a été remplacée par une bombe à retardement. Bastien est réticent et les trafiquants l’abattent après qu’il se soit débarrassé du ballon. Grièvement blessé Bastien meurt non sans avoir prévenu la police qu’un enfant a ramassé par inadvertance le ballon. Une course contre-la-montre s’engage…
Gilles Grangier a souvent mis en avant les petits boulots du quotidien, ainsi que les truands sans réelle envergure, les délinquants vivants de trafics divers, qui décident de raccrocher après avoir trouvé l’amour. C’est ici le cas de Bastien, dont la vie est malheureusement liée à Hans (Gert Fröbe, suintant à souhait), qui le charge d’une « dernière mission » avant que sa mule ne raccroche. Mais bien sûr, on ne quitte pas aussi facilement le monde du crime et Bastien sera une victime de plus, pleuré seulement par celle qu’il aimait et qui l’attendait, Jacqueline, interprétée par Jeanne Moreau, dans sans troisième collaboration avec Gilles Grangier, après Gas-oil et Trois jours à vivre. Échec au porteur est construit sur le principe de la réaction en chaîne, une succession d’événements qui ne s’arrêtent pas une seconde. Le scénario est un vrai bijou, où l’on retrouve la griffe de l’auteur d’Ascenseur pour l’échafaud.
En pleines possessions de ses moyens, Gilles Grangier livre un thriller tendu, magnifiquement photographié par Jacques Lemare (Non coupable, 125, rue Montmartre, La Môme Vert-de-Gris), en mettant en relief les moyens de communication dernier cri des forces de police, mais aussi l’émotion, à travers toute une galerie de personnages disparates, un chirurgien, un commissaire (impérial Paul Meurisse, peut-être dans un de ses meilleurs rôles), un routier italien, quelques inspecteurs de police (dont un souffrant de stress post-traumatique depuis la Deuxième Guerre mondiale), une infirmière, une maman larguée par son mari, un receveur des postes, un garçon de café, des gamins en culotte courte (tous excellents d’ailleurs) et bien d’autres.
Le fameux ballon de football anodin, transformé en bombe à retardement, devient un véritable MacGuffin, le fameux objet que tout le monde recherche et souhaite récupérer, avant une heure fatidique, celle où l’explosion doit avoir lieu. Voilà donc un bel exercice de style signé Gilles Grangier, qui allait connaître un nouveau succès dans les salles, puisque Échec au porteur allait attirer 1,2 million de spectateurs.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Échec au porteur était jusqu’à présent disponible en DVD chez Pathé, depuis une quinzaine d’années. L’éditeur remet ce titre en avant à travers une toute nouvelle édition DVD + Blu-ray, le film ayant été restauré en 2K. Le menu principal est animé et musical.
A l’instar de l’édition Blu-ray + DVD du Sang à la tête, Échec au porteur s’accompagne d’une présentation réalisée par Bertrand Tavernier, enregistrée quelques semaines avant sa disparition (16’). S’il n’apparaît pas à l’écran, quel plaisir d’entendre encore la voix de cet immense réalisateur et éminent historien du cinéma ! En un peu pus d’un quart d’heure, « Tatav » revenait avec une passion dévorante et contagieuse sur Échec au porteur, « qui est presque du même niveau que 125, rue Montmartre et qui contient des moments très très réussis […] un film qui se bonifie à chaque vision ». Bertrand Tavernier met le film qui nous occupe aujourd’hui en parallèle avec d’autres opus de Gilles Grangier, à travers des extraits divers. Il se penche aussi sur les personnages, dont celui du commissaire incarné par Paul Meurisse, qu’il rapproche de celui de Jean Desailly dans 125, rue Montmartre. La « clarté, la grâce, la sécheresse et l’élégance » de la mise en scène sont mises en valeur, ainsi que la rigueur du scénario, la représentation de la banlieue parisienne, les décors naturels chers au cinéaste, la description des personnages et de leur milieu social, le casting et d’autres éléments.
Nous avions déjà croisé le sympathique Noël Véry, fils du romancier Pierre Véry, auteur des Disparus de Saint-Agil et surtout pionnier du steadicam en France (Subway, Ripoux contre ripoux) à travers les bonus de L’Enfer des anges, réalisé par Christian-Jaque et Bilitis de David Hamilton. Un module de 18 minutes croise ses propos avec ceux de François Guérif, auteur de l’ouvrage Passé la Loire, c’est l’aventure, qui réunit des entretiens qu’il a conduits avec Gilles Grangier. Les deux intervenants reviennent sur la genèse d’Échec au porteur, « un film modeste qui fonctionne encore formidablement bien et qui n’a pas vieilli ». Ils décortiquent chacun leur tour ce film « puzzle » et « polar modèle », en mettant en avant la représentation du Paris disparu et de sa banlieue en pleins bouleversements. Le roman de Noël Calef, son adaptation, l’aspect documentaire du film, sa restauration et le casting sont aussi passés au peigne fin.
L’interactivité se clôt sur une courte actualité Pathé, avec un reportage centré sur Noël Calef, récompensé par le Prix du Quai des Orfèvres, tandis que Romain Gary se voit décerner le Prix Goncourt pour Les Racines du ciel (38 secondes).
L’Image et le son
Dans la continuité du plan de restauration de son catalogue, Pathé propose de (re)découvrir des classiques du cinéma français dans de très belles éditions DVD et Blu-ray restaurées. Échec au porteur est enfin disponible dans les bacs, dans une nouvelle version scannée en 4K, puis restaurée en 2K, grâce aux bons soins du laboratoire L’Immagine Ritrovata. Avec son format respecté 1.37 et une compression AVC, ce Blu-ray au format 1080p permet enfin de (re)voir ce film méconnu de Gilles Grangier dans une superbe copie. La restauration est étincelante, les contrastes d’une densité impressionnante, la copie est stable, les gris riches, les blancs lumineux, la profondeur de champ évidente et le grain original heureusement préservé. Les séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes diurnes, le piqué est parfois joliment acéré pour un film des années 1950 et les détails étonnent par leur précision, surtout sur les gros plans.
Aucun souci acoustique constaté sur ce mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Le confort phonique de cette piste unique est indéniable, les dialogues sont clairs et nets. La musique est joliment délivrée et aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.