DRAGUSE OU LE MANOIR INFERNAL réalisé par Patrice Rhomm, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Monica Swinn, Olivier Mathot, Claudine Beccarie, Sylvia Bourdon, Erika Cool, Gilbert Servien, Danièle Nègre, Martine Fléty…
Scénario : Patrice Rhomm & Eric de Winter
Photographie : Johan Vincent
Musique : Albert Assayag & Jean Fenol
Durée : 1h25
Date de sortie initiale : 1976
LE FILM
Spécialiste du roman historique, David Leger, un écrivain dont les tirages baissent, se voit contraint d’accepter de rédiger un best seller érotique. Il voit se matérialiser chaque nuit toutes les perversions lubriques dont son cerveau devient la proie. Des créatures diaboliques et perverses sont les héroïnes de ses fantasmes et lui ouvrent les portes de l’enfer.
Né en 1931, Patrice Rondard alias Patrice Rhomm, démarre sa carrière de façon « soft » en écrivant le scénario de Banco à Bangkok pour OSS 117 (1964) d’André Hunebelle. A la fin des années 1960, attiré par le genre, il écrit l’histoire de l’excellent Au service du diable (1971) de Jean Brismée. Le cinéma érotique et pornographique explose au cinéma. Sous le nom de Patrice Rhomm, Mark Stern, Mike Starr ou d’Homer Bingo, Patrice Rondard s’engouffre dans la brèche (amis de la poésie…) et passe derrière la caméra pour L’Archisexe (1975). Suivront les légendaires La Grande extase (1976), avec l’incroyable Marie-Christine Guennec et Elsa Fräulein SS (1977), le second restant l’un des fleurons de la nazisploitation d’Eurociné avec Malisa Longo. Mais juste avant, le sieur Rhomm signait son deuxième long-métrage, Draguse ou le manoir infernal. Euh euh euh euh, comment dire eeeeeeeuh… (Tout chez moi l’habite, Richard Gotainer), comment parler de cet opus pour ainsi dire inclassable, qui contient son lot de scènes érotiques, voire pornographiques, qui convoque divers éléments fantastiques, une petite touche de nazisploitation (on y baise en uniforme SS, en respectant le rythme imposé par le pas de l’oie, devant une croix gammée, en écoutant un chant nazi) et même un soupçon de film à sketches et de documentaire…Draguse ou le manoir infernal est un Objet Filmique Non Identifié, qui parvient à contenter les hormones des bouffeurs de péloches déviantes et ceux qui recherchent ce petit truc en plus, en l’occurrence ici un témoignage, non seulement sur un Paris révolu, mais aussi sur le cinéma d’exploitation avec quelques belles images sur les sex-shops et surtout sur les cinémas spécialisés et leurs affiches aux titres explicites (L’Hôtesse de Copenhague, Les Affamées du mâle, Les Hôtesses du lit, Le Jouisseur, La Partouze, Certaines chattes n’aiment pas le mou, Les Perverties du plaisir, La Nuit de la grande chaleur, Viol de nuit, La Foire au sexe, Emilienne…), dont plus rien ne subsiste aujourd’hui dans la capitale.
L’historien David Léger est victime de rêves récurrents dans lesquels il se retrouve dans une étrange demeure en compagnie d’une femme, Draguse, sorcière pratiquant la magie noire. Lorsqu’il va voir Jérôme, son éditeur, celui-ci lui conseille d’écrire un roman érotique, un créneau en vogue et plus lucratif. David accepte à contrecoeur et s’installe dans un manoir retiré afin de trouver l’inspiration. À sa grande surprise, il réalise que la maison est celle de ses cauchemars.
Entrez chers amis, et libérez vos plaisirs les plus interdits…Draguse ou le manoir infernal, ou bien encore Le Manoir de Draguse, est donc un film érotico-pornographique écrit, produit, réalisé et même interprété par Patrice Rhomm, puisqu’il y fait une apparition dans le rôle de Jérôme, l’éditeur de David, le personnage principal, par ailleurs impeccablement campé par Olivier Mathot. Ce dernier, qu’on a vu chez Sacha Guitry dans Si Versailles m’était conté (1954) ou devant la caméra d’Édouard Molinaro (Hibernatus, Des femmes disparaissent), deviendra l’un des visages récurrents du cinéma Bis et collaborera avec les plus grands noms du genre, de Jess Franco (Shining Sex, Deux espionnes avec un petit slip à fleurs) à Jean-Marie Pallardy (L’Amour aux trousses), en passant par Bernard Launois (Les Dépravées du plaisir), Alain Payet (Helga, la louve de Stilberg, Train spécial pour Hitler), Michel Lemoine (Les Cuissardes) et Gérard Kikoïne (Adorable Lola, Dans la chaleur de Saint-Tropez). La cinquantaine fringante, le comédien porte élégamment le récit, se voit évidemment doublé pour les inserts pornographiques (une fellation par ci, une branlette par là, une levrette par-dessus çà, ou par-derrière plutôt) et donne la réplique à quelques belles poupées peu avares de leur charme et de leur pilosité abondante voire angora. A ce jeu-là, Monica Swinn (Les Nuits brûlantes de Linda), Claudine Beccarie (Les Pornocrates, Le Journal érotique d’un bûcheron), Sylvia Bourdon (Le Sexe qui parle), Erika Cool (Bordel SS, Les Hôtesses du sexe), Martine Fléty (Annonces spéciales pour couples vicieux, Véronique nique nique) et quelques autres viennent faire un petit tour (voire un demi-tour) devant l’objectif, tandis que le chef opérateur Johan Vincent (Les Aventures galantes de Zorro, Les Baiseuses, Les Orgies du Golden Saloon) les met joliment en valeur.
Honnêtement, on peut trouver le temps long, surtout quand Patrice Rhomm essaye tant bien que mal de donner un côté arty à son film, un pensum durant lequel on peut piquer du nez, avant d’être secoué par une nouvelle scène nawak ou de cul, quand la musique de Jean Fenol et Albert Assayag, dont le thème est monté en boucle, recommence à nous faire saigner des oreilles. Coproduction franco-belge, Draguse ou le manoir infernal se démarque tout de même avec ses pointes de surréalisme et de fantastique, par ailleurs d’entrée de jeu avec l’écrivain prisonnier d’un pentacle, où s’entremêlent le rêve et la réalité, parfois maladroitement, mais avec suffisamment d’ambition pour que l’on y consacre au moins une projo entre cinéphages qui aiment bifurquer sur les sentiers du septième art peu empruntés par la plupart de leurs semblables.
LE BLU-RAY
Pas de Digipack pour Draguse ou le manoir infernal, mais un boîtier dit Scavano (comme chez Criterion), format que l’éditeur avait déjà adopté pour quelques-unes de ses ressorties en édition Blu-ray simple comme La Saignée, Fair Game, Montclare: Rendez-vous de l’horreur…Le visuel de la jaquette (qui indique que le film est présenté dans sa version intégrale interdite aux mineurs) saura bien taper dans l’oeil du cinéphage. Le menu principal est animé et musical.
Étonnée de donner cette interview, l’actrice belge Monica Swinn va tout de même passer 40 minutes à passer en revue sa carrière dans « le film de cul » comme elle le dit à plusieurs reprises. Aucune mention sur la date de cet entretien, qui paraît avoir déjà plusieurs années (la comédienne allant cette année sur ses 74 ans), durant lequel Monica Swinn parle brièvement de sa reconversion dans le domaine de l’édition, du journalisme et de la presse, en officiant comme secrétaire de rédaction dans la rubrique cuisine d’un quotidien. Mais l’essentiel n’est évidemment pas là bande de coquins. Vous en saurez très largement sur sa vie dans le cinéma Bis, notamment sur ses diverses collaborations avec Jess Franco (« qui avait une caméra dans la tête, même si je n’ai pas eu de bol en jouant pour lui durant sa pire période […] mais il y a toujours quelque chose à sauver dans son cinéma »), ainsi que les étonnantes conditions de tournage (« souvent, on ne savait pas quel film on tournait, puisque Jess Franco en réalisait plusieurs en même temps »), évoquant aussi les figures mythiques de Jean Rollin, Max Pécas et de José Bénazéraf, sans oublier la maison Eurociné (« hallucinante de nullité »). Sans langue de bois, elle se souvient tout aussi bien de ses bons moments de rigolade, que de l’exploitation sordide des jeunes femmes dans le milieu du cinéma underground. Enfin, Monica Swinn déclare qu’elle adorait jouer des rôles de composition, que les clichés la ravissaient, avant de conclure en disant qu’ « il fallait être barge pour faire ça ! ».
Place ensuite à Erika Cool (12’), pour un entretien récent et visiblement enregistré par Stéphane Bouyer à l’occasion de la sortie en Blu-ray de Draguse ou le manoir infernal, dans lequel la comédienne interprète le rôle de Fraulein Sigrid. Belge comme Monica Swinn, Erika Cool se penche plus précisément sur le film de Patrice Rhomm, des inserts pornographiques (dont elle n’avait jamais eu connaissance au moment du tournage et auxquels elle n’a pas participé), de sa scène principale, de ses partenaires à l’écran, du fait qu’elle ait aussi officié comme maquilleuse sur le plateau. Puis, elle énumère d’autres personnalités illustres qu’elle a rencontrées au fil de sa carrière, comme José Bénazéraf (« qui avait l’art d’imaginer des trucs invraisemblables, mais qui était très désagréable »), Alain Payet (« qui était sympa, qui faisait le job… »)…
On a un peu plus de mal avec l’interview d’Eric de Winter (14’) menée par Christophe Bier. D’un âge respectable, il vient d’ailleurs de disparaître au mois de mai 2022 à 91 ans, Eric de Winter peine à trouver ses mots et Christopher Bier à rebondir sur ce qu’il peut bien tirer de son interlocuteur. Lui-même réalisateur, coproducteur de Draguse, mais aussi scénariste et responsable des effets spéciaux sur le film de Patrice Rhomm, Eric de Winter parle du cinéma érotique et de sa rapide évolution au cours des années 1970, déclarant au passage qu’il souhaitait faire un film fantastique avec Draguse. Selon Christophe Bier, ce long-métrage a été le premier film à avoir été classé X.
L’Image et le son
A l’instar de Frissons d’horreur, Le Chat qui fume a repris le même master HD de Draguse sorti en février dernier chez l’Oncle Sam, sous les couleurs de Vinegar Syndrome. Une image entièrement restaurée, ayant d’ailleurs bénéficié d’un lifting complet en 4K, d’après les négatifs originaux 35mm. Un traitement royal pour ce tout petit film, qui ne méritait sans doute pas d’aussi dingues attentions, mais tout de même, le résultat est là, spectaculaire et comme d’habitude redonne un véritable intérêt à cette production fantastico-érotico-pornographique. Quelques poils en bord de cadre ici ou là, peut-être issus de l’abondante toison de ces dames, mais rien de rédhibit(e)oire. Le piqué est à l’avenant, les contrastes denses, les couleurs fraîches, le grain argentique organique et naturel, les détails sont multiples, la stabilité est irréprochable, le piqué étonnant. Blu-ray au format 1080p (AVC).
Le mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0 instaure un très bon confort acoustique. Les dialogues sont délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. La musique jouit également d’un bel écrin. L’éditeur joint également des sous-titres allemands, mais pas de trace de ceux destinés aux spectateurs français sourds et malentendants.