Test Blu-ray / Chiens perdus sans collier, réalisé par Jean Delannoy

CHIENS PERDUS SANS COLLIER réalisé par Jean Delannoy, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 10 septembre 2021 chez Coin de Mire Cinéma.

Acteurs : Jean Gabin, Dora Doll, Robert Dalban, Jane Marken, Anne Doat, Serge Lecointe, Jacky Moulière, Jimmy Urbain, Jean-Jacques Delbo, Claire Olivier, Renée Passeur…

Scénario : Jean Aurenche, François Boyer & Pierre Bost, d’après le roman de Gilbert Cesbron

Photographie : Pierre Montazel

Musique : Paul Misraki

Durée : 1h29

Date de sortie initiale : 1955

LE FILM

Placé chez des fermiers assez rudes, le petit Alain Robert met le feu à la grange en jouant et s’enfuit. Croyant ses parents en vie, il espère les retrouver grâce à la publication de sa photo dans la presse. Arrêté pour vagabondage, Alain est amené à Julien Lamy, juge pour enfants, qui l’envoie au centre de Ternerey. Le garçon fait le voyage en compagnie d’un autre délinquant, Francis Lanoux. Au centre, les deux jeunes se lient d’amitié. Brimés par les surveillants, ils décident de s’évader et mettent au point un plan qui ne peut échouer. Les voilà maintenant de retour sur les routes du pays, en quête de nouvelles aventures…

1955 est définitivement l’année où Jean Gabin reprend sa place sur la première marche du cinéma français, depuis son retour en grâce avec Touchez pas au grisbi de Jacques Becker, sorti l’année précédente, qui avait attiré plus de 4,7 millions de français dans les salles. En 1955, le comédien est partout avec six films sortis de façon très rapprochée. Il est à la fois le Maréchal Lannes dans le Napoléon de Sacha Guitry, le « Nantais » dans Razzia sur la chnouf de Henri Decoin, le commandant Le Quevic dans Le Port du désir de Edmond T. Gréville, directeur de cabaret dans French Cancan de Jean Renoir, camionneur dans Gas-oil de Gilles Grangier et juge des enfants dans Chiens perdus sans collier de Jean Delannoy. Au total, plus de 21 millions de spectateurs seront réunis sur l’ensemble de ces films, montrant ainsi que le roi du box-office est bel et bien revenu sur son trône. Trois ans après La Minute de vérité, où il partageait l’affiche avec Michèle Morgan et Daniel Gélin, Jean Gabin retrouve Jean Delannoy (1908-2008), avec lequel il tournera six longs-métrages, dont Maigret tend un piège (1958), Maigret et l’Affaire Saint-Fiacre (1959), Le Baron de l’écluse (1960) et Le Soleil des voyous (1967). Aujourd’hui, Chiens perdus sans collier est un peu oublié dans la filmographie conséquente du « Vieux ». Pourtant, ce dernier y trouve un rôle singulier qui lui permet de faire preuve d’une délicatesse et d’une immense sensibilité que celui-ci préférait souvent calfeutrer, étant un homme d’une grande pudeur. Il se retrouve ici dans la peau d’un magistrat spécialisé dans les problèmes de l’enfance, institution prévue en matière pénale, par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Mais les jeunes qu’il rencontre dans l’exercice de ses fonctions sont-ils réellement des délinquants ? Alors que certains y voient de futurs truands et des graines de gangsters, ce juge sait qu’ils sont pour la plupart des enfants sans parents, sans foyer, sans amour. Jean Gabin apporte à son personnage une humanité hors-normes, capable en un regard de montrer une empathie qu’il n’exprimera pas forcément à l’oral, déontologie oblige. Chiens perdus sans collier est un drame non dénué d’humour, mais bourré de tendresse, qui se double d’un témoignage sur un problème social qui n’a fait que s’exacerber. Si une partie de l’audience dira que beaucoup de situations ne sont pas réalistes, les autres se laisseront porter par l’émotion distillée par ces portraits de gamins sauvages, à qui le juge Lamy tente de redonner une chance.

Le juge Julien Lamy, sous des dehors bourrus, est un homme foncièrement bon, attentif et compréhensif, dévoué corps et âme à son métier. Il saura adapter ses décisions aux cas de Francis Lanoux, voleur de 15 ans, séparé de ses grands-parents qui vivaient dans la promiscuité, qui a mis enceinte sa jeune copine Sylvette et qui sera placé au centre d’observation de Terneray, d’Alain Robert, jeune orphelin pyromane qui fuit la ferme où il a été placé et qui cherche en vain ses parents. Il rencontrera Francis au centre d’observation. Il s’occupe également du cas de Gérard Lecarnoy, régulièrement séparé de sa mère matelassière et aventurière, qui trouvera sa voie en devenant funambule avec un des amis de sa mère. Le juge Lamy pourra-t-il influencer le destin de Francis et de Sylvette, poursuivis par la police ?

« Encore un qui va vous détester ! »

« Oh, j’suis payé pour ça. Fort mal d’ailleurs ! »

D’emblée, on comprend que le juge Lamy ne croit pas plus à la vertu des coups qu’à celle des pénitenciers. Raison pour laquelle il ne punit pas. Il pense que chez un enfant, il y a toujours quelque chose à sauver. Si Francis (Serge Lecointe, vu dans Madame de… de Max Ophüls et Le Rouge est mis de Gilles Grangier) se donne des airs de dur à cuire, Lamy voit essentiellement un gamin de quinze ans, né de père inconnu, orphelin d’une mère démente, flanqué d’un grand-père gâteux et d’une grand-mère alcoolique. Lamy dissimule sa sensibilité sous une apparence massive et secrètement, continue à suivre les parcours des garçons qu’il envoie dans des centres de rééducation. Si l’issue sera fatale pour certains, d’autres pourront espérer trouver de nouveaux soutiens et reprendront espoir. Chiens perdus sans collier est l’adaptation du roman du même nom de Gilbert Cesbron, gigantesque succès en librairie avec plus de quatre millions d’exemplaires vendus, signée Jean Aurenche et Pierre Bost, épaulés par François Boyer, souvent très inspiré par le monde de l’enfance puisqu’on lui doit Jeux interdits (1952) de René Clément, Les Fruits sauvages (1954) de Hervé Bromberger, La Guerre des boutons (1962) et Bébert et l’Omnibus (1963) d’Yves Robert. Jean Gabin apparaît finalement en pointillés et laisse le véritable rôle principal à ses jeunes partenaires, solidement dirigés, dont le jeu ne paraît pas autant daté voire ampoulé que dans d’autres films du même acabit, contrairement à ce que pensait un certain François Truffaut et les autres trublions de la Nouvelle Vague.

Jean Delannoy a bénéficié du concours du ministère de la justice, afin de renforcer le réalisme de son film. Les dialogues demeurent entre autres élégants plus de 65 ans après la sortie du film et le charme agit. Chiens perdus sans collier reste à la fois un excellent divertissement populaire, très bien mis en scène et joliment photographié par Pierre Montazel, doublé d’une dimension documentaire sur une France disparue, mais dont le fond est encore toujours d’actualité.

LE DIGIBOOK

Quasiment six mois après la vague 7, Coin de Mire Cinéma fait son grand retour avec la vague 8 ! Six nouveaux titres viennent compléter cette immense collection de La Séance, à savoir Chiens perdus sans collier (1955) de Jean Delannoy, Gas-oil (1955) et Train d’enfer (1965) de Gilles Grangier, Le Grand Chef (1958) de Henri Verneuil, Le Rapace (1968) et Dernier domicile connu (1969) de José Giovanni, tous désormais disponibles en Édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret ! Chiens perdus sans collier était jusqu’à présent disponible en DVD chez Studiocanal depuis 2004. Comme pour chaque premier titre chroniqué d’une nouvelle vague, nous rappellerons les spécificités des éditions Coin de Mire, fondées par Thierry Blondeau, indépendant et autodidacte, cinéphile passionné et grand collectionneur (plus de 10.000 titres dans sa DVDthèque) qui a décidé de se lancer dans le marché de la vidéo en 2018 dans le but d’éditer des films qu’il désirait voir débarquer dans les bacs depuis longtemps. Prenant son courage à deux mains, essuyant le refus de la plupart des éditeurs qui riaient devant son projet, Thierry Blondeau ne s’est jamais découragé. Son envie et son amour infini pour le cinéma et le support DVD/Blu-ray ont porté leurs fruits. La collection « La Séance » était née ! Inédits en Blu-ray, ces titres seront édités à 3000 exemplaires.

Comme pour tous les titres Coin de Mire Cinéma, L’édition de Chiens perdus sans collier prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la bio-filmographie de Jean Delannoy avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, et la reproduction en fac similé des matériels publicitaires et promotionnels. Le menu principal est fixe et musical.

Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce du film Gas-oil, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores.

On commence notre voyage dans le temps par les journaux des actualités de la 42è semaine de l’année 1955 (10’30). Nous y voyons en vrac l’Assemblée générale des Nations unies qui a inscrit le problème algérien à l’ordre du jour de sa session ordinaire (on y parle de fanatisme religieux) qui se clôt sur un départ de la délégation française, l’inauguration d’une « magnifique cité à Alger » (avec plus de 160 nouveaux logements modernes), le Maroc sous tension, les danseurs soviétiques à Chaillot, le Prix de l’Arc de Triomphe, le duel France (2) /Suisse (1) au football, une distribution de fusils aux civils à Oran, le succès de l’acier français, le Salon de l’Automobile et bien d’autres sujets !

Comme d’habitude, avant votre film, retrouvez les réclames publicitaires de 1955 (9’), vantant le bon goût des glaces Miko (« Le plus demandé et le meilleur »), les bonbons Kréma (« disponibles en sachets surprises »), la douceur du shampooing Dop (« grâce à l’huile de Calophyllum ! »), la souplesse des matelas Simmons, la légèreté de la margarine Astra («Légère, légère, légère !!! ») que vous étalerez sur vos biscottes Anco.

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces, y compris celle de Chiens perdus sans collier.

L’Image et le son

Attention, nouvelle restauration 4K exceptionnelle réalisée à partir du négatif original par Studiocanal, avec la participation du CNC. Force est de constater que nous n’avions jamais vu Chiens perdus sans collier dans de telles conditions. Les contrastes affichent d’emblée une densité inédite, les noirs sont profonds, la palette de gris riche et les blancs lumineux. Les fondus sont stables, le grain original est respecté, le piqué est souvent dingue et les détails regorgent sur les visages des comédiens. En dehors d’un zoom artificiel (à la 52è minute), la restauration est extraordinaire, aucune scorie n’a survécu au scalpel numérique, l’encodage AVC consolide l’ensemble du début à la fin, y compris sur les séquences sombres et nocturnes logées à la même enseigne que les éblouissantes séquences diurnes. La photo du chef opérateur Pierre Montazel (Gas-oil de Gilles Grangier, Cécile est morte ! de Maurice Tourneur, Antoine et Antoinette de Jacques Becker) n’a jamais été aussi resplendissante et le cadre brille de mille feux.

Egalement restaurée, la piste DTS-HD Master Audio Mono 2.0 instaure un haut confort acoustique avec des dialogues percutants et une très belle restitution des effets annexes. Aucun souffle sporadique ni aucune saturation ne sont à déplorer. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : ©Studiocanal / Coin de Mire Cinéma / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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