SIROCCO réalisé par Curtis Bernhardt, disponible en DVD le 6 mars 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Humphrey Bogart, Märta Torén, Lee J. Cobb, Everett Sloane, Gerald Mohr, Zero Mostel, Nick Dennis, Onslow Stevens…
Scénario : A.I. Bezzerides, Hans Jacoby d’après le roman « Le Coup de grâce » de Joseph Kessel
Photographie : Burnett Guffey
Musique : George Antheil
Durée : 1h34
Date de sortie initiale : 1951
LE FILM
Syrie, 1925. La révolte gronde contre l’occupant français dont les soldats sont régulièrement pris pour cible par les rebelles de l’émir Hassan. Bon pour les affaires d’Harry Smith, un américain cynique qui prospère dans le trafic d’armes. Si le colonel Feroud, chef du contre-espionnage, envisage de signer une trêve plutôt que de basculer dans la répression, ses efforts sont remis en question par un attentat…
Au début des années 1950, Humphrey Bogart est au sommet de sa carrière. Le comédien vient d’enchaîner coup sur coup Le Trésor de la Sierra Madre et Key Largo de John Huston, puis Les Ruelles du malheur et Le Violent de Nicholas Ray. Depuis 1942, le succès de Casablanca a entraîné moult ersatz en plaçant souvent un anti-héros américain dans un pays « exotique » dirons-nous, prêt à se sacrifier pour la bonne cause et la plupart du temps pour la femme qu’il aime. Sirocco de Curtis Bernhardt (1899-1981), qui avait déjà collaboré avec Humphrey Bogart sur La Mort n’était pas au rendez-vous – Conflict en 1945, ne déroge pas à à la règle, mais vaut qu’on s’y intéresse à plus d’un titre et notamment parce que le film est interprété par Bogey, impeccable dans le rôle du mystérieux Harry Smith, sans son galurin vissé sur la tête, mais avec son trench-coat fermé sous un soleil ardent.
L’ANGE NOIR (Black Angel) réalisé par Roy William Neill, disponible en DVD le 17 mars 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Dan Duryea, June Vincent, Peter Lorre, Broderick Crawford, Constance Dowling, Wallace Ford, Hobart Cavanaugh, Freddie Steele…
Scénario : Roy Chanslor d’après le roman de Cornell Woolrich
Photographie : Paul Ivano
Musique : Frank Skinner
Durée : 1h17
Date de sortie initiale : 1946
LE FILM
Los Angeles. Kirk Bennett découvre Marvis Marlowe, sa maîtresse, morte. Il est arrêté, jugé et condamné à mort. Sa femme, Catherine, décidée à le sauver, mène son enquête avec Martin Blair, l’ancien mari de Marvis. Ils soupçonnent Marko, le patron d’un cabaret, mais ce dernier a un alibi.
De son vrai nom Roland de Gostrie, Roy William Neill (1887-1946) n’est sans doute pas le réalisateur américain le plus connu de sa génération et pourtant les cinéphiles connaissent une (petite) partie de son œuvre prolifique (plus de cent films à son actif), puisque cet artisan du cinéma hollywoodien aura mis en scène près d’une douzaine d’opus consacrés au personnage de Sherlock Holmes, interprété par Basil Rathbone. De 1943 avec Sherlock Holmes et l’Arme secrète – Sherlock Holmes and the Secret Weapon à Sherlock Holmes et la Clef – Dressed To Kill (1946), ce sera donc trois aventures du célèbre détective privé de Baker Street filmées tous les quatre ans qui feront le bonheur des spectateurs. Pour l’heure, L’Ange noir – Black Angel, tourné la même année que Dressed To Kill, est le dernier long métrage de Roy William Neill, qui meurt soudainement à l’aube de ses soixante ans. Ce film noir vaut toujours le coup aujourd’hui pour l’interprétation du grand Dan Duryea (1907-1968), qui mérite largement d’être réhabilité et reconsidéré par les cinéphiles, qui ont souvent tendance à oublier l’intensité du jeu de celui qui aura pourtant tourné avec les plus grands. William Wyler, Howard Hawks, Fritz Lang, Anthony Mann, George Sherman, Robert Siodmak, Robert Aldrich, Douglas Sirk, ont entre autres profité et su mettre en valeur son immense talent. Le comédien qui était alors considéré comme l’un des plus grands salauds du cinéma dans les années 1940-50, trouve dans L’Ange noir un rôle tragique, à fleur de peau, loin de sa violence habituelle. Et il y est une fois de plus magnifique.
LE DESTIN EST AU TOURNANT (Drive a Crooked Road) réalisé par Richard Quine, disponible en DVD le 18 février 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Mickey Rooney, Dianne Foster, Kevin McCarthy, Jack Kelly, Harry Landers, Jerry Paris, Paul Picerni, Dick Crockett…
Scénario : Blake Edwards d’après une histoire de James Benson Nablo
Photographie : Charles Lawton Jr.
Musique : George Duning
Durée : 1h19
Date de sortie initiale : 1954
LE FILM
Mécanicien complexé par sa petite taille, Eddie Shannon s’éprend de Barbara Mathews. Deux amis de celle-ci, Steve Norris et Harold Baker, proposent 1 500 dollars à Eddie pour les aider lors d’un hold-up. Eddie refuse dans un premier temps, mais par amour, il finit par accepter…
Quand il tourne Le Destin est au tournant – Drive a Crooked Road en 1957, le comédien Mickey Rooney a déjà près de trente ans de carrière derrière lui. Alors âgé de 34 ans, l’ancien enfant star des années 1930 n’a jamais arrêté de tourner et ce jusqu’à sa mort en 2014 à l’âge bien avancé de 93 ans. Cependant, même si l’acteur a été prolifique, peu de rôles restent marquants. Après les comédies musicales des années 1940, souvent réalisées par Norman Taurog, l’acteur est à la recherche d’un nouveau souffle. Il se voit alors proposer le superbe scénario écrit par le grand Blake Edwards, d’après une histoire de James Benson Nablo, The Wheel Man. Mis en scène par Richard Quine, Le Destin est au tournant est un drame qui lorgne sur le film noir et qui offre surtout à Mickey Rooney son plus beau rôle au cinéma, ni plus ni moins.
LE MAÎTRE DU GANG (The Undercover Man) réalisé par Joseph H. Lewis, disponible en DVD le 18 février 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Glenn Ford, Nina Foch, James Whitmore, Barry Kelley, David Wolfe, Frank Tweddell, Howard St. John, John F. Hamilton…
Scénario : Jack Rubin, Sydney Boehm d’après l’article de Frank J. Wilson
Photographie : Burnett Guffey
Musique : George Duning
Durée : 1h20
Date de sortie initiale : 1949
LE FILM
Agents du Trésor américain, Frank Warren et George Pappas se lancent dans une mission sous couverture afin de confondre un parrain de la mafia de Chicago. Frank n’hésite pas à mettre en péril son mariage, et même sa vie, dans l’espoir de faire tomber pour fraude fiscale celui qui, jusqu’alors, a toujours échappé à toute poursuite, malgré ses nombreux crimes…
Mais qui est ce fameux « Maître du gang » qui donne son titre français au film de Joseph H. Lewis ? Il s’agit bien évidemment d’Al Capone, qui en juin 1931 est inculpé pour fraude fiscale et infraction aux lois sur la Prohibition. Sorti en 1949, deux ans après la mort du plus célèbre gangster américain du XXe siècle, The Undercover Man est un petit bijou discret dans la carrière du réalisateur du Calvaire de Julia Ross – My Name Is Julia Ross (1945) et Le Démon des armes – Gun Crazy (1950), qui rend hommage aux petites gens qui ont réussi à coincer celui que l’on croyait alors intouchable. Loin de la représentation habituelle d’Eliot Ness et des Incorruptibles, Le Maître du gang montre des petits fonctionnaires coincés dans quelques bureaux surchargés de paperasse, des agents qui délaissent leurs familles respectives et leurs compagnes, travaillant jour et nuit pour trouver l’élément qui fera basculer la balance en leur faveur, dans le but de clouer le « grand patron » au pilori. La réussite du film provient une fois de plus de Glenn Ford, décidément un comédien à redécouvrir, qui comme à son habitude livre une performance exceptionnelle, dans le rôle d’un type obstiné, persévérant, mais aussi fatigué, rêvant de passer du temps avec sa compagne, bref, toujours très attachant.
TRAQUÉE (Framed) réalisé par Richard Wallace, disponible en DVD le 18 février 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Glenn Ford, Janis Carter, Barry Sullivan, Edgar Buchanan, Karen Morley, Jim Bannon, Stanley Andrews, Walter Baldwin…
Scénario : Ben Maddow d’après une histoire de John Patrick
Photographie : Burnett Guffey
Musique : Marlin Skiles
Durée : 1h19
Date de sortie initiale : 1947
LE FILM
Stephen Prince, qui est banquier, et sa maîtresse Paula Craig décident de partir en emportant 250 000 dollars. Voulant faire croire à la disparition de Stephen, ils jettent leur dévolu sur Mike Lambert, qu’ils décident de tuer pour faire passer son corps pour celui de Stephen…
Sorti en 1947, Traquée – Framed, est l’un des derniers films mis en scène par le méconnu Richard Wallace (1894-1951), ancien collaborateur de Laurel & Hardy, à qui l’on doit quelques petites pépites comme Nid d’espions – The Fallen Sparrow (1943) avec John Garfield et Maureen O’Hara. Traquée, titre français étrange car aucune femme ne l’est dans le film, est un polar comme on les aime, un film noir typique de la Columbia, avec sa durée resserrée, son intrigue signée Ben Maddow (Quand la ville dort, Le Vent de la plaine) menée sans aucun temps mort, son casting soigné, sa succession de rebondissements de la première à la dernière scène et sa photographie très élégante.
MIDI, GARE CENTRALE (Union Station) réalisé par Rudolph Maté, disponible en DVD et Blu-ray le 18 février 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : William Holden, Nancy Olson, Barry Fitzgerald, Lyle Bettger, Jan Sterling, Allene Roberts, Herbert Heyes, Don Dunning…
Scénario : Sydney Boehm d’après le roman de Thomas Walsh
Photographie : Daniel L. Fapp
Musique : Heinz Roemheld
Durée : 1h17
Date de sortie initiale : 1950
LE FILM
Lorna Murchison, dont le père possède une immense fortune, est enlevée par des kidnappeurs qui espèrent obtenir, en échange de la jeune fille, qui est aveugle, une importante rançon. Mr Murchison est prêt à obéir aux ordres des ravisseurs mais la police découvre le drame. La gare centrale est dès lors sous une constante surveillance…
Avant de passer à la mise en scène, le polonais Rudolf Mayer, plus connu sous le nom de Rudolph Maté (1898-1964) avait fait ses classes en tant que directeur de la photographie en travaillant avec Carl Theodor Dreyer sur La Passion de Jeanne d’Arc, Louise Brooks sur Prix de beauté, Fritz Lang sur Liliom, Leo McCarey sur la première version de Elle et lui, sans oublier Alfred Hitchcock sur Correspondant 17, René Clair sur Le Dernier Milliardaire et La Belle ensorceleuse, Ernst Lubitsch sur To Be or Not To Be, Charles Vidor sur Gilda, jusqu’à La Dame de Shanghai d’Orson Welles en 1947. Réalisé en 1950, Midi, gare centrale – Union Station, demeure un de ses films les plus célèbres, au même titre que Le Souffle de la violence – The Violent Men (1955). Très prolifique, Rudolph Maté enchaînera trois films en 1950, Mort à l’arrivée – D.O.A., La Flamme qui s’éteint – No Sad Songs for Me et Midi, gare centrale, immense polar, bien sec, nerveux et brutal, qui réunit William Holden et Nancy Olson, qui venaient de tourner Boulevard du crépuscule – Sunset Boulevard, chef d’oeuvre de Billy Wilder.
LES CARREFOURS DE LA VILLE (City Streets) réalisé par Rouben Mamoulian, disponible en combo Blu-ray/DVD le 10 décembre 2019 chez Rimini Editions
Acteurs : Gary Cooper, Sylvia Sidney, Paul Lukas, William « Stage » Boyd, Wynne Gibson, Guy Kibbee, Stanley Fields, Betty Sinclair, Robert Homans, Barbara Leonard…
Scénario : Oliver H.P. Garrett, Max Marcin d’après une histoire originale et une nouvelle de Dashiell Hammett
Photographie : Lee Garmes
Musique : Karl Hajos, Ralph Rainger
Durée : 1h23
Date de sortie initiale : 1931
LE FILM
Les États-Unis, durant la Prohibition. Afin de développer son trafic d’alcool, le gangster Maskal n’hésite pas à tuer pour s’approprier de nouvelles brasseries. Il est épaulé par Pop Cooley, son fidèle et redoutable homme de main. Nan, la fille de Cooley, est amoureuse du Kid, qui travaille dans un stand de tir forain. Elle aimerait qu’il rejoigne le gang, mais il s’y refuse. Jusqu’au jour où Nan est emprisonnée…
Pour les cinéphiles, Rouben Mamoulian (1897-1987) reste célèbre pour avoir été débarqué du plateau de Laura (1944) par Otto Preminger en raison de « divergences artistiques », puis de celui du gargantuesque Cléopâtre pour être finalement remplacé par Joseph L. Mankiewicz. Heureusement, l’histoire retiendra aussi et surtout le formidable Docteur Jekyll et Mr. Hyde (1931) avec Fredrich March, l’une, si ce n’est la meilleure adaptation d’une œuvre de Robert Louis Stevenson. Sans oublier Le Signe de Zorro (1940) avec Tyrone Power ! Mais aujourd’hui, nous parlerons des Carrefours de la ville – City Streets (1931), le second long métrage de Rouben Mamoulian. Un film-noir comme on les aime avec une plastique élégante, des costumes bien coupés, des chapeaux bien ajustés, de beaux acteurs noyés dans les volutes de cigarettes et bien évidemment une petite intrigue bien menée, ici resserrée sur 80 minutes. Enfin, Les Carrefours de la ville vaut également pour ses deux têtes d’affiche, non des moindres, Gary Cooper et Sylvia Sidney.
LE QUATRIÈME HOMME (Kansas City Confidential) réalisé par Phil Karlson, disponible en combo Blu-ray/DVD le 16 juillet 2019 chez Rimini Editions
Acteurs : John Payne, Coleen Gray, Preston Foster, Neville Brand, Lee Van Cleef, Jack Elam, Dona Drake, Mario Siletti…
Scénario : George Bruce, Harry Essex d’après une histoire originale de Harold R. Greene et Rowland Brown
Photographie : George E. Diskant
Musique : Paul Sawtell
Durée : 1h39
Date de sortie initiale : 1952
LE FILM
Joe Rolfe, un ancien détenu, est arrêté pour l’attaque d’un camion blindé où quatre gangsters masqués ont dérobé 1,2 millions de dollars en petites coupures. Après avoir subi un interrogatoire musclé orchestré par la police, il ressort blanchi. Mais Joe n’en reste pas là pour autant et avec l’aide de ses complices mafieux, il retrouve la trace d’un des braqueurs et usurpe son identité sans éveiller le moindre soupçon…
Réalisé par Phil Karlson (1908-1985) en 1952, Le Quatrième homme – Kansas City Confidential est un film noir produit par la United Artists, qui montre le savoir-faire en la matière du metteur en scène, spécialiste des séries B, à qui l’on doit Behind the Mask (1946), L’Inexorable enquête (1952), L’Affaire de la 99ème rue (1953) ou bien encore On ne joue pas avec le crime (1955) et The Phenix City Story (1955). Phil Karlson deviendra également un spécialiste du western avec quelques titres restés célèbres comme Le Dernier passage (1961) avec Richard Widmark et La Poursuite des tuniques bleues (1967) avec Glenn Ford. Le Quatrième homme reste emblématique du genre, un film noir très prisé par les amateurs et les cinéphiles, d’autant plus que cette œuvre reste la principale source d’inspiration du braquage de L’Affaire Thomas Crown (1968) de Norman Jewison, puis d’un des éléments d’Usual Suspects de Bryan Singer (1995). Autant dire que Kansas City Confidential reste une savoureuse découverte et mérite qu’on s’y attarde.
LE TESTAMENT DU DR. MABUSE (Das Testament des Dr. Mabuse) réalisé par Fritz Lang, disponible le 16 avril 2019 en combo DVD/Blu-ray chez Tamasa Diffusion
Acteurs : Rudolf Klein-Rogge, Otto Wernicke, Oscar Beregi Sr., Theodor Loos, Gustav Diess, lTheo Lingen…
Scénario : Fritz Lang, Thea von Harbou d’après le roman de Norbert Jacques
Photographie : Károly Vass, Fritz Arno Wagner
Musique : Hans Erdmann
Durée : 2h01
Année de sortie : 1933
LE FILM
Devenu fou, Mabuse, le célèbre criminel, est interné dans un hôpital psychiatrique. Grâce à l’hypnose, il tient en son pouvoir Baum, le directeur de l’asile. Ainsi, il parvient à remettre sur pied une inquiétante bande de malfaiteurs, qui sera confrontée au commissaire Lohmann…
« Quand les hommes
seront dominés par la terreur, rendus fous d’épouvante, que le
chaos sera la loi suprême, l’heure de l’empire du crime sera
arrivée ».
Onze ans après Docteur Mabuse, le joueur – Doktor Mabuse, der Spieler, Fritz Lang décide de donner suite à son film en deux épisodes sorti en 1922 avec Le Testament du docteur Mabuse – Das Testament des Dr. Mabuse. 1933. Année fatidique. Le réalisateur reprend son personnage pour évoquer la situation de l’Allemagne, en particulier la montée du nazisme durant la crise économique. Les mystères sombres de l’âme humaine manipulée par l’hypnose, la corruption de la société, la manipulation des masses, le soulèvement d’un nouveau pouvoir sont au coeur du Testament du docteur Mabuse, qui sera suivi d’un ultime épisode en 1960, Le Diabolique Docteur Mabuse – Die tausend Augen von Dr Mabuse, par ailleurs le dernier film de Fritz Lang. Le cinéaste, inquiet (euphémisme) devant l’avènement d’Adolf Hitler au pouvoir, tourne donc ce nouveau Mabuse à partir d’un scénario de Thea von Harbou, son épouse, qui soutient les idées nationalistes et conservatrices (avant de soutenir publiquement le projet nazi), pensé comme « une allégorie pour montrer les procédés terroristes d’Hitler » ainsi que le décrira le réalisateur. Notons que le tournage d’une version française signée René Sti avait été réalisé en parallèle de la mouture de Fritz Lang.
Le film raconte l’histoire du Dr Mabuse qui dirige, de l’asile psychiatrique où il est interné, un gang de malfaiteurs et le docteur Baum, directeur de l’établissement, grâce à ses pouvoirs hypnotiques, tandis que le commissaire Karl Lohmann et le bandit repenti Kent tentent de démanteler le réseau.
Le personnage du Dr Mabuse renvoie directement au Surhomme prôné par Hitler, ce qui introduit ici une dimension fantastique caractérisée par l’utilisation de quelques effets spéciaux, particulièrement réussis. Le Testament du docteur Mabuse est rétrospectivement le premier film intentionnellement anti-nazi de Fritz Lang, son deuxième parlant, d’autant plus que le cinéaste n’hésite pas à reprendre certains slogans et doctrines du nazisme, pour les mettre dans la bouche du personnage éponyme et d’autres criminels. La projection du film est évidemment interdite en Allemagne en 1933 et ne sortira qu’en 1951. Pourtant, à l’avènement du Troisième Reich, Joseph Goebbels, ministre de la propagande et de l’information du régime, grand admirateur des films de Fritz Lang (comme Hitler d’ailleurs), propose au cinéaste de prendre la tête du département cinématographique de son ministère, dans le but de réaliser les films à la gloire du parti nazi. Après cette annonce qu’il décline poliment, Fritz Lang divorce de Thea von Harbou et quitte l’Allemagne pour trouver refuge à Paris, avant de s’envoler pour Hollywood.
Si comme le premier film, Le Testament du docteur Mabuse est basé sur un roman de l’écrivain luxembourgeois Norbert Jacques, Fritz Lang s’empare d’un postulat de départ pour mieux se l’accaparer et tirer un signal d’alarme quant à l’avenir de son pays, de l’Europe et même du monde entier. A travers le personnage de Mabuse, toujours incarné par l’effrayant Rudolf Klein-Rogge, le cinéaste dévoile une logique de faits réalisée dans un but cohérent, développer le crime pour susciter l’inquiétude de la population, afin de mieux la manipuler puisque rendue incapable de réflexion, figée dans l’effroi. Cette mécanique impitoyable est ainsi dépeinte par un des plus grands auteurs et formaliste de l’histoire du cinéma. Non seulement Le Testament du docteur Mabuse, plus une suite à M le Maudit qu’a DocteurMabuse le joueur dans ses thématiques (le lien étant fait avec le personnage de l’inspecteur Lohmann), est un film passionnant à analyser et à disséquer, mais c’est aussi un divertissement haut de gamme avec son intrigue policière à la serial, ainsi qu’un chef d’oeuvre absolu devant lequel le spectateur reste halluciné par la beauté des plans, la science du montage et son rythme effréné.
Aujourd’hui, Le Testament du Docteur Mabuse inspire toujours autant les cinéastes et écrivains contemporains, à commencer par M. Night Shyamalan dont le dernier film en date, Glass, rappelle parfois l’oeuvre de Fritz Lang, ainsi que Stephen King avec Fin de ronde, dernier opus de la trilogie Bill Hodges, dans lequel un criminel, pourtant immobile sur son lit d’hôpital, continue de semer la terreur en prenant possession de l’esprit d’un docteur. Inépuisable, intemporel, inaltérable.
LE BLU-RAY
Après une première édition en DVD chez Opening, le chef d’oeuvre de Fritz Lang fait son retour dans les bacs par la grande porte chez Tamasa Diffusion où il est particulièrement choyé. Ce Digipack très élégant se compose du DVD, du Blu-ray et d’un livret de 16 pages, proposant un retour sur Le Testament du docteur Mabuse, tiré d’un article publié dans La Revue du Cinéma (Hors-série, n°24). Le menu principal est fixe et bruité.
Pour accompagner Le Testament du Dr. Mabuse, Tamasa propose une intervention de Faruk Günaltay (19’). Le directeur du cinéma l’Odyssée de Strasbourg dissèque le fond et la forme du chef d’oeuvre de Fritz Lang. La production du film, le travail sur le son, le casting, la métaphore sur la nazisme, les effets de cadrage et tout un tas d’éléments sont abordés au cours de cette présentation passionnante – qui complète également les propos sur M le Maudit disponibles sur l’édition Blu-ray/DVD chez Tamasa – durant laquelle quelques séquences sont également analysées.
L’Image et le son
La restauration impressionne très souvent. Le master est issu d’un scan 2K mis entre les mains expertes des magiciens de L’Immagine Ritrovata de Bologne et le Blu-ray ici présent est au format 1080p. Le gros point fort de cette édition est la restitution des nombreux gros plans, surtout et essentiellement durant les scènes très éclairées. Le piqué est dingue, la propreté indéniable (même si quelques points blancs subsistent), les détails confondants. C’est forcément plus aléatoire sur les séquences sombres avec une définition sensiblement chancelante, mais la qualité reste au rendez-vous du début à la fin avec un grain cinéma tout ce qu’il y a de plus flatteur.
Comme sur M le Maudit, la bande-son allemande sous-titrée en français respecte l’idée originale de Fritz Lang avec des contrastes saisissants entre les scènes sonores et muettes. Un souffle chronique est inhérent à l’âge du film, mais ne dérange pas l’écoute. Le mixage est propre, équilibré, les bruitages précis, les dialogues sensiblement pincés, mais intelligibles.
M LE MAUDIT (M) réalisé par Fritz Lang, disponible le 16 avril 2019 en combo DVD/Blu-ray chez Tamasa Diffusion
Acteurs : Peter Lorre, Otto Wernicke, Gustaf Gründgens, Inge Landgut, Ellen Widmann, Theodor Loos…
Scénario : Fritz Lang, Thea von Harbou d’après un article d’Egon Jacobson
Photographie : Fritz Arno Wagner
Musique : Edvard Grieg
Durée : 1h51
Année de sortie : 1931
LE FILM
Toute la presse ne parle que de ça : le maniaque tueur d’enfants, qui terrorise la ville depuis huit mois vient de faire une nouvelle victime. Chargé de l’enquête, le commissaire Lohmann multiplie les rafles dans les bas-fonds. Gênée par toute cette agitation la pègre décide de retrouver elle-même le criminel.
Une sombre comptine chantée par des enfants qui s’amusent dans une cour. Des parents qui s’inquiètent de la disparition d’une dizaine de fillettes. C’est l’heure de la sortie de l’école, une mère de famille s’affaire à ses tâches quotidiennes, tout en préparant la table. Elle attend le retour d’Elsie, sa fille. De son côté, un agent de la circulation l’aide à traverser la route, quand une ombre l’aborde. Un sifflement reconnaissable, un leitmotiv (sifflé par Fritz Lang lui-même d’ailleurs), celui de Dans l’antre du roi de la montagne de Peer Gynt. En cinq minutes, le cadre, exceptionnel est posé par Fritz Lang. M le Maudit, ou tout simplement M en version originale est déjà le quinzième long métrage du réalisateur, ainsi que son premier film parlant. Immense chef d’oeuvre absolu de tous les temps, référence incontournable du genre policier, considéré d’ailleurs comme le premier thriller moderne, M le Maudit conserve son aura et son pouvoir d’attraction hypnotique. Près de 90 ans après sa sortie, ce drame anxiogène prend toujours aux tripes et l’on reste abasourdi par son audace scénaristique, sa beauté plastique, l’interprétation habitée de Peter Lorre et sa maîtrise formelle.
Après cette mise en place dans une cité ouvrière, le cadavre de la petite est découvert. La police intensifie ses efforts de recherche, en vain. Les habitants en viennent à se soupçonner les uns les autres. Les dénonciations anonymes font croître la tension et les policiers sont à bout de forces. Cependant, les rafles et les contrôles incessants dérangent les bandes criminelles dans leurs « affaires ». Aussi la pègre décide-t-elle, sous la direction de Schränker, de chercher elle-même le meurtrier et utilise dans ce but le réseau des mendiants. Alors que la police a identifié le meurtrier, celui-ci est reconnu par un vendeur de ballons aveugle grâce à la chanson que le tueur siffle. Un de ses « collègues » marque alors un « M » à la craie sur le manteau du meurtrier qui s’enfuit dans un bâtiment de bureaux cerné par les les bandes diverses. En se servant de leur attirail de cambriolage, ils fouillent l’immeuble, attrapent le meurtrier d’enfants et l’emmènent dans une distillerie abandonnée. Là, toute la pègre rassemblée lui fait un procès macabre.
Peter Lorre, dans son premier rôle au cinéma, entame alors l’une des plus grandes séquences de l’histoire du cinéma, quand son personnage, les yeux exorbités, le visage en sueur, la respiration saccadée, tente d’exprimer, de façon désespérée, son aliénation et son dédoublement intérieur. « Toujours, je dois aller par les rues, et toujours je sens qu’il y a quelqu’un derrière moi. Et c’est moi-même ! […] Quelquefois c’est pour moi comme si je courais moi-même derrière moi ! Je veux me fuir moi-même mais je n’y arrive pas ! Je ne peux pas m’échapper ! […] Quand je fais ça, je ne sais plus rien… Ensuite je me retrouve devant une affiche et je lis ce que j’ai fait, alors je me questionne : J’ai fait cela ? ». Fritz Lang met en parallèle les actions simultanées de la police quasi-impuissante, représentée par le commissaire Lohmann (qui reviendra dans Le Testament du Docteur Mabuse) et la pègre qui a alors une longueur d’avance sur les autorités. Tandis que les criminels se préparent à lyncher le meurtrier au cours d’une parodie de justice où un « avocat » de la défense tente d’expliquer que le tueur de fillettes doit être remis à la police, Lohmann apprend ce qui est sur le point d’arriver.
Tout subjugue dans M le Maudit. Le travail sur le son et le silence. Fritz Lang joue avec la nouvelle technologie mise à sa disposition. Le silence reflète la cacophonie ambiante, les ambiances ne sont jamais utilisées gratuitement, mais comme un véritable personnage à part entière. Le cinéaste, l’un des plus grands à avoir su conjuguer la grammaire cinématographique, évoque la traque d’une bête sauvage, aux abois. Ou quand les malfaiteurs s’associent pour mettre la main sur un assassin, un « outsider » qui gâche leurs affaires et les empêche de vaquer à leurs occupations. En raison de cette suite de meurtres, la police organise des rafles dans les quartiers louches, jusque dans les tripots clandestins où sont saisis les flingues, les portefeuilles, bijoux et fourrures volés. C’est la goutte d’eau pour la pègre, surtout après huit mois de recherches intensives qui n’ont donné aucun résultat en dépit du gigantesque dispositif déployé et des moyens conséquents mis à disposition de la police montrée incompétente, y compris les scientifiques avec leurs analyses d’empreintes. Seuls les cambrioleurs, les arnaqueurs, les tricheurs, les pickpockets, les prostituées, pourront faire quelque chose.
En montrant les habitants d’une grande ville allemande (jamais nommée, même si un journal indique Berlin, tout comme le plan de la ville accroché dans les bureaux de la police) jetés dans la terreur et l’hystérie, Fritz Lang, s’inspirant alors d’un fait divers réel, invite à réfléchir sur les réactions, le comportement et les actions d’une société traumatisée par les crimes commis. Héritier de l’Expressionnisme allemand, M le Maudit crée un genre, transcende les générations, foudroie autant les yeux devant tant de virtuosité, que l’estomac avec son récit tendu du début à la fin. Enfin, en montrant une société se liguer dans le but d’éradiquer un être jugé « nuisible », le réalisateur anticipe alors la Solution finale…Un chef d’oeuvre prophétique. Vingt ans plus tard, Joseph Losey en signera un très grand remake avec David Wayne, avec l’action du film transposée à Los Angeles.
LE BLU-RAY
Après une première édition en DVD chez Opening, puis chez Films sans frontières dans de louches éditions DVD et Blu-ray, le chef d’oeuvre de Fritz Lang fait son retour dans les bacs par la grande porte chez Tamasa Diffusion où il est particulièrement choyé. Ce Digipack très élégant se compose du DVD, du Blu-ray et d’un livret de 16 pages, proposant des extraits du dossier pédagogique rédigé par Mireille Kentzinger et comprenant un retour sur M le Maudit, avec une analyse de séquence, un gros plan sur le montage et diverses photographies. Le menu principal est fixe et bruité.
Pour accompagner M le Maudit, Tamasa propose une intervention de Faruk Günaltay (42’). Le directeur du cinéma l’Odyssée de Strasbourg dissèque le fond et la forme du chef d’oeuvre visionnaire de Fritz Lang. La production du film (à l’époque où il devait s’intituler Les Assassins sont parmi nous), le travail sur le son (premier long métrage parlant du réalisateur), le casting, la psychologie du personnage principal, les effets de cadrage, la critique de la République de Weimar, l’anticipation de la question de l’élimination « du corps en trop » et tout un tas d’éléments sont abordés au cours de cette présentation passionnante durant laquelle quelques séquences sont également analysées.
L’Image et le son
Depuis sa sortie en 1931, M le Maudit a été vu et revu dans de différentes versions et durées. Aucune ne correspondait à la version originale. Les montages français et britannique comprenaient même des scènes filmées ultérieurement. Fritz Lang n’avait aucun contrôle sur ces versions. En 1960, M le Maudit était ressorti dans un montage de 96 minutes, lui aussi très éloigné de l’original de 1931. Le format de l’image avait même été modifié et les têtes des comédiens tronquées. Sans oublier des ambiances sonores ajoutées sur des séquences muettes. Depuis, diverses tentatives avaient été réalisées pour reconstituer l’oeuvre originale de Fritz Lang. En 2001, l’image et le son de 1931 ont enfin été retrouvés sur des pellicules nitrates. 70 % des négatifs originaux survécurent. Pour cette restauration, une copie française du négatif fut réalisée à partir d’un tirage et servit à compléter les scènes tronquées. Pour la première fois, les instabilités récurrentes de l’image dues à des perforations et des erreurs de tirage furent en grande partie corrigées. La restauration numérique de l’image a demandé un soin minutieux pour respecter les partis pris originaux. Toutefois, le montage soumis à la censure allemande de 117 minutes, n’a jamais pu être reconstitué. Alors évidemment tous les défauts n’ont pu être corrigés sur cette version restaurée 2K par TLEFilms, AFF et Deutsche Kinematek, quelques rayures subsistent par exemple, mais il faut bien admettre que le confort de visionnage est total et que la tenue des contrastes est souvent ébouriffante. Divers effets de pompages demeurent également, mais le piqué ne cesse d’impressionner, même si plus émoussé sur les parties du film provenant des copies d’exploitation.
La bande-son respecte l’idée originale de Fritz Lang avec des contrastes saisissants entre les scènes sonores et muettes. Un souffle chronique est inhérent à l’âge du film, mais ne dérange pas l’écoute. Le mixage est propre, équilibré, les bruitages précis, les dialogues sensiblement pincés, mais intelligibles.