LES YEUX DE LA NUIT (Night Has a Thousand Eyes) réalisé par John Farrow, disponible en DVD le 25 mai 2021 chez Elephant Films.
Acteurs : Edward G. Robinson, Gail Russell, John Lund, Virginia Bruce, William Demarest, Richard Webb, Jerome Cowan, Onslow Stevens…
Scénario : Barré Lyndon & Jonathan Latimer, d’après le roman de Cornell ‘William Irish’ Woolrich
Photographie : John F. Seitz
Musique : Victor Young
Durée : 1h18
Année de sortie : 1948
LE FILM
John Triton exerce ses talents de voyant dans des spectacles de cabaret, avec ses partenaires Jenny et Whitney Courtland. Mais, un jour, il s’aperçoit que son cerveau est traversé par des visions de mort. En effet, plusieurs de ses prédictions se réalisent. Bientôt, il voit que Jenny, qu’il aime, doit mourir à la suite de son premier accouchement. Il se retire du monde, mais vingt ans plus tard, il revoit la fille de Jenny, orpheline de sa mère dès sa naissance…
Étranges ces Yeux de la nuit – Night has a thousand eyes, film noir, drame psychologique et thriller fantastique, réalisé par l’éclectique et prolifique John Farrow (1904-1963). Le metteur en scène de moult longs-métrages chéris par les cinéphiles, le phénoménal Quels seront les cinq ? -Five came back (1939), Hondo (1953) et Le Renard des océans (1955) avec John Wayne, Vaquero (1953) avec Robert Taylor & Ava Gardner, Voyage sans retour (1950) avec Robert Mitchum, California, terre promise (1947), La Grande horloge (1948) et Un pacte avec le diable (1949) avec Ray Milland, et bien d’autres, est l’un des noms les plus prestigieux d’Hollywood à la fin des années 1940. Il se voit confier l’adaptation d’un roman à succès de Cornell Woolrich, écrivain pour lequel les studios faisaient les yeux doux après les grands succès de L’Homme-léopard (1943) de Jacques Tourneur et Les Mains qui tuent – Phantom Lady (1944) de Robert Siodmak, sans oublier les autres polars inspirés par une de ses œuvres Street of chance (1942), The Mark of the Whistler (1944) de William Castle, L’Ange noir (1946) avec Dan Duryea et L’Évadée (1946) avec Robert Cummings et Michèle Morgan. Sur un scénario coécrit par Barré Lyndon (Crépuscule de Henry Hathaway, le fabuleux Hangover Square de John Brahm) et Jonathan Latimer (La Clé de verre de Stuart Heisler), John Farrow signe un film complètement atypique, qui joue avec les genres, ce qui a sans doute déstabilisé les spectateurs puisque Les Yeux de la nuit ne rencontrera pas vraiment son public. Pourtant, cette curiosité mérite amplement d’être découverte, d’autant plus que l’immense Edward G. Robinson y est – comme d’habitude – parfait.
D’emblée, John Farrow instaure un climat oppressant typique du film noir avec une photographie violemment contrastée que l’on doit à John F. Seitz (La Brigade héroïque de Raoul Walsh, Le Poison de Billy Wilder), ses ambiances enfumées, qui proviennent ici des locomotives en action puisque l’action se déroule dans une gare, sans oublier les envolées musicales de Victor Young (Espions sur la Tamise de Fritz Lang, La Valse de l’empereur de Billy Wilder, Rio Grande de John Ford). Le sauvetage de Jean, la belle demoiselle interprétée par Gail Russell, qui retrouvait John Farrow avec lequel elle venait de tourner Meurtres à Calcutta, est un petit modèle du genre et s’avère intrigant. Puis, Jean et Carson (John Lund, vu dans La Scandaleuse de Berlin – A Foreign Affair de Billy Wilder) rejoignent John Triton (Edward G. Robinson donc), mentaliste à la vie malheureuse, qui a eu la vision du suicide de Jean, sous un ciel étoilé, comme un millier d’yeux qui la regardaient. C’est alors que John décide de leur raconter son histoire, son don, sa malédiction. Le récit se compose de flashbacks pendant trois quarts d’heure, durant lesquels est exposé le passé du personnage principal, auquel Edward G. Robinson, alors au sommet de sa carrière et qui venait de collaborer avec William Dieterle, Lloyd Bacon, Michael Curtiz, Raoul Walsh, Mervyn LeRoy, Julien Duvivier, Billy Wilder, Fritz Lang, Orson Welles, Delmer Daves et John Huston, prête ses traits inimitables. Dans Les Yeux de la nuit, il campe un pauvre gars qui a reçu le don de prévoir l’avenir, sans pouvoir contrôler ce pouvoir, puisque les flashs lui arrivent sans prévenir et sans qu’il puisse par la suite essayer de changer le cours de l’existence des personnes menacées. S’il cultive ses capacités de médium dans quelques spectacles au succès d’estime, il est obligé de fuir après avoir « vu » mourir la femme dont il est amoureux, Jenny (Virginia Bruce, la star de l’hilarante Femme invisible), alors enceinte. Les années passent, John a tenté tant bien que mal de refaire sa vie, mais il est soudainement rattrapé par ce qu’il avait laissé derrière-lui.
John Farrow exploite à merveille son scénario qui flirte constamment avec le fantastique, tout en se concentrant avant tout sur les personnages, en particulier sur John, écrasé par le trauma d’avoir perdu celle qu’il aimait, sans avoir pu l’aider ou même l’avertir, par ses prédictions qui l’envahissent et contre lesquelles il ne peut rien. Les Yeux de la nuit est un film court, 78 minutes montre en main, qui va droit à l’essentiel, qui est très bien écrit et surtout marqué par de beaux dialogues, ainsi qu’une tension bien maintenue. Avec San Francisco en toile de fond, Night has a thousand eyes conserve une vraie modernité, surtout dans son traitement surnaturel qui annonce parfois le Red Lights (2012) de Rodrigo Cortés.
LE DVD
Inédit dans les bacs français, Les Yeux de la nuit arrive en DVD chez Elephant Films dans la collection Cinéma Master Class – La Collection des maîtres. Superbe visuel. Le menu principal est fixe et musical, et la jaquette réversible.
Eddy Moine, critique cinéma, a été invité par Elephant Films pour nous présenter Les Yeux de la nuit (10’). Un petit module fort sympathique, durant lequel nous en apprenons pas mal sur le casting, sur les scénaristes, mais aussi sur les différences entre le roman original de Cornell ‘William Irish’ Woolrich et sa transposition cinématographique. Comme son père (un autre Eddy bien connu), le critique a le don pour mettre en valeur les petits films disparus de la circulation, et qui parviennent à ressurgir grâce aux bons soins des éditeurs comme c’est le cas ici. Eddy Moine évoque également la sortie de Night has a thousand eyes, ainsi que le thème du mentalisme au cinéma.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Quelques rayures verticales et une scène plus altérée à la trentième minute sont constatées. Néanmoins, Elephant films présente une copie fort acceptable du film de John Farrow avec un grain argentique bien géré, une propreté somme toute éloquente, ainsi qu’une profondeur de champ plutôt inattendue. La photo contrastée de John F. Seitz est plaisante pour les mirettes, le cadre 1.33 évidemment respecté et la stabilité suffisante.
Seule la version originale (aux sous-titres français non imposés) est présentée ici. Le confort acoustique est solide avec un excellent report des voix et surtout de la très belle musique de Victor Young.