Test Blu-ray / Rio Grande, réalisé par John Ford

RIO GRANDE réalisé par John Ford, disponible en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre le 15 septembre 2020 chez Sidonis Calysta.

Acteurs : John Wayne, Maureen O’Hara, Ben Johnson, Claude Jarman Jr., Harry Carey Jr., Chill Wills, J. Carrol Naish, Victor McLaglen…

Scénario : James Kevin McGuinness d’après une nouvelle de James Warner Bellah

Photographie : Bert Glennon

Musique : Victor Young

Durée : 1h45

Date de sortie initiale : 1950

LE FILM

Peu après la guerre de Sécession, l’attention se tourne vers les indiens apaches. L’officier Kirby York est en charge de l’entraînement de 15 nouvelles recrues parmi lesquelles se trouve son fils qu’il n’a pas vu depuis 15 ans. Alors qu’il entraîne son fils à se battre contre les apaches, Kirby voit arriver la mère de celui-ci qu’il n’a pas vu non plus depuis des années…

Herbert J. Yates, producteur et surtout fondateur et président de Republic Pictures était très clair sur un point. Si John Ford voulait réaliser L’Homme tranquilleThe Quiet Man, film qui lui tenait à coeur et qu’il n’arrivait pas à financer, alors le cinéaste devra lui livrer un western avec John Wayne – ce qui devrait en toute logique largement remplir le tiroir-caisse – avant de se lancer dans sa « petite histoire irlandaise ridicule » à laquelle personne ne croyait. Si ce qui deviendra finalement Rio Grande demeure une œuvre de commande dans la filmographie de John Ford, le film rapportera moins que L’Homme tranquille. En comptant les figurations non créditées au générique du comédien, alors Rio Grande est la quatorzième collaboration entre le réalisateur et John Wayne. Un an après La Charge héroïque, les deux hommes n’avaient pas prévu de remettre immédiatement le couvert pour un autre western, mais puisqu’il fallait en passer par là pour mettre en route L’Homme tranquille, les deux complices sont bien obligés d’aller au casse-pipe. S’il est souvent considéré comme étant un opus mineur dans la carrière prolifique de John Ford, Rio Grande est pourtant un western splendide, profondément humain, qui privilégie les personnages au détriment des scènes d’attaques. Ce troisième volet de la trilogie dite de « la cavalerie », jusqu’ici composée du Massacre de Fort Apache (1948) et La Charge héroïque (1949), n’a rien d’un « petit » film et s’avère même un immense spectacle, magistralement mis en scène et porté par le couple splendide John Wayne et Maureen O’Hara (Qu’elle était verte ma vallée), réunis pour la première fois au cinéma et dont l’alchimie était telle que les deux comédiens se retrouveront à plusieurs reprises, dans L’Homme tranquille (1952) et L’Aigle vole au soleil (1957) de John Ford, Le Grand McLintock (1963) d’Andrew V. McLaglen (sur lequel John Ford assura la mise en scène de quelques séquences durant une courte convalescence de son confrère) et Big Jake (1971) de George Sherman et John Wayne lui-même.

Une patrouille de l’armée américaine rentre au fort, mal en point après avoir livré combat contre des Indiens. Le lieutenant-colonel Yorke qui la mène, enrage de n’avoir pu poursuivre l’ennemi qui s’est réfugié au Mexique, de l’autre côté du Rio Grande mais il a bientôt un autre problème. En effet, son fils, dont il apprend l’échec à son examen d’entrée à West Point, vient d’entrer dans la garnison en tant que simple soldat. Peu après, la mère du soldat Yorke arrive dans la garnison avec la détermination d’arracher son fils à l’armée.

Contrairement à ce que beaucoup de spectateurs peuvent encore penser aujourd’hui, John Wayne n’avait rien du grand cowboy (1m93 au garrot) droit dans ses bottes et flinguant sans aucun état d’âme, les yeux plissés face au soleil couchant. Dans Rio Grande, comme dans bien d’autres films d’ailleurs, il fait preuve d’une réelle délicatesse et d’une vraie sensibilité, à l’instar de cette scène où il aperçoit son fils, alors juché « à la romaine » sur deux chevaux, faire une mauvaise chute. Colonel de cavalerie, Kirby Yorke (personnage déjà interprété par John Wayne dans Le Massacre de Fort Apache) fait un pas en avant, un geste qui trahit sa peur, avant de reprendre finalement sa position que se doit d’adopter un homme de son rang. Même chose, quand Yorke (nordiste) se retrouve face à son épouse (sudiste) Kathleen (Maureen O’Hara donc) qu’il n’a pas revu depuis quinze ans, celui-ci semble perdre tous ses moyens – même si sa femme fait une tête de moins que lui – la voix légèrement chevrotante, la silhouette presque voûtée et surtout le regard plein d’amour qui ne trompe pas. Car si la guerre les a séparés, Kathleen dira d’ailleurs que la cavalerie est et demeure « sa seule rivale », ce couple s’aime éperdument et s’inquiète pour leur enfant, qui vient de rejoindre la garnison de son père (qu’il n’a pour ainsi dire jamais connu), Jeff, après que ce dernier ait raté son examen de mathématiques à West Point. Renvoyé de l’école militaire, Jeff s’est aussitôt engagé le front, au grand désespoir de sa mère, qui va alors tenter de faire entendre raison à Kirby, pour renvoyer son fils au bercail le plus tôt possible.

C’est là le nœud, le coeur de Rio Grande, une histoire familiale, et non pas le combat des soldats face aux Apaches, même s’ils sont évidemment présents. D’emblée, John Ford donne le ton à travers cette extraordinaire scène d’exposition, quand les soldats, fatigués, sales, recouverts de poussière, rentrent au fort après une rude bataille. Le cinéaste se focalise sur les femmes et les enfants, qui sont restés à les attendre, probablement dans un état de peur constant. Certaines épouses et mères tentent d’apercevoir leur fils ou/et leur mari dans ce défilé d’hommes exténués ou blessés. D’autres devront se rendre à l’évidence devant l’absence de celui ou de ceux qu’elles attendaient. John Ford bouclera son film en reprenant la même scène quasiment à l’identique, Maureen O’Hara faisant cette fois partie du lot, espérant voir rentrer Kirby et Jeff. Et c’est magnifique.

Rio Grande est un western particulier dans le sens où John Ford déjoue finalement les attentes des spectateurs en quête d’action, car même s’il y en a, le récit se concentre sur l’intimité de ses protagonistes. D’ailleurs, point de grandes envolées où les cavaliers galopent à bride abattue, mais de petites ballades (en particulier I’ll Take You Home Again Kathleen) entonnées par la chorale militaire The Sons of the Pionners. Si certains spectateurs et la critique ont longtemps reproché à John Ford leurs diverses apparitions dans le film, les chants participent à l’empathie du couple Yorke puisqu’elles en révèlent les blessures, les regrets, les espoirs aussi, d’autant plus que le couple peine à communiquer après quinze années de séparation. Surtout, John Ford ne tombe jamais dans le mélo classique et Rio Grande est très souvent marqué par quelques petites touches d’humour, surtout avec le personnage du Sergent-Major Quincannon, interprété par Victor McLaglen, l’éternel « mouchard » éponyme du chef d’oeuvre de John Ford réalisé en 1935, qui lui avait valu l’Oscar du meilleur acteur. Le reste du casting composé de Ben Johnson, Claude Jarman Jr. et Harry Carey Jr. est du même acabit.

Sur un scénario de James Kevin McGuinness (d’après une nouvelle de James Warner Bellah), grand collaborateur de John Ford (Le Costaud, The Black Watch, Hommes sans femmes) mais aussi auteur de Tarzan et sa compagneTarzan and his mate (1934) de Cedric Gibbons et Jack Conway, ainsi que d’Une nuit à l’opéraA Night at the Opera (1935) avec les Marx Brothers, Rio Grande est une vraie plongée à la fois grandiose et intimiste au sein d’une garnison paumée près de la frontière mexicaine. Si l’enjeu pour la patrie est vital, il l’est encore plus pour celles et ceux qui s’y trouvent confrontés, surtout quand les liens du sang s’en mêlent.

Alors oui, le film n’a pas et n’aura probablement jamais le même prestige que Le Massacre de Fort Apache et La Charge héroïque, mais Rio Grande reste un gigantesque western dramatique.

LE MEDIABOOK

Rio Grande a connu plusieurs vies dans les bacs français. Tout d’abord une édition en DVD aux Editions Montparnasse en 1999, puis une deuxième chez Paramount Pictures en 2004. Septembre 2020, ce titre intègre le catalogue de Sidonis Calysta et bénéficie à cette occasion d’une splendide Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre estampillée du nom de la collection Western de légende. Les deux disques reposent dans ce Digibook au visuel soigné et élégant. Supplément à part entière, ne manquez pas de dévorer le livre inclus à cette édition, écrit par Patrick Brion et sobrement intitulé John Ford et John Wayne. 96 pages richement illustrées, qui reviennent sur toutes les collaborations du cinéaste et de son comédien fétiche, à travers la présentation des deux concernés, leur rencontre, puis chaque film les ayant réuni, de Maman de mon coeur Mother Machree (1928) au Grand McLintock (1963) d’Andrew V. McLaglen, remplacé par John Ford durant deux ou trois jours pour cause de maladie. Comme d’habitude, Patrick Brion a la fâcheuse habitude de raconter l’intégralité des films qu’il présente et nous vous conseillons donc de sauter ces résumés bourrés de spoilers et de vous contenter de leurs analyses, qui pour le coup sont toujours agréables à lire. Signalons également que cet ouvrage se compose également d’une introduction manuscrite de Patrick Brion et se termine sur une conclusion, également écrite à la main en 2002, par la grande Maureen O’Hara (1920-2015). Le menu principal du Blu-ray est animé et musical.

Les bonus en vidéo démarrent par une présentation du film par Jean-François Giré (14’), nouveau venu chez Sidonis depuis quelques titres et que nous retrouvons avec plaisir ici. Assistant-monteur, passionné de cinéma et plus particulièrement de westerns (il a d’ailleurs rencontré plusieurs fois Sergio Leone), auteur de documentaires, Jean-François Giré est visiblement très heureux de parler de Rio Grande, qu’il replace tout d’abord dans la carrière de John Ford, avant de se pencher un peu plus sur l’opus le moins connu de la trilogie de la cavalerie. L’invité de Sidonis déclare avoir eu un choc en le revoyant et « qu’on ne cesse de revenir à John Ford au cours de sa vie de cinéphile ». Le fond ( » le cinéaste du groupe et de la famille « ) et la forme ( » une photo à couper le souffle « ) sont analysés à travers quelques séquences, dont celle du premier retour au fort, ainsi que les partis-pris et les intentions du cinéaste. Jean-François Giré clôt cette intervention en citant un extrait des Conversations avec Sergio Leone (Cahiers du Cinéma, 1999), de Noël Simsolo, où le réalisateur d’Il était une fois dans l’Ouest exprime tout son amour et son admiration pour John Ford.

De son côté, Patrick Brion (14’) est sans doute moins enthousiaste, il indique d’ailleurs que Rio Grande (« intéressant et curieux ») n’est sans doute pas l’un des meilleurs films de John Wayne et encore moins de John Ford, mais met quand même en valeur les qualités (la sensibilité des personnages, le caractère intimiste de l’oeuvre) du long-métrage, en plus de ses défauts (trop de chansons qui plombent l’histoire, le surjeu de Victor McLaglen). Comme Jean-François Giré, Patrick Brion replace Rio Grande dans la filmographie de John Ford (avec une forte impression de redondance), mais donne beaucoup plus d’indications concernant les conditions de tournage et du travail de John Ford avec les comédiens.

L’éditeur propose également un making of (20′) rétrospectif de 1993, présenté par l’illustre Leonard Maltin qui revient en long en large sur la genèse (« un film né du hasard et de la nécessité »), le tournage et la postérité de Rio Grande. Ce document croise aussi les propos de Michael Wayne (fils du Duke), des comédiens Harry Carey Jr. et Ben Johnson, qui partagent leurs souvenirs liés aux prises de vue, ainsi que sur l’alchimie entre John Wayne et de sa partenaire Maureen O’Hara.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce originale et celle de la ressortie.

L’Image et le son

Un superbe master HD (1.33, 16/9) qui permet à Rio Grande d’être réhabilité et qui démontrera à certains que le film n’a rien de mineur, contrairement à ce qui est véhiculé depuis des années. La copie est excellemment restaurée (même si diverses poussières et rayures discrètes subsistent), la texture argentique préservée, le N&B dense et la gestion des contrastes solides permettent d’apprécier la sublime photographie du chef opérateur Bert Glennon (Blonde Vénus de Josef von Sternberg, Je n’ai pas tué Lincoln de John Ford, La Maison rouge de Delmer Daves). Rien à redire sur la définition, c’est du très haut niveau avec un piqué acéré et une clarté toujours appréciable. Le Blu-ray est au format 1080p.

L’éditeur ne propose pas un inutile remixage 5.1, mais propose les versions anglaise et française en DTS-HD Master Audio mono 2.0. Passons rapidement sur la version française au doublage old-school, dont les voix paraissent bien confinées et peu ardentes, sans parler de la pauvreté des effets annexes. Elle n’arrive pas à la cheville de la version originale, évidemment plus riche, vive, propre et aérée. Dans les deux cas, le souffle se fait discret et la musique bénéficie d’une jolie restitution. Les sous-titres français ne sont pas imposés sur la version originale.

Crédits images : © Sidonis Calysta / Melange Pictures / Republic Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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