L’ALLIANCE réalisé par Christian de Chalonge, disponible en DVD le 18 octobre 2022 chez Inser & Cut Production.
Acteurs : Anna Karina, Jean-Claude Carrière, Isabelle Sadoyan, Tsilla Chelton, Rufus, André Gille, Jean Wiener, Pierre Risch, Pierre Julien…
Scénario : Jean-Claude Carrière & Christian de Chalonge, d’après le roman de Jean-Claude Carrière
Photographie : Alain Derobe
Musique : Gilbert Amy
Durée : 1h25
Date de diffusion initiale : 1970
LE FILM
Hugues, un vétérinaire à la recherche d’un grand appartement, s’attache les services d’une agence matrimoniale pour accéder à ce bien, et accessoirement trouver une épouse. L’agence lui présente Jeanne, une jeune femme énigmatique. De retour de leur voyage de noces, Hugues s’entoure d’une multitude d’animaux (reptiles, primates, insectes…) pour mener ses recherches. Leur présence est une source d’inquiétude pour Jeanne. Dans ce climat oppressant, les deux êtres commencent à s’épier mutuellement. Alors qu’ils parviennent, tant bien que mal, à s’apprivoiser, puis à s’attacher l’un à l’autre, se profile une menace indéfinissable, vivement ressentie par les animaux.
Impossible de résumer de la carrière dantesque, plurielle et éclectique Jean-Claude Carrière (1931-2021). L’écrivain, réalisateur (de trois courts-métrages, dont deux avec son complice Pierre Etaix), scénariste (chez Louis Malle, Luis Buñuel, Jesús Franco, Jacques Deray…), parolier (pour Juliette Gréco, Brigitte Bardot, Jeanne Moreau, Françoise Fabian, Delphine Seyrig…) était aussi acteur occasionnel, « quand il n’y avait pas d’argent pour payer une vedette » comme il aimait le répéter. S’il apparaîtra en tout et pour tout une bonne quarantaine de fois devant la caméra, il se voit confier le premier rôle de L’Alliance en 1970 par le réalisateur Christian de Chalonge (né en 1937), adaptation de son roman du même nom édité en 1962. Jean-Claude Carrière fait preuve d’un réel talent dramatique et donne la réplique à la sublime Anna Karina, dans ce drame quasi-inclassable, qui lorgne sur le fantastique à mesure que l’on plonge dans un récit tortueux et sensoriel, jusqu’au dénouement déconcertant, totalement imprévisible, qui marquera forcément les esprits. Lent, mais hypnotique, beau et sobre, magnétique et bouleversant, L’Alliance est un bijou insoupçonné dans la filmographie du metteur en scène de L’Argent des autres, Malevil et Docteur Petiot.
Le directeur de l’agence matrimoniale Duvernet avait finalement déniché l’oiseau rare : une jeune femme d’aspect agréable qui possédait en plein Paris un immense appartement avec jardin. Hugues Triboy avait tout spécialement insisté sur l’appartement : il le voulait ample, plus de 300 m2, pour y garder en observation des animaux malades ; Hugues Triboy était vétérinaire. L’appartement qu’il visita lui plut. La propriétaire, Jeanne, aussi. Le mariage eut lieu très vite. Après leur voyage de noces, tandis que la clientèle commençait à affluer, Hugues en vint à soupçonner Jeanne, toujours mystérieuse et secrète, des pires machinations. Le trompait-elle ? Se droguait-elle ? L’avait-elle épousé pour se débarrasser de lui au bout d’un certain temps ? L’angoisse l’envahissait progressivement tandis qu’il soignait les perroquets, les hamsters et les poissons rouges des gens originaux et solitaires qui venaient le consulter. Jeanne, de son côté, troublée par l’atmosphère étrange, fascinante, dans laquelle évoluait son époux, commençait à éprouver une certaine appréhension. Intéressait-elle seulement cet homme inaccessible ? A quelles mystérieuses expériences se livrait-il dans son laboratoire, entouré d’animaux de toutes sortes ? Ce soir là, les pensionnaires d’Hugues étaient pris d’une agitation anormale.
Rétrospectivement, L’Alliance annonce deux œuvres à venir. On pense tout d’abord à Phase IV, le seul et unique long métrage réalisé par le légendaire Saul Bass. Le ton, l’ambiance, le style, le sujet abordé de L’Alliance anticipent ceux de Phase IV de façon saisissante. Bien avant L’Argent des autres, qui lui vaudra une reconnaissance de la part de sa profession, les Césars des meilleurs film et réalisateur, ainsi que le Prix Louis-Delluc en 1978, cette oeuvre dense, ambitieuse et passionnante, magistralement interprétée et mise en scène, plonge les spectateurs dans un univers singulier et feutré, qui fait s’ébranler leurs repères, n’ayant pas peur de les perdre sans doute parfois, rappelant un cauchemar éveillé à la David Lynch. L’Alliance pourra aussi faire penser à L’Annulaire (2005) de Diane Bertrand, d’après le roman de Yōko Ogawa, dans lequel une jeune femme (incarnée par Olga Kurylenko) trouvait un emploi d’assistante dans un laboratoire aux activités étranges, sans vraiment comprendre ce qui se jouait sous ses yeux et s’engageait peu à peu dans une troublante relation amoureuse avec son mystérieux employeur.
En dépit de quelques longueurs, ou lenteurs c’est selon, le second long-métrage de Christian de Chalonge (ancien assistant d’Alain Jessua, Serge Bourguignon, Tony Richardson et diplômé de l’IDHEC) ne craint pas d’emmener son audience dans un conte qui pourrait paraître étouffant et hermétique. Avec l’oeil d’un entomologiste, le cinéaste observe ses deux personnages et plus globalement la nature humaine, se penche sur la part animale présente en chaque être, qui ne demande qu’à ressurgir en cas d’intérêt personnel. Sans dévoiler le final complètement dingue, nous dirons que L’Alliance se termine en fait là où commence Malevil, que Christian de Chalonge mettra en scène dix ans plus tard, un vrai film de genre librement adapté du roman de Robert Merle (qui reniera le film), véritable référence qui possède aisément sa place sur le podium des plus grands films d’anticipation que le cinéma hexagonal nous ait offert.
Mais pour l’heure, L’Alliance est aussi et avant tout une histoire d’amour où un homme et une femme qui ne se connaissent pas, apprendront à s’abandonner pour la première fois et sans réserves l’un à l’autre, après de nombreuses suspicions…jusqu’à ce qu’une lueur inexplicable les freine dans leur élan. Plus de cinquante ans après sa sortie, L’Alliance n’a pas finit de faire de nouveaux adeptes, tout en préservant encore et toujours une grande part de mystère.
LE DVD
En 2017, nous vous parlions de l’émergence d’un nouvel éditeur, Inser and Cut Production, à travers la sortie de leur premier titre, Le Franc-tireur, formidable téléfilm de Maurice Failevic. Depuis, cette précieuse anthologie « Ciné-Club TV » dirigée par Roland-Jean Charna a fait son petit bonhomme de chemin avec des titres aussi variés qu’Un balcon en forêt de Michel Mitrani, La Tisane de sarments de Jean-Claude Morin, La Sourde oreille et Monsieur Jadis de Michel Polac, Bartleby de Maurice Ronet ou bien encore Le Moustique de Maurice Frydland. Avec L’Alliance, Inser and Cut Production inaugure la collection L’Oeil du témoin. Le disque repose dans un Slim-Digipack au visuel, qui arbore sur sa tranche le numéro 1 de cette nouvelle anthologie. Le menu principal est fixe, avec quelques dialogues du téléfilm en fond sonore. Le DVD est disponible sur le site de l’éditeur, en cliquant sur ce lien.
Le premier supplément de cette édition est un entretien avec l’immense Jean-Claude Carrière (14’). Ce dernier, enregistré en octobre 2012, revenait sur tous les aspects de L’Alliance. L’adaptation de son second roman (qu’il avait écrit sans penser à ce que pourrait donner une transposition au cinéma), le travail d’écriture avec Christian de Chalonge (« le film va plus loin que le livre, notamment toute la partie apocalyptique »), la raison pour laquelle Jean-Claude Carrière s’est vu octroyer le rôle principal (« pour des raisons financières »), les conditions de tournage (très difficiles en raison de la présence de multiples animaux), les thèmes de cette « apocalypse intime », la psychologie de son personnage, les partis-pris (« une ambiance feutrée, faite de non-dits »), la fin du film, son excellente réception par la critique et le public, avant sa totale disparition, jusqu’à sa résurrection à l’occasion d’une diffusion sur Canal+, sont autant de sujets abordés, forcément brillamment et de façon passionnante, par Jean-Claude Carrière.
Le module intitulé L’Art du dérèglement (14’30) donne la parole à Roland-Jean Charna lui-même, qui évoque ici la carrière de Christian de Chalonge. Le directeur de la collection L’Oeil du témoin replace L’Alliance dans la filmographie éclectique du réalisateur, tout en évoquant le reste de sa carrière, ses thèmes récurrents (le dérèglement chez les individus, l’ambiance fantastique), le tout parfois illustré par des images de Christian de Chalonge tirées d’interviews anciennement réalisées pour des bonus disponibles en DVD chez Tamasa.
Le dernier supplément est un portrait de Jean-Claude Carrière (22’) réalisé par Sylvain Perret, que nous avions déjà croisé dans les bonus de La Vie dissolue de Gérard Floque. Le chargé d’édition chez Gaumont Vidéo revient sur le roman L’Alliance et son adaptation, et plus globalement sur la carrière hors norme et difficile à résumer (« merveilleusement chaotique » dit Sylvain Perret) de Jean-Claude Carrière, qui se partageait entre le cinéma et la télévision et se qualifiait avant tout comme un « compteur ». L’invité d’Inser and Cut rapproche l’oeuvre de l’auteur de Marcel Aymé et de Tchekhov, parle de sa méthode, des différences entre le roman et le film qui nous intéresse aujourd’hui, parle d’une fin aujourd’hui disparue qui avait été projetée lors d’une diffusion de L’Alliance à la Mostra, sans oublier le casting, les conditions de tournage et son accueil.
L’interactivité se clôt sur un aperçu de la collection de l’éditeur.
L’Image et le son
Le master présenté est propre, forcément marqué par les nombreuses années qui ont passé (les couleurs sont fanées, les plans fous récurrents), mais qui s’en sort vraiment pas trop mal, surtout si l’on tient en compte la rareté de L’Alliance qui avait disparu des radars depuis longtemps. La définition est somme toute moyenne, mais largement suffisante pour (re)découvrir le film de Christian de Chalonge.
Quelques résonances lors de certains échanges, un volume aléatoire des dialogues et un très léger bruit de fond sont à signaler. Dommage de ne pas trouver les sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants, qui ne seraient pas négligeables sur cette collection.
Chef d’œuvre pour ma part ! Il est regrettable qu’une remasterisation en blu ray n’ait pas trouvé preneur chez un grand éditeur.:-(
Mais bon, le film n’avait jamais édité sur support donc merci à Inser&cut !
Très prisé des cinéphiles et adeptes du genre ! Cette sortie était inespérée !