MEURTRE À MONTMARTRE réalisé par Gilles Grangier, disponible en Édition Collector Blu-ray + DVD le 30 mars 2022 chez Pathé.
Acteurs : Michel Auclair, Paul Frankeur, Giani Esposito, Annie Girardot, Lucien Nat, Gib Grossac, Franck MacDonald, Philippe Dumat…
Scénario : Gilles Grangier & René Wheeler, d’après le roman de Michel Lenoir
Photographie : Jacques Lemare
Musique : Jean Yatove
Durée : 1h32
Année de sortie : 1956
LE FILM
Le marchand d’art Marc Kelber croit faire l’affaire du siècle quand il achète un tableau de Gauguin à Jacques Lacroix, un prétendu collectionneur. Mais quand il découvre que ce dernier est un escroc qui lui a vendu un faux, Kelber est bien décidé à se venger. Il retrouve alors Lacroix et ses complices, le peintre faussaire Watroff et sa compagne et modèle Viviane. Mais plutôt que de leur faire payer leur arnaque, il décide finalement d’y prendre part…
Habitué aux gros succès populaires depuis ses débuts dans les années 1940 comme Le Cavalier noir, Jo la Romance, Amour et compagnie et Trente et quarante avec Georges Guétary, L’Aventure de Cabassou avec Fernandel, Leçon de conduite avec Odette Joyeux, Par la fenêtre avec Bourvil, Gilles Grangier va petit à petit et momentanément délaisser la comédie pour se diriger vers des films plus dramatiques. L’une des étapes les plus marquantes de son illustre carrière reste sa rencontre avec Jean Gabin, avec lequel il tourne pour la première fois en 1953 pour La Vierge du Rhin, d’après le roman de Pierre Nord. Les deux hommes collaboreront à douze reprises. Le réalisateur démontre qu’il peut alors offrir autre chose aux spectateurs qu’un film musical ou des divertissements légers du samedi soir et c’est finalement dans un registre plus grave qu’il va trouver un second souffle, mais aussi s’épanouir derrière la caméra. Entre Le Sang à la tête, merveilleuse adaptation du roman de Georges Simenon, et Le Rouge est mis, Gilles Grangier se tourne vers un autre fidèle comédien, le grand Paul Frankeur, qui l’accompagne depuis 1950 (Au p’tit Zouave) et qu’il retrouvera sur Jeunes mariés (1953), Le Sang à la tête (1956), Le Rouge est mis (1957), Le Désordre et la Nuit (1958), Archimède le clochard (1959), Le Gentleman d’Epsom (1962), Le Voyage à Biarritz (1962, même si non crédité), Maigret voit rouge (1963), sans oublier la mini-série Max le débonnaire diffusée en 1967. Paul Frankeur, c’est souvent celui dont on ne sait pas forcément le nom dans un film. C’est un mécanicien, un bonimenteur, un patron de bistrot, un cordonnier, un réparateur de lignes électriques, un inspecteur ou un commissaire, un reporter, un aubergiste, un coiffeur, un cafetier, un coiffeur, un brigadier de gendarmerie, un contrôleur SNCF, un curé…et l’on se souvient pourtant toujours de lui. Meurtre à Montmartre, précédemment sorti au cinéma sous le titre Reproduction interdite, mais qui avait été rebaptisé par une production déçue par les résultats du film au box-office (ce qui avait irrité Gilles Grangier, étant donné que l’action se déroule à Montparnasse et non pas sur la butte, ce à quoi on lui avait rétorqué que « Meurtre à Montparnasse aurait été un titre trop long ») est l’un des rares films où Paul Frankeur tient le haut de l’affiche. Si l’on peut citer aussi Premières Armes (1950) de René Wheeler et Passion (1951) de Georges Lampin, il porte sur ses épaules Meurtre à Montmartre, en étant quasiment de toutes les scènes. Et il est admirable dans cette transposition d’un roman de Michel Cade (sous le nom de Lenoir), où Gilles Grangier dresse le portrait d’un galeriste, qui va malgré-lui tombé dans le crime, pour pouvoir subsister et offrir à sa jeune épouse un train de vie confortable. S’il n’est assurément pas le film le plus célèbre du cinéaste, Reproduction interdite (puisqu’on peut l’appeler ainsi) est un vrai bijou sombre et pessimiste, qui s’offre enfin à nous en copie entièrement restaurée.
Marc Kelber, un marchand d’art expérimenté, se fait berner par Jacques Lacroix, un escroc qui lui vend un faux Gauguin. Lorsqu’il découvre la supercherie, il part à sa recherche. Lacroix lui propose alors un marché : s’allier avec sa bande qui comprend un peintre faussaire, Claude Watroff, faire exécuter à ce dernier des copies d’originaux de Gauguin dont Lacroix a hérité, et réussir à les vendre à des experts. Kelber accepte. Mais, très vite, Watroff a des remords et se met à boire. Kelber et Lacroix planifient d’éliminer leur comparse.
Un marchand n’est pas un expert. Un connaisseur, oui !
Quatre ans avant Le Cave se rebiffe et sa fausse monnaie (« L’honnêteté, ça se paye ! », « Le faux talbin, Messieurs, est un travail qui se fait dans le feutré. », « Eh bien Messieurs, ce cave a une paluche qui vaut de l’or. Une main raphaëlienne ! Nous tenons un petit prodige, et j’aime mieux vous dire que l’affaire s’annonce grandiose, hein. »), Gilles Grangier plantait son décor dans le domaine des reproductions de tableaux de maîtres, de façon sérieuse, peut-être légèrement teinté d’humour noir, mais sans la gouaille de Michel Audiard, ni ses bons mots. Pourtant, le dialogue signé ici René Wheeler, également coscénariste, est tout aussi percutant. Meurtre à Montmartre est un polar dramatique brillamment mis en scène, puissamment interprété par Paul Frankeur, le suintant (et formidable) Michel Auclair et une jeune débutante du nom d’Annie Girardot, 24 ans, dans son troisième vrai rôle au cinéma après Treize à table d’André Hunebelle et L’Homme aux clés d’or de Léo Joannon. Le seul bémol de Meurtre à Montmartre, raison pour laquelle le film n’atteint pas les sommets tragiques du Désordre et la Nuit (pour ne citer que celui-là), vient de la présence au générique de Giani Esposito, auteur, compositeur et interprète italien, dont le succès l’a aussi amené à faire du cinéma, il sera par exemple Marius dans Les Misérables de Jean-Paul Le Chanois, dont le rôle d’artiste maudit, pris de remords par ses activités illégales est guère attachant, l’acteur en rajoutant dans le côté peintre bohème désespéré.
Mais c’est un petit détail, car Meurtre à Montmartre demeure redoutablement efficace sur le fond comme sur la forme. On suit cette descente aux enfers programmée du dénommé Marc Kelber, simple marchand de tableaux, qui non seulement par appât du gain, mais aussi par peur de perdre sa jeune compagne (qui lui a mis dans les pattes un fils issu d’une première union) s’il n’arrivait pas à l’entretenir elle et sa progéniture, va se retrouver embringuer dans un trafic de fausses peintures. Après s’être fait rouler par un certain Jacques Lacroix (Michel Auclair donc, vénéneux à souhait), il devient finalement son complice après l’avoir retrouvé. Mais c’était sans compter sur l’extrême fragilité du peintre Claude Watroff, qui vit de plus en plus mal de s’adonner à la contrefaçon et de gaspiller ainsi son talent. Dépendant à la boisson, Claude noie son chagrin dans les spiritueux, même si sa maîtresse Viviane (Annie Girardot) veille au grain et tente de l’aider à s’en sortir. Mais l’artiste devient vraiment trop imprévisible et incontrôlable. Il risque ainsi d’attirer l’attention sur leurs activités. Lacroix parvient à entraîner Kelber dans un autre plan démoniaque, empoisonner Watroff en simulant un suicide.
Cette scène reste un modèle du genre, difficile à regarder aussi et dévoile une fois de plus la virtuosité de Gilles Grangier, longtemps conspué par les critiques abrutis de la Nouvelle vague qui avaient pris le réalisateur pour cible, afin de se faire mousser. Comme d’habitude, on saluera la dimension quasi-documentaire du film et ce dès le générique, où l’on peut admirer une rue de Paris en 1956, ses voitures, ses passants, ses bruits, ses petits boulots, les gens du quartier. L’âme du cinéma de Gilles Grangier transpire par tous les pores de Meurtre à Montmartre.
LE BLU-RAY
Depuis quelques années, Pathé met un point d’honneur à rendre à Gilles Grangier, la place qui lui est due. Ainsi, après 125 rue Montmartre, Le Désordre et la Nuit, Échec au porteur et Le Sang à la tête, Meurtre à Montmartre rejoint la collection Pathé Présente en édition Blu-ray + DVD. D’autres titres suivront ! Superbe visuel. Le menu principal est animé et musical.
Gilles Grangier a décidément le vent en poupe auprès des éditeurs français. Pathé donc, Coin de Mire Cinéma (Gas-oil, Train d’enfer, Maigret voit rouge, Archimède le clochard) et Gaumont (Sous le signe du taureau, Le Gentleman d’Epsom, Le Cave se rebiffe, Les Vieux de la vieille, Le Rouge est mis) ont tous proposé des copies restaurées des films du réalisateur. Et dans certains suppléments, une figure récurrente, celle de François Guérif, dont nous avons parlé de très nombreuses fois depuis nos débuts en 2016, à travers nos 1500 chroniques. L’auteur de l’ouvrage Passé la Loire, c’est l’aventure, qui réunit des entretiens qu’il a conduits avec Gilles Grangier, intervient une fois de plus dans un entretien croisé avec celui de Valérie Paulin, assistante et ayant-droit. François Guérif, qui n’a eu de cesse de défendre les films de Gilles Grangier s’exprime sur Meurtre à Montmartre, « qui s’inscrit parfaitement dans la carrière d’un homme dont les films ont été souvent sous-estimés », en mettant en relief la précision avec laquelle le cinéaste restituait le réalisme des milieux sociaux les plus humbles, grâce à un sens aigu de l’observation. Chacun des deux intervenants évoque l’exactitude des décors dans lesquels les personnages vivent et évoluent, la caractéristique éclectique de Gilles Grangier, l’évolution de son cinéma, la psychologie des personnages de Meurtre à Montmartre, le casting, le changement de titre (à l’origine Reproduction interdite), l’amour et la fidélité du réalisateur pour ses comédiens qu’il retrouvait d’un film à l’autre, comme son équipe technique. Quelques anecdotes de tournage sont aussi inscrites au programme de ce documentaire (31′), au cours duquel est dressé le portrait d’un metteur en scène « d’une générosité folle, élégant, poli, toujours de bonne humeur, qui possédait une immense capacité d’adaptation, à l’aise dans les décors naturels », les deux interviewés ne pouvant cacher leur bonheur de voir le regain de popularité et la réhabilitation dont profitent Gilles Grangier, disparu depuis plus de 25 ans. Il était temps !
L’interactivité se clôt sur une archive Pathé, celle liée à une exposition de faux chefs d’oeuvre au Salon de la Police, qui s’est tenu en 1954 (1’20). L’occasion de voir Maurice Utrillo observer une reproduction d’une de ses peintures.
L’Image et le son
Le master de Meurtre à Montmartre a été restauré 4K en 2021, à partir des négatifs originaux, par Éclair Classics. Les contrastes sont beaux (photo de Jacques Lemare, La Môme Vert-de-Gris, Non coupable), la copie est propre et stable, les gris riches, les blancs lumineux, la profondeur de champ appréciable et le grain original heureusement préservé. Les séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes diurnes, le piqué est joliment acéré et les détails étonnent parfois par leur précision, surtout sur les gros plans. Ce Blu-ray au format 1080p (1.33, compatible 16/9) est de grande qualité et redonnera sûrement beaucoup d’intérêt à ce film oublié de Gilles Grangier.
Aucun souci acoustique constaté sur ce mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Le confort phonique de cette piste unique est dynamique, les dialogues sont clairs et nets. Aucune saturation, la musique de Jean Yatove (Marie-Octobre, Échec au porteur) est joliment délivrée et aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs. L’éditeur joint également les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiovision.