MAIGRET réalisé par Patrice Leconte, disponible en DVD et Blu-ray le 23 juin 2022 chez M6 Vidéo.
Acteurs : Gérard Depardieu, Jade Labeste, Mélanie Bernier, Aurore Clément, Bertrand Poncet, Clara Antoons, Anne Loiret, André Wilms, Elizabeth Bourgine…
Scénario : Jérôme Tonnerre & Patrice Leconte, d’après le roman Maigret et la Jeune Morte de Georges Simenon
Photographie : Yves Angelo
Musique : Bruno Coulais
Durée : 1h28
Date de sortie initiale : 2022
LE FILM
Maigret enquête sur la mort d’une jeune fille. Rien ne permet de l’identifier, personne ne semble l’avoir connue, ni se souvenir d’elle. Il rencontre une délinquante, qui ressemble étrangement à la victime, et réveille en lui le souvenir d’une autre disparition, plus ancienne et plus intime…
En dehors de Jean Richard et de Bruno Cremer qui ont su marquer l’esprit des téléspectateurs en l’incarnant respectivement 23 ans et 14 ans, le Commissaire divisionnaire Maigret prend immédiatement les traits de Jean Gabin dans l’inconscient collectif concernant l’adaptation cinématographique des aventures du célèbre personnage créé par Georges Simenon. Le comédien l’aura interprété à trois reprises dans Maigret tend un piège (Jean Delannoy, 1958), Maigret et l’Affaire Saint-Fiacre (Jean Delannoy, 1959) et Maigret voit rouge (Gilles Grangier, 1963). Pourtant, Pierre Renoir (le premier Maigret du cinéma dans La Nuit du Carrefour de Jean Renoir, 1932), Harry Baur (La Tête d’un homme, 1932, de Julien Duvivier), Albert Préjean (Picpus, Les Caves du Majestic), Charles Laughton (L’Homme de la tour Eiffel, 1949, de Burgess Meredith) et même Michel Simon (Brelan d’as, 1952, d’Henri Verneuil), s’étaient entre autres déjà emparés de ce rôle mythique. Le commissaire Jules Maigret est un monument de la littérature mondiale. Créé en 1931 sous la plume de Georges Simenon, Maigret deviendra le héros de 75 romans et de 28 nouvelles écrits durant un peu plus de quarante ans, jusqu’en 1972. Après Jean Gabin, c’est au tour de l’italien Gino Cervi d’incarner le flic à la pipe dans Le Commissaire Maigret à Pigalle de Mario Landi (1966), mais aussi pour la petite lucarne, puis de l’allemand Heinz Rühmann dans Maigret fait mouche de Alfred Weidenmann, également sorti en 1966. Tout cela sans parler des transpositions à la télévision britannique avec tour à tour Rupert Davies, Michael Gambon et même Rowan Atkinson dans le rôle-titre. Quasiment soixante ans après Jean Gabin, qui d’autre que Gérard Depardieu pouvait se permettre de reprendre le flambeau ? Dans une archive, Georges Simenon décrivait ainsi sa « créature » « Il boit assez bien, (…) il aime beaucoup manger, (…). Maigret n’est pas un homme intelligent, il est uniquement intuitif, je dirais même que dans les tout premiers Maigret, il avait presque l’air bovin, c’est un type énorme, un peu pachyderme ». Qu’ajouter de plus ? Sobrement intitulé Maigret, le trentième long-métrage de Patrice Leconte, grand admirateur de Georges Simenon devant l’Éternel (on se souvient de Monsieur Hire), s’empare du roman Maigret et la Jeune Morte, prétexte pour plus se focaliser sur la personne du commissaire. Car Maigret est en effet moins une enquête policière qu’une radiographie complète du personnage. Le réalisateur observe son bloc de granite de 72 ans (au moment du tournage), le sculpte à la perfection en le faisant arborer la gabardine et sa pipe (même si dans ce cas précis, le toubib conseille à Maigret d’arrêter de fumer en raison de ses bronches encrassées) et le fait déambuler dans les rues parisiennes qu’il ne reconnaît plus, qui se transforment, tandis que lui-même commence à disparaître car devenu obsolète. Avant d’être définitivement absorbé par les pavés mouillés déchaussés comme les dents pourries d’un sans-le-sou, Maigret, rattrapé par l’âge, colosse aux pieds d’argile, ayant même perdu l’appétit, livre l’une de ses dernières enquêtes, tout en affrontant ses propres démons. Très grand film sur lequel plane également l’ombre du Dahlia noir de James Ellroy. Les amateurs de lecture noire et policière apprécieront, les autres aussi.
À Paris, dans les années 1950, le corps d’une jeune femme est retrouvé Place Vintimille dans le 9e arrondissement. La victime est vêtue d’une robe de soirée mais pas de papiers d’identité dans son sac à main. Le commissaire Maigret et ses hommes sont chargés de l’enquête et tentent de découvrir l’identité de la jeune femme. La veille, elle aurait loué sa robe dans une boutique du quartier.
« Vous ne fumez plus la pipe, comment vous sentez-vous ? » « Tout nu… ».
Outre une participation au film à sketches Salauds de pauvres (2019) et d’une série-documentaire pour France 3 (Boutiques obscures), nous n’avions plus vraiment de nouvelles de Patrice Leconte, après le succès d’Une heure de tranquillité, qui avait attiré plus d’un million de spectateurs en décembre 2014. Le cinéaste fait son grand retour avec Maigret, projet qui lui tenait à coeur, et signe l’adaptation de Maigret et la Jeune Morte, paru en 1954, quatre fois transposé auparavant dans deux téléfilms britanniques, un autre néerlandais et dans un épisode dans la série avec Jean Richard. Magnifiquement écrit avec Jérôme Tonnerre (Le Roi de Paris, L’École buissonnière), avec lequel Patrice Leconte avait déjà collaboré à maintes reprises (Mon meilleur ami, Confidences trop intimes, Une promesse), Maigret est un film feutré, pudique, intime, confidentiel pourrait-on dire. Entre deux pantalonnades (Mystère à Saint-Tropez, Maison de retraite), notre Gégé (inter)national aura toujours prouvé que sa place se trouvait encore auprès des plus grands, comme dernièrement dans Les Confins du monde de Guillaume Nicloux, Fahim de Pierre-François Martin-Laval, Des hommes de Lucas Belvaux et Illusions perdues de Xavier Giannoli. Il n’a qu’à apparaître dans Maigret, ou tout du moins dès que sa respiration difficile et son souffle lourd se font entendre, pour que le spectateur soit conquis immédiatement. Depardieu est Maigret, point.
Ensuite, Maigret peut se voir comme le portrait d’un personnage légendaire de la littérature policière internationale, mais aussi comme celui de Gérard Depardieu lui-même (même si Daniel Auteuil avait été pressenti dans un premier temps), que nous n’aurons jamais de cesse d’admirer et d’écouter, et dont la mort inconsolable de la fille de Maigret, se télescope forcément celle de Guillaume Depardieu. Si l’on reste dubitatif (euphémisme) sur la prestation de Mélanie Bernier, Maigret révèle une superbe et prometteuse comédienne, Jade Labeste, aperçue dans l’excellent Volontaire (2018) d’Hélène Fillières et Nos vies formidables (2019) de Fabienne Godet. Dans le rôle de Betty, celle-ci crève littéralement l’écran et ses scènes la mettant face au monstre du cinéma français sont assurément les plus belles du film. Dans cette ambiance spectrale, fantomatique et crépusculaire, celles et ceux qui entourent Maigret apparaissent quasiment comme des silhouettes diffuses, qui comme le personnage principal paraissent disparaître, se fondre dans le paysage, impression renforcée par la splendide photographie du maître Yves Angelo (Présidents, Police, Marvin ou la belle éducation, Baxter), qui donne au récit un côté éthéré, ainsi que la composition du talentueux Bruno Coulais, que l’on croirait branchée sur les états d’âme du commissaire.
Rien à redire sur la reconstitution, aussi discrète que soigne, avec de très beaux décors et costumes. L’impression est là aussi dans le ressenti, dans les parfums, les couleurs, l’atmosphère trouble, mélancolique et expressionniste, stylisée, mais en aucun cas tape-à-l’oeil. Tourné pour « seulement » 6 millions d’euros, soit deux fois moins qu’une production habituelle du genre, porté par une critique globalement enthousiaste voire très positive, Maigret aura réussi à tirer son épingle du jeu en attirant près de 550.000 français dans les salles, tandis que Gérard Depardieu cartonnait déjà dans les salles avec Maison de retraite de Thomas Gilou. Qui a dit que notre Gégé avait fait son temps ?
LE BLU-RAY
Maigret dispose d’une sortie dans les bacs en DVD et Blu-ray. La seconde apparaît sous la forme d’un boîtier classique de couleur bleue. La jaquette reprend le visuel de l’affiche d’exploitation, tout comme le surétui cartonné qui le surmonte. Le menu principal est animé et musical.
Le premier supplément de cette édition est un ensemble d’interviews croisées de Patrice Leconte, de Pierre Assouline (biographe de Georges Simenon) et de John Simenon (fils de Georges Simenon) (32’). Le réalisateur partage ses souvenirs liés à Maigret, dont il a découvert les romans grâce à sa grand-mère et ce qui l’a amené à mettre en scène le film qui nous intéresse aujourd’hui. Les deux autres intervenants s’attardent plus sur la figure de Georges Simenon, sur sa création et sur son style. « Le policier absolu […] capable d’empathie » dit-on, tandis que John Simenon explique comment il fallait vivre avec ce personnage au quotidien, « un peu comme un oncle ». La psychologie de Maigret (« pas du tout un intellectuel, l’anti-Hercule Poirot »), son apparence physique, son nom, son succès fulgurant à travers le monde, le processus créatif de Georges Simenon sont abordés. Patrice Leconte s’exprime ensuite comment il a voulu retranscrire « les odeurs, les couleurs et les détails des livres de Georges Simenon », puis parle du travail d’adaptation avec Jérôme Tonnerre, de la collaboration (sa première) avec Gérard Depardieu (et l’approche du rôle par celui-ci), des conditions de tournage, de ses intentions et de ses partis-pris, tandis que Pierre Assouline revient sur les anciennes transpositions, n’hésitant pas à déclarer que Bruno Cremer était un Maigret idéal, tandis que Jean Richard était l’un des plus mauvais. Signalons aussi en début de programme, l’apparition de Georges Simenon lui-même qui évoque le monstre qu’il a créé.
Le second bonus est une visite guidée de la Promenade Simenon à Liège (10’) en compagnie de Chantal Servais, notre guide qui nous fera découvrir l’école de l’écrivain, son habitation, la rue Georges Simenon, son environnement qui aura inspiré une grande partie de son œuvre. Quant à ceux qui se demandent d’où Georges Simenon aura tiré le nom de son personnage, la réponse se trouve (peut-être) à travers ce reportage.
L’Image et le son
En plus de l’avoir dirigé dans Le Colonel Chabert en 1994, Yves Angelo avait surtout déjà photographié Gérard Depardieu dans Tous les matins du monde (1991) d’Alain Corneau et Germinal (1993) de Claude Berri, qui lui avaient valu le César de la meilleure photographie. Autant dire qu’il sait comment mettre la silhouette massive du comédien en valeur, ce qu’il ne se prive pas de faire une fois de plus dans Maigret de Patrice Leconte. Ce master HD est tout indiqué pour véritablement apprécier les partis-pris du chef opérateur désirés par le réalisateur. Les teintes sont sombres, grisâtres, bleu foncé, d’où ressortent les quelques éclats rouges du sang de la victime. Des couleurs reprises sur l’affiche d’exploitation, avec des noirs d’une densité remarquable, des visages au teint cendreux, où la clarté réalise parfois quelques percées. Le piqué est acéré comme il le faut, la texture des matières ressort systématiquement et les détails abondent sur le cadre large. Très beau Blu-ray.
L’unique mixage DTS-HD Master Audio 5.1 est réellement bluffant. Le spectateur est happé dans cette étrange enquête aux côtés de Gégé, grâce au soutien constant des enceintes latérales qui environnent l’audience avec ce qu’il faut d’ambiances naturelles. Les voix sont solidement ancrées sur la centrale, la balance frontale est dynamique. D’une précision sans faille, dense, dynamique, le confort acoustique est largement assuré. Les sous-titres français pour les spectateurs sourds et malentendants sont également disponibles, ainsi qu’une piste Audiodescription.
Une réflexion sur « Test Blu-ray / Maigret, réalisé par Patrice Leconte »