Test Blu-ray / Lunettes noires, réalisé par Dario Argento

LUNETTES NOIRES (Occhiali neri) réalisé par Dario Argento, disponible en Édition Blu-ray + Livret le 31 janvier 2024 chez Extralucid Films.

Acteurs : Ilenia Pastorelli, Asia Argento, Andrea Gherpelli, Mario Pirrello, Maria Rosaria Russo, Gennaro Iaccarino, Andrea Zhang, Paola Sambo…

Scénario : Dario Argento & Franco Ferrini

Photographie : Matteo Cocco

Musique : Arnaud Rebotini

Durée : 1h32

Année de sortie : 2022

LE FILM

Une prostituée italienne rendue aveugle par un tueur en série lors d’une attaque, recueille un jeune chinois, dont la vie a également été détruite par les actions du maniaque. Il va devenir son allié dans une lutte terrifiante pour se débarrasser définitivement du tueur en série…

En 2012, Dario Argento présente Dracula 3D en Sélection officielle du Festival de Cannes. Un magnifique nanar. Jadis, le cinéaste aurait fait le bonheur des cinéphiles avides de fantastique et d’épouvante. Mais ça, c’était avant. Tous les spectateurs étaient unanimes, son vingt-quatrième long-métrage et premier tourné en relief, était absolument horrible, ce qui ne les avait pas empêchés de saluer l’entreprise par une standing ovation. Il fallait le voir pour le croire. Coécrite par quatre scénaristes, dont le réalisateur lui-même, cette énième version cinématographique du mythe du vampire transylvanien, créé par Bram Stoker, repoussait les limites de la laideur. S’il avouait s’être inspiré du Cauchemar de Dracula de Terence Fisher (1958), avec Christopher Lee dans le rôle-titre, qu’il considérait comme étant la meilleure adaptation, Dario Argento se rapprochait plutôt du consternant Charlots contre Dracula de Jean-Pierre Vergne. Un seul acteur parvenait à tirer son épingle du jeu dans tout ce marasme, Rutger Hauer, qui semblait être le seul à croire à toute cette soupe et campait un Abraham Van Helsing convaincant. Difficile pour Dario Argento de se relever de cet opus repoussant, avec ses décors en animatique, une mise en scène digne d’un sketch de Groland, une post-synchronisation anglaise au rabais, des effets numériques hideux et fauchés, tout droit sortis d’une production télé des années 90 (mention spéciale à la mante religieuse géante), ainsi que pour la partition insipide de Claudio Simonetti. Pas étonnant que le maître italien ait ensuite déserté les studios de cinéma pour écrire son autobiographie et apparaître aux quatre coins du monde où on désirait lui rendre hommage. 2022, Asia Argento retrouve le scénario de Lunettes noires Occhiali neri, remontant au début des années 2000, projet mis au placard après une affaire financière impliquant le producteur Vittorio Cecchi Gori. Convaincu par sa fille de revenir derrière la caméra, l’amico Dario, après avoir revu le scénario avec son complice Franco Ferrini, lui offre le rôle principal, qu’elle décline, tout en acceptant d’y participer et en produisant le film. Si Occhiali neri n’est pas exempt de défauts, loin s’en faut, ce thriller s’avère foncièrement sympathique et certains éléments restent en tête bien après, preuve que tout n’est pas totalement foutu pour son auteur contrairement à ce que beaucoup pouvaient encore penser.

Rome. Une éclipse solaire enveloppe la ville un jour d’été. Le même soir, une prostituée quitte un hôtel, où elle vient de rencontrer un client et se fait agresser par un détraqué qui lui tranche la gorge avec une corde métallique : elle est la troisième victime d’un tueur en série qui, avec le même modus operandi, s’en prend aux noctambules. Diana, une escort de luxe, se retrouve dans le collimateur du tueur lorsqu’elle refuse les avances véhémentes d’un client : le meurtre échoue, mais elle se retrouve impliquée dans un accident de voiture dans lequel elle perd la vue et qui causera la mort d’une famille chinoise, en percutant leur voiture : seul le petit Chin, 10 ans, survit à l’accident. Diana essaye de maintenir son activité de prostituée, mais elle a bien du mal. Elle est bientôt aidée par Rita, une spécialiste de l’assistance aux aveugles. Rita devient rapidement sa seule amie et l’aide à s’installer dans sa nouvelle vie avec l’aide de sa chienne guide. Diana est rongée par la culpabilité d’avoir causé la mort de la famille chinoise et rend visite à Chin dans un orphelinat, où Chin ne s’entend pas avec les autres enfants. Elle repart après avoir laissé sa carte avec son adresse. Chin, qui a volé la carte, s’échappe bientôt de l’orphelinat, s’installe chez Diana et devient ses yeux, prêt à l’aider à découvrir l’identité du meurtrier afin de venger sa famille.

Dario a mis de l’eau dans son Cannellino di Frascati, non pas dans sa représentation graphique de la violence, mais Lunettes noires est son film le plus « tendre ». Étrangement, ce que l’on retient le plus d’Occhiali neri est, en plus de la poitrine de la comédienne Ilenia Pastorelli, que le cinéaste dévoile gratuitement à plusieurs reprises, la relation qui s’instaure entre Diana et Chin, deux marginaux que des événements tragiques ont réuni et qui vont s’unir contre le mal. C’est sans doute le plus réussi de cette histoire, (trop) classique, qui s’ouvre pourtant sur une superbe scène, celle de l’éclipse, qui confère au film un aspect quasi-fantastique, tout en rendant un hommage explicite à Michelangelo Antonioni, référence éternelle du cinéaste. Dommage que la figure, les actes et les motivations du tueur en série soient stupides, ratés et complètement anecdotiques. Le dernier acte, qui paume les deux personnages principaux dans la campagne isolée des environs de Rome, montrée comme une forêt maléfique peuplée de serpents d’eau voraces et d’habitations abandonnées, finit par ennuyer par trop de redondances et de fulgurances nanardesques, jusqu’à l’affrontement final complètement foiré et monté à la truelle.

S’il faut aussi se farcir des flics incompétents, Lunettes noires se rattrape du côté humain avec une belle complicité qui s’installe entre Diana et Rita (Asia Argento, aussi étonnamment sobre que crédible), amitié laissée de côté trop rapidement en raison d’une recherche de rythme (le film dure 1h20) et d’efficacité dans son dernier tiers. Cette frustration demeure après coup, surtout que Diana est solidement campée par Ilenia Pastorelli, révélation d’On l’appelle Jeeg Robot Lo chiamavano Jeeg Robot de Gabriele Mainetti (David di Donatello de la meilleure actrice en 2016), même si Dario Argento la dirige comme s’il demandait à Gilbert Montagné d’incarner Stevie Wonder, en balançant la tête de gauche à droite, en dirigeant systématiquement le regard à l’opposé de son interlocuteur et en levant les yeux au ciel en souriant.

Mais on ne lui en veut pas, car le bonhomme montre qu’il a encore quelques réserves à plus de 80 balais passés et Lunettes noires est un bon divertissement, pas inoubliable ni un grand film, mais attachant, joliment cadré, marqué par une belle musique d’Arnaud Rebotini, ce qui n’était pas le cas pour ses derniers travaux.

LE BLU-RAY

Vive Extralucid Films ! On avait envie d’écrire et de même de crier cela devant notre écran, tant l’éditeur ne cesse de nous ravir. Bravo à l’équipe qui en l’espace de quatre années nous a gratifié de plusieurs dizaines de titres de haute qualité et dont vous avez pu découvrir la quasi-intégralité des chroniques correspondantes à travers nos colonnes ! 2024, Extralucid met les bouchées doubles et après Trauma en décembre 2022, sortent simultanément quatre autres titres de Dario Argento en édition Blu-ray + Livret, The Card Player (2004), Le Sang des innocents (2001), Le Syndrome de Stendhal (1996) et Lunettes noires (2022). C’est ce dernier qui nous intéresse aujourd’hui, dernier film en date de Dario Argento et donc jusqu’alors inédit en support physique en France. Occhiali neri bénéficie d’un traitement princier. Dans un boîtier Blu-ray classique transparent renfermant la précieuse galette, la jaquette réversible propose soit le visuel de l’affiche originale d’exploitation, soit celui créé à l’occasion de cette sortie. Le tout est glissé dans un épais fourreau cartonné du plus bel effet, suprêmement élégant, comprenant aussi un livret de 50 pages, reprenant une note spécialement écrite par Dario Argento sur la genèse de Lunettes noires, ses intentions et ses partis-pris, une bio-filmographie du maître et des comédiens principaux, ainsi qu’un long retour sur le film par Stéphane du Mesnildot (extrait du hors-série Mad Movies : Dario Argento, le maestro du macabre, 2022), le tout merveilleusement illustré par des photos tirées du film. Enfin, le menu principal est animé et musical.

On commence les bonus par une rencontre inédite avec Dario Argento, enregistrée à l’occasion de la sortie de Lunettes noires en Blu-ray chez Extralucid Films (15’). Le cinéaste passe en revue ce qu’il a fait durant les dix années qui séparent Dracula 3D et Occhiali neri, période où il a notamment écrit Dario Argento – Peur ; autobiographie (Rouge Profond), ainsi que des contes. Il déclare également avoir fait le tour du monde afin de revoir certains amis réalisateurs (en France, en Espagne, aux États-Unis), mais aussi pour se rapprocher de ses deux filles, sans oublier de participer en tant que comédien au Vortex de Gaspar Noé. Il en vient à Lunettes noires, en parlant des origines de son dernier long-métrage en date (le scénario avait été écrit au début des années 2000 et le projet mis à l’arrêt en raison de l’arrestation du producteur), qui doit sa résurrection à Asia Argento.

Place au grand Jean-Baptiste Thoret, qui se taille la part du lion à travers une présentation d’Occhiali neri (22’). Évidemment marquée par des spoilers, cette intervention magistrale donnera envie aux spectateurs déçus de revoir le film qui nous intéresse aujourd’hui. Le critique replace Lunettes noires dans la carrière du maître italien (dix ans après « l’échec phénoménal artistique et commercial de Dracula 3D »), avant d’en venir précisément à Occhiali Neri, qu’il défend, dont il met en avant les qualités (« une vision retrouvée […] un mélange des genres et un désir d’expérimentation […] un retour aux sources »), un film qu’il trouve très beau, « qui a une belle tenue, une identité visuelle comme un conte éclairé » et qu’il met en parallèle avec d’autres opus du cinéaste à l’instar de Phenomena. Les thèmes (la marginalité, la solitude) et la musique d’Arnaud Rebotini sont aussi abordés.

Ce dernier a également été invité par Extralucid Films, pour s’exprimer à son tour sur son travail sur Occhiali neri (11’). Le compositeur et l’un des fondateurs du groupe Black Strobe, lauréat du César de la meilleure musique originale pour 120 battements par minute évoque tout d’abord sa carrière et l’évolution de sa musique, avant de parler de ses liens avec le cinéma. Il y évoque aussi bien la musique des films de John Carpenter que de Goblin, sa rencontre et sa collaboration avec Dario Argento, ainsi que de la création de la B.O. de Lunettes noires, composée en seulement deux semaines.

Plus courte et forcément plus anecdotique est la rencontre avec Ilenia Pastorelli (6’). Celle que l’on avait découvert en 2015 dans On l’appelle Jeeg Robot Lo chiamavano Jeeg Robot de Gabriele Mainetti, qui lui avait valu le David di Donatello de la meilleure actrice l’année suivante parle brièvement d’« une des plus belles expériences de sa vie », celle de sa collaboration avec Dario Argento sur Occhiali neri. L’Ex-candidate de télé-réalité aborde les conditions de tournage, ainsi que sa préparation afin d’incarner un personnage non voyant.

Place aux deux productrices de Lunettes noires, Conchita Airoldi (Dellamorte Dellamore, Ne te retourne pas) et Laurentina Guidotti (ancienne actrice), qui parlent de leur métier et de leur fonction sur un film. Leur rencontre avec Dario Argento, le financement d’Occhiali neri, le casting, les conditions de tournage, la musique et la sortie (y compris le succès) de Lunettes noires (qui s’est vendu dans le monde entier et qui a été très bien accueilli au Japon, en Allemagne et aux États-Unis) sont les points passés en revue au fil de ce module.

Nous trouvons également un making-of promotionnel (‘30), constitué d’interviews d’Asia Argento (comédienne et productrice), d’Ilenia Pastorelli (actrice principale), de Dario Argento (réalisateur) et de Sergio Stivaletti (superviseur des effets spéciaux), ainsi que d’images de tournage. Chaque intervenant s’exprime sur la genèse et la production d’Occhiali neri, projet sorti du tiroir par Asia Argento elle-même.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

On frôle l’excellence : relief, piqué, contrastes (impressionnants), densité des noirs, on en prend plein les yeux. Les teintes froides s’allient avec les gammes chatoyantes des éclatantes scènes diurnes et chaque détail aux quatre coins du cadre large est saisissant. Ce transfert immaculé soutenu par un encodage AVC solide comme un roc laisse pantois. Le master HD permet de se plonger dans le film dans les meilleures conditions possibles. La dernière partie se déroulant dans le noir, nous vous conseillons de le visionner dans une pièce très sombre.

Le mixage italien DTS-HD Master Audio 5.1 restitue merveilleusement les dialogues, la musique et les ambiances nocturnes. La balance frontale est joliment équilibrée, les latérales interviennent évidemment sur toutes les séquences en extérieur. La spatialisation musicale est percutante et le confort acoustique assuré. Une piste Audiodescription est également disponible, ainsi qu’une Stéréo française, efficace dans son genre.

Crédits images : © Extralucid Films / Urania Pictures / Getaway Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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