L’ÉTRANGE VICE DE MADAME WARDH (Lo strano vizio della Signora Wardh) réalisé par Sergio Martino, disponible en coffret Combo Blu-ray + DVD + Livre La Trilogie du vice – L’Étrange Vice de Madame Wardh + Toutes les couleurs du vice + Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé le 4 juin 2024 chez Artus Films.
Acteurs : George Hilton, Edwige Fenech, Conchita Airoldi, Manuel Gil, Carlo Alighiero, Ivan Rassimov, Alberto de Mendoza…
Scénario : Vittorio Caronia, Ernesto Gastaldi & Eduardo Manzanos Brochero
Photographie : Emilio Foriscot
Musique : Nora Orlandi
Durée : 1h37
Date de sortie initiale : 1971
LE FILM
Julie Wardh cache un secret derrière sa vie bourgeoise et son extraordinaire beauté. Pendant un séjour à Vienne avec son mari, elle doit faire face à son vice qu’elle croyait enterré dans son passé. Un mystérieux tueur au rasoir cherche à la tuer et sème la terreur dans la ville.
C’est clairement une étape, un film matriciel, une pierre angulaire. L’Étrange Vice de Madame Wardh – Lo strano vizio della signora Wardh est le premier giallo de Sergio Martino (né en 1938), emblématique réalisateur du cinéma d’exploitation italien. Quelques titres en vrac ? Le Continent des hommes poissons – L’Isola degli uomini pesce (1979), Le Grand alligator – Il Fiume del grande caimano (1979), La Montagne du dieu cannibale – La Montagna del dio cannibale (1978), Mort suspecte d’une mineure – Morte sospetta di una minorenne (1975), Rue de la violence – Milano trema: La polizia vuole giustizia (1973), 2019 après la chute de New York – 2019 – Dopo la caduta di New York (1983)…Il y en a tant, il y en a d’autres…Mais ce que les fans retiendront donc surtout en priorité de Sergio Martino, ce sont ses gialli. En l’espace de trois années, de 1971 à 1973, le cinéaste va signer cinq fleurons du genre, L’Étrange Vice de madame Wardh –Lo Strano vizio della Signora Wardh, La Queue du scorpion – La Coda dello scorpione, Toutes les couleurs du vice – Tutti i colori del buio, Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé – Il tuo vizio è una stanza chiusa e solo io ne ho la chiave (dont le titre « apparaît » déjà dans L’Étrange Vice… par l’intermédiaire d’une lettre) et Torso – I corpi presentano tracce di violenza carnale, dont trois avec la sublime Edwige Fenech. Cette dernière, qui sortait de L’Île de l’épouvante – 5 bambole per la luna d’agosto de Mario Bava, allait voir sa carrière décoller véritablement, au point de devenir une icône du genre alors en pleine explosion, depuis sa remise à neuf par Dario Argento et L’Oiseau au plumage de cristal – L’uccello dalle piume di cristallo en 1970. À mi-chemin entre le giallo dit à l’ancienne et celui récemment mis au goût du jour, L’Étrange Vice de Madame Wardh est un savoureux tour de force, aussi passionnant sur le fond que sur la forme, un mètre étalon en la matière, qui réunit tous les ingrédients attendus, les triture, les malaxe, pour livrer aux spectateurs un divertissement haut de gamme qui demeure encore aujourd’hui spectaculaire.
À Vienne, un prédateur sexuel assassine des femmes avec un rasoir. Julie Wardh et son mari diplomate, Neil, reviennent en ville après un séjour à New York. Julie a épousé Neil pour échapper à son ancien amant violent, Jean, qui vit à Vienne. Jean commence à harceler Julie, qui devient de plus en plus anxieuse. Lors d’une soirée mondaine, Carol, l’amie de Julie, lui présente son cousin australien George. Le riche oncle de George et Carol vient de mourir et ils sont ses seuls héritiers. George flirte avec Julie, qu’il sait malheureuse dans son mariage. Après un déjeuner, George et Julie entament une liaison. Julie reçoit un appel d’un maître chanteur qui menace de révéler leur liaison à Neil. Julie soupçonne Jean d’être le maître chanteur et Carol insiste pour rencontrer le maître chanteur à la place de Julie. Carol se rend à la rencontre avec l’inconnu dans un parc boisé, où elle est agressée et tailladée à mort par un individu armé d’un rasoir. Lorsque Julie apprend le meurtre de Carol, elle presse la police d’enquêter sur Jean, qu’elle soupçonne d’être le tueur au rasoir en raison de ses tendances sadomasochistes. Jean a un alibi en béton. Julie est alors attaquée dans le parking par un personnage armé d’un rasoir, et s’en sort de justesse. Terrifiée, Julie accepte l’invitation de Georges à quitter la ville (et son mari) pour l’Espagne.
L’Étrange Vice de Madame Wardh combine un tueur ganté armé d’un rasoir, un adultère (plusieurs même), des trahisons, des faux-semblants, des beaux gosses au teint hâlé, des nanas plantureuses à l’air effrayé, des vues subjectives, des contre-plongées, des zooms récurrents, des retournements de situation inattendus car invraisemblables. N’en jetez plus, c’est trop de bonheur ! En effet, le scénario essentiellement imputable à Ernesto Gastaldi (qu’on ne présente plus) et coécrit avec le talentueux Eduardo Manzanos Brochero (La Nuit des diables, Matalo, La Légion des damnés, Satanik) enchaîne les moments forts et ne laisse aucun répit à son personnage principal, comme aux spectateurs. Sergio Martino, après deux « documentaires » (on parle alors de Mondo dans ce cas précis) prenant comme sujet le sexe, la pornographie, la violence et la prostitution avec Tous les vices du monde – Mille peccati… nessuna virtù (1969) et L’Amérique à nu – America un giorno (1970), s’essaye à la fiction avec le western Arizona se déchaîne – Arizona si scatenò… e li fece fuori tutti, puis trouve avec le giallo un terrain sur lequel il laisse libre-cours à son imagination et à son savoir-faire.
Sa mise en scène regorge (tranchée) de trouvailles visuelles, le montage d’Eugenio Alabiso (Les Évadées du camp d’amour, Les Tortionnaires du camp d’amour, Échec au gang, Spasmo, Les Rendez-vous de Satan, El Mercenario) participe grandement à cette expérience hypnotique, tandis que la musique de Nora Orlandi (Le Jour de la haine, Le Temps des vautours, L’Adorable Corps de Deborah) agit également sur les nerfs, à l’instar du thème Dies Irae, qui sera d’ailleurs réutilisé en 2004 dans Kill Bill : Volume 2 de Quentin Tarantino. Depuis le premier meurtre (au bout d’une minute et trente secondes) jusqu’à la révélation finale, ou plutôt de sa conclusion dite à tiroir, Sergio Martino compile les séquences cultes et n’oublie évidemment pas de faire prendre sa douche à Edwige Fenech (nous sommes à la 7è minute) ni son bain à la bustée Conchita Airoldi (aujourd’hui productrice, Dellamorte Dellamore, Ne te retourne pas, Lunettes noires) pour le plaisir des yeux.
Outre Edwige Fenech, ses partenaires George Hilton et Ivan Rassimov (que la comédienne retrouvera par la suite), ainsi que l’argentin Alberto de Mendoza (Terreur dans le Shanghaï Express, Le Venin de la peur, L’Arme à gauche) s’avèrent ambigus à souhait et leurs personnages donnent lieu à de multiples interprétations. Si Les Diaboliques de Henri-Georges Clouzot et L’inconnu du Nord Express d’Alfred Hitchcock (on en a déjà trop dit) sont évidemment les modèles sur lequel Ernesto Gastaldi s’est reposé, L’Étrange Vice de Madame Wardh s’en éloigne suffisamment pour trouver son identité propre.
LE COFFRET
C’est l’un des événements de l’année dans le domaine du support physique hexagonal. Artus Films réunit trois gialli de Sergio Martino (avec Edwige Fenech pourrait-on ajouter), « la trilogie du vice », dans un sublime coffret comprenant les éditions DVD et Blu-ray de L’Étrange Vice de Madame Wardh, Toutes les couleurs du vice et Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé. Six disques solidement harnachés dans un Digipack à quatre volets, magnifiquement illustré et glissé dans un fourreau cartonné du plus bel effet. À cela s’ajoute un magistral livret de cent pages intitulé Les Vices cachés de Sergio Martino, réalisé par Emmanuel Le Gagne, avec Sébastien Gayraud et David Perrault. Quelques fautes d’orthographe par-ci, par-là, mais l’ensemble y est passionnant, érudit, très informatif sur l’ensemble de la carrière (divisée en genres) du cinéaste, mais aussi sur les trois longs-métrages qui nous intéressent plus particulièrement, puis sur les autres gialli du maestro. Parfait équilibre entre le texte et les illustrations. Les menus principaux sont fixes et musicaux. À noter que L’Étrange Vice de Madame Wardh avait déjà eu les honneurs d’une édition DVD chez Neo Publishing en 2010 dans la collection Giallo.
On démarre la section des suppléments par un entretien croisé de George Hilton (décédé en 2019) et de l’historien du cinéma Antonio Bruschini (décédé en 2011) (18’). Le premier évoque sa partenaire Edwige Fenech et Sergio Martino, avec lesquels il a eu la chance de tourner à plusieurs reprises. Il parle également du succès colossal de L’Étrange Vice de Madame Wardh en Italie (et dans le reste du monde), tout en partageant quelques souvenirs de tournage. Ce coquin explique également en avoir pincé pour Conchita Airoldi. Le critique de cinéma replace brillamment le film dans la carrière de Sergio Martino, mais aussi dans le registre du giallo, L’Étrange Vice de Madame Wardh « faisant le pont entre deux typologies de giallo », autrement dit entre le thriller psychologique (« à la Lenzi ») de la fin des années 1960 et le thriller horrifique à la limite du fantastique de Dario Argento. Quelques redites sur la durée, mais ce module reste plaisant.
Place à Sergio Martino (41’30)! Le réalisateur, toujours de ce monde, ici dans une interview de 2020, démarre son intervention en expliquant comment il en est venu à mettre en scène des gialli, événement dû à son frère producteur Luciano Martino, « qui souhaitait faire des films destinés à être exportés » et qui devaient donc pour cela comporter plus d’action et d’érotisme. Le cinéaste se souvient du point de départ du scénario (un fait divers centré sur un meurtre lié à une assurance-vie), l’inspiration des Diaboliques de Clouzot, avant d’en venir aux conditions de tournage à Vienne. Le casting (on apprend qu’Edwige Fenech était la compagne de son frère), les scènes de sexe, les rapports avec la censure, le travail du chef opérateur Emilio Foriscot, les influences (dont Blow Up de Michelangelo Antonioni pour la scène du parc, qui inspirera aussi Dario Argento pour une scène de Quatre Mouches de velours gris) sont aussi abordés. Enfin, Sergio Martino s’égare sans doute un peu quand il déclare que La Forme de l’eau de Guillermo Del Toro serait comme qui dirait une réinterprétation du Continent des hommes poissons, tandis que Les Fils de l’homme d’Alfonso Cuarón et Pretty Woman lui doivent aussi apparemment beaucoup…
Enchaînons directement avec l’interview du scénariste Ernesto Gastaldi (21’). Nous avons déjà parlé moult fois de ce dernier à travers nos chroniques (Le Cynique, l’infâme, le violent, Colère noire, Mort suspecte d’une mineure, La Mort caresse à minuit, Les Rendez-vous de Satan et bien d’autres) que vous retrouverez facilement sur notre antenne et c’est toujours un plaisir de l’écouter. Dans cet entretien de 2020, Ernesto Gastaldi explique pourquoi il s’est mis à écrire des gialli en déclarant « J’aurais préféré écrire des films de science-fiction, mais tant que le giallo marchait on me demandait d’en écrire ». L’occasion pour lui de parler de son livre Assolutamente Casuale (2013), ouvrage de près de 5000 pages qu’il considère comme étant son œuvre la plus personnelle. Le scénariste dissèque la notion de hasard, comment celui-ci a modelé sa propre existence et comment celui-ci se retrouve souvent dans les récits qu’il a écrits. L’Étrange Vice de Madame Wardh est ensuite exploré, les idées centrales disséquées (comme celle du glaçon posé sur le verrou), la fin (« pas très logique, mais trop chouette pour qu’on s’en soucie […] regardez même dans Les Dix petits nègres, Agatha Christie se fout de notre gueule ! ») évoquée. L’influence d’Alfred Hitchcock est avouée, ainsi que celle des Diaboliques de Henri-Georges Clouzot. Enfin, Ernesto Gastaldi s’amuse en parlant du nombre de fois où Edwige Fenech finit quasiment systématiquement sous la douche, en disant que cela n’était pas écrit dans le scénario, mais que Sergio Martino ne manquait pas la possibilité de faire ce genre de scène qui plaisait aux spectateurs, mais moins à la censure.
Enfin, nous terminons cette série d’entretiens avec celui d’Emmanuel Le Gagne (20’). Si comme nous vous vous êtes réservés ce bonus en dernier, alors celui-ci ne vous apportera pas grand-chose de nouveau, tant les intervenants précédents ont été généreux en infos sur L’Étrange Vice de Madame Wardh. Néanmoins, on aime le journaliste et ses présentations sont souvent très bien préparées et riches. Le sieur Le Gagne reprend pour ainsi dire tous les arguments avancés précédemment et les condense en une vingtaine de minutes, pour résumer tout ce qu’il y a à peu près à dire sur le premier giallo de Sergio Martino, ainsi que sur le genre à part entière. Deux scènes centrales sont analysées en off, texte lu par Emmanuel Le Gagne lui-même.
L’interactivité se clôt sur un Diaporama de photos et d’affiches d’exploitation, ainsi que sur la bande-annonce.
Un dernier point, par rapport à l’édition DVD de 2010, nous perdons le commentaire audio très complet de Federico Caddeo.
L’Image et le son
Après une exploitation en HD en Angleterre, en Allemagne et aux États-Unis, L’Étrange Vice de Madame Wardh débarque enfin dans nos contrées sous les couleurs d’Artus Films. C’est du très bon boulot, comme bien souvent, ou comme d’habitude même avec l’éditeur ursidé, qui a mis les petits plats dans les grands et déroule le tapis rouge au premier giallo de Sergio Martino. La propreté du master est remarquable, la stabilité est de mise (hormis sur quelques plans, mais cela semble d’origine), les contrastes élégants, la texture argentique présente et solidement gérée, la clarté éloquente, les détails foisonnants, le piqué étonnant, la palette chromatique (Eastmancolor) riche et variée. Format d’origine respecté, cadre large ChromoScope.
Propre et dynamique, le mixage italien ne fait pas d’esbroufe et restitue parfaitement les dialogues, laissant une belle place à la superbe musique de Nora Orlandi. A titre de comparaison, elle demeure la plus dynamique et la plus riche du lot. La version française (absente de l’ancien DVD) s’accompagne d’un léger souffle et le rendu est plus artificiel.