LES MISÉRABLES – 2 ÉPOQUES réalisé par Jean-Paul Le Chanois, disponible en Edition limitée Blu-ray & DVD le 6 novembre 2024 chez Pathé.
Acteurs : Jean Gabin, Danièle Delorme, Bernard Blier, Bourvil, Béatrice Altariba, Serge Reggiani, Silvia Monfort, Fernand Ledoux, Jimmy Urbain…
Scénario : Jean-Paul Le Chanois, Michel Audiard & René Barjavel, d’après le roman de Victor Hugo
Photographie : Jacques Natteau
Musique : Georges Van Parys
Durée : 3h10
Date de sortie initiale : 1958
LE FILM
Jean Valjean, un paysan condamné à cinq ans de travaux forcés pour avoir volé un pain, sort du bagne de Toulon en 1815 après y avoir passé dix-neuf ans, sa peine initiale ayant été prolongée à cause de ses multiples tentatives d’évasion. Son destin bascule lorsque l’évêque de Digne, Monseigneur Myriel, se dévoue pour lui éviter d’être de nouveau incarcéré à la suite du vol qu’il a perpétré dans sa maison. Dès lors, Jean Valjean va s’évertuer à ne faire que le bien autour de lui au détriment de son propre bonheur.
C’est un véritable blockbuster. En 1958, Jean-Paul Le Chanois adapte Les Misérables de Victor Hugo (publié en 1862), avec un casting de luxe, 10.000 figurants et un budget conséquent. Bien avant cela, l’oeuvre de l’écrivain avait inspiré le septième art, dès ses débuts d’ailleurs et ce aux quatre coins du monde. On peut bien sûr citer la version de Raymond Bernard en 1934, avec Harry Baur, Charles Vanel, Jean Servais et Orane Demazis, mais aussi celle (tout aussi virtuose) de Riccardo Freda (sous le titre français L’Évadé du bagne) avec Gino Cervi et Valentina Cortese. Jean-Paul Le Chanois coécrit son film avec René Barjavel, après un départ précipité de Michel Audiard (avec lequel le travail s’est très mal passé) et confie le rôle de Jean Valjean à Jean Gabin. Depuis son retour en grâce en 1954, le « Vieux » enchaîne les tournages et multiplie les succès. En 1955, six films dont il est la vedette sortent sur les écrans (dont French Cancan, Chiens perdus dans collier, Gas-oil) et quasiment tout autant l’année suivante (Des gens sans importance, Voici le temps des assassins, Le Sang à la tête, La Traversée de Paris…). Après un repos en 1957 (avec « seulement » deux films à l’affiche), Jean Gabin est à nouveau omniprésent en 1958 avec un film sortant en moyenne tous les deux mois. Ainsi, après Maigret tend un piège au mois de janvier, le mois de mars est marqué par l’événement cinématographique de l’année, l’arrivée des Misérables, scindé en deux époques pour une durée totale de 3h10 (le premier montage dépassait même les cinq heures, ce qui allait poser moult problèmes au montage), qui va alors attirer près de dix millions de spectateurs en France (on parle même de près de 25 millions en Union soviétique) et restera le deuxième plus grand succès de l’acteur au box-office, derrière les 12,5 millions d’entrées de La Grande Illusion. C’est la seconde collaboration entre Jean Gabin et Jean-Paul Le Chanois, après Le Cas du docteur Laurent et qui continuera après avec Monsieur (1964) et Le Jardinier d’Argenteuil (1966). Spectaculaire transposition du monument littéraire de Victor Hugo, Les Misérables demeure un gigantesque spectacle, qui a peut-être vieilli du point de vue des décors qui font parfois un peu carton-pâte, mais qui n’en reste pas moins passionnant et merveilleusement interprété.
En 1802, un ouvrier tombé dans la misère, Jean Valjean, vole un pain, poussé par la faim. Condamné à cinq ans de bagne, plusieurs tentatives d’évasion aggravent sa peine. Jean Valjean restera au bagne dix-neuf ans. À sa sortie, brisé et rempli de haine contre l’ordre établi, l’ancien forçat vole un prêtre, Monseigneur Myriel, qui lui a offert l’hospitalité. Le pardon du saint homme lui permet de se ressaisir. Il change son nom et se fait appeler M. Madelaine… En 1830, Jean Valjean, fuyant toujours la justice (il a été condamné par contumace au bagne à perpétuité pour récidive), s’appelle maintenant Fauchelevent. Il vit en riche bourgeois à Paris avec Cosette qu’il élève comme sa fille. Cosette, devenue une élégante jeune fille, est tombée amoureuse d’un étudiant pauvre, Marius, militant républicain. Jean Valjean, lui, ne fait pas de politique et ne prend pas part à la guerre civile, déclenchée par la tentative de Charles X de gouverner par ordonnance. Seul lui importe le bonheur de sa fille adoptive. C’est pourquoi, quand les Républicains sont battus et pourchassés, il sauve Marius blessé, au péril de sa propre vie…
Évidemment, on pourrait parler pendant des heures de Jean Gabin, qui était l’un des seuls à pouvoir endosser le personnage mythique de Jean Valjean. Les qualificatifs viendraient à manquer une fois de plus pour évoquer sa présence, son charisme minéral et magnétique. Peu de comédiens peuvent se targuer d’en imposer aussi naturellement, comme si le personnage avait été pensé pour eux. Avec Harry Baur et Gino Cervi, auxquels on peut aisément ajouter Lino Ventura et Gérard Depardieu, le monstre du cinéma français reste l’un des plus grands Valjean apparus à l’écran. À ses côtés, Bernard Blier est tout aussi immense dans la peau de Javert, peut-être le meilleur à avoir porté la gabardine, même si d’autres illustres comédiens l’ont également arboré comme Charles Laughton, Michel Bouquet et John Malkovich. Non, nous ne parlerons pas de Russell Crowe dans l’immonde mouture chantée de Tom Hooper.
Le reste de la distribution est aussi prestigieux, Danièle Delorme en Fantine, Bourvil (inattendu et magistral Thénardier), Silvia Monfort en Éponine, pour ne citer que ceux-ci. Les Misérables version Le Chanois rend compte de la qualité du cinéma hexagonal à travers un Technicolor flamboyant signé Jacques Natteau (chef opérateur attitré de Claude Autant-Lara), des décors comme nous l’indiquions quelque peu factices certes, mais qui rendent compte en même temps d’une vision, d’une sensibilité, d’une interprétation du livre de Victor Hugo, forcément réduit, trahi parfois, condensé, mais qui traduit donc une réelle proposition personnelle. La musique du maestro Georges Van Parys (Rue des prairies, Maxime, Charmants garçons, Les Diaboliques, Les Grandes manœuvres) est magnifique et souligne chaque scène tel un opéra, sans être pesante, tout en prolongeant les émotions et le chemin vers la rédemption de Jean Valjean.
Pris pour cible par les pédants de la Nouvelle vague, Les Misérables a pourtant bien mieux traversé les décennies que la plupart de leurs objets filmiques sans émotion pour la plupart et n’a eu de cesse d’être réhabilité et redécouvert. En l’état, il s’agit d’une splendide introduction à l’univers de Victor Hugo, ainsi qu’un prolongement et surtout un extraordinaire spectacle à voir sur le plus grand écran possible.
LE BLU-RAY
Enfin ! On peut dire qu’on l’a attendu de pied ferme celui-là ! Les Misérables de Jean-Paul Le Chanois débarque en Haute-Définition, tout naturellement chez Pathé dans la collection Pathé Présente. L’éditeur a fait le choix judicieux de répartir une époque par disque, les suppléments étant disposés sur le deuxième Blu-ray (ou DVD selon votre édition). Le menu principal est animé et musical.
Peu de suppléments…on s’attendait à mieux pour tout avouer. Cela n’empêche pas que la qualité est cette fois encore au rendez-vous. On démarre donc les bonus par une intervention croisée de Delphine Gleizes (Professeure des universités, spécialisée dans la littérature française du XIXe siècle) et Arnaud Laster (Président de la Société des amis de Victor Hugo). Comment le cinéma s’est emparé immédiatement du roman-fleuve Les Misérables dès ses débuts ? Quelle vision a pu apporter chaque réalisateur en charge d’une adaptation ? Deux questions auxquelles répondent les deux invités de Pathé, avant d’en venir plus précisément à la transposition qui nous intéresse aujourd’hui, celle de Jean-Paul Le Chanois. Les thèmes du film (repris du livre de Victor Hugo et en adéquation avec l’engagement politique du cinéaste), le casting, les conditions de tournage, les décors et l’immense succès populaire des Misérables, version 1958, sont aussi abordés (27’30).
L’éditeur joint également une interview de Jean-Paul Le Chanois et Bernard Blier, réalisée à l’occasion de la sortie du film (6’). Le réalisateur s’exprime sur la raison de cette adaptation (« qui a été faite en restant fidèle à Victor Hugo, contrairement aux précédentes transpositions, raison pour laquelle le récit a été scindé en deux époques »), qui demeure selon lui dans l’esprit humaniste de ses films précédents. Bernard Blier, par ailleurs assis à côté d’autres acteurs du film, parle du rôle de Javert et de son amour pour les personnages antipathiques.
L’Image et le son
Merci à Pathé de nous permettre d’ajouter Les Misérables à notre collection ! L’oeuvre de Jean-Paul Le Chanois a subi un lifting de premier ordre. La copie est impressionnante, propre comme un sou neuf, débarrassée de toutes les scories diverses et variées. L’ensemble est riche et stable (aucun décrochage chromatique constaté sur les fondus enchaînés), la gestion du grain est équilibrée et les fourmillements absents. Le piqué demeure pointu. Certaines séquences tirent agréablement profit de cette élévation HD, notamment toutes celles tournées en extérieur. Les couleurs sont également pimpantes avec des contrastes au top et une luminosité souvent impressionnante. Blu-ray au format 1080p.
L’éditeur est aux petits soins avec le film de Jean-Paul le Chanois puisque la piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. L’écoute se révèle fluide, limpide et surtout saisissante. Le superbe thème musical signé Georges Van Parys est savamment restitué. Aucun craquement ou souffle intempestifs ne viennent perturber l’oreille des spectateurs, les dialogues sont clairs, même si certains échanges se révèlent parfois plus couverts. Les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.
Crédits images : © Pathé / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr